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La mémoire collective et le paysage urbain tatoués des vestiges du passé : la corderie du quartier St-Sauveur

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La mémoire collective et le paysage urbain tatoués des vestiges du passé :

La corderie du quartier Saint-sauveur

Mémoire

Elyse De Lafontaine

Maîtrise en arts visuels : art avec la communauté

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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La mémoire collective et le paysage urbain tatoués des vestiges du passé :

La corderie du quartier saint-sauveur

Mémoire

Elyse De Lafontaine

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Cette recherche vise, dans un premier temps, à colliger les informations existantes sur l’histoire de la corderie du quartier Saint-Sauveur qui passa au feu en 1866 dans un seul document tout en le bonifiant des nouveaux éléments trouvés. Puis, dans un deuxième temps, élaborer diverses activités artistiques thématiques inspirées de son histoire afin de réaliser une œuvre collective1 grâce à la participation d’aînés fréquentant le Centre de jour du Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes, centre directement situé sur le site où la corderie avait été construite. Enfin, la recherche vise aussi à découvrir quelles sont les retombées pour ces aînés impliqués dans le processus de création.

La recherche s’inscrit dans une perspective herméneutique puisque la question de signification et de sens en est le cœur. Que ce soit selon l’approche de Heidegger, de Gadamer, de Dilthey, de Ricœur ou celle de Grondin, chacune des avenues que ces auteurs proposent sont des pistes de compréhension. Les notions de textile, de trace, de mémoire et d’histoire contribuent aussi à éclairer et à analyser les réponses au questionnement qui sous-tend cette recherche.

Les résultats obtenus permettent d’en connaître davantage sur le développement de la partie sud-est du quartier Saint-Sauveur au XIXe siècle, développement étroitement relié à la construction de navires à voiles, vaste industrie qui participa à l’essor de la ville de Québec à la même époque. Les résultats permettent aussi de comprendre ce que les thèmes inspirés de l’histoire de la corderie représentent pour les aînés participant à la création et aident également à découvrir ce que les participants ont pu retirer d’une telle expérience et ce, pour l’ensemble du processus.

Mots clés :

Corderie – quartier Saint-Sauveur – herméneutique – aîné – œuvre collective – textile.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES TABLEAUX ... VII LISTE DES FIGURES ... VIII LISTE DES ABRÉVIATIONS ... IX REMERCIEMENTS ... X

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 – PROBLÉMATIQUE ... 4

1.1 MES LIENS AVEC LE TEXTILE ET LES ORIGINES DE MA PRATIQUE ARTISTIQUE ... 4

1.1.1 L’industrie textile de mon enfance ... 4

1.1.2 La fibre paternelle ... 4

1.1.3 La fibre maternelle ... 5

1.1.4 Ma démarche artistique ... 5

1.2 PROBLÈME DE RECHERCHE ... 6

1.3 LES TROIS SOUS-QUESTIONS DE LA RECHERCHE ... 8

1.4 PERTINENCE DE LA RECHERCHE ... 9

1.5 RÉCAPITULATION DU PREMIER CHAPITRE ET INTRODUCTION AU DEUXIÈME ... 10

CHAPITRE 2 – CADRE DE RÉFÉRENCES ... 12

2.1 HERMÉNEUTIQUE ... 12

2.1.1 Origine grecque de l’herméneutique ... 12

2.1.2 L’herméneutique de Schleiermacher et de Dilthey ... 13

2.1.3 L’herméneutique existentielle de Heidegger ... 13

2.1.4 L’herméneutique de Gadamer ... 14

2.1.5 L’herméneutique de Ricœur ... 16

2.1.6 L’herméneutique de Grondin ... 18

2.2 RÉFÉRENCES COMPLÉMENTAIRES À L’HERMÉNEUTIQUE ... 19

2.2.1 Lorsque le texte et le textile ont une origine commune ... 20

2.2.1.1 Textile ... 21

2.2.2 Mémoire et histoire... 22

2.2.2.1 Mémoire et histoire, mémoire versus histoire selon Halbwachs ... 22

2.2.2.2 Lorsque la mémoire racontée devient histoire ... 23

2.2.2.3 La mémoire, une navette à voyager dans le temps ... 24

2.2.3 Lorsque la trace devient archive, lieux de mémoire ... 25

2.3 RÉCAPITULATION DU DEUXIÈME CHAPITRE ET INTRODUCTION AU TROISIÈME ... 27

CHAPITRE 3 – MÉTHODOLOGIE ... 28

3.1 APPROCHE QUALITATIVE ET INTERPRÉTATIVE DE LA RECHERCHE ... 28

3.2 MODES DE COLLECTE DES INFORMATIONS ET DES DONNÉES ... 29

3.2.1 Étude historique et documentaire sur le quartier et la corderie en lien avec la première sous-question ... 31

3.2.2 Contexte de la collecte des données en lien avec la deuxième et la troisième sous-question... 31

3.2.2.1 Entrevues de groupe : lorsque les entrevues semi-dirigées et le récit de vie s'entremêlent ... 32

3.2.2.2 Captation audio des ateliers ... 33

3.2.2.3 Journal de bord ... 34

3.2.3 Les deux attitudes types selon Carl Gustav Jung ... 35

3.3 CHOIX DE LA COMMUNAUTÉ... 36

(5)

3.3.2 Le groupe du jeudi : le groupe ciblé pour l’étude ... 37

3.4 CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES ... 38

3.5 RECRUTEMENT DES PARTICIPANTS ... 38

3.6 ORGANISATION ET ANALYSE DES DONNÉES DESCRIPTIVES ET INTERPRÉTATIVES ... 39

3.6.1 Identification des participants ... 39

3.6.2 Verbatim et fichiers Excel ... 40

3.6.3 Analyse et codification des données ... 40

3.7 LIMITES DE LA RECHERCHE ... 41

3.8 RÉCAPITULATION DU TROISIÈME CHAPITRE ET INTRODUCTION AU QUATRIÈME ... 42

CHAPITRE 4 - RÉSULTATS ... 43

4.1 RÉSULTATS DOCUMENTAIRES ET HISTORIQUES ... 43

4.1.1 Bref historique de la construction des navires à voile et de son déclin au XIXe siècle à Québec ... 43

4.1.2 Evan Rees, cordier ... 44

4.1.3 Le développement du quartier Saint-Sauveur et le terrain où la corderie sera construite au XIXe siècle ... 45

4.1.4 Le chanvre : sa culture et ses propriétés ... 48

4.1.4.1 Origine du chanvre utilisé au XIXe siècle dans les corderies ... 49

4.1.5 La disparition de la corderie dans l’incendie de 1866 ... 49

4.1.6 La non reconstruction de la corderie ... 50

4.1.7 Vocation du quadrilatère depuis l’incendie de 1866 ... 50

4.2 LES ATELIERS MIS EN PLACE POUR RÉPONDRE AUX SOUS-QUESTIONS 2 ET 3 ... 51

4.3 DESCRIPTION GÉNÉRALE DU DÉROULEMENT DES ATELIERS-RENCONTRES ... 51

4.4 PRÉSENTATION DES PARTICIPANTS ... 53

4.5 PRÉSENTATION, ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS PAR ATELIER ... 56

4.5.1 Atelier 1 – Les cordes et les nœuds ... 57

4.5.1.1 Le vocabulaire ... 57

4.5.1.2 Les souvenirs et la nature des liens ... 59

4.5.1.3 Les retombées durant l’atelier ... 62

4.5.2 Atelier 2 – Traces laissées par les nœuds et les cordes ... 63

4.5.2.1 Le vocabulaire ... 64

4.5.2.2 Les souvenirs et la nature des liens ... 64

4.5.2.3 Les retombées durant l’atelier ... 66

4.5.3 Atelier 3 – Présentation de la recherche documentaire et historique et dégustation de graines de chanvre ... 67

4.5.3.1 Le vocabulaire ... 67

4.5.3.2 Les échos de l’activité de la semaine passée ... 68

4.5.3.3 Les souvenirs et la nature des liens ... 69

4.5.3.4 Les retombées durant l’atelier ... 70

4.5.4 Atelier 4 – Les bateaux en papier et la signification du mot « sens » ... 71

4.5.4.1 Le vocabulaire ... 72

4.5.4.2 Les souvenirs et la nature des liens pour la première partie ... 73

4.5.4.3 Les souvenirs et la nature des liens pour la deuxième partie ... 74

4.5.4.4 Les retombées durant l’atelier ... 76

4.5.5 Atelier 5 – Collage de quatre moments charnière du quadrilatère ... 78

4.5.5.1 Le vocabulaire ... 79

4.5.5.2 Les échos de l’activité de la semaine passée ... 79

4.5.5.3 Les souvenirs et la nature des liens ... 79

4.5.5.4 Les retombées durant l’atelier ... 81

4.5.6 Atelier 6 – Les assemblages divers ... 82

(6)

