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La participation aux 12 heures de spiritualité et ses différents enjeux

6 Analyse du volet participatif de l’activité

6.3 La participation aux 12 heures de spiritualité et ses différents enjeux

Ce chapitre concerne davantage l’expérience réelle des participants et non les structures et différents enjeux propres à l’activité. Pour cette raison, nous nous intéresserons davantage aux enjeux propres à l’expérience interreligieuse des participants, ayant comme grille de lecture la typologie de Jean-Claude Basset concernant ce que nous avons nommé les « degrés d’implication » dans le dialogue interreligieux174.

Cette typologie concerne l’expérience subjective de l’individu en dialogue plutôt que l’évènement en lui- même. En se basant sur les deux principales conceptions des relations interreligieuses identifiées chez les participants (communication et communion), nous pouvons exposer les principales tendances chez les participants concernant leur type d’implication dans le dialogue et les principaux éléments qui agissent directement sur leur expérience. Nous aurons donc l’occasion d’aborder les différentes limites organisationnelles à l’expression et à l’écoute des réalités spirituelles ou religieuses, ainsi que les limites organisationnelles à la communion ou à la fraternisation entre les différents participants.

174 Voir annexe X.

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Les récits des participants sur leur expérience et leur critique de l’organisation s’avèrent également un précieux témoignage afin de dégager d’autres enjeux organisationnels qui n’avaient pas été envisagés par les organisateurs.

6.3.1 L’expérience interreligieuse et ses limites

Nous avions trouvé chez Jean-Claude Basset une typologie du dialogue interreligieux basée sur ce que les participants sont prêts à « mettre en jeu » au cours de l’exercice, permettant ainsi de classifier l’expérience en différents « degrés d’implication » allant du simple dialogue inter-religieux (où les croyances sont mises en jeu) jusqu’au dialogue existentiel qui implique une certaine expérience de transcendance. Aux deux principales conceptions du dialogue interreligieux observées chez les participants correspond un type d’implication précis qui teinte l’ensemble de leur expérience.

6.3.1.1 Le dialogue théologique

Chez la majorité des participants interrogés, tel que nous l’avons vu, l’expérience interreligieuse est décrite en termes de communication (expression et écoute), ce que nous avons assimilé à l’idéaltype du dialogue doctrinal, ou théologique. L’implication personnelle décrite par ces participants oscille entre le dialogue inter-religieux (niveau des croyances) et le dialogue confessionnel (niveau de la foi175) selon que les

participants sont davantage attachés à l’objectivité de l’information ou à l’authenticité de l’expression (ce qui vient du cœur, l’expérience subjective). Les personnes interrogées ayant cette orientation théologique ont fait référence à des éléments précis ayant une influence sur leur expérience interreligieuse dans le cadre de l’activité des 12 heures de spiritualité. Que ce soit des participants qui s’inscrivent dans une expérience de dialogue inter-religieux (impliquant les croyances) ou inter-confessionnel (impliquant la foi), la principale limite identifiée à l’expression ou à l’écoute de la réalité religieuse/spirituelle concerne le regard de l’autre. Écoutons Myriam :

Moi ça m’intimide un peu, j’ai peur de poser des questions idiotes devant tout le monde. C’est pas comme d’être assis tous égaux. Si on est assis tous ensemble dans un cercle, c’est moins gênant que quelqu’un qui est devant toi pis qui pose une question à la personne devant. Moi ça me gêne plus.

Par rapport à ceux qui ne présentaient pas, comme moi qui assistais simplement, des fois j’avais l’impression d’être un petit peu voyeuse […]. J’aurais aimé ça qu’on soit amenés davantage à discuter sur nos croyances176.

