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CHAPITRE II : LE MODÈLE DU FOEDUS SOCIALE

7. Les autres modalités de l’alliance : une définition informelle des obligations militaires

Il existe en effet d’autres modalités d’alliance, dans lesquelles la définition des obligations n’est pas clairement formalisée. La compréhension de leur fonctionnement pose un problème de méthode majeur, dans la mesure où la mobilisation militaire en faveur d’un partenaire ne procède pas de l’application d’une clause explicitement inscrite dans le texte d’un accord – et donc a priori d’une discussion préalable légitime entre les parties sur son interprétation (même si celle-ci n’a pas réellement lieu). Le processus, ici, est plus insaisissable, et semble s’inscrire dans un faisceau de relations symboliques, politiques et personnelles qui laissent théoriquement plus de place à la partie prépondérante. C’est sans doute pour cette dernière raison qu’on commence à en observer le développement lorsque Rome se retrouve en nette position de supériorité, d’abord en Italie, puis dans certains territoires ultra-marins.

Le cas des colonies latines

La colonisation latine en Italie est la première modalité historique clairement attestée d’alliance militaire qui ne semble pas procéder de l’application des dispositions formelles d’un accord conclu avec Rome. Il faut rappeler, en effet, que la relation qui unit cette dernière avec les colonies latines, surtout après 338, n’est pas déterminée par un foedus, comme pour la plupart des socii italiques, mais par un acte de fondation sanctionné par une lex coloniae adoptée à Rome473. Aussi beaucoup d’historiens ont-ils vu dans la ‘charte’ de fondation de la colonie le texte dans lequel serait expressément inscrite l’obligation militaire : celle-ci, dictée par Rome, organiserait ainsi la fourniture unilatérale de contingents à la métropole474. Cette

473 Sur cette lex coloniae, cf. E. T. SALMON, Roman Colonization under the Republic, Londres, 1969, p. 19. L’hypothèse d’un foedus définissant la relation des colonies avec la métropole est cependant défendue par BERNARDI, op. cit., pp. 85-84, qui voit dans Festus p. 166 L (« pecuniam quis nancitor, habeto ») l’attestation d’une clause de butin qui y serait inscrite. Il est vrai que Liv., XXVI, 39, 5 (à propos de Paestum) et Cic., Pro Balb., XXI, 48 (Spolète) semblent considérer les coloni comme des foederati, à la manière des municipes foederati. Sans entrer dans la discussion de passages qui ont toutes les chances de pécher par imprécision juridique, il suffit de signaler que, quand bien même ces cités auraient disposé d’un foedus avec Rome avant l’installation d’une colonie latine – traité dont elles auraient pu cultiver ensuite le souvenir –, il paraît logique que la constitution coloniale l’ait privé définitivement de toute validité, voir par analogie le raisonnement de M. HUMBERT, Municipium et civitas sine suffragio, p. 251 au sujet des municipes. En revanche, le fait que les ressortissants des colonies latines et les Romains aient conçu leurs relations dans une certaine continuité symbolique avec les foedera mythiques, en remontant jusqu’à celui d’Énée et de Latinus (cf. A. ALFÖLDY, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, p. 112 au sujet des fameuses ‘monnaies du serment’ de la seconde guerre punique), nous renseigne sur l’image du foedus comme idéal des relations interciviques.

474 Cf. E. T. SALMON, ‘Roman Colonisation from the Second Punic War to the Gracchi’, JRS, XXVI, 1936, pp. 47-67, e. p. p. 55 ; TOYNBEE, op. cit., p. 425 ; BRUNT, op. cit., p. 545.

