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La République romaine et ses alliances militaires : pratiques et représentations de la "societas" de l'époque du "foedus Cassianum" à la fin de la seconde guerre punique

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pratiques et représentations de la ”societas” de l’époque

du ”foedus Cassianum” à la fin de la seconde guerre

punique

Anthony-Marc Sanz

To cite this version:

Anthony-Marc Sanz. La République romaine et ses alliances militaires : pratiques et représentations de la ”societas” de l’époque du ”foedus Cassianum” à la fin de la seconde guerre punique. Archéologie et Préhistoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010547�. �tel-00839121�

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UNIVERSITÉ PARIS I – PANTHÉON SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE D’HISTOIRE

Doctorat de l’Université

Histoire romaine

Anthony-Marc SANZ

LA RÉPUBLIQUE ROMAINE ET SES ALLIANCES MILITAIRES

Pratiques et représentations de la societas de l’époque du foedus Cassianum à la

fin de la seconde guerre punique

TOME I

Thèse dirigée par Jean-Michel DAVID

Soutenue le 28 mars 2013

Jury :

Jean-Michel DAVID, Professeur émérite à l’Université Paris I

Élizabeth DENIAUX, Professeur émérite à l’Université Paris Ouest

Jean-Louis FERRARY, Membre de l’Institut, Directeur d’études à l’EPHE

Sylvie PITTIA, Professeur à l’Université Paris I

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REMERCIEMENTS

Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance envers Jean-Michel David. C’est grâce à son enseignement que j’ai pris goût à l’histoire romaine et c’est lui qui m’a inculqué les principes essentiels de la recherche en ce domaine. Après avoir accepté de diriger le projet que je lui ai soumis il y a maintenant huit ans, il n’a jamais cessé de m’encourager, malgré le temps qu’a demandé sa réalisation. C’est bien grâce à ses conseils avisés et à son soutien, en particulier aux moments les plus décisifs, que j’ai pu finalement le mener à bien. Qu’il soit donc remercié pour la grande confiance qu’il m’a accordée. La réalisation de cette thèse n’aurait cependant pas été possible sans les conditions de travail exceptionnelles dont j’ai eu la chance de bénéficier en tant que membre de l’École des Hautes Études Hispaniques et Ibériques à la Casa de Velázquez, entre 2009 et 2011, et c’est pourquoi je tiens également à en remercier le Directeur, Jean-Pierre Étienvre, et le Directeur des études antiques et médiévales, Daniel Baloup, qui ont tout fait pour que ce séjour soit le plus profitable. Ma gratitude s’adresse aussi à Jean-Louis Ferrary, Pierre Sánchez et M Paz García-Bellido qui m’ont accordé de leur temps et m’ont fait bénéficier généreusement de leur érudition, et je veux également citer Ghislaine Stouder, Thibaud Lanfranchi et Esther Raguet qui m’ont conseillé et aidé à des titres divers.

Je salue enfin ma compagne, Karine Baudrot, qui m’a soutenu dans cette longue entreprise et a accepté bien des sacrifices pour qu’elle puisse aboutir.

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(6)

TABLE DES MATIÈRES

TOME I

Page

REMERCIEMENTS 3

TABLE DES MATIÈRES 5

TABLE DES FIGURES ET TABLEAUX 7

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LE MODÈLE POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE D’UNE RELATION

21

CHAP. I : LES CONDITIONS POLITIQUES DE L’ALLIANCE MILITAIRE 25

1. Les Romains et leurs alliés : les principes politiques d’une relation 28

2. Le contrôle de la cité sur la diplomatie militaire 52

3. Négocier une alliance : les formalités diplomatiques d’un échange 70

4. Un mode original de formation de l’alliance, la fondation coloniale latine (début du Ve siècle – début du IIe siècle av. J.-C.)

86

CHAP. II : LE MODÈLE DU FOEDUS SOCIALE 97

1. Le foedus à l’horizon de l’alliance militaire 99

2. Les clauses du foedus sociale et le champ de l’alliance 117

3. Les autres modalités de l’’alliance : une définition informelle des obligations militaires

147

CHAP. III : ASPECTS DIPLOMATIQUES ET SYMBOLIQUES D’UNE RELATION

165

1. La reconnaissance d’un titre 167

2. Les aspects diplomatiques de la relation d’alliance 182

(7)

Page DEUXIÈME PARTIE : LA SOCIETAS, UNE RELATION EN DÉBAT

ENTRE ROME ET SES PARTENAIRES DU VE AU IIIE S. AV. J.-C.

209

CHAP. IV : L’ALLIANCE ROMANO-LATINO-HERNIQUE : UNE

SOCIETAS DÉFENSIVE AU FILTRE DES SOURCES (DÉBUT VE – MI-IVE SIÈCLE AV. J.-C.)

213

1. Un modèle d’alliance défensive au Ve siècle 214

2. Aspects d’une alliance réciproque 230

3. Alliance et hégémonie 246

CHAP. V : LA FORMATION DE L’ALLIANCE ITALIENNE SOUS HÉGÉMONIE ROMAINE : DEVOIR DE DÉFENSE ET MOBILISATION MILITAIRE

269

1. Rome et la défense de ses alliés à l’époque des premières guerres samnites 271

2. Rome, ses alliés et la défense d’Italia au début du IIIe siècle av. J.-C. 297 3. Une mobilisation à géométrie variable ? Les guerres du IIIe siècle av. J.-C. 329 CHAP. VI : LA SECONDE GUERRE PUNIQUE : CRISE ET

REDÉFINITION D’UN SYSTÈME D’ALLIANCES

355

1. Carthage, Hannibal et Rome : le choc des alliances 356

2. L’alliance italienne entre impératif de défense et devoir de fidélité 376

3. La mise en ordre du système d’alliances romain en Méditerranée 416

CONCLUSION 461

BIBLIOGRAPHIE 467

TOME II : ANNEXES

- ANNEXE 1 : Les accords militaires, contexte, procédures et formes 509

- ANNEXE 2 : Les traités d’alliance militaire aux clauses attestées 549

- ANNEXE 3 : Les fondations des colonies latines en Italie (Ve–IIIe s. av. J.-C.)

578

- ANNEXE 4 : Les contingents italiens mobilisés pendant la seconde guerre punique

(8)

TABLE DES FIGURES ET TABLEAUX

Page

Figure 1 : aureus du serment 114

Figure 2 : drachme ibérique du serment 115

Tableau 1 : opérations militaires communes en vertu du foedus Cassianum au Ve siècle

219-220

Tableau 2 : commandement de l’armée fédérale 235

Tableau 3 : opérations militaires communes en vertu du foedus Cassianum (renouvelé en 358)

248

Tableau 4 : collaboration militaire des alliés pendant la guerre latine et la deuxième guerre samnite (340-304)

293

Tableau 5 : collaboration militaire des alliés pendant la troisième guerre samnite (296-290)

307

Tableau 6 : collaboration militaire des alliés italiens pendant la première guerre punique (262-241)

336

Tableau 7 a : collaboration militaire des alliés siciliens pendant la première guerre punique (262-241)

340

Tableau 7 b : collaboration matérielle des alliés siciliens pendant la première guerre punique (262-241)

340

Tableau 8 a : collaboration militaire de Syracuse pendant la seconde guerre punique

418

Tableau 8 b : collaboration matérielle de Syracuse pendant la seconde guerre punique

418

Tableau 9 : collaboration militaire des Siciliens après la pacification de la province

424

Tableau 10 : collaboration militaire des Espagnols (218-211) 437

Tableau 11 : collaboration militaire des Espagnols (209-206) 442

(9)
(10)

INTRODUCTION

Liv., XXVI, 24, 3 : « adiecit se sequi iam

inde a maioribus traditum morem Romanis colendi socios, ex quibus alios in ciuitatem atque aequum secum ius accepissent, alios in ea fortuna haberent ut socii esse quam ciues mallent ».

(Discours de M. Valerius Laevinus à l’assemblée des Étoliens, 212/211 av. J.-C.)