4.5.6.2 Les souvenirs et la nature des liens ... 83

4.5.6.3 Les retombées durant l’atelier ... 86

4.5.7 Atelier 7 – Triptyque, 1 de 2 ... 86

4.5.7.1 Le vocabulaire ... 87

4.5.7.2 Les souvenirs et la nature des liens ... 87

4.5.7.3 Les retombées durant l’atelier ... 87

4.5.8 Atelier 8 – Triptyque, 2 de 2 ... 89

4.5.8.1 Le vocabulaire ... 90

4.5.8.2 Les souvenirs et la nature des liens ... 91

4.5.8.3 Les retombées durant l’atelier ... 91

4.6 SYNTHÈSE ANALYTIQUE ET INTERPRÉTATIVE DES RÉSULTATS OBTENUS EN FONCTION DE LA DEUXIÈME SOUS-QUESTION :QUE SIGNIFIENT LES THÈMES INSPIRÉS DE L’HISTOIRE DE LA CORDERIE POUR LES PARTICIPANTS? ... 94

4.6.1 Le thème des cordes et des nœuds ... 95

4.6.2 Traces de nœuds et de cordes laissées sur le papier ... 95

4.6.3 L’histoire de la corderie, de la construction navale et du quadrilatère ... 96

4.6.4 La dégustation de graines de chanvre ... 96

4.6.5 La fabrication de bateaux en papier ... 96

4.6.6 La notion de sens ... 97

4.6.7 Le collage des quatre étapes charnière du quadrilatère ... 97

4.6.8 Le vocabulaire ... 97

4.7 SYNTHÈSE ANALYTIQUE ET INTERPRÉTATIVE DES RÉSULTATS OBTENUS EN FONCTION DE LA DEUXIÈME SOUS-QUESTION :QUELLES SONT LES RETOMBÉES POUR LES GENS IMPLIQUÉS DANS LA CRÉATION D’UNE ŒUVRE COLLECTIVE? ... 99

4.7.1 Mieux se connaître ... 99

4.7.2 Meilleure connaissance de leurs capacités ... 100

4.7.3 Renouer avec certains souvenirs oubliés ... 100

4.7.4 Renouvellement des sujets de discussion ... 101

4.7.5 Apprentissage de nouveaux éléments sur le quartier ... 101

4.7.6 Au-delà des rencontres, leurs réflexions se poursuivent ... 102

4.7.7 Développement d’un sentiment de fierté et d’appartenance au projet ... 102

4.7.8 La complémentarité des activités artistiques proposées ... 103

4.7.9 Résumé schématique des retombées en fonction des exercices ... 103

CONCLUSION ... 104

ANNEXE A - GUIDE D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ ... 108

ANNEXE B - APPROBATION DU COMITÉ D’ÉTHIQUE ... 110

ANNEXE C - RECRUTEMENT DES PARTICIPANTS ... 112

ANNEXE D - FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ... 115

ANNEXE E - CODIFICATION POUR L’ENSEMBLE DES DONNÉES ... 120

ANNEXE F - VILLE DE QUÉBEC – TERRES DE SAINT-SAUVEUR ET UNE PARTIE DE SAINT-ROCH – 20 OCTOBRE 1840 ... 121

ANNEXE G - Z-156: PLAN OF REES'S PROPERTY SITUATE BETWEEN N.D. DES ANGES AND BOISSEAU VILLE ... 122

ANNEXE H - VOCABULAIRE – TABLEAU RÉCAPITULATIF ... 123

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 3.1 – Tableau synthèse des sous-questions et des moyens de collecte de

données par atelier ... 30

Tableau 4.1 – Vocabulaire – 1e rencontre ... 58

Tableau 4.2 – Vocabulaire – 3e rencontre ... 68

Tableau 4.3 – Vocabulaire – 4e rencontre ... 72

Tableau 4.4 – Vocabulaire – 8e rencontre ... 90

Tableau 4.5 – Nature des activités et leurs impacts ... 98

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LISTE DES FIGURES

Figure 4.1 – Nœuds réalisés par les participants ... 57

Figure 4.2 – Traces de nœuds ... 64

Figure 4.3 – Bateau en papier ... 72

Figure 4.4 – Prémices d’une toile d’araignée ... 75

Figure 4.5 – La toile d’araignée après y avoir ajouté les liens découverts... 76

Figure 4.6 – Exemples de collages réalisés ... 79

Figure 4.7 – Exemples d’assemblages proposés par Monsieur C ... 83

Figure 4.8 – Exemples d’assemblages proposés par Madame K ... 84

Figure 4.9 – Exemples d’assemblages proposés par Madame D ... 84

Figure 4.10 – Exemple d’un assemblage métaphorique ... 85

Figure 4.11 – Le triptyque en devenir ... 87

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

CA Captation audio EG Entrevues de groupe

EHD Étude historique et documentaire JB Journal de bord

PP Prise de photos S-Q Sous-question

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REMERCIEMENTS

Les Fourmis du dimanche, je tiens à les remercier sincèrement de leur participation à mon

projet. Je me suis profondément attachée à chacun d’eux. Ils ont été patients, audacieux, courageux de s’impliquer dans une telle aventure. Ils m’ont étonnée, émue et fait rire à de nombreuses reprises. Je pense souvent à eux.

Un énorme merci à ma directrice, madame Hélène Bonin. Je tiens à la remercier chaleureusement pour le support offert pendant cette aventure toute particulière qu’est la rédaction d’un mémoire. Ses conseils pertinents, sa rigueur jumelée à beaucoup de souplesse, sa curiosité et son expérience ont été d’une aide précieuse qui agrémenta les recoins sombres que la rédaction m’a parfois réservés.

Mille mercis à Judith Fortin et tout le personnel du Centre de jour du Centre d’hébergement Notre-Dames-de-Lourdes, de leur générosité, de leur amour et de leur respect envers les aînés. En peu de temps, ils m’ont transmis une partie de leur grande expérience et leurs valeurs humaines si précieuses dans le monde actuel.

Je remercie également le Comité d’éthique du CSSSVC, pour leur ouverture vis-à-vis de ce projet peu conventionnel.

Merci à Catherine Doyon-Dostie et Zenny Luz, mes collègues à la Maîtrise, personnes créatives et persévérantes. Merci à Joëlle Tremblay, pour sa générosité, son humanité et son grand désir de partager son expérience de l’art avec, par et pour la communauté.

Merci à ceux et à celles qui m’ont soutenue et encouragée de diverses façons précieuses. Un merci tout particulier à mon amie Nancy et sa petite famille pour leur accueil lors de mes nombreux séjours à Québec, et pour tous leurs encouragements durant les moments de découragement.

Merci à mes ancêtres qui ont su guider mes pas pour que je puisse les retrouver au fil du chemin. Merci à ma mère Yolande, son expérience de la vieillesse et pour l’héritage des

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connaissances textiles qu’elle m’a légués. Merci à mon père Damien, qui représente la fibre paternelle. Merci aussi au lin, à qui je dois possiblement ma vie.

Merci à tous les petits miracles qui ont ponctué ma route et qui me confirmaient au fur à mesure que j’étais sur la bonne voie.

Je termine avec une pensée toute particulière pour madame Jacqueline Bouvier, épouse de Pierre-Georges Tabouillet, décédée accidentellement le 11 octobre 2012.

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INTRODUCTION

Ce mémoire aborde les strates laissées par le temps qui passe et la signification des traces qu’il laisse derrière lui, tant au niveau du paysage qui nous entoure que dans la mémoire des gens. Comme tout projet de création artistique que j’entreprends, un désir de compréhension est à la source même de cette recherche. Dans le cadre de celle-ci, le travail artistique mis en œuvre n’est pas l’objectif final mais bien un moyen permettant à la fois de réunir des aînés afin d’échanger autour de l’histoire d’une corderie, de leur permettre de partager leurs expériences personnelles et leurs souvenirs ainsi que de comprendre ce que l’ensemble du processus signifie pour eux.