Myriam résume bien la principale limite organisationnelle au dialogue identifiée par les participants qui s’impliquent au niveau des croyances et de la foi : l’organisation de la salle et le déroulement de la majorité

175 Voir annexe X. 176 Myriam, (2-15), (2-18).

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des ateliers limitent les échanges aux périodes de questions-réponses entre les présentateurs et les autres participants, ce qui produit l’effet « spectacle » que nous avons déjà mentionné. La personne qui désire intervenir doit le faire devant l’ensemble du groupe, et la timidité ou la peur d’être jugé par des inconnus deviennent un frein majeur aux échanges. C'est principalement au niveau de l’expression, et moins au niveau de l’écoute, que la relation interreligieuse reste limitée dans le cadre des 12 heures de spiritualité, particulièrement pour les participants libres. Les grands cercles de dialogue et les périodes de pause- discussion ne viennent pas à bout de cette expression limitée par le regard de l’autre. Certains participants ont suggéré, pour remédier à cette lacune, d’insister sur les petits groupes de discussion où la confiance réciproque entre les participants transforme « l’autre » et son regard intimidant en ami et collaborateur. En d’autres termes, ces participants ont identifié la nécessité d’une relation personnalisée dans le dialogue interreligieux, même si l’implication restait au niveau des croyances et des informations théoriques. Pour ceux qui s’attachaient particulièrement à l’authenticité de l’expression, l’intimité de l’expérience spirituelle jumelée au manque d’habitude de s’exprimer sur ces réalités viennent ajouter un poids supplémentaire au regard de l’autre et rendre encore plus difficile l’expérience de l’échange.

6.3.1.2 Le dialogue expérientiel

Pour les participantes s’inscrivant davantage dans l’idéaltype du dialogue basé sur l’expérience (horizon spirituel et visée de communion), d’autres limites organisationnelles furent identifiées, cette fois concernant la communion entre les participants. L’implication dans un tel type de dialogue nécessite d’accepter de mettre en jeu sa propre expérience existentielle ou expérience de la transcendance, comme nous l’avions vu dans les théories de Basset, et cette haute exigence n’est certainement pas étrangère à la marginalisation de ce type d’expérience au sein des participants. Néanmoins, cette orientation est encouragée par le comité d’organisation, tel que nous l’avons mentionné précédemment, et elle existe dans les faits. Les personnes interrogées s’inscrivant dans ce type d’expérience, ou du moins qui en ont exprimé le désir, ont décrit des enjeux organisationnels encadrant la « connexion » ou encore « l’imprégnation de l’ambiance ». Le désir de communion exige davantage de mise-en-scène de la part des organisateurs afin de préserver une ambiance et la possibilité d’optimiser les relations entre les participants. Du point de vue de ces derniers, il s’agit d’éviter l’effet spectacle : « En quatre ans, je n’ai pas vu de relation, non, de

connexion entre toutes les religions participantes. Je veux dire, les bahá'ís arrivent, ils font leur petite

affaire. Les catholiques arrivent, font leur affaire, les juifs, pareil. Ya pas de connexion entre eux, chacun fait sa petite affaire puis c'est fini177».

177 Évasion, (1-35).

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Les participants qui recherchent cette communion reconnaissent particulièrement la valeur des ateliers participatifs, encore plus ceux où ils sont invités à expérimenter une pratique. Ils ont identifié deux éléments principaux susceptibles de limiter la qualité de leur expérience de connexion : les connaissances de base des participants et la compétence des présentateurs.

Le premier élément fait référence au fait qu’une grande proportion des participants semblent parfois ignorer les informations de base d’une religion ou tradition spirituelle qui font l’objet d’une présentation, ce qui oriente la discussion majoritairement sur des aspects plus théoriques, voire même théologiques. Un atelier de présentation de la pratique des récitatifs bibliques178, par exemple, sera rarement accompagné d’une

foule de questions sur la théologie chrétienne, mais un atelier de méditation organisé par les Brahma Kumaris, une forme de néo-hindouisme, risque de glisser dans des discussions sur le contenu des croyances ou l’historique du mouvement. Le manque de connaissances concernant certaines traditions ou religions peut limiter l’expérience interreligieuse aux échanges d’information de base nécessaires à la compréhension du contexte d’une pratique ou d’une expérience spirituelle particulière.

La compétence des présentateurs, quant à elle, fait plutôt référence au fait que les personnes responsables de l’organisation des différents ateliers de présentation n’ont pas toujours les habiletés nécessaires à l’animation d’un atelier participatif ou pour proposer une expérience spirituelle propre à leur tradition sans passer par une présentation « traditionnelle » de leur identité religieuse (croyances, historique, pratiques). L’animation d’ateliers participatifs exige certaines compétences qui ne sont pas explicitement recherchées lors de l’invitation lancée par les organisateurs de l’activité, ni encadrées par une formation pré- évènementielle, ce qui a pour effet d’offrir, pour les 12 heures de spiritualité, une série d’ateliers dont la qualité peut varier grandement d’une tradition à l’autre.

