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CHAPITRE 4 RÉSULTATS

4.5 P RÉSENTATION , ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS PAR ATELIER

4.5.8 Atelier 8 – Triptyque, 2 de 2

Dans le cadre de cette huitième et dernière rencontre, nous terminons le triptyque. Sur chacune des grandes toiles réalisées lors de l’atelier précédent, trois petites toiles ont été ajoutées. Il s'agit de petites toiles faites à partir des collages fabriqués lors du cinquième atelier. Ces collages symbolisent le retour sur le passé du quadrilatère étudié et de tous les bâtiments qui se sont succédés jusqu’à aujourd’hui. Une fois les collages terminés, ils ont été imprimés sur du coton puis tendus sur de petits cadres. Ce sont ces derniers qui sont intégrés au triptyque. Les neuf petits tableaux en continu sur les toiles symbolisent la corderie sur le terrain d’Evan Rees. Durant cet atelier, d'autres éléments, tels que cordes et bateaux en papier, s’ajoutent afin de peaufiner l’œuvre.

Nous reprenons les mêmes équipes que lors du septième atelier. Les trois nouvelles participantes font des nœuds. Puis elles aident le groupe en leur fournissant des longueurs de fils servant à coudre le cordage aux toiles. À la page suivante, une image du triptyque terminé.

Chapitre 4 – Résultats

Figure 4.12 – Triptyque terminé

4.5.8.1 Le vocabulaire

Voici le tableau des nouveaux mots qui s’ajoutent :

Tableau 4.4

Vocabulaire – 8e rencontre

Corde, nœuds et fibres

point de Jésus dé à coudre enfiler

Monde maritime

chenal vague double-coque ruisseau

lac rivière détour serpentin

voilier noyer s’accorder

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toiles inspiré des méandres de la rivière Saint-Charles. Madame P mentionne que « la rivière Saint-Charles, c’est toute des affaires (d’un ton pas trop enjoué)…La rivière Saint- Charles, c’est rien que des détours ». Pour Monsieur O, il s’agit de serpentins. Madame M voulait faire un « petit ruisseau…euh…comme une rivière ratissée ». Ce à quoi Madame D répond : « un chenail qu’y appelle, un chenail ».

Pour les trois mots reliés à la catégorie Cordes, nœuds et fibres, ils sont directement influencés par l’activité de couture. Madame J mentionne « on va faire des points de Jésus » en parlant d’un point utilisé en broderie ou en couture pour coudre la corde sur la toile.

4.5.8.2 Les souvenirs et la nature des liens

Peu de liens émergent lors de cette activité. La principale raison est que les gens sont très concentrés sur le travail et l’aspect technique domine les échanges, ils parlent des difficultés avec certaines aiguilles, le fil qui est plus raide, le bout de l’aiguille arrondi, de la difficulté à piquer la toile, coudre à fil simple ou à fil double, etc. Nous sommes davantage dans la résolution de problèmes techniques afin de trouver des trucs pour faciliter le travail que dans l’aspect des souvenirs qui reviennent. Les gens sont dans le présent. L’expérience que les femmes ont en couture refait surface ce qu’explique assez facilement la nature même de l'activité. « M’a dire comme on dit, heureusement je sais coudre » (Madame D).

4.5.8.3 Les retombées durant l’atelier

Il y a une certaine effervescence qui caractérise le groupe durant cet atelier. Est-ce parce que c’est la dernière rencontre? Est-ce parce que nous sommes plus nombreux qu’à l’habitude? Est-ce parce que les gens réalisent tout le travail qui a été accompli jusqu’à ce jour? Sûrement à cause de tous ces éléments réunis.

Avant de commencer à fixer la corde, chaque membre de l’équipe doit être d’accord avec son positionnement sur la toile, ce à quoi Monsieur O répond : « Pas difficile icitte, on s’accorde. On se fait des grimaces pis on s’accorde ». Le verbe choisi par Monsieur O est très évocateur. En effet, puisque selon le CNRTL, l'étymologie du verbe « accorder » fait

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référence entre autres à l'effort que les marins doivent déployer ensemble pour exécuter une tâche.

1687 mar. « faire effort de concert en nageant [ramant] dans un canot » (Desroche, Dict. des termes propres de mar. : Acorde. C'est un commandement que l'on fait à l'équipage de la chaloupe pour le faire nager ensemble). − 1922 (Lar. univ. s.v. : Accorde! Mar. Commandement adressé aux rameurs pour qu'ils rament ensemble. N. f. Commander l'accorde); 1831 pronom. « id. en halant sur un cordage » (Will. : Accorder (s') v. r.... On doit de même s'accorder en halant sur un cordage; pour agir ensemble dans l'effort) (CNRTL, ressource en ligne).