hypothèse, pourtant, ne repose sur aucune preuve documentaire, puisque, de ces ‘chartes’, nous n’avons aucun témoignage direct et ne percevons tout au plus que les dispositions agraires et censitaires grâce aux indications éparses des sources littéraires. Aussi ne paraît-il pas infondé de se demander si la constitution coloniale ne cantonne pas la définition des obligations militaires des coloni à la seule fixation des critères censitaires présidant à la mobilisation de la militia – et peut-être au devoir de défense du territoire civique –, sans jamais en préciser les conditions dans le cadre de la relation avec la métropole475. Avec F. De MARTINO et V. ILARI, il faut donc sans doute préférer l’hypothèse d’une définition informelle de l’obligation militaire, procédant de la deductio, et non de l’inclusion d’une quelconque clause dans la charte fondatrice de la colonie476. Enfin convient-il d’ajouter que l’existence de la formula togatorum, quel que soit le moment à partir duquel elle est régulièrement dressée, ne change strictement rien à cet état de fait : il ne s’agit que d’un document administratif romain qui, quelles que soient les modalités exactes en vertu desquelles il permet de déterminer le montant des contingents que les colonies doivent fournir (tout comme pour les autres alliés italiens, en particulier ceux qui sont pourvus d’un foedus), ne définit en aucune manière les conditions juridiques de la mobilisation477.

Si l’obligation militaire n’est pas explicitement définie par un texte, quel est alors son fondement ? Sans doute faut-il le chercher dans le rapport qui découle autant de l’acte de fondation coloniale lui-même que du faisceau de relations politiques qu’il détermine478. Les colonies latines sont les créations d’un nomen Latinum dont Rome s’approprie en quelque

475 Ce n’est bien sûr qu’une hypothèse mais qui s’inscrit dans le cadre strict des éléments expressément attestés par les sources au sujet des fondations coloniales (voir infra pour l’ensemble des passages mobilisables pour la question du cens colonial). Avec toute la prudence qui s’impose dans la comparaison de statuts d’époques et de signification très différents, on peut peut-être voir une confirmation de l’absence de disposition relative aux obligations militaires dans le témoignage des statuts municipaux épigraphiques postérieurs à la Guerre Sociale. Seule la lex Coloniae Genetivae Iuliae d’époque impériale (cf. CRAWFORD, Roman Statutes, vol. I, n° 25, pp. 400-417), dans une disposition relative au commandement militaire des magistrats de la colonie, fait allusion à une situation de mobilisation des coloni, incolae et contributi, armati ‘coloniae finium defendendorum causa’ (ch. CIII, ll. 3-4, p. 409), tandis que, dans une autre disposition, relative cette fois à la uacatio militiae de ceux qui les servent (Ibid., ch. LXII, ll. 31-32, p. 400), elle rappelle la levée des exemptions en cas de tumultus Italici Galliciue, tout comme le faisait déjà le fragment de Tarente dans une disposition sur les conditions d’accès aux magistratures, dans une colonie, un municipe ou une préfecture (cf. M. H. CRAWFORD, Roman Statutes, vol. I, n° 8, ll. 11-12, p. 212). Cela permet tout au plus de définir une obligation de mobilisation des ressortissants de la cité (et d’ailleurs pas des seuls ciues) pour sa défense – ce qui n’est d’ailleurs pas formulé dans une clause spécifique.

476

Cf. De MARTINO, op. cit., p. 98 (‘… è evidente che la loro condizione derivava non da un trattato di alleanza, bensì dal riconoscimento di un stato’) ; ILARI, op. cit., pp. 30-31.

477 Ce document est étudié en tant que tel infra dans les chap. III, V et VI. La définition retenue ici, qui reprend les grandes lignes des analyses de BRUNT, op. cit., pp. 545-548, s’inscrit donc en contradiction avec l’hypothèse antérieure d’une sorte de traité ‘confédéral’ qui constituerait la base légale de l’obligation militaire. 478 Sur la fondation, voir, après D. J. GARGOLA, Lands, Law and Gods. Magistrates and Ceremony in the

Regulation of Public Lands in Republican Rome, Chapel Hill-Londres, 1995, J.-M. DAVID, ‘Les fondateurs et les cités’, in L. CAPOGROSSI COLOGNESI, E. GABBA éd., Gli Statuti Municipali, Pavie, 2006, pp. 723-741 et KREMER, op. cit., p. 46sq.

