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CHAPITRE 2 – CADRE DE RÉFÉRENCES

2.2 R ÉFÉRENCES COMPLÉMENTAIRES À L ’ HERMÉNEUTIQUE

2.2.2 Mémoire et histoire

Pour certains il s’agit de la mémoire, pour d’autres, il s’agit de l’histoire. Il y a la mémoire individuelle et la mémoire collective. Il y a l’histoire individuelle et l’histoire collective. Peu importe le terme choisi, les définitions se courtisent et s’entrelacent.

2.2.2.1 Mémoire et histoire, mémoire versus histoire selon Halbwachs

Selon Halbwachs (1950), il existe deux sortes de mémoires : la mémoire individuelle et la mémoire collective. Une fois que toutes deux sont éteintes, l’histoire entre en jeu. La mémoire individuelle, ou la mémoire intérieure, appartient à une seule personne et est formée par ce que l’individu a fait, entendu, vu, goûté, senti et touché. Elle se distingue de celle des autres et elle est limitée dans le temps et dans l’espace, elle est tributaire de la durée de vie de l’individu. Il ne faut pas la confondre avec le savoir puisque le savoir est

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quelque chose qui a été appris tandis que la mémoire personnelle résulte de l’expérimentation de l’individu et s’appuie sur son histoire vécue.

La mémoire collective implique l’ensemble des mémoires individuelles d’un groupe donné basé sur un ou des événements communs. Elle est un tableau de ressemblances. Chaque mémoire individuelle est en quelque sorte un point de vue ou une perspective de la mémoire collective. La durée dans l’espace et le temps de la mémoire sociale est supérieure à celle de la mémoire individuelle puisqu’elle correspond à la somme de la durée des mémoires des individus composant le groupe. Si une personne se détache du groupe, la mémoire collective perdurera malgré cette modification. Lorsque plus personne ne sera en mesure de témoigner de son vivant du vécu du groupe en fonction d’une situation donnée, la mémoire collective de cet événement s’éteindra et deviendra histoire.

L’histoire entre en action lorsque le groupe détenant la mémoire collective s’est évanoui. Elle prend le relai en tentant de fixer les dates et de reconstituer l’ordre de succession des faits passés qu’elle classifiera par la suite en périodes. Elle s’aide des traces qui subsistent dans les différentes archives. Un tri s’effectue tant au niveau des événements retenus que des éléments pour en témoigner et les expliquer. L’histoire se veut objective. Elle n’a pas d’emprise sur le temps puisqu’elle travaille hors du temps vécu par les groupes qui ont assistés aux événements. Toujours selon Halbwachs, parler de « mémoire historique » n’est pas adéquat puisque cette expression met en jeu deux termes contradictoires; l’histoire peut être apprise et transmise, elle est de l’ordre du savoir, alors que la mémoire relève du vécu individuel ou collectif, c’est-à-dire d’un vécu subjectif.

2.2.2.2 Lorsque la mémoire racontée devient histoire

Pour Leahey et Yelle (2001), bien que leurs définitions rejoignent celles de Halbwachs, il ne s’agit pas de mémoire mais d’histoires de vie à la fois individuelles et collectives. L’histoire de l’homme est en partie la trace de sa mémoire racontée; l’histoire collective est en partie la trace de la mémoire sociale racontée.

Tracer la trajectoire de nos liens, c'est retrouver la trace des individus, des groupes, des institutions, des milieux, des événements qui marquent ce que

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nous sommes devenus. On peut observer la face externe de cette trajectoire, mais il revient à chaque personne de rendre compte de sa face interne. C'est ainsi que se fertilisent réciproquement l'histoire individuelle et l'histoire collective. Des traces des histoires individuelles se retrouvent dans l'histoire collective. Des représentations de l'histoire collective s'inscrivent dans les histoires individuelles (Leahey et Yelle, 2001, p. 11).

La mémoire, qu’elle soit de nature personnelle ou sociale, peut être transmise sous forme de récit, oral ou écrit. À partir du moment que la mémoire se raconte, elle devient histoire. L’individu ou le collectif peut se raconter, narrer son histoire. « C’est que notre vie est une histoire qui non seulement a besoin, mais qui mérite d’être racontée. » (Grondin, 2013, p. 103) Selon de Gaulejac (2012), notre subjectivité est l’histoire sociale intériorisée. L’individu est le produit d’une histoire, une histoire oubliée et pourtant agissante, structurante et même incorporée. Lorsque l’individu fait la narration de lui-même, il est à la fois produit de l’histoire, acteur de l’histoire et producteur d’histoires.

Notre histoire personnelle est construite en fonction de notre vécu. Bien que notre histoire soit singulière, elle possède des éléments empruntés au milieu d’où l’on vient, nous sommes donc porteur d’une historicité. Dans la vie comme au théâtre, nous avons un rôle à jouer, nous sommes acteurs, et ce rôle est influencé par les circonstances. Ayant un certain pouvoir sur notre vie, nous pouvons aussi influencer le cours de l’histoire. S’engager dans la narration nous permet de devenir un produit de l’histoire car il y a transmission de cette histoire personnelle vers une collectivité. « Nous sommes les héritiers de la tradition, l’identité narrative que nous héritons de l’histoire n’est jamais stable ni fermée. Elle dépend aussi de la réponse que nous pouvons y apporter. » (Grondin, 2011, p. 89)

Les événements s’étant déroulés avant la naissance du sujet, mais transmis, font véritablement partie de son histoire et doivent donc être pris en compte s’il les raconte, car le rapport que ce dernier entretient aujourd’hui avec les événements est porteur de sens. En effet, ces représentations d’événements, pas directement vécus, peuvent être transmises par des tiers. Le récit des uns alimente le récit de l’autre (Lainé dans Burrick, 2010, p. 22).

2.2.2.3 La mémoire, une navette à voyager dans le temps

La mémoire est sélective, elle garde ce qui fait sens pour la personne. On peut avoir accès à cette mémoire en tout temps et en tout lieu. Il n’existe pas de contrainte de temps

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ni d’espace. Cette mémoire est constamment en train d’évoluer, de se modifier puisqu’à chaque moment du présent, on vit des choses qui peuvent s’ancrer dans notre monde mnémonique. Il n’y a aucune contrainte sauf celles imposées par les maladies cognitives. Selon Contrepois (2011), les mémoires puisent leurs sources indifféremment dans toutes les époques et dans tous les aspects de la vie, et le sens des souvenirs emmagasinés peut évoluer en fonction des expériences de vie plus récentes.

La définition du mot « mémoire » selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), centre de ressources en ligne, est une «faculté comparable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués ». D’après de Gaulejac (2012), la mémoire est une sorte de réservoir disponible pour l’individu. Il n’a pas besoin d’être immense puisque la personne y puise ce dont elle a besoin au moment voulu. La mémoire est un moyen de se projeter dans l’avenir plutôt qu’une fixation sur le passé. Afin que cette mémoire puisse vivre, elle a besoin d’être entretenue et partagée.

La mémoire concentre ce qui reste, ce qui a une valeur pour les personnes et les différencie des autres parce qu’il existe le souvenir partagé. Elle colle au passé, nous rattache à lui par des personnes, par du vivant, par des noms, par des lieux, remonte le temps d’une seule pensée et sans aucun obstacle, pour arriver à ce qui reste comme souvenir. […] La mémoire s’affranchit de la contrainte du temps, constitue un rapport singulier à la durée et pose la question de la transmission. (Boursier, 2002, p. 8)