La toile de fond de ce projet, tant au sens propre que figuré, est l’histoire de la corderie construite au XIXe siècle dans la partie sud-est du quartier Saint-Sauveur, quartier situé dans la basse-ville de Québec. On y fabriquait des cordages fait de fibres de chanvre destinés aux navires à voiles construits sur les rives de la rivière Saint-Charles. Or, de nos jours, sur le site même où la corderie avait été bâtie, il y a un centre pour aînés, le Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes. Une douzaine et demie d’aînés fréquentant le Centre de jour de ce centre d’hébergement participent à ce projet de recherche.

Ce mémoire se divise en quatre chapitres dont le premier comprend un survol des influences textiles qui ont fortement teinté mes intérêts et ma pratique artistique. Puis la problématique de la recherche est posée. De façon générale, elle concerne l’évolution urbaine qui a grandement touché le quartier Saint-Sauveur, grâce à l’effervescence économique découlant de la construction navale au milieu du XIXe siècle, et de façon plus spécifique, l’histoire d’une corderie construite dans ce quartier. Les traces laissées par cette dernière, bien qu’elle passa au feu en 1866, n’échappèrent pas à la disparition du patrimoine maritime programmée par la modernisation qu’apporta le XXe siècle dans ce secteur de la ville. Une fois la problématique détaillée, les trois sous-questions motivant cette recherche sont élaborées ainsi que sa pertinence est justifiée.

Le deuxième chapitre traite du cadre de références. La perspective herméneutique permet de délimiter le champ d’action et de circonscrire le mode d’analyse des données

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recueillies puisque cette recherche s’attarde à la notion de sens, c’est-à-dire la signification des traces laissées par l’histoire de la corderie en lien avec l’expérience de vie des aînés participants au projet. Les approches de divers herméneutes - Heidegger, Dilthey, Ricœur, Grondin, etc. - sont sollicitées afin d’établir des pistes de compréhension. La mémoire doit aussi intervenir puisqu’il est difficile d’évoquer le sens des traces et de l’histoire sans elle. De plus, certaines références traitant de la fibre et du textile y sont mentionnées. L’ensemble de ces notions contribuent à éclairer et à analyser les réponses au questionnement qui fonde cette recherche.

Puis la démarche méthodologique de nature qualitative et interprétative est expliquée au troisième chapitre. Elle implique une dizaine de conditions telles que proposées par Paillé. C’est à partir de cette approche que les modes de collecte des données ont été choisis. La recherche d’informations sur la corderie nécessite une recherche documentaire et historique tandis que la cueillette de données auprès des participants se fait à l’aide d’entrevues de groupe semi-dirigées et du récit de vie. Le choix de la communauté, les démarches de recrutement, l’organisation et l’analyse des données, les aspects éthiques ainsi que les limites inhérentes à cette recherche sont aussi abordés dans ce chapitre.

L’analyse et l’interprétation des résultats sont au cœur du quatrième et dernier chapitre de ce mémoire. Ce chapitre débute par l’histoire de la corderie, incluant des informations sur son propriétaire, son emplacement, des fibres utilisées et la nouvelle vocation de son site suite à sa disparition dans un incendie. Ces éléments historiques trouvés ont permis d’élaborer les thèmes propres à chacun des ateliers-rencontres2. Chacun des ateliers est détaillé ainsi que les résultats obtenus, grandement influencés par les thèmes retenus. Les bénéfices que les aînés ont retirés de leur participation au projet sont également abordés. Ce quatrième chapitre se termine par une synthèse analytique et interprétative des conclusions auxquelles cette recherche arrive pour l’ensemble du processus créatif dans lequel les participants étaient impliqués.

Enfin, la conclusion permet de mettre en évidence quelques éléments qui n’avaient pas encore été soulevés sur la corderie dans les ouvrages consultés, tels que son emplacement stratégique et les raisons potentielles de sa non-reconstruction. De plus, les

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principaux liens que les participants ont exprimés en lien avec leur vie ainsi que les bénéfices qu'ils ont retirés de leur participation y sont mentionnés. La conclusion aborde aussi les possibilités pour une future recherche et ce qui pourrait en faire partie afin de bonifier le processus de compréhension des retombées et de leur durée dans le temps. En dernier lieu, la conclusion fait état des retombées en lien avec la pertinence de la recherche.

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CHAPITRE 1 – PROBLÉMATIQUE

Dans ce premier chapitre, les influences textiles qui ont teinté mon parcours professionnel sont abordées. Ce préambule explique mon intérêt envers mon sujet de recherche, un intérêt qui prit racine dans mon enfance. Puis, la problématique est exposée tout en spécifiant les sous-questions auxquelles cette recherche tente de répondre.

1.1 MES LIENS AVEC LE TEXTILE ET LES ORIGINES DE MA PRATIQUE ARTISTIQUE

Les fibres et les matières textiles occupent un rôle primordial dans mon univers. Plus je remonte le temps, plus je retrouve des traces de leur existence dans mon clan familial et dans le paysage qui m’a vu naître. Il y a tout d’abords l’aspect industriel de ma ville natale, puis l’héritage linier légué par mon père et l’expérience des matières transmise par mère. Tout ce bagage cumulé durant mes premières années de vie a grandement influencé ma pratique artistique professionnelle.

1.1.1 L’industrie textile de mon enfance

Plessisville est une ville faisant partie la Municipalité régionale de comté (MRC) de l’Érable, située au Centre du Québec. Au moment où j’y suis née, l’économie locale reposait principalement sur le secteur du textile et celui de la sidérurgie. L’industrie textile, qui a débuté bien avant ma naissance, a formaté le paysage urbain pendant plusieurs décennies. Elle a amorcé son déclin à partir de la fin des années 1970 au profit de la compétition asiatique, et s’est pratiquement éteinte en totalité dans les années 1980. Tout un pan de l’histoire la production textile s’est peu à peu transformé. Cette transformation a affecté à la fois l’économie, la vie sociale et l’aspect de la ville.

1.1.2 La fibre paternelle

Enfant, je me souviens d’avoir regardé avec mon père un documentaire à la télévision sur la culture du lin réalisé par l’abbé Maurice Proulx (1947). Ému, il m’expliqua qu’il avait étudié à l’École du lin. Lors de sa formation, il devait avoir entre 16 et 18 ans. Quelques photos de cette période font partie de mes archives personnelles.

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Chapitre 1 – Problématique

L’École du lin était située au bout de l’avenue St-Laurent à Plessisville. D’ailleurs, les bâtiments y sont toujours et leur construction daterait de 1899. Durant toute sa vie, mon père a habité dans la même maison située sur l’avenue St-Laurent. J’y ai passé mes 17 premières années. Du trottoir devant la maison, on voyait les bâtiments de l’école. Parmi ceux-ci, il y avait un grand bâtiment blanc avec ses fenêtres au contour rouge. Au-dessus de la porte d’entrée, pendant des années, j’ai pu y lire grâce aux traces jaunies laissées par les lettres disparues : École du lin. Elle fut fondée durant la Deuxième Guerre mondiale, vers 1940, et ferma ses portes à la fin de celle-ci. Les cours étaient donnés par des agronomes sous l’égide du ministère de l’Agriculture. Toutes les étapes de la culture du lin y étaient enseignées. Les jeunes hommes qui allaient à cette école furent exemptés de l’enrôlement obligatoire. Mon père y a passé deux ans de sa vie, soit de 1940 à 1942 ou 1941 à 1943. Grâce à cette formation, il a été dispensé de participer à la guerre, faveur habituellement accordée aux agriculteurs et aux hommes mariés.

1.1.3 La fibre maternelle

Ma mère m’a surtout transmis la connaissance des propriétés de plusieurs fibres, leurs usages, leurs qualités et leur entretien. On appelle aujourd’hui cette spécialisation « technologie des textiles », c’est la base de toute connaissance des matières textiles. Elle m’a aussi légué la curiosité visuelle et tactile : observer et toucher pour mieux apprendre, connaître et apprécier les matières.

1.1.4 Ma démarche artistique

Je suis fascinée par l’omniprésence des matières textiles dans notre quotidien. Il semble que les fibres et les textiles passent plutôt inaperçus pour la majorité d’entre nous, à l’exception des vêtements que l’on porte. Depuis quelques années, je les étudie dans les nombreux éléments qui nous entourent, ou qui nous entouraient, et je les documente. Les textiles sont plus qu’une simple matière, ils sont un répertoire de l’humanité, de tout temps, ils ont existé. Ce travail est une façon d’emmagasiner diverses informations, à la fois historiques, pratiques et techniques, qui se retrouvent potentiellement transposées dans des projets artistiques.