Ce sont là les mots que Tite-Live attribue au propréteur chargé de la guerre en Orient, pendant la seconde guerre punique, lorsqu’il cherche à convaincre les Étoliens du bien-fondé de l’alliance romaine1. La source de l’historien augustéen remonte probablement aux

Histoires de Polybe, mais nous avons malheureusement perdu le passage correspondant, de

sorte que nous ne pouvons l’affirmer catégoriquement ni, surtout, remonter à la formulation initiale de l’historien grec. L’éloge de leur attitude envers leurs socii ne va pourtant pas sans éveiller des échos chez l’historien mégalopolitain. Celui-ci, en effet, rapporte leur attachement proclamé au respect des traités, des serments et des engagements pris envers les alliés2. Naturellement, l’argument est destiné à persuader les Étoliens des bienfaits de l’alliance romaine dans un discours pro societatem dans lequel l’analyse du rapport de forces et les intérêts des parties jouent de toute façon un rôle bien plus grand dans la décision3. Il met cependant en lumière l’utilité qu’il y a pour les Romains à vanter leur attitude dans les relations qu’ils entretiennent avec leurs alliés, dont le cercle s’étend déjà, en cette fin du IIIe siècle, à l’échelle du bassin méditerranéen.

Il est vrai que Laevinus, en commençant par faire l’éloge du modèle civique romain pour sa capacité d’intégration, pointe un des éléments d’explication les plus importants de la puissance romaine, d’ailleurs déjà reconnu par les contemporains, même si la formulation livienne de son discours se ressent ici les conceptions du Ier siècle avant J.-C.4. Depuis l’établissement de la République et la conquête du Latium en effet, c’est d’abord à travers la

1 « il ajouta qu’il suivait maintenant l’usage qui était celui des Romains – il leur venait de leurs ancêtres – de

bien traiter leurs alliés : aux uns, ils avaient conféré le droit de cité et des droits égaux aux leurs, tandis qu’ils assuraient aux autres un sort tel que ceux-ci aimaient mieux être des alliés que des concitoyens » (Trad. de P. JAL, TITE-LIVE, Histoire romaine, Tome XVI, Livre XXVI, Paris, 1991).

2 Voir par exemple Pol., XXIV, 13, 3, qui place ces mots dans la bouche de Philopoemen dans le discours qu’il tient devant les Achéens.

3 Cf. Liv., XXVI, 24, 1-6 pour l’ensemble de ce discours qui sera plus précisément analysé infra chap. I.

4 Le témoignage de la lettre de Philippe V à Larissa en 217, cf. SIG³, 543, permet en effet de mesurer l’admiration que suscite déjà leur modèle, mais l’explication selon laquelle l’octroi de la ciuitas procède de la générosité des Romains envers leurs partenaires paraît plus anachronique, voir infra.

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création et l’extension d’un modèle politique original que les Romains ont affirmé leur domination. Leur cité-État, d’une taille déjà remarquable au début de la République, crée dès le IVe siècle les formules juridiques de l’intégration de ses adversaires vaincus sur les champs de bataille, à travers l’extension de la citoyenneté et l’institution du municipe, puis grâce à la relance de la colonisation sous sa seule autorité – même si cette dernière se traduit surtout par la création de cités que l’on peut considérer en fait comme alliées de Rome, les colonies latines5. Or, ces formules, qui assurent déjà sa transformation en État territorial en Italie, sont d’abord des instruments formidables de mobilisation des ressources militaires des communautés intégrées ou créées, qui sont ainsi placées sous sa seule autorité. Elles lui procurent des moyens militaires sans équivalent dans le cadre de la lutte pour l’hégémonie dans laquelle elle est rapidement engagée, d’abord dans la péninsule italienne, ensuite en Méditerranée. En ce sens, l’extension exceptionnelle de la ciuitas Romana depuis le IVe siècle est un des éléments d’explication de l’expansion de l’Urbs, même si les conquêtes ultra-marines dans lesquelles elle se lance une fois sa domination établie en Italie signalent l’arrêt durable du processus, et nécessitent le recours à d’autres formules de gouvernement, dont le modèle n’est d’ailleurs pas encore bien en place à la fin du IIIe siècle6.

Cette rupture ne signifie pourtant pas un quelconque renoncement, de la part des Romains, à utiliser les ressources militaires de leurs ennemis vaincus, et ils peuvent recourir à d’autres instruments pour y parvenir. À vrai dire, malgré l’expérience première de l’alliance avec la Ligue latine, nouée au début Ve siècle et qui s’est soldée par sa dissolution en 338, ils ont toujours pu compter sur un réseau d’alliances militaires avec d’autres États, et n’ont pas hésité à l’étendre au-delà des frontières de la péninsule. La conquête de l’Italie constitue certes l’expérience essentielle sur ce point, puisqu’elle s’est accompagnée d’un élargissement exceptionnel du cercle des alliances conclues avec les cités et les peuples de la péninsule, autour d’un territoire romain qui, ayant atteint ses limites en Italie centrale dès le milieu du troisième siècle, est ainsi devenu le noyau central d’un système de domination beaucoup plus large7. Or, la participation de ces socii italiens à l’effort de guerre des Romains est aussi un

5 Sur ces questions, depuis les réflexions fondatrices de T. MOMMSEN et A. N. SHERWIN-WHITE, il faut citer en particulier M. HUMBERT, Municipium et civitas sine suffragio. L’organisation de la conquête romaine jusqu’à la guerre sociale, Rome, 1978 et D. KREMER, Ius latinum. Le concept de droit latin sous la République et l’Empire, Paris, 2006.

6 Cf. M. H. CRAWFORD, ‘Origini e sviluppi del sistema provinciale romano’, in G. CLEMENTE, F. COARELLI et E. GABBA dir., Storia di Roma, 2, L’Impero mediterraneo. 1, La Repubblica imperiale, Turin, 1990, pp. 91-121.

7 C’est-à-dire l’‘alliance italienne sous hégémonie romaine’ classiquement décrite par K. J. BELOCH, Der

Italische Bund unter Roms Hegemonie. Staatsrechtliche und statistische Forschungen, Leipzig, 1880 et P. FRACCARO, ‘L’organizzazione politica dell’Italia Romana’, Opuscula, , Pavie, 1956-1957, vol. 1, pp. 103-114, et dont on n’a cessé depuis d’approfondir les catégories.

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élément capital dans l’explication de la dynamique de leur expansion8. En continuité manifeste avec ces pratiques, leur intervention dans les premiers espaces extra-italiques comme la Sicile, l’Illyrie, l’Espagne, la Grèce ou encore l’Afrique, se traduit d’abord par l’association de leurs armes avec les cités, les peuples et les royaumes qu’ils y rencontrent. À la fin du IIIe siècle, et plus encore dans le contexte d’élargissement exceptionnel des alliances romaines à la faveur de ce conflit global qu’est la seconde guerre punique, l’alliance militaire avec des États qui ne sont pas intégrés à la ciuitas Romana constitue donc, tout autant peut-être que cette dernière, un des fondements essentiels de la puissance militaire d’une Rome en lutte pour l’hégémonie.

L’intégration des forces italiennes et extra-péninsulaires au dispositif militaire romain a déjà été largement étudiée. On a cherché en particulier à mettre en évidence les fondements juridiques de la mobilisation des premières, les modalités pratiques de leur association aux légions et enfin l’importance de leur contribution numérique à l’effort de guerre des Romains9. Ce processus d’intégration a été lui-même pensé dans la perspective plus large de l’unification de la péninsule autour de l’idée d’Italia et du processus de romanisation qui l’accompagne étroitement10. Pour les seconds, le thème est classiquement étudié dans la perspective de la mobilisation des forces auxiliaires provinciales, et il a donné lieu à presqu’autant d’études qu’il existe d’espaces différenciés de recrutement11. Or, ces travaux reposent pour beaucoup sur l’analyse d’une documentation qui n’est pas antérieure au IIe siècle, y compris d’ailleurs dans le cas des troupes italiennes pour lesquelles les reconstitutions relatives à la période antérieure sont souvent déduites des réalités que nous saisissons mieux pendant les guerres impérialistes de ce siècle. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elles procurent une vision assez instrumentale des relations d’alliance entre Rome et ses partenaires, ces derniers étant définitivement réduits à cette date au rang d’auxiliaires

8

Voir sur ce point par exemple les remarques de T. J. CORNELL, The Beginnings of Rome. Italy and Rome from the Bronze Age to the Punic wars (c. 1000 - 264 B.C.), Londres-New York, 1995, pp. 364-368.