sorte l’héritage après 338, puis elles deviennent de simples deductiones de l’Urbs pour les colonies latines fondées à partir de 334, et sont d’ailleurs peuplées d’anciens citoyens romains qui optent ainsi pour l’émigration479. Aussi l’ensemble de ces communautés cultive-t-elle le rapport traditionnel qu’entretiennent les fondations avec leur métropole dans le monde de la Cité antique. Celui-ci est fondé sur le souvenir d’une origine commune entretenu par le partage des mêmes cultes, le sentiment d’une dépendance envers la ‘mère-patrie’ et la conscience des obligations morales qu’elle commande à son égard480. Les Romains de la République semblent d’ailleurs particulièrement soucieux d’inscrire ces fondations dans le cadre d’une décision prise par la Cité, sinon sous l’autorité souveraine du populus Romanus, du moins à travers une discussion au Sénat et l’adoption d’un Sénatus-Consulte qui en définit les conditions481. L’opération elle-même est confiée à une commission de IIIuiri coloniae

deducandae dont les sources rapportent assez fréquemment la composition482. Cette relation de subordination politique est d’ailleurs d’autant plus marquée que ces communautés, pour importantes qu’elles soient par la taille de leur territoire et de leur population, se trouvent cependant dans un rapport d’infériorité sans cesse plus criant vis-à-vis d’une cité romaine parvenue au statut d’État territorial dès le IVe siècle, et qu’elles sont de plus en plus conçues comme des projections du modèle civique romain, des ‘petites Romes’ en quelque sorte483.

479

Sur la question de l’origine et de la condition sociale des candidats à la colonisation, cf. KREMER, op. cit., p. 60sq. On l’a déjà évoqué supra chap. I, et on analysera plus en détail le problème que pose la colonisation latine antérieure à 338 sur ce point, voir infra chap. IV. Voir également les indications relatives aux bénéficiaires de la colonisation dans l’Annexe 3.

480

On a évoqué supra la projection mythique du foedus dans la relation Enée – Latinus, et ses aspects symboliques proprement militaires.

481 La colonisation, en tant qu’elle affecte le corps civique et l’ager publicus, est conçue, depuis MOMMSEN, comme une compétence ultime du peuple Romain. SALMON, Roman Colonization op. cit., p. 19, cependant, a déjà souligné la véritable responsabilité pratique du Sénat. U. LAFFI, ‘La colonizzazione romana tra la guerra latina e l’età dei Gracchi : aspetti istituzionali’, Dialoghi di Archeologia, s. III, a. VI, n. 2, 1988, pp. 23-33, reprenant les hypothèses de WILLEMS, va même plus loin, en rappelant que les sources ne fournissent que fort peu d’éléments pour nourrir la thèse traditionnelle du peuple souverain en la matière, le rôle du Sénat étant bien plus fréquemment signalé que celui du peuple (cf. Annexe 3 : mention explicite de son rôle pour Antium, Ardée, Labicum, Satricum, Setia, Nepete, Calès, Luceria, Saticula, Interamna Sucasina / Lirenas). Sans compter qu’il est systématiquement attesté pour les fondations du IIe siècle, même lorsque l’intervention des tr. pl. est mentionnée, voir les cas de Thurii Copia (Liv., XXXV, 9, 7-9), Vibo Valentia (Liv., XXXV, 40, 5), Bononia (Liv., XXXVII, 47, 2), Aquileia (Liv., XXXIX, 55, 5-6) et Luna / Luca (Liv., XL, 43, 1). Il faudrait donc en déduire, d’après lui, que la colonisation est tout autant de la compétence légale du Sénat. Il est suivi par D. KREMER, Ius latinum. Le concept de droit latin sous la République et l’Empire, Paris, 2006, p. 46 n. 19. 482 Cf. SALMON, op. cit., p. 19sq. Les IIIviri sont en effet indiqués dans les cas d’Antium, Ardée, Setia (ce sont des Vviri), Nepete, Calès, Saticula, Interamna Sucasina / Lirenas, Venusia, Plaisance, l’information procédant probablement à chaque fois du Sénatus-Consulte qui les crée, cf. Annexe 3. Ils sont également systématiquement indiqués pour les fondations ultérieures : Thurii Copia (Liv., XXXV, 9, 7-9), Vibo Valentia (Liv., XXXIV, 53, 1-2), Bononia (Liv., XXXVII, 57, 7), Aquileia (Liv., XL, 34, 2-3), et Luna / Luca (Liv., XL, 43, 1 ; XLI, 13, 4- 5).

