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CHAP III : ASPECTS DIPLOMATIQUES ET SYMBOLIQUES D’UNE RELATION

1. La reconnaissance d’un titre

La reconnaissance de la qualité de partenaires de l’alliance s’exprime d’abord à travers les titres par lesquels ils se désignent mutuellement. La proclamation solennelle de la societas

atque amicitia / fili/a kai_ summaxi/a en tête des accords qui en sanctionnent la conclusion,

telle qu’elle apparaît clairement dans le monde oriental à partir du IIe siècle, implique logiquement la désignation comme socii amicique / fi/loi kai_ su/mmaxoi des parties contractantes536. Mais le titre prend naturellement d’autant plus d’épaisseur qu’il est lui-même proféré dans un contexte diplomatique, et c’est à l’étude de la signification qu’il revêt dans ce dernier que nous devons à présent consacrer notre analyse. Il faut remarquer d’emblée la parité théorique dans laquelle il place les parties, puisque les alliés se l’attribuent mutuellement, les partenaires des Romains à ces derniers et inversement. Un certain nombre d’inscriptions datées du IIe siècle et émanant de peuples d’Orient alliés aux Romains, témoignent d’ailleurs clairement du premier sens de l’attribution : les Romains sont désignés comme tels par ces partenaires qui tiennent d’ailleurs à le signaler jusqu’au cœur de l’Urbs537. Mais, comme les sources relatives aux relations antérieures au IIe siècle sont largement monopolisées par le discours romain, il ne nous est possible de mener vraiment l’étude de ce titre que dans l’autre sens, celui dans lequel les Romains désignent leurs propres alliés.

Celle-ci, cependant, est fortement conditionnée par la difficulté chronologique signalée en introduction de ce chapitre. Les sources, en effet, ne nous permettent pas vraiment de saisir l’originalité des titres que les Romains réservent à leurs alliés avant le IIIe siècle, au- delà de la simple désignation de su/mmaxoi / socii qui transparaît dans les règlements internationaux les plus anciens538. Aussi ignorons-nous s’ils tiennent dès avant cette période à

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Pour cette proclamation introductive des traités, présente depuis le traité de Maronée de 167 (cf. SEG, XXXV, 823, ll. 7-12), voir supra nos analyses dans le chap. II.

537 C’est le cas dans l’inscription bilingue, retrouvée dans le secteur de S. Omobono et conservée au musée du Capitole, de Mithridate Philopator Philadelphe, roi du Pont dans le deuxième quart du IIe siècle, et qui précise (CIL, I², 730) : « [basileu_j Miqrada/thj Fil]opa/twr kai_ fila/delfoj / [basile/wj Miqrada/t]ou

to_n dh=mon to_n / [ ‘Rwmai/wn fi/lon kai_] su/mmaxon au)tou= / [geno/menon eu)noi/aj] e(/neken th=j ei)j au(to_n » = « [REX METRADATES PILOPATOR ET PIL]ADELPUS REGUS M[ETR]ADATI F(ILIUS) /

[POPULUM ROMANUM AMICITIAI E]T SOCIETATIS ERGO [Q]UAE IAM [INTER IPSUM ET ROMANOS OPTIN]ET ». ; ou encore de celle des Lyciens, visible au même endroit, et qui remonte peut-être au IIe siècle av. J.-C., cf. CIL, I², 726 : « [--- POPULUM R]OMANUM, COGNATUM, AMICUM, SOCIU[M] / [VIRTUTIS ET BENIVOLENT]IAEI BENEFICIQUE ERGA LUCIOS IN COMU[NE] » ; voir aussi IG, XIV, 988, d’interprétation moins évidente. Pour la dimension réciproque de cette désignation, cf. WEGNER, Untersuchungen zu den lateinischen Begriffen socius und societas, Göttingen, 1969, p. 78 et n. 15, et pour le contexte historique de ces inscriptions, qui font partie du dossier épigraphique du Capitole, cf. A. W. LINTOTT, ‘The Capitoline dedications to Jupiter and the Roman people’, ZPE, XXX, 1978, pp. 137-144, e. p. p. 140sq et R. MELLOR, ‘The dedications on the Capitoline Hill’, Chiron, VIII, 1978, pp. 319-330, e. p. p. 322sq.