9 Autour de l’interprétation de la fameuse formula togatorum, cf. V. ILARI, Gli Italici nelle strutture militari

romane, Milan, 1974, après P. BRUNT, Italian Manpower (225 B.C. – A.D. 14), Oxford, 1971.

10

Cf. H. GALSTERER, Herrschaft und Verwaltung in republikanischen Italien. Die Beziehungen Roms zu den italischen Gemeiden vom Latinerfrieden 338 v. Chr. bis zum Bundesgenossenkrieg 91 v. Chr., Munich, 1976 et J.-M. DAVID, La romanisation de l’Italie, Paris, 1997 pour ces problématiques.

11 Voir par exemple, pour les espaces qui intéressent plus particulièrement notre étude, J.-M. ROLDÁN HERVÁS, Los Hispanos en el ejército romano de época republicana, Salamanque, 1993 et C. HAMDOUNE, Les auxilia externa africains des armées romaines, IIIe siècle av. J.-C. – IVe siècle ap. J.-C., Montpellier, 1999. Il faut cependant signaler que J. R. W. PRAG réalise actuellement une synthèse sur les auxilia externa à l’époque républicaine, voir déjà ses contributions ‘Troops and commanders : auxilia externa under the Roman Republic’,

o(/rmoj – Quaderni di Storia Antica, n. s. 2, 2010, pp. 1-11 et ‘Provincial governors and auxiliary soldiers’, in N.

BARRANDON et F. KIRBIHLER éd., Les gouverneurs et les provinciaux sous la République romaine, Rennes, 2011, pp. 15-28.

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d’une puissance à laquelle ils sont contraints de fournir des troupes mais qui décide seule du processus de conquête auquel ils apportent ainsi leur contribution.

Il nous semble pourtant que, sans nier l’utilité militaire évidente de ces alliances pour les Romains ni même d’ailleurs contester l’étendue du contrôle qu’ils exercent dès avant le IIe siècle sur bon nombre d’entre elles, il est possible d’adopter une perspective quelque peu différente dans l’étude des relations qu’elles recouvrent. En dehors du fait que Rome s’est aussi associée à des puissances de même rang au cours de la longue histoire de son expansion, même si ces alliances sont souvent mal connues, les motifs de la mobilisation qui précède et entraîne l’intégration de la plupart de ses alliés dans les structures militaires et politiques de son Empire émergent méritent en effet d’être interrogés. Une telle approche peut d’ailleurs s’inspirer des révisions opérées quant au modèle classique d’une ciuitas Romana vouée dès le départ à une extension généreuse et universelle. Si les contemporains ont de bonnes raisons de s’étonner de l’élargissement exceptionnel de cette dernière et des ressources formidables qu’elle procure aux Romains, il n’est en effet pas certain que la logique du processus réponde à un programme pensé dès l’origine en ce sens. Et l’organisation hiérarchique des statuts qui permettent in fine d’y accéder ne procède peut-être pas d’emblée du projet délibéré de l’accorder libéralement, si tant est d’ailleurs qu’il ait existé une aspiration de l’obtenir chez les partenaires de Rome dès une date précoce12. Or, c’est cette interrogation nouvelle sur les intentions réelles des acteurs qui mérite d’être appliquée aussi au cercle des partenaires de Rome pour lesquels l’intégration civique est un scénario encore moins évident, leur désir de perdurer en tant qu’États autonomes malgré l’intensité des relations qu’ils entretiennent ne faisant guère de doute 13. Pour des alliés péninsulaires qui ne s’identifient encore sans doute qu’imparfaitement à une Italia dirigée par Rome, et plus encore pour ceux qui se trouvent au-delà des frontières de la péninsule, la question des motifs de la mobilisation militaire à ses côtés demeure donc posée14.

12

On peut renvoyer ici à l’importante réflexion historiographique de H. MOURITSEN, Italian Unification : a study in ancient and modern historiography, Londres, 1998 qui, dans la foulée des révisions déjà opérées sur certaines des institutions les plus importantes de ce mécanisme général d’intégration (ciuitas sine suffragio, ius migrandi…), a profondément remis en cause le modèle explicatif hérité de MOMMSEN et SHERWIN-WHITE. Voir aussi les contributions réunies dans M. JEHNE et R. PFEILSCHIFTER éd., Herrschaft ohne Integration ? : Rom und Italien in republikanischer Zeit, Verl. Antike, Francfort-sur-le- Main, 2006.

13 Y compris d’ailleurs du point de vue de Rome, voir en ce sens la remise en cause récente du modèle classique de l’intégration par l’armée chez R. PFEILSCHIFTER, ‘The Allies in the Republican Army and the Romanization of Italy’ in R. ROTH et J. KELLER, Roman by integration : dimensions of group identity in material culture and text, Portsmouth, 2007, pp. 27-42.

14 Sur la question d’Italia, voir le bilan de M. HUMM, ‘Le concept d’Italie : des premiers grecs à la réorganisation augustéenne’, in A. COLOMBO éd., Mémoires d’Italie. Identités, représentations, enjeux (Antiquités et Classicisme), 2010, pp. 36-66 et les précautions de W.V. HARRIS, ‘Quando e come l’Italia

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La manière même dont les Romains ont l’habitude de désigner le cercle des alliances militaires péninsulaires et extra-péninsulaires extérieures à leur ciuitas fournit une première piste d’analyse. En effet, ils utilisent ici le lexique de la societas, ce dernier terme appartenant lui-même à une famille de mots dérivant de socii15. Or, depuis les réflexions juridiques et taxinomiques de T. MOMMSEN et L. E. MATTHAEI, la notion a fait l’objet d’une étude systématique de M. WEGNER, qui, sur la base des attestations les plus anciennes de l’ensemble de ces termes et de leurs associations sémantiques, en a précisé définitivement les contours et le sens16. Il résulte de ses analyses que le terme de socii s’applique du point de vue romain aux ressortissants des communautés politiques non-romaines et même à ces communautés elles-mêmes, considérées d’abord dans le champ militaire17. Mais dans la mesure où il peut être utilisé également pour caractériser le peuple Romain lui-même au regard de ses partenaires, il renvoie essentiellement à une relation de réciprocité que l’on désigne par le terme de societas18. Celle-ci place les socii sur un pied d’égalité, et les associe dans une relation bilatérale autour d’un objectif qui est la défense face à l’ennemi commun. Elle implique en particulier une obligation d’assistance réciproque en cas de guerre qui les engage chacun en tant que communauté politique autonome19. Pour WEGNER, ces principes trouvent leur expression la plus claire dans la lettre des foedera d’alliance qui définissent

divenne per la prima volta Italia ? Un saggio sulla politica dell’indentità’, Studi storici, XLVIII, 2, 2007, pp. 301-332.

15

Cf. A. ÉRNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1959, p. 631.

16 Cf. T. MOMMSEN, Le Droit public romain, T. VI, 2, Paris, 1889, pp. 206sq et 269sq et L. E. MATTHAEI, ‘On the classification of Roman allies’, C.Q., I, 1907, pp. 186-206. M. WEGNER a soutenu une dissertation à l’université de philosophie de Tübingen sous la direction d’E. ZINN en 1968, consacrée à la notion de societas qu’il a étudiée à la fois du point de vue étymologique et sémantique et dans toutes ses acceptions, de la sphère de la vie active à celle des relations internationales, et dont il a repris les résultats dans ses Untersuchungen zu den lateinischen Begriffen socius und societas, Göttingen, 1969. Seule la dimension internationale nous intéresse et elle fait l’objet des pp. 72-104 de l’ouvrage, consacrées à l’étude respective de socii et societas et de la formule ‘socii ac nomen Latinum’. Il faut enfin ajouter qu’il a pu utiliser pour ce travail les fiches du Thesaurus Linguae Latinae relatives à cette famille de mots, fiches non encore publiées à ce jour. Dans les développements qui suivent, nous nous contentons de renvoyer aux analyses de Wegner, une grande partie des passages et des inscriptions qu’il mobilise faisant l’objet d’un commentaire plus approfondi dans notre ouvrage. Signalons également les révisions des théories précédentes déjà proposées par H. HORN, Foederati. Untersuchungen zur geschichte ihrer Rechtsstellung im Zeitalter der römischen Republik und der frühen Prinzipats, Francfort, 1930, ainsi que l’œuvre parallèle de W. DAHLHEIM, Struktur und Entwicklung des römischen Völkerrechts im dritten und zweiten Jahrhundert v. Chr., Munich, 1968.

