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CHAPITRE 4 RÉSULTATS

4.5 P RÉSENTATION , ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS PAR ATELIER

4.5.1 Atelier 1 – Les cordes et les nœuds

4.5.1.2 Les souvenirs et la nature des liens

Bien avant le premier atelier, c’est-à-dire lors la présentation du projet au groupe, un des premiers souvenirs qui est revenu à la mémoire d’une participante, Madame D, remonte à son enfance; elle aidait son grand-père à réparer des filets de pêche. Cette activité, qu’elle avait oubliée depuis des années, lui est revenue spontanément en fonction des éléments mentionnés lors de la présentation. Dans le cadre de ce premier atelier, Madame D se revoit faisant des nœuds avec son grand-père et nous partage ses souvenirs. Elle l’a aidé pendant 3 ou 4 ans, jusqu’à l’âge de 10 ans environ.

R'garde, j'su après faire les cordes, tsé comme je te disais à la pêche…Tu vois comment c'est amanché la, comme ça, ça faisait le nœud de pêche qu'y appelle pour faire le filet…Aie, ça fait longtemps! […] Mon grand-père c'était un pêcheur. Pis ça prenait des filets. Pis quand les filets étaient brisés, on les rentrait, on les rap'tissait, on les rappistolait…Ça paressait même pas. Parce que ça prenait des filets assez longs. Dans le haut c'était serré serré, ben dans le milieu, il fallait que ça soye plate parce que le poisson pogne dedans. Ha j'ai ben aimé... (Mamade D).

En évoquant ses souvenirs à voix haute, un échange s’amorce entre plusieurs participants. Les nœuds de filet de pêche ne se limite plus à une mémoire individuelle mais témoigne d’une mémoire collective puisqu’elle met en lumière l’expérience de plusieurs personnes en lien avec la technique de la fabrication de filet de pêche et des outils utilisés. Voici un extrait d’une partie de cet échange :

- Madame K : Ça s'peux-tu que vous commenciez par le coin? 1-3-5-7-9? - Madame D : 1-3-5-7-9.

- Madame J: On l'avait appris hein…le nœud de pêche hein…aux Fermières…? Qui qui nous avait montré ça?... J'm'en souviens pas du tout là.

- Madame D : Le 1 tu commençais, après ça c'est 3, 5, 7.

- Madame K : 1, 3, 5 après ça tu files avec ton, ton, t'as une affaire din mains, comme un…

- Monsieur O : Comme une aiguille, c'est plus gros que ça. - Madame D : Oui, pis y'avait un p'tit anneau.

Chapitre 4 – Résultats

- Madame D : Pour tenir le bois, le fil, pis y'avait comme un espèce de fuseau, le fil embarquait là d'dans, pis.

- Madame K : Le fuseau était en bois.

- Madame D : Oui, c'est mon grand-père qu'y l'avait fait.

- Madame K : Tu commençais dans le coin comme 1, 3, en descendant tout le temps.

Durant l’atelier, d’autres conversations naissent, dont une concernant les nœuds de cravate. Monsieur O, ayant de la difficulté à faire les nœuds pour ses cravates, préférait les acheter avec le nœud déjà fait tandis que Madame D faisait les nœuds pour son mari. Les nœuds évoquent pour Madame M l’époque où elle faisait du macramé. « Ben quand on faisait du macramé (rire). […] M'a s'tir mes nœuds de macramé c'te semaine ». Pour Madame K et Madame J, fabriquant en collaboration un nœud à base de plusieurs cordes, parlent de la similitude entre ce qu’elles font et la fabrication de la tire Sainte- Catherine. « …Comme on fait de la tire...Ouais, c'est de la tire qu'on a faite…(rire) » (Madame K). Un peu plus tard, Madame J et Madame I échangent sur la fabrication d’objets faits avec les branches des rameaux. Les techniques utilisées étaient similaires à la fabrication de nœuds. « Comme on faisait des tresses...On les empilait » (Madame J). « On faisait des oiseaux » (Madame I).

Le sujet de la récupération est aussi abordé.

Nos grands-parents n'ont jamais rien jeté, toute toute toute servait, parce que tu pouvais arriver avec de la corde comme tu parles, pis faire des affaires. Quand qué nos grands-parents, quand y'avait des balles de laine de cordes, y'é prenaient, je sais pas comment y faisaient, y s'organisait, la corde qui était utilisée, y'a prenait et y faisaient des choses terribles. Y pouvaient faire des beaux tapis, y'en a qui faisaient des choses, en plus de ça, y'en a qui prenait la corde pour arranger les bottes d'hiver. (Madame D).