538 C’est en effet par cette désignation commune que sont identifiés les alliés de Rome dans les deux premiers traités avec Carthage, dans lesquels elle ne se limite d’ailleurs sans doute pas à leurs seuls alliés péninsulaires, cf. Pol., III, 22, 4 et 24, 2 déjà cité et commenté dans le chap. I. Le témoignage épigraphique de première main le

utiliser des qualificatifs particuliers pour distinguer certains de leurs alliés en soulignant la qualité originale de la relation qui les unit à ces derniers, et surtout lesquels ils peuvent être. C’est un problème d’autant plus important que, au moment où la documentation laisse entrevoir les titres qu’ils réservent à leurs nombreux alliés, ces derniers sont déjà distingués entre partenaires péninsulaires, socii ac nomen Latinum, et ultra-marins, socii et amici. Aussi, comme il nous est très difficile de remonter en amont d’un tel partage, nous sommes dans l’obligation de conduire l’enquête en distinguant successivement ces deux désignations, mais sans jamais oublier que leur distinction même procède d’une évolution dont les étapes antérieures et même le sens nous échappent en grande partie.

Socii ac nomen Latinum

Ce n’est en effet qu’à un stade avancé de la Conquête, alors que les Romains ont déjà étendu le rayon de leur diplomatie militaire au-delà des limites de la péninsule italienne, qu’ils semblent éprouver le besoin de distinguer les partenaires de leur premier cercle péninsulaire en leur attribuant une désignation particulière. Elle spécifie alors leur position parmi les socii, terme quelque peu indistinct avec lequel les sources les identifiaient jusque là539. Les alliés péninsulaires sont désormais identifiés comme faisant partie de l’ensemble cohérent des socii et du nomen Latinum. La généalogie et le sens de cette formule asyndétique posent d’importants problèmes d’interprétation, mais son étude s’impose pour cerner leur position diplomatique exacte dans le système complexe d’alliances que Rome a construit lors de son expansion540.

plus ancien sur le système d’alliance romain en Italie, celui de la dédicace que Pyrrhus offre à Dodone après sa victoire à Héraclée en 280, ne s’écarte d’ailleurs pas de cette désignation ‘grecque’ et peu originale d’une symmachie (Syll³, 392) : « … a)po_ (Rwmai/wn kai_ [tw=n] summa/xwn… ».

539 C’est en effet la désignation largement utilisée par Tite-Live et Denys d’Halicarnasse pour la période de la conquête de la péninsule, et qui reçoit une confirmation extérieure des traités romano-carthaginois - dont la formule su/mmaxoi renvoie d’ailleurs aux alliés italiques et extra-italiques, voir n. précédente. Quant à la formule complète de socii amicique / filoi/ kai_ su/mmaxoi, elle n’est attestée que de manière trop indirecte pour qu’on puisse à coup sûr en affirmer nettement l’antériorité, voir nos considérations infra.

540 Sur cette formule, qui a suscité bien des commentaires depuis B. G. NIEBUHR, Römische Geschichte, T. III, Berlin, 1832, p. 615 et n. 936, on renverra à T. MOMMSEN, Droit Public Romain, T. VI, 2, p. 261 n. 1 et pp. 287-290 ; J. GÖHLER, Rom und Italien. Die römische Bundesgenossenpolitik von des Anfângen bis zum Bundesgenossenkrieg, Breslau, 1939, p. 46 ; A. N. SHERWIN-WHITE, The Roman citizenship, Oxford, 1973², p. 91 ; M. WEGNER, op. cit., pp. 95-104 ; V. ILARI, Gli Italici nelle strutture militari romane, Milan, 1974, pp. 1-23 ; H. GALSTERER, Herrschaft und Verwaltung in republikanischen Italien. Die Beziehungen Roms zu den italischen Gemeiden vom Latinerfrieden 338 v. Chr. bis zum Bundesgenossenkrieg 91 v. Chr., Munich, 1976, p. 101 ; E. GABBA, ‘Rome and Italy in the second century B.C.’, in CAH, VIII², Cambridge, 1989, p. 213 n. 63, U. LAFFI, ‘Sull’esegesi di alcuni passi di Livio relativi ai rapporti tra Roma e gli alleati latini e italici nel primo quarto del II sec. a. C.’, in A. CALBI et G. SUSINI, Pro Poplo Arimenese, Faenza, 1995, pp. 43-77, e. p. p. 45.