17

Cf. WEGNER, op. cit., p. 72sq, utilisant ici surtout les attestations littéraires et épigraphiques les plus anciennes et le corpus livien.

18 Cf. WEGNER, op. cit., p. 82sq, basant sa démonstration sur les témoignages épigraphiques.

19 Cf. WEGNER, op. cit., p. 83sq. Pour le savant, cette conception paritaire, défensive et réciproque de la relation découle de l’idée des Anciens que la guerre est d’abord entreprise aut pro fide aut pro salute, cf. Cic., rep., III, 34. Il est vrai que l’importance que le savant allemand attache à la dimension initiale d’égalité a pu être critiquée, notamment du point de vue étymologique, cf. J. HELLEGOUARC’H, Latomus, XXVIII, 1969, pp. 743-744, qui persiste à rapprocher socius de sequor (malgré ÉRNOUT-MEILLET) pour montrer que le rapport de societas comporte également une dimension de dépendance.

(15)

formellement ces obligations20. Avec l’affirmation de l’hégémonie romaine cependant, le sens initial des termes tend à se perdre, et ils finissent par qualifier la position de l’ensemble des partenaires de Rome qui, liés ou non par un traité, sont réunis dans une communauté d’intérêt dont il revient à cette dernière d’assumer la défense21.

Le travail du savant allemand a permis ainsi de restituer le sens initial de la notion de

societas et de lui assigner plus précisément sa place dans l’ordre des concepts latins relatifs

aux relations internationales. S’il faut renoncer, en effet, aux classifications juridiques quelque peu rigides qui prétendent organiser les cercles des relations extérieures de Rome en catégories étanches, la dimension militaire distingue cependant bien la societas de l’amicitia, qui se limite elle à la simple neutralité22. En fait, la societas inclut l’amicitia, mais elle contient une obligation militaire qui n’est pas consubstantielle à cette dernière, et dont les Latins désignent l’accomplissement par le terme d’auxilium23. Éventuellement établie, mais pas nécessairement, par cet instrument diplomatique qu’est le foedus, elle définit donc spécifiquement le contenu d’une relation par laquelle la ciuitas Romana se constitue un premier cercle de partenaires militaires24. Le système de relations ainsi défini correspond d’ailleurs assez étroitement à celui des Grecs, pour lesquels l’alliance militaire est identifiée comme summaxi/a. La remarque est d’importance puisque bien des relations que les Romains concluent avec leurs partenaires nous sont d’abord connues par les témoignages épigraphiques et littéraires grecs25. Or, la summaxi/a, qui peut être également définie par un traité (sunqh=kai

20

Cf. WEGNER, op. cit., p. 87sq.

21 Cf. WEGNER, op. cit., p. 88sq, mobilisant surtout ici le corpus cicéronien. Voir déjà sur ce point les remarques de HORN, op. cit., p. 11 sur l’association des ciues et des socii dans la communauté d’intérêt de l’Empire romain, par opposition aux hostes.

22

MOMMSEN, op. cit., distinguait en effet nettement les socii italiques, les socii amicique et les amici, avant que MATTHAEI, art. cit., ne simplifie sa typologie en distinguant seulement socii et amici, désignés également socii amicique. Sur ce dernier point, il nous semble cependant que, conformément à l’hypothèse initiale de MOMMSEN et pour des raisons indiquées infra, les socii amicique doivent davantage être considérés comme des socii, la relation militaire étant essentielle à la définition de ce qu’il faut moins considérer comme un statut que comme un titre. Sur l’amitié, voir dernièrement P. J. BURTON, Friendship and Empire. Roman Diplomacy and Imperialism in the Middle Republic (353-146 BC), Cambridge, 2011, dont nous n’avons malheureusement pu prendre connaissance que peu de temps avant d’écrire ces lignes.

23

Cf. Plaute, Cist., 199-202. Le terme finit par désigner, sous la forme auxilia, les contingents des peuples ‘étrangers’, c’est-à-dire extérieurs à l’Italie, cf. Festus, 16 L et Varr., LL, V, 90.

24 Sur le caractère non nécessaire du traité, cf. J.-L. FERRARY, ‘Traités et domination romaine dans le monde hellénique’ in L. CANFORA, M. LIVERANI et C. ZACCAGNINI éd., I trattati nel mondo antico. Forma, ideologia, funzione, Rome, 1990, pp. 217-235.

25 Cf. WEGNER, op. cit. et l’étude d’E. LÉVY, ‘Le vocabulaire de l’alliance chez Polybe’, in É. FREZOULS et A. JACQUEMIN éd., Les Relations internationales, Paris, 1995, pp. 385-409. Sur le lexique et les concepts diplomatiques grecs, cf. A. GIOVANNINI, Les relations entre les États dans la Grèce antique, du temps d’Homère à l’intervention romaine (ca. 700-200 av. J.-C.), Stuttgart, 2007, pp. 224-31.

(16)

/ o)/rkoi), se situe de la même manière à la périphérie de la sumpolitei/a, implique la fili/a et repose également sur la prestation de la bohqei/a26

.

On peut se demander dans quelle mesure le concept de societas ainsi défini sur la base de l’enquête sémantique et du rapprochement avec les catégories grecques ne permet pas de pénétrer les représentations que les Romains et leurs alliés se font de leur relation, au moins jusqu’à l’affirmation définitive de l’hégémonie des premiers au terme de la seconde guerre punique, et ce, même si son lexique n’est vraiment attesté dans les sources littéraires et épigraphiques qu’à partir de cette date. Les idéaux qu’il véhicule semblent en effet s’articuler harmonieusement avec le modèle du foedus Cassianum, qui est le premier traité d’alliance militaire conclu par la République au début du Ve siècle, et que l’on retrouve ensuite de manière éclatante dans les traités épigraphiques d’Orient à partir du IIe siècle, dont la liste n’a d’ailleurs cessé de s’allonger au gré des découvertes du XXe siècle27. Or, la continuité exceptionnelle de ce modèle, s’il ne suffit évidemment pas à fournir la cadre d’explication nécessaire à la formation de toutes les alliances que les Romains concluent en Italie et au-delà, est un élément qui plaide a priori pour la persistance générale des représentations d’une

societas idéalement paritaire. Les Romains, au demeurant, conservent longtemps le souvenir

de la relation de réciprocité qu’elle implique, même s’ils la conçoivent assez vite de manière inégale. Encore au Ier siècle avant J.-C. en effet, ils font de la protection de leurs alliés un des motifs essentiels de l’histoire de leurs guerres et de la constitution de leur Empire, tandis qu’ils n’oublient pas tout à fait la contribution militaire de leurs alliés italiques à celles-ci28.

Aussi l’objectif de cette étude est-il justement de tenter de comprendre comment les deux parties, romaines et alliées, vivent et conçoivent leurs relations de societas avant que l’affirmation définitive de l’hégémonie de la première en Méditerranée ne lui permette d’imposer son interprétation à ce sujet. La conclusion du foedus Cassianum, qu’on vient

26 Bien qu’il n’y ait semble-t-il pas de parenté étymologique entre les familles de socius et su/mmaxoj (cf. ÉRNOUT-MEILLET, op. cit.), le fait de la traduction d’un terme par l’autre est largement attesté, en particulier par l’épigraphie (cf. WEGNER, op. cit., p. 80sq), et, malgré les nuances qui distinguent les deux concepts de societas et de summaxi/a (notamment le fait que celui-ci puisse désigner, par différence avec son équivalent latin, une organisation ‘inclusive’, cf. LÉVY, art. cit., p. 401sq), la logique des systèmes de concepts dans lesquels ils s’insèrent est assez comparable : ei)rh/nh < fili/a < summaxi/a < sumpolitei/a (cf. LÉVY, art. cit., p. 397) = pax < amicitia < societas < ciuitas.