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Chapitre 1 – Problématique

De plus, les notions de traces, de liens, de mémoire et de sens influencent mon travail de création. L’humain, comme le paysage qui nous entoure, est composé de strates cumulées au fil du temps; les unes se superposant aux autres de façon plus ou moins translucide permettent à certaines bribes d'être encore visibles aujourd'hui, pour celui qui prend le temps d’observer. À l'image d'un palimpseste, on pourrait gratter la surface de l'être et de la vie et y découvrir les facettes ayant laissées leurs empreintes influençant toujours le « ici et maintenant ». À travers l'art, je tente de rendre pérenne des petits bouts de vie, de les mettre en lumière, eux qui ont tendance à nous échapper avec le temps car la mémoire meurt lorsqu’elle n’est pas nourrie. Au cœur de mes sculptures et de mes installations artistiques, les fibres sont les matériaux porteurs.

Mon grand intérêt pour les matières textiles, ma façon de les observer, de connaître leur histoire, de les documenter et de les transformer tout comme ma curiosité pour les empreintes que le temps laisse à la fois dans le paysage et dans la vie des gens se sont naturellement transposés dans ce projet de recherche à la Maîtrise en art avec la communauté.

1.2 PROBLÈME DE RECHERCHE

La ville de Québec est connue et reconnue entre autres pour son histoire intimement liée à la construction navale au XIXe siècle. Le logotype qu’elle a choisi pour la représenter, un vaisseau toutes voiles gonflées, est très éloquent. De cette importance maritime, il reste encore de nombreux vestiges, plus particulièrement dans le Vieux-Québec, et ceux-ci sont mis en valeur pour le plus grand plaisir des visiteurs. Depuis 2008, les rives du fleuve St-Laurent, tout le long du boulevard Champlain, se sont transformées en un parc soulignant l’importance de cette industrie qui existait également dans ce secteur. Cette réhabilitation des berges, devenue la promenade Samuel-De Champlain, fut terminée pour célébrer le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec.

Étant donné sa faible mise en valeur, peu de gens semblent connaître l’importance de l’activité maritime, à la même époque, pour l’actuel quartier Saint-Sauveur, quartier de la basse-ville de Québec. Au XIXe siècle, les chantiers navals se multiplièrent sur les rives de la rivière Saint-Charles en continuité avec ceux du quartier Saint-Roch malgré que les terres de Saint-Sauveur demeurèrent, jusqu’en 1889, une banlieue de Québec.

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Chapitre 1 – Problématique

Au milieu des années 1840, Saint-Sauveur connut un développement urbain significatif principalement pour deux raisons. La première est due, en 1845, à un incendie majeur dans le quartier Saint-Roch qui mit sur le pavé plusieurs familles. Trop pauvres pour se reconstruire en respectant les normes exigées par la Ville de Québec, les gens émigrèrent vers Saint-Sauveur puisque rien ne normalisait à l’époque la construction résidentielle sur ses lotissements. « L’idée de reconstruire à l’extérieur des limites de la ville de Québec pour se soustraire au règlement en séduit plusieurs, d’autant plus qu’en même temps, ils évitent de payer les taxes municipales. » (Ville de Québec, 1987, p. 9)

La deuxième raison concerne les activités navales dans ce secteur qui procurèrent du travail à des centaines d’ouvriers. Parmi ces activités, se trouve une entreprise toute particulière : une corderie. Cette corderie est au cœur de cette recherche, elle en est le fil conducteur. Elle était construite sur le quadrilatère délimité aujourd’hui par les rues Bagot, de Mazenod, Arago et Signaï. On y fabriquait des cordages faits de chanvre principalement destinés aux navires à voiles. Malheureusement, cette corderie et la majorité du quartier Saint-Sauveur passèrent au feu en 1866.

Deux incendies majeurs dans Saint-Sauveur, celui de 1866 et un autre en 1889, éliminèrent chacun à leur tour des traces de cet héritage maritime. Peu à peu, ce passé relié à la construction navale s’effaça du paysage urbain et de la mémoire des gens. Quelques mois après l’incendie de 1889, Saint-Sauveur s’annexa à la ville de Québec. Dès lors, le quartier reprit le retard qu’il avait sur les autres quartiers de Québec.

Dans les années 1950, on parlait de « solutions novatrices et visionnaires » lorsqu’il était question du développement urbain; la perspective économique était avant tout privilégiée. À la fin des années 1950, on modifia radicalement le méandre de la rivière Saint-Charles éliminant par le fait même une partie des rives sur lesquelles tant de navires avaient été construits. Le boulevard Charest, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, se prolongea dans le quartier Saint-Sauveur. Ce prolongement coupa en deux l’ancien site sur lequel la corderie avait été construite et divisa par le fait même le quartier en deux zones distinctes, le sud et le nord. Les traces de la construction navale s’estompèrent de plus en plus avec l’urbanisme et l’urbanisation.

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Chapitre 1 – Problématique

1.3 LES TROIS SOUS-QUESTIONS DE LA RECHERCHE

Le grand intérêt que j’accorde aux fibres et aux textiles m’incite à investiguer sur l’histoire de la corderie construite au XIXe siècle dans le quartier Saint-Sauveur puisqu’on y utilisait de la fibre de chanvre pour fabriquer des cordages. Bien qu’elle soit aujourd’hui disparue, elle a laissé diverses traces. Il se trouve qu’à l’heure actuelle, exactement à l’emplacement même où elle était située, il y a un centre d’hébergement pour aînés, le Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes.

Très tôt durant les étapes préliminaires de cette recherche, il fut évident qu’il n’y avait aucun lien direct3 entre les aînés qui participeraient à cette recherche et la corderie. En l’absence de filiation directe, cette étude s’interroge sur la signification que l’histoire de cette corderie peut avoir pour ces aînés, étant donné qu’ils fréquentent le centre situé exactement où elle se trouvait, et ce qu’elle peut évoquer pour eux dans le cadre d’une création collective dont elle est le sujet central.

Trois sous-questions animent cette recherche. Chacune découle de celle qui la précède. Les trois sous-questions se formulent ainsi: Quelles traces reliées à l’histoire de la corderie sont toujours présentes aujourd’hui? Que signifient les thèmes inspirés de l’histoire de la corderie pour les participants? Quelles sont les retombées pour les gens impliqués dans la création d’une œuvre collective?

Afin de pouvoir répondre à la première sous-question, c’est-à-dire « Quelles traces reliées à l’histoire de la corderie sont toujours présentes aujourd’hui ? », il faut étudier la documentation écrite et visuelle disponibles, découvrir les empreintes toujours visibles dans le tissu urbain reliées au passé de la corderie et comprendre pourquoi la corderie n’a pas été reconstruite après avoir passé au feu en 1866. De plus, dans un spectre plus large mais néanmoins tout aussi important puisqu’elle est la matière première avec laquelle les cordages sont faits, étudier l’histoire des fibres utilisées dans la construction navale au XIXe siècle au Québec et si possible, en trouver leur origine. Le but de cette première sous-question est non seulement de pouvoir réunir toutes les informations obtenues dans

3 « Lien direct », fait référence à des liens de parenté, c’est-à-dire des grands-parents ou

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Chapitre 1 – Problématique

un même document, elle sert aussi de matière première à partir de laquelle les thèmes des ateliers de création s’inspireront.

La deuxième sous-question, directement influencée par les réponses de la première, prend la forme suivante « Que signifient les thèmes inspirés de l’histoire de la corderie pour les participants? ». Cette sous-question va permettre de comprendre à quels éléments, événements ou souvenirs de leur vécu les participants relient les thèmes inspirés par l’histoire de la corderie.

Puis finalement, la troisième sous-question se formule ainsi : « Quelles sont les retombées pour les gens impliqués dans la création d’une œuvre collective? ». Il s’agit de découvrir ce qui se passe pour les aînés participant à la réalisation d’une œuvre collective, dont le thème central est l’histoire de la corderie du quartier Saint-Sauveur, et de comprendre ce qu’ils peuvent retirer d’une telle expérience tant au quotidien que sur l’ensemble du processus, en somme, les points positifs et négatifs de leur implication dans le projet.