Il est difficile d’établir avec certitude les origines de l’expression. Elle est attestée de manière assurée au IIe siècle av. J.-C. puisqu’on la trouve déjà dans l’inscription de Tiriolo rapportant le Sénatus-Consulte de Bacchanalibus de 186 av. J.-C., mais aussi dans la tabula

Bembina, à la fois dans le texte de la lex repetundarum de 122 et celui de la lex agraria de

111541. Il est très vraisemblable qu’elle est apparue antérieurement mais, pour l’affirmer, on ne dispose que du corpus livien, œuvre littéraire dans laquelle elle est le plus massivement attestée542. Or, la formule est assez rare dans la première décade relative à la conquête de l’Italie, et si elle plus fréquemment attestée dans la troisième, au sujet de la deuxième guerre punique, elle ne l’est systématiquement que dans les quatrième et cinquième, qui traitent des conquêtes du début du IIe siècle543. Dans cette dernière partie de l’œuvre de l’historien augustéen qui nous a été conservée, on détecte mieux l’utilisation, par les annalistes dont il s’inspire, d’archives officielles de la res publica dans lesquelles la présence de la formule est authentique et régulière. C’est le cas en particulier pour les instructions du Sénat relatives à la mobilisation et à l’affectation des troupes alliées lors de la répartition des commandements militaires au début de chaque année consulaire (senatus consulta de exercitibus)544, ou encore

541 Cf. CIL, I², n° 581, ll. 7-8 pour la première (voir le texte et la traduction proposés par J. M. PAILLER,

BACCHANALIA. La répression de 186 av. J.-C. à Rome et en Italie, Rome, 1988, e. p. p. 57sq) : « … Bacas uir nequis adiese uelet ceiuis Romanus neue / nominus Latini neue socium quisquam… ». Pour la seconde, cf. CIL, I², n° 583, l. 1 = Roman Statutes, n° 1, p. 65: « [- - - quoi socium no]minisue Latini exter//arumue nationum, quoiue in arbitratu dicione potestate amicitiau[e populi Romani - - -] » pour la lex repetundarum, et, pour la lex agraria, CIL, I², n° 585, ll. 21 et 50 (Roman Statutes, n° 2, pp. 115 et 118) citées infra. On retrouve également la formule dans des documents un peu plus tardifs : la lex de provinciis praetoriis (100 av. J.-C.), cf. Roman Statutes, n° 12, Cnide, col. II, ll. 7-8, p. 238 et col. III, ll. 32-33, p. 239 ainsi que Delphes, B, l. 6 cité infra, pour sa traduction grecque ; et la lex repetundarum du fragment de Tarente (peut-être identifiable avec la lex Servilia de 101), cf. Epigraphica, IX, 1948, pp. 3-31, l. 12 = Roman Statutes, n° 8, p. 212.

542 En dehors des occurrences liviennes, citées de manière exhaustive infra, on ne trouve en effet l’expression que chez Cicéron et Salluste, avant que l’usage et même la compréhension du sens ne s’en perdent, cf. WEGNER, op. cit., et ILARI, op. cit., p. 1 n. 4 pour une liste de ces attestations. Il est vrai que déjà à l’époque de ces auteurs latins tardo-républicains, la catégorie même de socii italiques fait partie du passé, après la Guerre Sociale et l’intégration de tous les Italiens dans la ciuitas Romana qui s’en est suivie.