27

Cf. D.H., VI, 95, 2 pour le premier. Sur les seconds, il faut citer par exemple la publication du traité des Lyciens récemment découvert, cf. S. MITCHELL, ‘The Treaty between Rome and Lycia (MS 2070)’, in R. PINTAUDI éd., Papyri Graecae Schøyen, Florence, 2005, pp. 163-259, et signaler les travaux du programme de recherche animé par J.-L. FERRARY et A. AVRAM sur ‘Les traités entre Rome et les communautés hellénistiques (IIIe s. av. – Ier s. ap. J.-C.)’.

28 Cic., Off., II, 26 a donné la formulation classique de la première idée (tout en déplorant d’ailleurs ensuite que les Romains en aient ensuite trahi les principes), voir aussi Cic., Imp. Pomp., 6 et 14, mais elle est déjà présente chez Sall., Cat., VI, 5. Quant à la seconde, on la trouve en particulier dans la Rhétorique à Herennius., IV, 9, 13 à propos des événements de la guerre sociale, voir aussi App., B.C., I, XXXIX, 176.

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d’évoquer, constitue un bon point de départ dans une telle démarche, dans la mesure où elle sanctionne une redéfinition durable de la politique extérieure romaine par le tout nouveau régime qui vient d’être instauré, dans un contexte initialement défensif. L’élargissement continu de son système d’alliances pendant les trois siècles qui suivent, à travers l’épreuve des luttes incessantes contre les adversaires qu’il rencontre, en Italie puis dans les territoires extra-péninsulaires, constitue par conséquent l’objet essentiel de l’enquête : la totalité des alliances que Rome conclut pendant cette longue période avec les cités et peuples d’Italie, y compris les colonies latines, mais aussi les autres communautés de Méditerranée occidentale et même orientale, doivent être considérés29. Si on peut l’arrêter à l’extrême fin du IIIe siècle, c’est que la victoire de Rome sur Carthage met un terme à un conflit majeur qui a durement mis à l’épreuve ce système de relations, et marque le point de départ de son expansion accélérée en Occident et en Orient au IIe siècle. Or, la dimension diplomatique de cette dernière a été déjà largement étudiée, tandis que l’on voit apparaître alors les formes d’intégration des troupes alliées dans l’armée romaine qui fondent l’histoire également bien connue de leur contribution militaire30.

Cette délimitation chronologique soulève cependant une difficulté majeure, celle de la documentation. Celle-ci est constituée essentiellement par les sources littéraires qui rapportent l’histoire de la conquête romaine. En matière de traité en particulier, et à la différence de la période qui suit, on ne dispose que d’un témoignage de première main, l’immense majorité des accords nous étant connue par les citations ou les commentaires souvent trop succincts des auteurs anciens31. Aussi la détermination des conditions dans lesquelles se forme l’alliance et sont définies les obligations qu’elle implique reste une entreprise délicate, alors même que ce moment revêt une importance cardinale pour comprendre les conceptions que s’en font les parties. Si l’utilisation des témoignages épigraphiques postérieurs ne doit pas être

29

Les colons latins sont en effet également désignés comme socii. On exclut en revanche les municipes sine suffragio qui, s’ils sont parfois aussi désignés comme socii par un auteur comme Tite-Live, sont des ciues Romani, et ce même si la définition exacte de leur statut suscite parfois encore des interrogations, cf. H. MOURITSEN, ‘The civitas sine suffragio : ancient concepts and modern ideology’, Historia, LVI, 2, 2007, pp. 141-158.

30 Sur la première dimension, on signalera en particulier E. S. GRUEN, The Hellenistic World and the Coming of

Rome, Berkeley-Londres, 1984 et J.-L. FERRARY, Philhellénisme et impérialisme. Aspects idéologiques de la conquête romaine du monde hellénistique, Rome, 1988 pour l’Orient, et, dans une perspective différente, S. L. DYSON, The Creation of the Roman Frontier, Princeton, 1985 sur l’Occident. Pour l’intégration des contingents alliés à l’armée romaine, voir les références indiquées supra.

31 Il s’agit justement du traité des Étoliens, connu de manière fragmentaire grâce à l’inscription de Tyrrhéion, cf. IG, IX², 2, 241. Une grande partie de ces témoignages est rassemblée dans la collection des Staatsverträge (= StV), qui réunit bon nombre d’accord conclus dans le monde antique : le volume II, sous la direction d’H. BENGSTON, couvre une période qui va jusqu’en 338 (Die Staatsverträge des Altertums, II : Die Verträge der griechisch-römischen Welt, von 700 bis 338 v. Chr., Munich-Berlin, 1962), et le III, édité par H. H. SCHMITT, traite de la suivante, jusqu’à la fin du IIIe siècle (Die Staatsverträge des Altertums, III : Die Verträge der griechisch-römischen Welt, von 338 bis 200 v. Chr., Beck, Munich, 1969).

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exclue afin de pallier l’absence quasi-totale d’inscriptions, à condition d’être conduite avec beaucoup de précautions de méthode, l’essentiel de la reconstitution repose donc sur les sources littéraires32. On peut compter ici sur les annales et les récits des principaux historiens anciens, comme Polybe, Tite-Live ou Denys d’Halicarnasse, qui fournissent l’essentiel de l’information sur la diplomatie et l’expansion de Rome en Italie et en Méditerranée33. S’il est difficile de remonter aux ouvrages qui les précèdent et sont souvent à leur source, en raison de leur caractère très fragmentaire, leurs œuvres peuvent cependant être complétées par celles d’historiens plus tardifs, parfois riches de traditions alternatives, ainsi que par d’autres types d’ouvrages, en particulier antiquaires et rhétoriques, qui livrent ponctuellement des informations utiles à la reconstitution des institutions et des représentations qui fondent la relation d’alliance34.

Dans tous les cas cependant, il s’agit de témoignages qui sont rédigés à une époque postérieure aux faits, parfois de plusieurs siècles. Aussi l’interprétation que leurs auteurs en proposent se ressent-elle souvent des conceptions de leur temps, et le problème devient très délicat lorsqu’on cherche à reconstituer les relations qui unissent les Romains à des partenaires dont les statuts ont souvent profondément changé depuis, et qui sont de toute façon désormais tous considérés comme des sujets, s’ils ne sont pas devenus partie intégrante de leur cité. On ne saurait cependant minimiser la valeur de ces sources. Ces auteurs, en effet, utilisent eux-mêmes des sources plus proches des faits, et ils ont aussi recours aux archives officielles de l’État romain. Cela ne permet certes pas toujours de cerner les motivations exactes de ses alliés, mais fournit cependant des éléments indispensables à la reconstitution des conceptions de l’ensemble des acteurs dans le contexte considéré, en particulier dans le champ diplomatique. Surtout, dans le détail de leur récit, ils nous renseignent sur la réalité de la collaboration militaire concrète sur laquelle débouche l’alliance et qui met en quelque sorte à l’épreuve ces représentations. Enfin, la confrontation des traditions parfois contradictoires

32 En matière épigraphique, on pourra donc utiliser ponctuellement les Roman Statutes, 2 vol., Londres, 1996, dirigés par M. H. CRAWFORD, ainsi que les Roman Documents from the Greek East, Baltimore, 1967, de R. K. SHERK (= RDGE).

33 Les première et troisième décades conservées de l’Ab Urbe condita de Tite-Live permettent en effet de couvrir les Ve et IVe siècles, ainsi que le début et la fin du IIIe siècle ; les livres conservés des Antiquités Romaines de Denys d’Halicarnasse complètent utilement la première pour la première moitié du Ve siècle ; et les quinze premiers livres des Histoires de Polybe, quoiqu’inégalement conservés, fournissent une information de grande qualité pour une bonne partie du IIIe siècle. La Bibliothèque Historique de Diodore peut parfois aussi être mobilisée, surtout pour ce dernier siècle, mais elle est alors malheureusement très fragmentaire.

34 On pense ici à un certain nombre de livres d’Appien, à l’Histoire romaine de Dion Cassius qui ne nous est souvent connue que par Zonaras, ainsi qu’à d’autres compilateurs tardifs des traditions annalistiques. Une grande variété d’ouvrages latins et grecs peut être mobilisée sur ces thèmes, littéraires, géographiques ou encore antiquaires, et il faut signaler le corpus cicéronien qui fournit parfois des informations précieuses. Enfin, la tradition annalistique romaine dont bon nombre de ces auteurs s’inspirent est désormais commodément rassemblée dans l’édition de M. CHASSIGNET (L’annalistique romaine, T. I-III, Paris, 1999-2004).