1.4 PERTINENCE DE LA RECHERCHE

Un plan directeur pour le quartier Saint-Sauveur a été élaboré en 2005 par la Ville de Québec. Nombreux sont les points à l’intérieur de celui-ci qui expriment l’importance de mettre en valeur le patrimoine du quartier Saint-Sauveur, un patrimoine tout-à-fait singulier, puisque celui-ci « renvoie à la globalité de l’environnement urbain bâti. En effet, outre quelques bâtiments remarquables, c’est l’ensemble du paysage résidentiel du quartier qui reflète son évolution historique, son caractère patrimonial et forme son identité. » (Ville de Québec, p. 46) Les propositions formulées dans ce plan directeur ont comme finalité d’améliorer la qualité de vie des résidents.

Dans cette optique, ce projet de recherche s’insère de façon originale, c’est-à-dire en désirant mettre en valeur une partie du patrimoine du quartier Saint-Sauveur, et plus spécifiquement celui légué par la corderie. Cette recherche considère l’héritage de la corderie et les diverses traces qu’elle a laissées - fonds d’archives, cartes, photographies, formatage du tissu urbain, etc. - comme étant un des éléments importants du patrimoine du secteur sud-est du quartier Saint-Sauveur. De plus, la corderie a contribué à

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Chapitre 1 – Problématique

l’accroissement de la population dans le quartier puisqu’elle offrit du travail aux ouvriers qui se sont installés sur les terres de Saint-Sauveur au milieu du XIXe siècle.

La singularité de ce projet réside aussi dans la façon dont la recherche est menée. Le principal moyen pour transmettre les informations trouvées sur ce patrimoine à un groupe d'aînés se fait grâce à l’élaboration d’une œuvre collective. Selon Laroche et Maltais (2011) les projets artistiques faits avec la communauté doivent être à la fois innovants et enrichissants tout en veillant à bien s’intégrer à la vie communautaire. Cette création collective permet aux participants de s’approprier l’histoire de la corderie, histoire qui est commune à celle du bâtiment qu’ils fréquentent et ce, de façon ludique tout en leur donnant la parole afin qu’ils puissent s’exprimer sur leur expérience de vie en lien avec les éléments de l’histoire abordés. Selon une perspective toute personnelle, documenter les traces, c’est documenter l’humain.

En fonction des documents et des archives consultés jusqu’à aujourd’hui, c’est la première fois que les informations concernant spécifiquement la corderie sont réunis dans un seul document. Non seulement les informations sur l’histoire de la corderie, jusqu’à ce jour disparates, sont maintenant colligées dans ce mémoire, elles sont aussi bonifiées en fonction des nouveaux éléments trouvés.

Toujours selon le plan directeur (Ville de Québec, 2005), le boulevard Charest est une artère majeure et des moyens sont recherchés afin d’atténuer la rupture qu’elle entraîne dans le quartier. Depuis la prolongation du boulevard dans le quartier Saint-Sauveur, le nord et le sud du quartier sont coupés. Mettre en lumière un patrimoine qui leur est commun, c’est-à-dire celui de la corderie appartenant à Evan Rees, c’est mettre un place un trait d’union entre les deux secteurs et par le fait même, c’est offrir aux Saint-Sauveurois un espace commun, une sorte d’intersection entre le sud et le nord du quartier.

1.5 RÉCAPITULATION DU PREMIER CHAPITRE ET INTRODUCTION AU DEUXIÈME

Dans ce chapitre, les origines de ma pratique artistiques ont été présentées afin d’illustrer l’importance des fibres et des textiles dans ma vie depuis mon enfance. L’expérience de

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Chapitre 1 – Problématique

vie des aînés fréquentant le Centre de jour et participant à la création collective, dont le sujet principal est l’histoire de la corderie du quartier Saint-Sauveur, est sollicitée. Par le fait même, cette recherche désire mettre en valeur une partie du patrimoine de ce quartier tel que le recommande le plan directeur élaboré par la Ville de Québec (2005) pour le quartier Saint-Sauveur.

Les trois sous-questions qui motivent cette recherche se formulent ainsi : Quelles traces reliées à l’histoire de la corderie sont toujours présentes aujourd’hui? Que signifient les thèmes inspirés de l’histoire de la corderie pour les participants? Quelles sont les retombées pour les gens impliqués dans la création d’une œuvre collective?

Dans le chapitre suivant, l’approche herméneutique, le textile, la mémoire, l’histoire et la trace sont abordés. Ces notions servent à mieux cerner le propos de cette étude et à en fixer les contours.

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CHAPITRE 2 – CADRE DE RÉFÉRENCES

Cette recherche questionne les notions de trace et de sens, et plus spécifiquement, la signification des traces laissées par l’histoire de la corderie dans le quartier Saint-Sauveur en lien avec l’expérience de vie des participants qui collaborent à l’œuvre collective, et qui fréquentent le Centre de jour du Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes, un centre directement construit sur l’ancien site de la corderie. Il est difficile, voire impossible, d’évoquer le sens des traces et de l’histoire sans que la mémoire n’intervienne. Afin de délimiter le champ d’action et de mieux circonscrire le mode d’analyse, je considère que la perspective herméneutique est l’approche la plus pertinente pour cette recherche. Dans le but de la compléter et d’apporter certaines nuances, l’approche herméneutique est suivie de différentes références traitant de la fibre et du textile, de la mémoire, de l’histoire et de la trace.

2.1 HERMÉNEUTIQUE

Pour débuter, une brève évolution dans le temps de l’herméneutique4 est présentée en fonction des principaux penseurs qui se sont attardés au sujet. Certains d’entre eux ont une seule ligne directrice tandis que d’autres offrent une arborescence très diversifiée du sujet. Pour ces derniers, certaines avenues ont été volontairement ciblées, les plus propices à cette recherche. Au final, peu importe l’approche de l’herméneute, trois thèmes sont récurrents et communs à tous, ainsi qu’à cette recherche, c’est-à-dire l’interprétation, la compréhension et le sens.

2.1.1 Origine grecque de l’herméneutique

Le terme herméneutique est étroitement associé à Hermès, divinité grecque considérée par les mortels comme étant le messager des dieux et interprète des ordres divins. Le terme grec hermeneuma signifie interprétation, explication. Au sens classique du terme, l’herméneutique correspond à l’art d’interpréter les textes religieux ou philosophiques anciens, les textes sacrés en particulier. Le sens vrai de la parole divine est recherché.

4 Ce court historique sur l’herméneutique est fait en toute modestie puisque le propos n’est surtout pas

celui d’une spécialiste du domaine. D’autres l’ont bien fait et mieux fait que je ne pourrais jamais le faire car l’herméneutique peut être le travail de toute une vie.

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Chapitre 2 – Cadre de références

2.1.2 L’herméneutique de Schleiermacher et de Dilthey

L’herméneutique prendra un nouveau tournant au XIXe siècle grâce à Friedrich Schleiermacher (1768-1834) et à Wilhelm Dilthey (1833-1911). Schleiermacher vise une herméneutique plus universelle. L'herméneutique qu’il propose est une combinaison entre l'herméneutique utilisée pour interpréter les Écritures et celle utilisée par les philosophes classiques. Il vise un art général de la compréhension.

Grondin (2011) mentionne que Dilthey, connaissant bien la tradition classique de l’herméneutique, propose une réflexion épistémologique sur la compréhension et l’explication. Influencé par la rigueur des méthodes des sciences pures qui cherchent à expliquer les phénomènes à partir d’hypothèses et de lois générales, il suggère l’herméneutique comme méthodologie de la compréhension pour les sciences humaines puisque le but de sciences humaines est de comprendre une réalité « humaine-sociale-historique » à partir de ses manifestations extérieures. L’herméneutique ferait, selon Dilthey, des sciences humaines une science respectable.

C’est aussi Dilthey qui donna au processus de recherche mis au jour par Schleiermacher le nom de « cercle herméneutique ». Selon Mathieu (2000), la définition du cercle herméneutique stipule qu’on ne peut pas connaître la signification du texte dans sa totalité sans en saisir chacune des parties qui le compose, et plus on saisit le sens de chacune de ses parties, plus on comprend la signification de l’ensemble du texte, et inversement. Il y a un va-et-vient constant entre la compréhension globale du texte et de l’ensemble des parties qui le compose.