543 Sur les 96 occurrences du corpus livien, on n’en trouve que 5 dans la première décade (Liv., II, 41, 5 ; VIII, 3, 8 ; IX, 19, 2 ; 26, 14 et 34, 7) et 13 dans la troisième (Liv., XXI, 55, 4 ; XXII, 27, 11 ; 38, 1 ; 57, 10 ; XXVI, 15, 3 ; 16, 6 ; 17, 1 ; XXVII, 9, 1 ; XXVIII, 32, 6 ; XXIX, 19, 9 ; 24, 14 ; 27, 2 ; XXX, 41, 5), tandis que 78 apparaissent dans les livres XXXI à XLV (les 6 derniers livres conservés en concentrent d’ailleurs à eux seuls 39 : pour l’ensemble de ces occurrences, voir les nn. infra). L’absence de la formule dans sa traduction grecque dans l’œuvre conservée de Denys d’Halicarnasse qui traite en grande partie des débuts de la République (par exemple sous la forme, attestée dans la lex de provinciis praetoriis, de ‘ su/mmaxoi o)no/matoj Lati/nou ’), renforce l’impression qu’elle n’apparaît dans les sources que pour des épisodes plus tardifs.

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On trouvera de telles notices de levées de troupes alliées, qui s’insèrent en fait dans les instructions du Sénat relatives à la mobilisation de l’ensemble des forces de l’alliance romano-italienne, ciues Romani et socii réunis (cf. ILARI, op. cit., p. 87sq) - la mention ‘doc. off.’ indiquant, le cas échéant, le renvoi explicite à un document de caractère officiel, décret, sénatus-consulte ou édit - en Liv., XXXI, 8, 7-10 ; 10, 5 (doc. off.) ; XXXII, 8, 2 et 7 ; 28, 11 ; XXXIII, 26, 4 (doc. off.) ; 43, 3 ; XXXIV, 56, 5 ; 8 et 12 (doc. off.) ; XXXV, 20, 4 et 5 (doc. off.) ; 12-13 ; 41, 4 (doc. off.) ; 7 ; XXXVI, 2, 8 (doc. off.) ; 3, 13 (doc. off.) ; XXXVII, 2, 2 et 4 (doc. off.) ; 6 et 9 ; XXXVII, 50, 3 (doc. off.) ; 12 ; XXXVIII, 35, 9 (doc. off.) ; XXXIX, 20, 3 (doc. off.) ; 38, 10 (doc. off.) ; XL, 1, 5 et 6 ; 18, 5 et 6 (doc. off.) ; 19, 6 ; 26, 7 ; 36, 6 et 9 ; 44, 5 (doc. off.) ; XLI, 5, 4 ; 6 (doc. off.) ; 9, 2 ; 14, 6 ; 10 (doc. off.) ; 15, 11 ; 21, 3 ; XLII, 1, 2 (doc. off.) ; 27, 3 et 5 ; 35, 5 ; XLIII, 9, 3 ; 12, 3 et 7 ; XLIV, 21, 6. Liv.,

certaines dispositions légales545. Mais pour les décades antérieures, et donc la période qui précède, il est plus difficile d’en affirmer la régularité et même l’authenticité, si ce n’est pour quelques formules546. On pense en particulier à la prière que prononce Scipion avant de franchir le détroit de Sicile pour engager la phase finale du combat contre Carthage en 204, et dans laquelle on est donc tenté de voir une des attestations les plus anciennes de l’expression (Liv., XXIX, 27, 2) :

« Diui diuaeque, … qui maria terrasque colitis, uos precor quaesoque uti quae in meo

imperio gesta sunt, geruntur postque gerentur, ea mihi, populo plebique Romanae, sociis nominisque Latino, qui populi Romani quique meam sectam, imperium auspiciumque terra, mari amnibusque sequuntur, bene uerruncent eaque uos omnia bene iuuetis, bonis auctibus auxitis… »547.