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qu’elles livrent au sujet des événements permet dans une certaine mesure de remonter jusqu’aux débats qui ont animé ces relations entre Rome et ses alliés. Cela peut ainsi aider à faire la part des faits, des interprétations différentes qu’en font les acteurs sur le moment, et de la propagande que les Romains imposent finalement à leur sujet. Sur ce dernier aspect d’ailleurs, on peut aussi mobiliser, à partir du IVe siècle et de manière très ponctuelle, un certain nombre de témoignages numismatiques qui revêtent une dimension idéologique évidente35.

C’est donc l’ensemble de ce corpus documentaire qui fournit les informations nécessaires à la conduite d’une enquête sur les pratiques et les représentations de la societas qui unit Rome et ses alliés pendant ces trois siècles de lutte. Ce qu’il s’agit avant tout de cerner, c’est l’idée que se font les parties de leur association et des motifs qui justifient à leurs yeux la mobilisation commune, ainsi que la manière dont ces représentations informent les pratiques qui accompagnent l’établissement de l’alliance et la mise en œuvre de la collaboration qu’elle organise. Par collaboration, on entend surtout l’association concrète des armes des communautés engagées au combat, quoique d’autres formes de collaboration puissent être envisagées36. C’est en effet à travers celle-ci que s’éprouvent particulièrement les idéaux que les Romains et leurs alliés associent à l’alliance. La guerre définie comme commune en effet, à travers la définition négociée de ses objectifs, des modalités de sa conduite comme du partage de ses bénéfices, est un révélateur puissant de la manière dont les parties entendent leur association, leurs affrontements sur ces sujets montrant aussi quels malentendus peuvent générer les interprétations différentes qu’ils en proposent à partir de représentations pourtant partagées. Dans quelle mesure Rome et ses alliés conforment-ils leurs comportements aux codes et aux représentations associés à la societas ? Que représentent les idéaux que celle-ci véhicule aux yeux d’une puissance en lutte pour l’hégémonie d’un côté, et, de l’autre, des partenaires dont une part toujours croissante peut mesurer, au gré de cette ascension, la disproportion du rapport de forces dans lequel elle se trouve rapidement avec elle ?

35 On utilisera ici en particulier le Roman Republican Coinage, 2 vol., Cambridge, 1974 de M. H. CRAWFORD (= RRC).

36

Par exemple la prestation d’argent, de vivres ou même de combattants à titre individuel, ou encore le simple droit de passage accordé à l’armée du partenaire, qui, s’ils sont décrits par les traités d’alliances comme des actes avérés d’hostilité lorsqu’ils profitent aux ennemis, peuvent être considérés par contraste comme des témoignages évidents de solidarité. BURTON, op. cit., p. 172sq considère qu’avec la fourniture de troupes, de telles prestations participent des beneficia dont les amici de Rome lui font profiter, mais il nous semble qu’il faut relever l’importance particulière que revêt la première dans l’accomplissement d’une relation de societas qui va en ce sens beaucoup plus loin qu’une simple amicitia. C’est la raison pour laquelle les alliances identifiées dans l’Annexe 1 le sont sur la base d’une association effective des armes entre Rome et les alliés considérés, que celle-ci soit fixée par un traité ou attestée ultérieurement par les sources.

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Pour répondre à ces questions, on se propose de conduire l’enquête en deux temps. La relation d’alliance doit d’abord être envisagée dans ses dimensions politiques et diplomatiques. Son établissement, avec la détermination des conditions dans lesquelles il intervient (chapitre I) et la définition de l’accord qui le sanctionne (chapitre II), attirera plus particulièrement l’attention. Il se trouve en effet que ce moment nous est assez bien connu d’une part, et que, d’autre part, il revêt une signification essentielle pour une relation dont le contenu repose d’abord sur la définition des obligations incombant à chaque partie. On prolongera cependant aussi cette étude à travers l’examen des manifestations symboliques qui perpétuent d’une certaine manière cette étape initiale, et dont la documentation laisse également entrevoir certaines dimensions dans la sphère diplomatique (chapitre III). Le modèle de relation ainsi défini doit ensuite être mis à l’épreuve des faits par l’examen diachronique de son développement et surtout de son extension tout au long de la conquête romaine. Le problème est alors de comprendre quelle justification est donnée à la mobilisation commune, et quels débats celle-ci génère entre Rome et ses alliés. C’est ce que l’on se propose de faire dans un deuxième temps, en analysant d’abord le fonctionnement du premier système d’alliances de la République, avec le foedus Cassianum, du début du Ve au milieu du IVe siècle avant J.-C. (chapitre IV) ; la transformation et l’extension de son réseau d’alliances qu’implique l’expansion dans laquelle elle s’engage ensuite, dans la péninsule italienne puis au-delà de ses frontières au IIIe siècle (chapitre V) ; sa mise à l’épreuve décisive et son élargissement méditerranéen avec la seconde guerre punique qui clôt ce siècle enfin (chapitre VI).

Les annexes, rassemblées dans le deuxième tome de l’ouvrage, complètent cette enquête en dressant un bilan des informations utiles à la compréhension des nombreuses alliances militaires que Rome conclut pendant ces trois siècles de conquête. On y trouvera d’abord la liste de ces accords considérés dans la perspective de leur établissement (Annexe 1) ; une collection de textes permettant de cerner plus précisément le contenu des clauses des traités qui les définissent (Annexe 2) ; un bilan des informations relatives à la fondation des colonies latines qui constitue une forme originale d’établissement de l’alliance militaire (Annexe 3) ; et enfin le rassemblement des données disponibles sur la mobilisation et l’engagement des contingents italiques au cours de la seconde guerre punique qui, par leur relative abondance, nécessitent en effet une présentation à part afin de ne pas surcharger l’appareil de références du chapitre VI (Annexe 4).

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PREMIÈRE PARTIE : LE MODÈLE POLITIQUE ET

DIPLOMATIQUE D’UNE RELATION

Liv., XXXIV, 57, 7-9 : « Esse autem tria genera foederum, quibus inter se paciscerentur amicitias ciuitates regesque : unum, cum bello uictis dicerentur leges ; ubi enim omnia ei qui armis plus posset dedita essent, quae ex iis habere uictos quibus multari eos uelit, ipsius ius atque arbitrium esse ; alterum, cum pares bello aequo foedere in pacem atque amicitiam venirent ; tunc enim repeti reddique per conuentionem res et, si quarum turbata possessio sit, eas aut ex formula iuris antiqui aut ex partis utriusque commodo componi ; tertium esse genus cum, qui numquam hostes fuerint, ad amicitiam sociali foedere inter se iungendam coeant ; eos neque dicere neque accipere leges ; id enim uictoris et uicti esse ». (Discours de Ménippe, ambassadeur d’Antiochus III, devant le Sénat, 193).

Le discours dans lequel l’ambassadeur séleucide expose sa fameuse typologie des

foedera est un des textes classiques de l’histoire du Völkerrecht romain37. Il est vrai qu’il résume commodément l’ensemble des scénarios qui président à la conclusion d’un accord international dans un monde dominé par la guerre et la lutte pour l’hégémonie : l’aveu clair de sa défaite par l’un des deux États, qui, à travers la deditio, laisse son vainqueur imposer ses conditions ; l’indécision de la bataille qui les conduit tous deux à une composition nécessaire et réglée ; et la négociation paritaire de deux États qui n’entretenaient pas jusque-là de

37 « Or les traités conclus avec des cités ou des rois étaient de trois sortes. Dans la première, les conditions

étaient imposées après une défaite militaire : une fois que tout avait été livré à celui qui avait gagné par les armes, celui-ci était en droit de décider en toute liberté ce qu’il laissait aux vaincus ou ce qu’il souhaitait réclamer à titre de représailles. Dans la deuxième, des adversaires de même force à la guerre en venaient à faire la paix et à nouer des liens d’amitié par un traité d’égal à égal : les réclamations et la restitution des biens étaient reglémentées par une convention ; pour les biens qui avaient souffert pendant la guerre, on se référait à une situation antérieure faisant jurisprudence ou on réglait le litige à l’amiable. Dans la troisième, deux peuples qui n’avaient jamais été ennemis décidaient de nouer une amitié par un traité d’alliance entre eux : ils ne dictaient pas de conditions ni n’en recevaient, situation qui n’existait que lorsqu’il y avait un vainqueur et un vaincu ». Depuis au moins E. TAÜBLER, Imperium Romanum. Studien zur Entwicklungsgeschichte des römischen Reichs, I : Die Staatsverträge und Vertragsverhältnisse, Leipzig, 1913, pp. 2-3, qui lui adjoint en particulier le commentaire d’une citation fameuse de Proculus (Dig., XLIX, 15, 7, 1), la romanistique s’est en effet beaucoup servi de ce passage pour tenter de restituer les catégories juridiques du Völkerrecht en vigueur à l’époque de l’expansion. Voir, entre autres, les analyses de A. N. SHERWIN-WHITE, The Roman citizenship, Oxford, 1973, p. 121, et dernièrement E. GARCÍA RIAZA, Celtíberos y lusitanos frente a Roma : diplomacia y derecho de guerra, Vitoria, 2002, pp. 132-136.