S'accorder c'est aussi s'entendre. Toujours selon le CNTRL, s'entendre c'est « percevoir par l'ouïe », « prêter attention, obéir à » ou « exaucer ». Monsieur F a prêté attention à une collègue qui avait de la difficulté et lui offre son aide pour enfiler son aiguille. « Donnez-moé l’fil, m’a l’enfiler moé! » (Monsieur F). Monsieur F est dans la compréhension des besoins de sa voisine, il est dans le « pouvoir quelque chose » de Heidegger. Par ce petit geste, il montre aussi son côté sensitif, celui qui exprime le mieux vivre en société relaté par Grondin.

Les taquineries et les rires sont très présents. Un intervenant remarque que le travail qui se fait ressemble à celui d’une ruche d’abeilles. Encore une fois, les gens analysent la situation, ils coordonnent leur travail avec celui des membres de leur équipe. Ils trouvent des solutions, ils sont concentrés et appliqués, ils s’entraident et ils se respectent à quelques petits détails près…

En effet, c’est la première qu’il y a de petites tensions entre les participants. Étant dans un domaine qui leur est très familier, les dames ont tendance à s’approprier la toile afin de se mettre plus à l’aise pour coudre tandis que les messieurs faisant partie de leur équipe se sentent mis à l’écart. Ils ont moins d’emprise sur la toile et ils manifestent leur désaccord, le tout dans une certaine bonhomie. L’échange entre Madame L et Monsieur C démontre bien cette situation.

- Monsieur C : Arrêtez de prendre toute le tableau là! (un ton un peu fâché). Vous permettez que je lève le tableau?

- Madame L : Oui, oui mais apportez-le pas chez-vous! (rires)

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- Monsieur C : Faites comme si on était pas là…

- Madame L : Comme si vous étiez pas là...J'vais m'en aller loin! Y'é mal pris (petit rire)

- Monsieur C : Un tire su un bord, l'autre tire su l'autre. Arrêtez de bouger…(rires)…Y'a de la vague!

- Monsieur O : Je remonte la côte, pour avoir de la place à travailler (il bouge autour de la toile, se positionne pour travailler). Si vous voulez travailler toute seule, y'a pas de gêne.

- Madame L : C'est ça que je fais.

- Monsieur C : Je vois ben ça…À toute le tableau pour elle…Ça pas de bon sens.

- Madame l : Parce que je me dépêche pendant que vous me regarder.

Ils réussissent à s'entendre, à s'accorder avec humour et courtoisie. Malgré la petite dispute, Monsieur C complimente le travail de broderie de Madame L : « Vous êtes habile, vous êtes habile! ». Cette situation assez cocasse, montre l’intérêt de Monsieur C à participer au travail et l’engouement de Madame L pour la couture qu’elle exécute.

Même s'ils sont fiers du travail qu’ils ont accompli, certaines personnes quittent le Centre légèrement déçues car elles n’ont pas fini de coudre la corde sur leur toile. Madame M mentionne : « Là on avait commencé à pogner le truc pis là… ». Elle fait référence à tous les problèmes techniques rencontrés au début de l'atelier. Madame G fait aussi partie des personnes vivant de petites déceptions. Étant donné son état de santé, elle est déçue de ne pas avoir été capable d’en faire plus pendant sa présence aux ateliers.

Tout au long de l’activité, on entend les gens dire « c'est beau! ». Une équipe a fini la couture de la corde et pour le signaler, une personne mentionne que leur chef-d’œuvre est terminé. Celui-ci est mis au mur, ce qui permet à tous de l’admirer et plusieurs personnes applaudissent. Madame G, qui s’était un peu retirer à cause de sa fatigue, se lève et change de chaise afin de se rapproche et de mieux voir le tableau. « J’m’en viens voir le chef-d’œuvre! » (Madame G). Madame A trouve que ça fait « une pièce originale », tandis que Monsieur O dit « C’est beau…C’est beau certain! »

Bien que Madame K ait beaucoup d’expérience dans diverses techniques et qu’elle a donné plusieurs cours d’artisanat, dès la première rencontre, elle voulait déjà savoir le résultat final, à quoi celà ressemblerait. Une chose qui était impossible puisque c’était à venir, en travaillant au fil des rencontres. Lors de ce dernier atelier, elle fait le constat

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suivant, elle ne pensait jamais que ça donnerai ce résultat. « J’pense que je voulais aller trop vite au début » (Madame K). Il y a chez-elle la compréhension de soi tel que le définit Heidegger. Une intervenante et Madame D font éloge des compétences manuelles de Monsieur B.

La rencontre se termine avec le choix d’un nom pour l’œuvre. La suggestion de Madame K est retenue et le triptyque s'intitulera Vague mon bateau. Tout le monde est heureux du résultat et ils ont hâte de voir leur travail officiellement exposé au mur.

En quittant, Monsieur O vient me remercier et il me mentionne que « les choses entrent vite lorsque l’on est enfant. Pis après, on devient niaiseux, on oubli. Votre projet m’a beaucoup aidé à me souvenir de petits bouttes ». Je lui ai demandé s’il voulait en partager quelques-uns. Trop ému, il a fait « non » avec sa tête.