Le registre religieux est un de ceux pour lesquels les Anciens paraissent le plus portés à conserver le souvenir exact des formules, et on y voit ici les partenaires militaires, socii

nomenque Latinum, étroitement associés à l’État romain sous les auspices du magistrat doté

de l’imperium qui demande aux dieux d’accorder à tous victoire et butin548. Il faut remarquer d’emblée la structure asyndétique de l’expression qui juxtapose socii italiques et alliés du

nomen Latinum. Elle est manifeste dans les attestations de première main, dans lesquelles la

conjonction est clairement indiquée par l’adjonction de la copule –que à la deuxième partie de

XL, 28, 9 et 36, 10-11 s’inscrivent également dans un registre assez proche, que l’on identifie aussi chez Sall., B.J., XXXIX, 2 et XLIII, 4. À cette catégorie d’attestations ‘militaires’ clairement identifiée par WEGNER, on pourrait rattacher d’autres mentions à caractère descriptif, intervenant dans des contextes documentaires moins ‘officiels’, en particulier dans les récits de bataille, cf. Liv., XXXI, 21, 1 ; XXXIV, 16, 7 ; XXXVII, 39, 7 ; XXXIX, 20, 7 ; XL, 32, 7 ; 40, 13 et 43, 7 ; XLIII, 9, 3 ; XLIV, 41, 5 et XLV, 12, 11 et 43, 7.

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Cf. Liv., XXXV, 7, 5 ; XXXVIII, 44, 4 ; XL, 44, 12 (doc. off.) ; XLI, 8, 9 (doc. off.) ; 9, 9 (doc. off.) ; XLII, 4, 4 ; 10, 3 (doc. off.). Voir aussi Liv., II, 41, 6 ; XXVI, 15, 3 ; Cic., De re publica, I, 31 et III, 41 et Sall., B.J., XLII, 1 pour des mentions se rattachant plus à un contexte politique d’inspiration gracquienne.

546 Liv., II, 41, 5 ; VIII, 3, 8 et IX, 19, 2 paraissent assez rhétoriques, tandis que Liv., X, 26, 14 et 34, 7 sont un peu isolés dans la description des troupes alliées. Le formulaire de la troisième décade lui-même n’est pas régulier, puisque les alliés italiens des Romains ne sont désignés comme socii ac nomen Latinum dans des notices relatives à leur mobilisation que dans Liv., XXII, 38, 1 et 57, 10, c’est-à-dire dans le contexte de mobilisation particulière de 216, tandis que les alliés italiens habituellement mobilisés sont simplement indiqués comme socii. Quant à Liv., XXII, 27, 11 ; XXVII, 9, 1 ; XXVIII, 32, 6 ; XXIX, 19, 9 et 24, 14, ces mentions sont également assez isolées.

547 « ‘Dieux et déesses qui habitez les mers et les terres, voici ma demande, ma prière : que ce qui a été, est ou

sera à l’avenir accompli durant mon commandement, pour moi-même, pour le peuple et la plèbe de Rome, pour nos alliés et les nations de nom latin, pour ceux qui suivent le parti du peuple romain et le mien, mon commandement et mes auspices, sur la terre, sur la mer et sur les fleuves, que tout cela ait une issue heureuse’ » (Trad. de P. FRANÇOIS, TITE-LIVE, Histoire romaine, Tome 19, Livre XXIX, Paris, 1994).

548 Voir Liv., XXIX, 27, 3-4 pour la suite de la prière. On trouve une formule assez proche dans la prière prononcée par les cos P. Sulpicius Galba et C. Aurelius Cotta à l’occasion du déclenchement de la guerre de Macédoine en 200, cf. Liv., XXXI, 5, 4 et 7, 15. Pour l’authenticité de ce type de formulaire, cf. G. DUMÉZIL, La religion romaine archaïque, Paris, 1974, pp. 104-110, et e. p. p. 108sq qui renvoie à la fameuse formule de deuotio de P. Décius Mus (dans laquelle les alliés ne sont pas désignés par un autre terme qu’auxilia, cf. Liv., VIII, 9, 6, mais il est vrai que ce ne sont pas les Latins qui sont alors dénommés puisqu’ils sont en sécession).