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relations hostiles38. Les distinctions de Ménippe paraissent même d’autant plus utiles à l’analyse des modes de conclusion des alliances militaires qu’en faisant du foedus sociale le plus honorable des trois types de traités – et donc le seul auquel prétendre son maître –, il semble refuser aux deux autres la qualification solennelle de l’amicitia societasque39. À s’en tenir à la rigueur de ses distinctions, la societas ne procéderait donc que de la démarche de deux États qui n’ont jamais connu l’affrontement armé et qui se reconnaissent d’emblée comme des partenaires de même rang40.

Il faut pourtant rappeler que Ménippe, dans un passage d’origine vraisemblablement polybienne, parle, tout autant que la langue clinique de la froide analyse géopolitique chère à l’historien mégalopolitain, celle d’une diplomatie soucieuse de défendre la cause de son maître séleucide41. Celui-ci est en effet engagé, depuis la fin de la seconde guerre de Macédoine, dans une véritable ‘guerre froide’ avec une Rome qui prétend maintenant libérer toutes les cités grecques, et cherche donc à obtenir du Sénat la reconnaissance de sa suzeraineté sur les cités d’Asie et d’Europe42. Aussi la valorisation de la societas et l’accent mis sur la paix censée régner dans ses relations avec Rome servent-ils ses intentions : demander l’amicitia societasque, c’est solliciter la forme de reconnaissance la plus prestigieuse qui soit auprès des Romains. D’autre part, le fait que celui-ci ait toujours entretenu des relations pacifiques avec les Romains, à la différence de Philippe V de Macédoine, auquel ils ont accordé leur alliance après lui avoir fait la guerre, semble plaider naturellement pour un traitement d’autant plus généreux de leur part43. La rhétorique de l’ambassadeur a donc pour but de placer l’échange diplomatique sous les auspices d’un dialogue parfaitement paritaire : celui qui doit unir les deux plus grandes puissances du temps

38 La deditio, c’est-à-dire une reddition inconditionnelle par laquelle la partie vaincue s’en remet à la fides du vainqueur, ainsi que le foedus, le ‘traité’ moderne, seront plus précisément définis, y compris dans leur articulation infra chap II. On peut cependant renvoyer dès maintenant aux définitions synthétiques d’E. BADIAN, ‘Deditio’, DNP, III, 1997, col. 361 et H. GALSTERER, ‘Foedus’, DNP, IV, 1998, coll. 580-581. 39 Que le Séleucide aspire à cette seule forme de relation ressort du début de son discours d’après Liv., XXXIV, 57, 6 : « Menippus et Hegesianax principes regiae legationis erant. Ex iis Menippus ignorare se dixit quidnam perplexi sua legatio haberet, cum simpliciter ad amicitiam petendam iungendam societatem uenissent… ». Voir également, dans le même sens Diod., XXVIII, 15 et App., Syr., VI, 23-24.

40 De manière révélatrice, dans son compte-rendu plus condensé de l’épisode, Diod., XXVIII, 15 simplifie la typologie en la réduisant à une opposition tranchée entre négociation de l’amitié entre égaux et imposition des conditions par le vainqueur.

41 Cf. J. BRISCOE, A Commentary on Livy, Books XXXIV-XXXVII, Oxford, 1981, pp. 137-139 pour Polybe comme source commune aux passages de Diodore, Tite-Live et Appien.

42

Cf. E. WILL, Histoire politique du monde hellénistique. Tome 2, Des avènements d’Antiochos III et de Philippe V à la fin des Lagides, Paris, 2003, p. 195sq.

43 C’est, après le constat que fait Ménippe de ce que son roi peut prétendre au troisième type de foedus (Liv., XXXIV, 57, 10), le sens de sa conclusion § 11 : « Cum Philippo enim hoste pacem, non cum Antiocho amico societatis foedus ita sanciendum esse ».

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dans la reconnaissance réciproque de leurs sphères d’influence respectives, et manifester leur entente par la proclamation solennelle de leur amicitia societasque.

Si on ne peut donc utiliser les distinctions de Ménippe pour construire une typologie rigide des scénarios dans lesquels chaque type de foedus doit être conclu, c’est que la négociation et la formalisation d’un traité ne se résument jamais tout à fait à la traduction mécanique d’un rapport de forces dans sa seule lettre, mais répondent toujours aux stratégies différenciées des acteurs. Les réalités changeantes de l’équilibre géopolitique dans lequel ils sont engagés, leurs motivations, mais aussi leur capacité de négociation diplomatique dessinent en fait un champ dans lequel peuvent se nouer une grande variété d’accords. Et cela se vérifie non seulement dans l’hypothèse d’un premier contact entre Rome et ses partenaires, mais aussi au terme d’un affrontement armé : que celui-ci ne se solde par la victoire nette d’aucune des parties, ou dans le cas inverse. De fait, la réalité la plus marquante des trois siècles de conquête qui précèdent la demande du Séleucide réside sans doute bien davantage dans l’imposition fréquente, par une République victorieuse, des conditions de son alliance militaire à des adversaires défaits. Mais même dans ce processus par lequel les Romains, avec une facilité presque étonnante, font de leur anciens ennemis les auxiliaires futurs de leur expansion, et parce qu’il est justement question de la préservation de leur capacité militaire, même diminuée, il reste toujours une part pour la négociation et le jeu de la reconnaissance réciproque.

L’enseignement essentiel de l’argumentation de Ménippe ne porte donc peut-être pas tant sur les conditions de conclusion de la societas, que sur l’idéal qu’on lui associe traditionnellement : il en fixe comme l’horizon, marqué par la parité et la réciprocité44. En ce sens, il nous livre des indications précieuses pour l’étude de l’esprit qui anime une relation dont le foedus sociale est certes la traduction formelle la plus claire, mais pas l’unique instrument. Surtout, il se situe en fait dans un champ bien plus vaste que celui qu’esquisse la seule lettre du bronze des traités. Cet esprit, l’idéal qui le guide et les valeurs sur lesquelles il se fonde, on peut l’appréhender à travers le cheminement diplomatique, institutionnel et symbolique par lequel Rome s’associe de nouveaux partenaires militaires, mais fait aussi vivre la relation qui les unit désormais. Le face-à-face initial, les enjeux matériels et

44 On peut d’ailleurs utilement comparer la démarche du Séleucide à celle de Pyrrhos presqu’un siècle plus tôt, lorsque, ayant défait les Romains, ils leur proposent aussi l’amicitia societasque (cf. Plut., Pyrr., XIX, 5 ; App., Sam., X, 2-3 ; Zon., VIII, 4, 10 ; voir aussi D.H., XIX, fr. P Pittia et Plut., Pyrr., XVIII, 6 ; Suet., Tib., 2). Quelles que soient l’authenticité de la proposition, et sa sincérité si elle émane réellement de Pyrrhus (sur ces questions, voir nos analyses infra), il est remarquable qu’elle soit formulée de cette manière : dans cette lutte agonistique qu’est la guerre pyrrhique, la reconnaissance réciproque de l’égalité des combattants engagés dans la lutte pour l’hégémonie doit passer par l’attribution d’un tel titre.