2.1.3 L’herméneutique existentielle de Heidegger

Au XXe siècle, un nouveau virage s’amorce pour l’herméneutique avec l’approche philosophique de Martin Heidegger (1889-1976). D’après Grondin (2011), Heidegger ouvre les paramètres de l’herméneutique encore plus, allant bien au-delà des textes, en plongeant au cœur de la vie, dans les processus fondamentaux de l’existence même. Le « sens de l’être » est le questionnement central de son approche herméneutique de l’existence. Il rompt avec l’herméneutique traditionnelle car pour lui comprendre veut dire la capacité de pouvoir quelque chose, d’en être capable. Il s’agit avant tout d’une habileté

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Chapitre 2 – Cadre de références

ou d’un savoir-faire. Au final pour Heidegger, comprendre, c’est toujours une compréhension de soi-même.

2.1.4 L’herméneutique de Gadamer

Les herméneutes qui suivent Heidegger font le pont entre le questionnement traditionnel des textes et l’herméneutique existentielle proposée par Heidegger. Élève de Heidegger, Hans-Georg Gadamer (1900–2002) aborde l’herméneutique en tant qu’expérience phénoménologique, celle qui nous avons ou qui nous arrive lorsque nous interprétons des textes. « Les textes ont une histoire, une genèse, un enracinement dans la vie, ils nous parlent et nous répondons. Ces éléments se fusionnent dans l’expérience herméneutique. » (Grondin, sans date, p. 56)

Grondin (sans date) élabore sur l’expérience herméneutique définie par Gadamer. Afin de vivre une expérience herméneutique, le texte doit d’abord nous interpeller. Un texte peut nous « parler » en autant que nous ayons une connaissance minimale de son contenu, ne serait-ce que la langue. Ce texte doit raconter quelque chose que nous sommes en mesure de comprendre, même si la première compréhension que nous en avons demeure rudimentaire. À partir de cette première lecture s’amorce une interprétation. De notre première lecture naissent une ébauche partielle et provisoire du sens ainsi qu’une anticipation du tout. Puis, il y a une révision constante entre notre anticipation et notre compréhension. Notre compréhension doit être prête à se laisser dire des choses par le texte. Par la suite, nous réévaluons notre première ébauche de compréhension et nous révisons l’idée que nous avons du tout. « Le processus d’interprétation réside pour Gadamer dans ce va-et-vient constant entre le texte et sa compréhension. […] Gadamer préfère parle ici d’un dialogue continuel ou d’une révision qui n’a jamais de fin. […] Il en ressort que toute interprétation est provisoire, sujette à relecture. » (Grondin 2012, p. 60)

Grondin (sans date) explique également que pour Gadamer, il y a une tension constante entre le présent et le passé. Comprendre le passé, c’est le traduire et l’interpréter avec le langage actuel. Si la fusion est réussie, et qu’on ne peut plus distinguer ce qui relève du passé et du présent c’est la « fusion des horizons ». Comprendre c’est traduire un sens dans un langage qui est toujours le nôtre. La fusion résulte du processus entre la

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Chapitre 2 – Cadre de références

compréhension du sens et de sa mise en langage. Comprendre c’est donner un sens au présent.

Toujours selon Grondin (2011), Gadamer rappelle l’importance de la conception philosophique humaniste du savoir. La vérité ne se retrouve pas que dans le savoir des sciences méthodiques, elle se retrouve aussi dans tous les textes qu’il nous est possible de lire. La lecture d’un texte est prise ici dans un sens ayant un très large spectre, tout ce qui est d’ordre culturel est compris comme texte. Cette lecture englobe notre compréhension de la vie en général et même l’expérience avec une œuvre d’art puisque l’œuvre est un texte en soi. Outre la nature de la beauté esthétique que l’œuvre nous offre, elle nous permet avant tout une rencontre avec la vérité. La notion du jeu est l’élément clé pour comprendre la vérité que l’œuvre nous partage. Ce n’est pas l’homme qui applique les règles mais bien la création elle-même. Si l’individu joue et se laisse entraîner dans les règles imposées par l’œuvre, il participe alors à sa vérité, et il ressort transformé de cette rencontre puisque c’est aussi une rencontre avec lui-même. L’œuvre interpelle chacun de nous de façon unique, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a autant d’interprétations différentes. Notre vision du monde et de la vérité doit se transformer et s’amplifier au contact des œuvres. En sciences humaines, atteindre la vérité est comparable à ce que l’on vit en présence d’une œuvre, c’est quelque chose qui nous saisit et qui nous fait découvrir la réalité, une sorte de réalité augmentée. L’œuvre, au même titre que le texte, lorsque la fusion est réussie, implique un événement de compréhension qui est nulle autre que l’expérience herméneutique.

Grondin (sans date) mentionne que ce qui intéresse Gadamer dans cette théorie du phénomène de la compréhension n’est pas le texte ou l’œuvre en soi mais bien ce qui nous arrive à l’intérieur de ce processus lorsqu’il y a compréhension. L’interprète est bénéficiaire de cet exercice d’interprétation car il apprend à considérer de nouvelles vérités et réalités, ainsi ses horizons s’élargissent et ses certitudes antérieures s’estompent. « L’expérience herméneutique est l’affaire d’êtres en quête de sens, animés par des inquiétudes et des questions, et qui trouvent des réponses dans tous les textes qu’il leur est donné de lire et dans lesquels ils se lisent toujours aussi eux-mêmes. » (Grondin, sans date, p. 64)

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Chapitre 2 – Cadre de références

2.1.5 L’herméneutique de Ricœur

Paul Ricœur (1913-2005) définit l’herméneutique de la façon suivante : « l’herméneutique est la théorie des opérations de la compréhension dans leur rapport avec l’interprétation des textes » (Ricœur dans Grondin, 2013, p. 94). Selon Grondin (2011), la notion de « texte » pour Ricœur s’applique à un champ très vaste car presque tout peut être considéré comme un texte. Que ce soit le récit de l’homme qui se raconte ou l’histoire individuelle et collective, ils deviennent compréhensibles à partir du moment qu’ils sont lus et compris comme des textes. La compréhension de la réalité humaine se construit à l’aide de textes et de récits. L’homme, pour essayer de trouver un sens et une direction à sa vie, interprète les récits, les signes, les mythes et les symboles de son univers. De cette façon, il exprime son effort d’exister en tant qu’être humain.

Grondin (2013) explique que selon Ricœur, il y a possibilité de recourir à l’allégorie, au symbole, à la métaphore ou à l’analogie comme modes de compréhension. Les symboles sont des signes mais tout signe n’est pas symbole. Le symbole renferme un double sens. « Le symbole est une expression linguistique à double sens qui requiert une interprétation, l’interprétation est un travail de compréhension qui vise à déchiffrer les symboles » (Ricœur dans Grondin, 2013, p. 80). L’herméneutique a pour fonction de rendre visible le sens caché qui est présent dans le sens apparent. Ces deux sens se nourrissent et se complètent. De plus, la métaphore nous permet de voir la réalité sous un autre jour tout en se servant des ressources du langage existant. Plutôt que donner de la visibilité à quelque chose qui est cachée comme pour le symbole, le sens de la métaphore est construit par le lecteur et reconstruit dans l’interprétation. Il s’agit en quelque sorte d’un jeu puisque la tâche de l’interprétation est d’expliciter les différentes possibilités et d’entrer elle-même dans le jeu de la métaphore. L’interprète de la métaphore a donc un rôle important à jouer car il fait partie du sens à comprendre.

Grondin (2013) mentionne que Ricœur élabore aussi une herméneutique historique. Celle-ci découle du grand intérêt de Ricœur pour les mythes et les symboles, qui depuis le début des temps, nous parlent de l’homme et de son effort constant pour exister. L’humain est temporel mais il aspire à l’infini. La narration nous permet en tant que mortel de donné un sens à notre vécu dans le temps. Le temps et les récits se nourrissent mutuellement. Les récits fictifs et historiques donnent un sens à nos vies. « L’homme est un être qui vit

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Chapitre 2 – Cadre de références

d’histoires et de symboles dès lors qu’il est langage. » (Grondin, 2013, p. 101) Cette idée part de la multiplicité des récits de vie qui nous constituent, que nous nous sommes appropriés et auxquels on adhère, fictifs ou non. La fiction nous permet de configurer un monde auquel nous pouvons appartenir tandis que le récit historique renvoie à un passé réel. Notre expérience temporelle est composée du passé, du présent et du futur.