Ce qui m’a amenée à leur partager ce que le conservateur du Musée maritime du Québec, Monsieur Boudret-Barré, m’avait raconté concernant la récupération des cordages à bord des navires. Lorsqu’il y avait des cordages trop usés, ils étaient transformés de différentes façons. Parfois, c’était sous forme de gros nœuds plats, servant de tapis. Si une poulie tombait, elle tombait sur le tapis au lieu de tomber directement sur le pont en l’abîmant. Le recyclage textile qui se faisait à bord des navires ressemblait en tout point à la transformation textile domestique faite par les femmes au foyer.

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Un autre exemple de récupération de cordages est tiré du Canadian Illustrated News, daté du 9 décembre 1881. Cette illustration met en scène des hommes dans une prison militaire de Québec; les prisonniers défont les torons des cordages usés pour les transformer en étoupe (image reproduite dans Reid Marcil, 2007, p. 270). L’étoupe sert par la suite à calfater les interstices des coques de navire en bois.

En partageant les informations recueillies sur le recyclage des cordages à bord des navires, les gens se sont mis à parler d’hamacs, de paniers, de sommiers faits de corde, la corde que l’on brûle aux extrémités afin d’éviter qu’elle s’effiloche, etc. Les gens se sont projetés à l’intérieur des bateaux et ils ont revisité l’ameublement.

Durant l’atelier, Monsieur B, silencieux, travaille discrètement. Je le vois observer les nœuds des autres participants, en prendre quelques-uns dans ses mains, les regarder et parfois faire un sourire. Puis, à la fin de l’atelier, presque par enchantement, il a 3 splendides nœuds devant lui. Il est un « professionnel » de la corde et des nœuds. Ayant eux des animaux, il a dû en faire souvent pour les besoins de sa ferme. Il a peu consulté les images disponibles, il a fait les nœuds de mémoire.

Madame Q a une façon bien à elle de faire des liens imprégnés d’humour. Elle utilise beaucoup les métaphores pour taquiner son voisin de table, Monsieur C, très concentré à essayer de bien faire un nœud selon les instructions. Madame Q le taquine en lui disant : « T'a faite un nœud qui s'est jamais défaite quand tu té marié. […] Faudrait que tu y mettrais des pattes pour qui marche » puisque Monsieur C, malgré tout son bon vouloir et ses nombreux efforts, a de la difficulté à exécuter un seul nœud. Il trouve ça très difficile même s’il prend plaisir à regarder, analyser et essayer. Madame Q le taquine une fois de plus en lui disant « C'est comme la C. difficile… ».

Vers la fin de l’atelier et à la lumière de tout ce qui a été mentionné précédemment, Monsieur C, toujours pragmatique, mentionne que « le nœud peut servir à toutes sortes de fins ».

Chapitre 4 – Résultats

Bien que Madame P n’arrive qu’à la dernière rencontre, je rapporte ici certains de ses propos puisqu’ils sont en lien direct avec le thème des nœuds. Dans le cadre du huitième atelier, j’ai cru bon de lui demander, ainsi qu’aux deux autres dames qui en étaient aussi à leur première journée de participation, de faire des nœuds pour faciliter leur intégration au groupe. Or donc, tout de suite après avoir distribué le matériel (images de nœuds et de cordes) à Madame P, elle dit : « À commence, à commence... j'aurais dû continuer! ». Interpellée, je lui demande de préciser. Et c’est là qu’elle m’explique qu’elle aurait dû continuer de faire des nœuds puisque dans son jeune temps, ayant fréquenté un marin, elle avait appris à faire des nœuds. « Mon chum était s’é bateaux…ben dan'l'temps. Y'était marin. Oui...ben, ça fait une coupe d'années! » (Madame P). C’est une relation qui fut de courte durée faute d’atomes crochus. « J'avais à peu près quoi?...15 ans dans ce temps là…Les années folles. Y restait par chez-nous. C'était quèz’ment un voisin. Son père était dans marine. Son frère aussi. Je me suis fiancée. Y'était beau pis y paraissait ben. S't'a peu près pour ça! Y'avait quèz’ment rien que ça! » (Madame P).