6.3.2 Autres enjeux organisationnels mentionnés par les participants

Outre les différents enjeux qui influencent directement le type de participation des personnes interrogées, l'analyse des entrevues effectuées avec les présentateurs et participants libres a permis de dégager des enjeux organisationnels qui n’avaient pas été traités de manière similaire par les organisateurs eux-mêmes. Mentionnons la persistance du souci d’augmenter la portée de l’évènement, les inquiétudes quant à sa promotion et l’absence de sensibilité à la thématique de l’évènement.

178 Le récitatif biblique est une discipline qui allie la dimension corporelle et spirituelle de la personne en l’enracinant dans la

tradition orale de la Bible. Quand on entre dans cette discipline on apprend l’art de se laisser mettre en mouvement, à l’intérieur comme à l’extérieur, par le souffle vivant d’une Parole sacrée qui traverse les âges. Source :

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L’attrait pour une plus grande portée à l’évènement semble pratiquement unanime chez les participants et présentateurs interrogés, le but étant de partager leur expérience positive avec le plus de monde possible. Certains restent conscients cependant d’un seuil de participation à ne pas franchir afin de maintenir l’intimité nécessaire à la qualité des échanges et au maintien de l’ambiance. La grandeur de la salle inquiète également : pour l’édition 2013 certains participants considéraient la salle Marie-Guyart à sa capacité maximum, limitant légèrement la mobilité des participants assis dans des rangées de chaises un peu serrées. Certains n’hésiteront pas à suggérer de changer de local afin d’augmenter la capacité d’accueil de l’activité. Plus de participants libres, donc, mais également plus de présentations; ce qui suggère alors de multiplier les évènements à deux ou trois par année, de faire des ateliers annexes post-évènementiels ou encore d’augmenter l’expérience à 24 heures sur une fin de semaine intensive.

L’autre versant du souci d’augmenter la portée de l’évènement est bien entendu les préoccupations concernant la diffusion et la promotion de l’évènement. Certains participants critiquent sans ménagement la promotion effectuée par le comité organisateur, arguant qu’il est difficile de trouver l’information suffisamment à l’avance pour planifier 12 heures d’activités dans son horaire quotidien, ou encore qu’on leur a mal dépeint l’expérience attendue. Cet élément intéressant fut abordé en entrevue entre autres par Claude et Myriam, qui faisaient remarquer qu’une diffusion passant majoritairement par les réseaux communautaires et la circulation de l’affiche en version web ne permettaient pas de se faire une idée globale de ce qu’est l’activité. Selon eux, peu de gens comprennent réellement l’ampleur de l’expérience avant de s’y immerger complètement. Le recours aux témoignages pourrait être un atout précieux dans la promotion de l’évènement. Cela pourrait également remédier à un autre problème de participation qui fut soulevé, soit la faible proportion des jeunes qui assistent aux 12 heures179. Le problème ne se trouverait pas

nécessairement dans le désintérêt global pour les jeunes générations envers la spiritualité mais plutôt dans la manière dont l’activité leur est présentée. D’autre part, Myriam, par exemple, n’hésiterait pas à faire appel à des « vedettes » afin d’attirer un public plus large, ou encore des groupes plus controversés tels que la scientologie ou des groupes nouvel-âge.

En ce qui concerne la thématique, nous avons été frappés par la disproportion de l’intérêt que lui porte le comité organisateur relativement au peu d’intérêt qu’elle suscite auprès des participants libres180. Peu de

participants se soucient de la précision avec laquelle les présentateurs respectent la thématique et certains vont même jusqu’à prétendre qu’ils n’ont pas senti qu’elle avait influencé le déroulement de la journée. Il va

179 La participation des jeunes aux présentations, quant à elle, est en constante augmentation.

180 Les présentateurs y accordent beaucoup d’importance, bien entendu, mais la considèrent parfois comme un élément limitatif

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sans dire que la dimension sociale de l’évènement que le comité organisateur tente de maintenir par le biais de la thématique passe totalement inaperçue auprès des participants.