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symboliques de la négociation, la discussion formelle des clauses de l’alliance, mais aussi les paroles et les gestes qui accompagnent les échanges diplomatiques qui découlent de cette relation, telles sont donc les dimensions multiples de ce champ à l’étude duquel il faut s’atteler.

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CHAP. I : LES CONDITIONS POLITIQUES DE L’ALLIANCE

MILITAIRE

Rome, lorsqu’elle voit s’établir durablement le régime républicain au terme des troubles de la fin du VIe siècle av. J.-C., est déjà forte d’un modèle politique original. Les rois étrusques y ont jeté les premiers fondements d’une organisation politico-militaire de son corps civique, et l’ont définitivement dotée d’une masse démographique et d’une assise territoriale qui la placent aux premiers rangs des États de l’Italie centrale45. C’est cet héritage que la République transforme à travers l’affirmation de son modèle civique, en particulier avec l’établissement définitif de sa constitution censitaire à la fin du IVe siècle46. De celle-ci les Romains aiment à faire le principe central de l’organisation de leur cité, au moment où elle s’érige au rang de puissance hégémonique dans le monde méditerranéen. Il est vrai qu’en faisant peser les charges de sa défense sur les meilleurs citoyens, et en leur confiant en même temps le véritable pouvoir de décision, la constitution timocratique peut apparaître comme celle qui manifeste au plus haut point la volonté de la cité classique de donner au corps civique la maîtrise de ses destinées47. C’est cet idéal qui, faisant de la communauté civique la vraie responsable de sa politique extérieure, mais aussi de sa capacité militaire dans la mesure où celle-ci est d’abord fondée sur sa mobilisation, dessine comme l’horizon mental dans lequel se déploie initialement la diplomatie militaire de Rome.

Par ‘diplomatie militaire’, on entend l’activité par laquelle les Romains négocient l’association des armes avec d’autres cités et peuples, et que l’on prétend isoler du champ plus

45 L’importance de cet héritage étrusque n’a cessé d’être confirmée depuis les conclusions de K. J. BELOCH, reprises par A. J. TOYNBEE, Hannibal’s Legacy : the Hannibalic war’s effects on Roman life, vol. 1, London-New York, 1965, p. 115sq : voir désormais T. J. CORNELL, ‘Rome and Latium’, in CAH², 1989, p. 245sq pour les dimensions de l’Urbs et C. AMPOLO, ‘La città riformata e l’organizzazione centuriata. Lo spazio, il tempo, il sacro nella nuova realtà urbana’, in A. MOMIGLIANO et A. SCHIAVONE dir., Storia di Roma, 1, Roma in Italia, Turin, 1988, pp. 203-239, e. p. pp. 218-231 pour son organisation politique servienne.

46

Voir désormais sur ce point M. HUMM, Appius Claudius Caecus : la République accomplie, Rome, 2005, pour la mise en place définitive du modèle politique censitaire, sous l’influence du pythagorisme magno-grec. 47 Les Grecs identifient Rome comme une po/lij depuis les débuts du IVe siècle (cf. Héraclide du Pont d’après Plut., Cam., XXII, 3), et plusieurs auteurs les ont, depuis, acclimatés à l’idée que la cité fait partie intégrante de leur univers politique et culturel (en particulier Timée de Tauroménion, cf. E. GABBA, ‘La nascita dell’idea di Roma nel mondo greco’, RSI, CIX, 2, 1997, pp. 425-35). Mais c’est vraisemblablement Fabius Pictor qui leur donne à connaître l’originalité de son modèle censitaire à la fin du IIIe siècle, au moment où Rome affiche clairement ses ambitions méditerranéennes (cf. C. NICOLET, ‘L’idéologie du système centuriate et l’influence de la philosophie politique grecque’, in Censeurs et publicains. Économie et fiscalités dans la Rome antique, Paris, 2000, pp. 45-69). La conscience croissante d’incarner au plus haut point l’idéal de la cité s’inscrit dans ce dialogue continu que les Romains entretiennent avec les référents grecs.

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vaste de la diplomatie de l’Urbs48. Celle-ci ne peut évidemment être appréhendée comme une réalité invariable aux principes intangibles sur l’ensemble de la période. Un premier paramètre, proprement diachronique, oblige à prendre en compte l’extraordinaire transformation qui voit une cité de Latium, certes importante mais longtemps confinée dans un horizon diplomatique quelque peu borné, s’ériger au rang de puissance hégémonique, d’abord en Italie puis dans le monde méditerranéen. On conçoit bien, en effet, que pareille ascension entraîne nécessairement une mutation profonde dans la manière dont les Romains eux-mêmes définissent leur politique à l’égard de leurs partenaires. Mais on peut postuler aussi que, en leur donnant plus que jamais les moyens d’imposer les termes dans lesquels ils entendent définir leur diplomatie militaire, elle leur permet d’en perpétuer les principes fondateurs, qui s’enracinent toujours dans les idéaux de leur modèle civique. La diplomatie en effet, si elle engage la cité dans la défense de ses intérêts à travers la mobilisation d’institutions qui doivent la représenter, est aussi affaire d’‘autoreprésentation’, dans la mesure où elle est le lieu où celle-ci met en scène l’idée qu’elle se fait d’elle-même et affirme ainsi les valeurs qui lui sont chères49. La colonisation latine, qui est aussi un vecteur de la création d’alliances mais ne relève a priori pas l’activité diplomatique proprement dite, illustre d’ailleurs la manière dont Rome entend projetter son propre modèle dans le champ de la societas50. Aussi les formules d’association militaire auxquelles Rome a recours ne se ressentent-elles pas en général de l’affirmation croissante de celles de la cité-État ?

Il faut cependant prendre garde de ce que l’on n’en saisit le plus souvent que l’image postérieure et déformée qu’en livrent les sources. L’étude de la diplomatie militaire, comme

48 Il n’y a pas de véritable synthèse sur la diplomatie républicaine (exceptée la tentative partielle de C. AULIARD, La diplomatie romaine. L’autre instrument de la conquête. De la fondation à la fin des guerres samnites (735-290 av. J.-C.), Rennes, 2006, qui élude cependant le problème crucial des sources pour la période), l’application au monde antique des concepts modernes qui la définissent étant de toute façon problématique, cf. C. GIZEWSKI, ‘Diplomatie’, in DNP, 1997. Elle fait cependant l’objet d’une attention renouvelée de la part des historiens. En plus de nouvelles entreprises de collecte des sources comme celles de F. CANALI DE ROSSI (avec Le ambasciere dal mondo greco a Roma in età repubblicana, Rome, 1997 ; voir aussi Le relazioni diplomatiche di Roma, vol. I, Dall’età regia alla conquista del primato in Italia (753-265 a. C.), Rome, 2004 et vol. II : dall’intervento in Sicilia fino alla invasione annibalica (264-216), Rome, 2007, malheureusement non exhaustifs), on compte désormais plusieurs ouvrages collectifs d’intérêt : E. TORREGARAY PAGOLA et J. SANTOS YANGUAS, Diplomacia y autorrepresentación en la Roma antigua, Vitoria, 2005 ; E. CAIRE et S. PITTIA éd., Guerre et diplomatie romaines, IVe –IIIe Siècles av. J.-C. Pour un réexamen des sources, Aix-en-Provence, 2006 ; C. EILERS éd., Diplomats and diplomacy in the Roman World, Brill, 2009 ; E. TORREGARAY coord., VELEIA (Dossier monográfico : puesto en escena y escenarios en la diplomacia del mundo romano), XXVI, 2009 ; ainsi que G. STOUDER, La diplomatie romaine : Histoire et représentations (IVe-IIIe siècles av. J.-C.), thèse de doctorat sous la direction de S. PITTIA, soutenue en novembre 2011 à l’Université d’Aix-Marseille I, qui porte sur la période de l’expansion italienne (390-264 av. J.-C.).

49 Cf. E. TORREGARAY PAGOLA et J. SANTOS YANGUAS, Diplomacia y autorrepresentación en la Roma

antigua op. cit.

50 Sur celle-ci, voir dernièrement D. KREMER, Ius Latinum : le concept de droit latin sous la République et

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Figure 2 : drachme ibérique du serment 356

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