Le passé se présente sous le signe des traditions qui nous portent, signifiants notre être-affecté-par-le-passé, déjà sensible dans le langage qui nous a précédés. Le futur se profile sous l’égide d’un horizon déterminé d’attente et d’espoirs, lui-même ouvert par un passé. Quant au présent, lourd d’un passé qui l’affecte et d’un horizon d’attente qui le guide, il est l’intempestif qui découvre le champ de notre initiative possible :

Herméneutique de la conscience historique

Passé Tradition Être-affecté-par-le-passé

Futur Horizon d’attente L’espace de nos espoirs déterminés et responsables

Présent Intempestif Initiative

Ce présent où nous souffrons et agissons est intempestif parce que c’est l’instant où nous pouvons entreprendre quelque chose d’inédit, voire de changer le cours des choses. Le « je suis », porté par les récits qui narrent son épreuve du temps, devient un « je peux » (Grondin, 2013, p. 105).

Selon Grondin (2013), une autre préoccupation de Ricœur est la temporalité de l’homme, sa finitude. Il jumelle la mémoire, l’histoire et l’oubli dans ses réflexions herméneutiques. La mémoire fait en sorte qu’on peut se souvenir. L’oubli est souvent abordé comme étant le côté dysfonctionnel de la mémoire. Ricœur mentionne qu’il y a deux sortes de mémoire, la mémoire juste et la mémoire heureuse. « La mémoire juste, est celle qui se souvient du malheur, en honorant les victimes, alors que la mémoire heureuse ressortit à une forme d’oubli, d’insouciance ou d’in-souci» (Ricœur dans Grondin 2013, p. 116). L’oubli peut être un espace heureux où la mémoire est absente car en oubliant, la mémoire peut aussi oublier les soucis. L’oubli, tout comme la mémoire, possède deux aspects. L’oubli est un signe de vulnérabilité lorsqu’elle efface des traces. Sur cette trace, la mémoire et l’histoire se construisent, s’écrivent. L’écriture devient ici sépulture. Néanmoins, l’oubli possède un côté plus lumineux que Ricœur appelle « l’oubli de réserve ». Il fait référence à ces petits

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Chapitre 2 – Cadre de références

moments de bonheur qui remontent en surface, enfouis depuis longtemps dans le monde de l’oubli. L’oubli, telle une bulle en provenance des profondeurs abyssales émergeant de façon impromptue, fait naître un moment de bonheur, le bonheur de se souvenir de quelque chose que l’on avait oublié.

L’histoire possède bel et bien un référent qui est à ses yeux l’agir commun dans le monde social. La vérité, ou la fidélité, est ici possible et d’autant que l’histoire qui fait mémoire du passé, pour le présent et le futur, peut conférer un « surcroît d’être » à ce qu’elle représente. Ricœur se dit emballé par cette idée forte de « re-présentation » dans l’écriture de l’histoire : l’historien veut présenter une nouvelle fois la vie des hommes du passé telle qu’elle fut, mais ce faisant il la tire de l’oubli et lui octroie une nouvelle présence (ou « représentance ») dans notre monde. Ricœur rappelle souvent l’équation entre écriture et sépulture, l’opération historiographique étant l’équivalent scripturaire du rite de la mise au tombeau. (Grondin, 2013, p. 117)

2.1.6 L’herméneutique de Grondin

Pour clore cette brève rétrospective des différentes pensées herméneutiques utiles à cette recherche, la contribution de Jean Grondin, herméneute contemporain né en 1955, est incontournable. Dans ses recherches, il tente de développer une compréhension de l’herméneutique comme étant un « sens intérieur inépuisable et que nous cherchons à interpréter à travers ses expressions extérieures » (Grondin, 2011, p. 124). Selon lui, nous essayons de comprendre le sens de la vie elle-même, et nous supposons avant tout qu’elle en a un. L’herméneutique a une portée universelle parce qu’elle rejoint les hommes et leur quête de sens. « Mais ce sens est toujours le sens des choses elles-mêmes, de ce qu’elles veulent dire, un sens qui dépasse assurément nos pauvres interprétations et l’horizon limité, mais Dieu merci, toujours extensible de notre langage. » (Grondin, 2011, p. 124)

Il y a plusieurs acceptions pour le mot « sens ». Il ne pourrait exister de meilleur exemple que le mot « sens » pour décrire ce qu’est un mot polysémique. Du vaste éventail d’options et de subtilités qu’offre le mot « sens », voici les quatre définitions que Grondin en donne dans Du sens de la vie (2003). Tout d’abord, le sens fait référence à la direction, à ce qui englobe le mouvement, l’orientation d’une chose, un but déterminé, un parcours, incluant celui de la vie qui débute à la naissance pour se terminer à la mort de notre existence.

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Chapitre 2 – Cadre de références

En plus du sens directionnel, le mot « sens » correspond à la signification d’un mot, d’une chose ou d’un événement. Pour en trouver le sens, il faut inévitablement se poser la question « qu’est-ce que ça signifie ? ». Le défi, pour nous humains, est de connaître le sens de notre vie ou de lui donner un sens même si elle doit se terminer par un non-sens qui s’appelle la mort. Le « sens de la vie présuppose que la vie peut-être ‟ lue ” comme un texte. Tout comme un texte, la vie possède un commencement, une fin et par là même une direction et un sens » (Grondin, 2003, p. 23).

En outre de nous pousser inextricablement dans une direction dont il est souhaitable d’y trouver une signification, le sens de la vie est par le fait même d’un ordre sensitif. La vue, le touché, l’odorat, le goût, l’ouïe nous communiquent différentes informations en provenance de notre milieu, ils nous ouvrent à ce qui nous entoure. L’approche philosophique des sensations apporte certaines nuances complémentaires; il s’agit de notre aptitude ou inaptitude à pouvoir goûter, jouir et savourer la vie. Sentir un certain sens de la vie se manifeste aussi par le « bon » sens, le sens du tact, le sens commun, toutes ces subtilités qui teintent l’art de vivre et qui rendent la sensation de vivre en société meilleure.

Comme quatrième et dernière définition que Grondin retient pour le mot « sens », concerne sa forme réflexive qui signifie « à mon sens », « selon moi », donc la capacité de réfléchir, de juger et d’exprimer son avis, non seulement d’exprimer son avis en tant qu’opinion mais aussi son avis vis-à-vis la vie et l’appréciation de celle-ci. « Le sens se trouve ici accouplé à une certaine sagesse où se conjuguent l’expérience, la raison, et même une certaine simplicité naturelle » (Grondin, 2003, p. 34).

2.2 RÉFÉRENCES COMPLÉMENTAIRES À L’HERMÉNEUTIQUE

En lien avec l’herméneutique, les paragraphes qui suivent abordent le textile, la mémoire, l’histoire et les traces. Ces notions s’imbriquent l’une dans l’autre et complètent la circonscription du terrain à l’étude. Le textile en lien avec le texte ouvre le bal.

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Chapitre 2 – Cadre de références

2.2.1 Lorsque le texte et le textile ont une origine commune

L’herméneutique, telle que l’ont exprimée clairement Gadamer et Ricœur, n’est plus exclusive à la compréhension des textes sacrés, elle est une approche reliée au sens qui se dégage d’un texte, le texte étant ici pris dans contexte beaucoup plus large que celui contenu à l’intérieur d’un livre, d’un exposé ou d’un écrit. Tout ce qui peut se dire, se vivre, être narré est un texte en soi. Selon Woody (2013), chaque élément, chaque moment de notre vie, de notre histoire personnelle peut être considéré comme un texte qu’il est possible de comprendre car interpréter notre monde nous permet de le rendre plus familier.

L’herméneutique est une méthode d’interprétation littéraire qui, transposée en sciences sociales, consiste à considérer les productions culturelles comme des textes. La notion de texte est donc ici entendue dans un sens très large. Il ne s’agit pas d’étudier uniquement un discours mais d’acquérir une connaissance complète des lieux, des symboles, des pratiques, de tous les aspects empiriques du contexte étudié – par exemple une organisation que le chercheur étudie - qui véhiculent du sens, car ce sont tous ces aspects qui forment le « texte ». La question centrale de l’herméneutique est : qu’est-ce que ce texte veut dire? Le but de l’analyse est donc de comprendre le sens de ce texte (Leca et Plé, 2007, p. 8).