la formule549. Dans les attestations de seconde main, et comme l’a fait remarquer MOMMSEN, l’absence de coordination claire et l’utilisation du génitif pour nomen latinum peut introduire une confusion, l’expression socii nominis Latini pouvant alors être entendue comme signifiant ‘alliés du nomen Latin’550. Mais c’est sans doute là un simple glissement à partir de la formule asyndétique initiale, qui témoigne en fait de sa grande malléabilité. Elle est particulièrement manifeste dans les notices de mobilisation de troupes où ses occurrences sont les plus nombreuses, et il ne semble pas que le glissement altère sa signification en la réduisant à la seule catégorie des alliés latins551. Des observations du savant allemand, il faut cependant retenir son étonnement face à l’hétérogénéité juridique d’une formule associant des alliés liés à Rome par un accord ‘international’ (foedus ou autre) à ses partenaires latins les plus proches qui, colons ou fédérés, leurs sont unis par un faisceau de iura multiples552.

C’est que l’unité de leur condition ne résulte pas de ce qu’ils partagent dès l’origine un ‘statut’ identique face à Rome, mais précisément de ce qu’ils lui sont tous unis par des relations de societas, c’est-à-dire d’alliance militaire553. C’est sur la base de cette

549 Voir les attestations du Sénatus-Consulte de Bacchanalibus et de la lex repetundarum de 122 citées supra ; celle de la lex agraria de 111, l. 21 : « … ciuis] Romanus sociumue nominisue Latini,… », et de la lex repetundarum du fragment de Tarente, l. 12 : « … utei socium nominisque Latini omnium… », ainsi que la formule de prière rapportée par Tite-Live et citée supra. Voir aussi Cic. De re publica, III, 29, 41 ; Sall., B.J., XLIII, 4 ; Liv., VIII, 3, 8 ; X, 26, 14 ; XXII, 57, 10 ; XXVII, 9, 1 ; XXVIII, 32, 6 ; XXXVI, 3, 13 ; 14, 10, mais dans les sources littéraires, la coordination se manifeste plus souvent par l’utilisation d’une conjonction, voir Cic., Balb., VIII, 20 et 21 ; De re publica, I, 31 ; Sall., B.J., XXXIX, 2 ; XL, 2 et XLII, 1 ; Liv., II, 41, 6 ; XXII, 38, 1 (addition de l’éditeur) ; XXXI, 5, 4 ; 7, 15 ; 8, 8 ; 10, 5 ; XXXII, 8, 7 ; 28, 11 ; XXXIII, 26, 4 ; XXXIV, 16, 7 ; 56, 5 ; XXXV, 7, 5 ; 20, 5 ; 12 ; 41, 7 ; XXXVII, 2, 6 ; 9 ; 39, 7 ; 50, 3 ; XXXIX, 20, 3 ; XL, 1, 6 ; 18, 5 ; 28, 10 et 40, 13 ; XLI, 8, 9 et 9, 2 et 9 (addition de l’éditeur).