Or, les mots « texte » et « textile » ont une origine commune. L’origine latine de texo signifie tisser, tresser, entrelacer, formuler, il y a donc une très grande proximité entre le textile, ensemble de fils qui s’entrelacent pour former un tissu, et un texte composé de phrases s’enchaînant les unes après les autres. Dans les deux cas, il est question de trame. Les termes « tissu » et « trame » s’étendent au paysage urbain : tissu urbain, trame urbaine, etc. En plus d’être le messager des ordres divins, Hermès est aussi le gardien des routes et des carrefours.

Dans le cadre de cette recherche, la perspective herméneutique me permet d’aborder l’histoire de la corderie et celle du quadrilatère qu’elle occupait dans le quartier Saint-Sauveur comme un tissu urbain, un texte racontant une histoire. Il s’agit à la fois d’une lecture historique de ce texte, de son interprétation et de la compréhension des différentes strates qui ont marqué le quartier ainsi que d’une lecture humaine à la recherche de sens.

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Chapitre 2 – Cadre de références

2.2.1.1 Textile

Les textiles sont plus qu’une simple matière, ils sont un répertoire de l’humanité. De tout temps, les fibres et les matières textiles parlent et racontent l’être l’humain et son évolution. « L’univers du tissu est celui qui mêle le plus étroitement les problèmes matériels, techniques, économique, sociaux, idéologiques, esthétiques et symboliques. » (Pastoureau, 2006, p. 14) Que ce soit pour la protection du corps contre les intempéries, les sépultures, les rites funéraires ou pour afficher son rôle et sa hiérarchie sociale, le textile a toujours joué un rôle primordial. Les étoffes ont aussi participé à l’exploration de nouveaux continents, soit reliées au transport si l’on pense aux voiles des navires, soit en tant que finalité; la route de la soie étant un exemple éloquent. De plus, plusieurs technologies se sont développées en fonction des besoins de l’industrie textile. Ces technologies ont par la suite contribué à l’évolution de d’autres secteurs. À titre d’exemple, le métier à tisser Jacquard est souvent considéré comme l’ancêtre de l’ordinateur et il marque les prémices de la révolution industrielle.

Étant donné la grande place que les fibres et les matières textiles ont toujours occupée depuis des millénaires et ce, dans toutes les sociétés existantes et ayant existées, elles colorent aussi notre langage. La quantité d’expressions qui leur font référence est phénoménale. Elles se glissent dans nos communications quotidiennes. Ces expressions sont des métaphores qui illustrent nos habitudes de vie et nos rapports sociaux. À titre d’exemples, en voici quelques-unes : tisser des liens, nouer des amitiés, tissus social, tricoté serré, broder autour, fil conducteur, tissu de mensonges, avoir l’étoffe de, filer un mauvais coton, se faire manger la laine sur le dos, se mettre la corde au cou, usé jusqu’à la corde, c’est dans mes cordes, il pleut des cordes, être sur la corde raide, corde sensible, etc.

La corde offre, en plus d’avoir de nombreuses expressions qui lui sont rattachées, une symbolique reliée à l’ascension au même titre que l’échelle et l’arbre. Sous forme de nœuds, elle symbolise les liens et possède des vertus secrètes ou magiques. « Dans les hiéroglyphes égyptiens, la corde nouée désigne le nom d’un homme ou l’existence distincte de l’individu : c’est le symbole d’un courant de vie réfléchi sur lui-même et se constituant en tant que personne » (Chevalier et Gheerbrant, 2002, p. 287).

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Chapitre 2 – Cadre de références

Vincent de Gaulejac, dans son livre L’histoire en héritage : Roman familial et trajectoire

sociale (2012), utilise l’univers du textile comme métaphore pour parler des traces que

laisse le clan familial sur l’identité. Son discours correspond à celui de Ricœur lorsque ce dernier mentionne que nous sommes des êtres affectés par le passé. Nous sommes des héritiers, porteurs de « choses dites, entendues et reçues » (Ricœur dans Grondin, 2011, p. 88).

Le passé laisse des traces. Il est comme un canevas originaire comprenant une multiplicité de fils dont chaque enfant va s’emparer pour tisser la trame de son existence. La famille crée un « tissu » commun qui fait lien, valorisé dans certaines familles, négligé dans d’autres, mais toujours présent comme héritage au fondement de l’identité originaire. Cet héritage est agissant au sens où il conditionne des orientations, des inclinaisons, des choix, opérant le plus souvent pour une part de façon inconsciente, et pour une autre de façon consciente. (de Gaulejac, 2012, p. 193)

L’héritage laissé par le tissu familial rejoint aussi l’idée qu’exprime Gadamer lorsqu’il parle de « fusion des horizons ». Quand il y a fusion, en tant que membres d’une même famille, nous ne sommes plus à même de distinguer ce qui vient du présent versus du passé. Il devient donc difficile de départager entre ce que j’ai reçu et ce qui m’appartient réellement, ce qui est « moi ».

2.2.2 Mémoire et histoire

Pour certains il s’agit de la mémoire, pour d’autres, il s’agit de l’histoire. Il y a la mémoire individuelle et la mémoire collective. Il y a l’histoire individuelle et l’histoire collective. Peu importe le terme choisi, les définitions se courtisent et s’entrelacent.

2.2.2.1 Mémoire et histoire, mémoire versus histoire selon Halbwachs

Selon Halbwachs (1950), il existe deux sortes de mémoires : la mémoire individuelle et la mémoire collective. Une fois que toutes deux sont éteintes, l’histoire entre en jeu. La mémoire individuelle, ou la mémoire intérieure, appartient à une seule personne et est formée par ce que l’individu a fait, entendu, vu, goûté, senti et touché. Elle se distingue de celle des autres et elle est limitée dans le temps et dans l’espace, elle est tributaire de la durée de vie de l’individu. Il ne faut pas la confondre avec le savoir puisque le savoir est

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Chapitre 2 – Cadre de références

quelque chose qui a été appris tandis que la mémoire personnelle résulte de l’expérimentation de l’individu et s’appuie sur son histoire vécue.

La mémoire collective implique l’ensemble des mémoires individuelles d’un groupe donné basé sur un ou des événements communs. Elle est un tableau de ressemblances. Chaque mémoire individuelle est en quelque sorte un point de vue ou une perspective de la mémoire collective. La durée dans l’espace et le temps de la mémoire sociale est supérieure à celle de la mémoire individuelle puisqu’elle correspond à la somme de la durée des mémoires des individus composant le groupe. Si une personne se détache du groupe, la mémoire collective perdurera malgré cette modification. Lorsque plus personne ne sera en mesure de témoigner de son vivant du vécu du groupe en fonction d’une situation donnée, la mémoire collective de cet événement s’éteindra et deviendra histoire.

L’histoire entre en action lorsque le groupe détenant la mémoire collective s’est évanoui. Elle prend le relai en tentant de fixer les dates et de reconstituer l’ordre de succession des faits passés qu’elle classifiera par la suite en périodes. Elle s’aide des traces qui subsistent dans les différentes archives. Un tri s’effectue tant au niveau des événements retenus que des éléments pour en témoigner et les expliquer. L’histoire se veut objective. Elle n’a pas d’emprise sur le temps puisqu’elle travaille hors du temps vécu par les groupes qui ont assistés aux événements. Toujours selon Halbwachs, parler de « mémoire historique » n’est pas adéquat puisque cette expression met en jeu deux termes contradictoires; l’histoire peut être apprise et transmise, elle est de l’ordre du savoir, alors que la mémoire relève du vécu individuel ou collectif, c’est-à-dire d’un vécu subjectif.

2.2.2.2 Lorsque la mémoire racontée devient histoire

Pour Leahey et Yelle (2001), bien que leurs définitions rejoignent celles de Halbwachs, il ne s’agit pas de mémoire mais d’histoires de vie à la fois individuelles et collectives. L’histoire de l’homme est en partie la trace de sa mémoire racontée; l’histoire collective est en partie la trace de la mémoire sociale racontée.

Tracer la trajectoire de nos liens, c'est retrouver la trace des individus, des groupes, des institutions, des milieux, des événements qui marquent ce que

Figure

Tableau synthèse des sous-questions et des moyens de collecte de données par atelier
Figure 4.1 – Nœuds réalisés par les participants
Figure 4.2 – Traces de nœuds
Figure 4.3 – Bateau en papier
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