550 Cf. MOMMSEN, op. cit. Voir Liv., IX, 19, 2 ; X, 34, 7 ; XXI, 55, 4 ; XXVI, 15, 3 ; 16, 6 ; 17, 1 ; XXIX, 19, 9 ; 24, 14 ; 30, 41, 5 ; XXXI, 8, 7 ; 10 ; 21, 1 ; XXXII, 8, 2 ; XXXIII, 43, 3 ; XXXIV, 7, 5 ; 56, 8 et 12 ; XXXV, 20, 4 ; 41, 4 ; XXXVI, 2, 8 ; XXXVII, 2, 2 ; 4 ; 50, 12 ; XXXVIII, 35, 9 ; 44, 4 ; XXXIX, 3, 4 ; 20, 7 ; 38, 10 ; XL, 1, 5 ; 18, 6 ; 19, 6 ; 26, 7 ; 32, 7 ; 36, 6 ; 9 et 10 ; 42, 4 ; 43, 7 ; 44, 5 et 12 ; XLI, 5, 4 et 6 ; 8, 6 ; 9, 9 ; 14, 6 ; 15, 11 ; 21, 3 ; XLII, 1, 2 ; 4, 4 ; 10, 3 ; 27, 3 ; 5 ; 35, 5 ; XLIII, 9, 3 ; 12, 3 et 7 ; XLIV, 21, 6 ; 41, 5 ; XLV, 12, 11 ; 43, 7 ; ainsi qu’Asc., in Pison., p. 17 Orelli. Il faut d’ailleurs ajouter que dans ses traductions grecques (voir par ex. la lex de provinciis praetoriis), et dans une littérature plus tardive, à une époque où les distinctions juridiques finissent par perdre leur sens dans une Italie unifiée, l’abréviation S.N.L. est développée socii nominis Latini (= su/mmaxoi o)no/matoj Lati/nou). L’ambiguïté de la formule a surtout été soulevée à propos de la loi obligeant les alliés à laisser un descendant mâle dans leur communauté s’ils émigrent à Rome pour devenir citoyens romains, puisque la conjonction ac est un ajout des éditeurs, cf. Liv., XLI, 8, 9 et 9, 9, les remarques de LAFFI, art. cit., ainsi que nos analyses à ce sujet dans le chap. II.

551 La formule ramassée socii / socium nominis Latini est en effet très fréquente dans ces notices, dont on a livré la liste complète supra, et elles sont même particulièrement nombreuses dans la dernière partie de l’œuvre livienne (Livres XL à XLV), voir n. précédente. Comme l’a fait remarquer WEGNER, op. cit., Liv., XL, 36, 6 (nouus omnis exercitus consulibus est decretus, binae legiones Romanae cum suo equitatu et socium Latini nominis quantus semper numerus, quindecim milia peditum, octingenti equites) suffit à prouver qu’il s’agit bien des alliés et du nomen Latinum puisqu’on retrouve le même chiffre de 15000 fantassins dans des notices antérieures comme Liv., XXXIV, 56, 5-6 et XXXVII, 2, 6 où il est explicitement question des socii nominisque Latini : on s’expliquerait mal, en effet, que les Romains puissent demander tour à tour à l’ensemble de leurs alliés d’Italie, puis aux seuls Latins, le même nombre de soldats.

552 Cf. MOMMSEN, op. cit.

553 Il revient à P. CATALANO, Linee del sistema sovrannazionale romano, vol. I, Turin, 1965, pp. 284-288 d’avoir fait justice de cette idée de MOMMSEN selon laquelle la catégorie des socii était exclusive des Latins (et

communauté de condition que se développent et s’étendent les droits et obligations qui dessinent les contours d’une situation juridique spécifiquement italienne554. Le caractère composite du titre qui le désigne conserve cependant toujours le souvenir de l’histoire complexe de l’Alliance italienne sous hégémonie romaine qui précède la genèse de ce statut. Il apparaît en effet lorsque les Romains prennent clairement conscience de ce que celle-ci s’ordonne selon la logique des cercles concentriques autour de leur ciuitas, les colons latins se trouvant dans une situation d’immédiate proximité, tandis que les alliés italiens en forment le dernier cercle dans la péninsule. En les désignant de manière unilatérale par ce titre, les Romains les rassemblent dans le groupe de leurs alliés les plus proches, ceux qui, par différence avec les exterae nationes d’outre-mer, se battent pour l’Italia555. Cette interprétation idéologique de la symmachie qui les unit, et qui ne semble apparaître que dans le dernier tiers du IIIe siècle, ne trouve d’ailleurs son expression la plus achevée que dans un document plus tardif. Il s’agit de la lex agraria épigraphique de la fin du IIe siècle av. J.-C. Dans une disposition qui porte précisément sur le partage des terres conquises en Afrique,