483 On connaît la fameuse formule d’Aulu Gelle, XVI, 13, 9 au sujet des colonies (comparées aux municipes) : « Quae tamen condicio, cum sit magis obnoxia et minus libera, potior tamen et praestabilior existimatur propter amplitudinem maiestatemque populi Romani, cuius istae coloniae quasi effigies paruae simulacraque esse quaedam uidentur… » Pour l’histoire de ce rapprochement croissant avec le modèle romain à l’époque

Mais il y a plus : la relation de dépendance coloniale, en effet, se colore d’emblée d’une forte nuance militaire qui conditionne très certainement la définition informelle des obligations mutuelles des colonies et de Rome. On a déjà indiqué la vocation stratégique de colonies déduites sur un territoire confisqué aux vaincus, au contact de peuples encore mal pacifiés et parfois même à grande distance du territoire romain. Ce type de localisation donne immmédiatement une grande importance à la dimension militaire de la fondation. Si on considère que le rituel militaire, clairement attesté pour une phase ultérieure de la colonisation romaine et selon lequel les colons sont conduits en formation militaire et sous les vexilla, s’enracine dans une pratique antérieure et qui vaut déjà pour les déductions latines, cette dimension se manifeste symboliquement dans l’acte même de la fondation484. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas sans raison qu’un renfort pour une colonie est désigné comme un

supplementum, exactement au même titre que les nouvelles levées que décide chaque année le

Sénat pour compléter ou augmenter les effectifs des armées485. Le fait que l’envoi d’un tel renfort soit souvent décidé à la suite d’une démarche diplomatique des colonies elles-mêmes indique d’ailleurs assez nettement l’idée que se fait Rome des obligations qui définissent ses relations avec ces dernières : naturellement prédisposée à veiller sur leur sécurité en tant que métropole et parce qu’elles sont les pièces essentielles de son système de défense, celle-ci considère que la meilleure manière de l’assurer consiste à leur donner les moyens de se défendre elles-mêmes486.

Or il se trouve que les sources, qui livrent pourtant peu d’informations sur le détail des constitutions coloniales, rapportent assez fréquemment des indications de première importance pour la définition de cette capacité militaire, utlisant sans doute là des informations figurant dans les senatus consulta ou les leges organisant la fondation des colonies : celles qui concernent le nombre de coloni et celles qui précisent l’organisation de la constitution censitaire. On sait que les colonies latines comportent un nombre de colons assez important. Pour la phase de colonisation latine d’initiative romaine, il oscille entre 2500, pour républicaine, cf. SALMON, op. cit., p. 18sq ; A. BERNARDI, op. cit. qui insiste sur la rupture que représenterait la fondation d’Ariminum sur ce point ; et dernièrement D. KREMER, op. cit., p. 45sq.

484 Cf. Cic., de lege agr., II, 86 et Phil., II, 102 ; Tac., Ann., XIV, 27, 3 et Hyg. Grom., p. 141 THULIN. Pour l’hypothèse d’une origine plus ancienne de ces rituels, cf. G. TIBILETTI, ‘Richerche di storia agraria romana. I. La politica agraria dalla guerra annibalica ai Gracchi’, Athenaeum, XXVIII, 1950, pp. 183-266, e. p. pp. 222-224 et SALMON, op. cit., p. 24. Sur les rituels de fondation en général, voir dernièrement KREMER, op. cit., p. 47sq.

485 Ce point est souligné à juste titre par TIBILETTI, art. cit. 486

Pour les cas de supplementa demandés par les colonies elles-mêmes, qui interviennent cependant surtout après la seconde guerre punique en raison de ses conséquences démographiques, cf. Annexe 3 : Setia en 393, Venusia en 200, Narnia en 199, Cosa en 196, Plaisance et Crémone en 190. Il faut également y ajouter la cas de Cales en 184 et celui d’une fondation postérieure, celle d’Aquileia en 169 (Liv., XLIII, 1, 5sq et 17, 1). Pour une analyse de ces démarches diplomatiques, cf. JEHNE, ‘Diplomacy in Italy in The Second Century B.C’ art. cit.

l’exemple de Calès, et 6000 pour celui d’Alba Fucens487. Dans la mesure où c’est sur la base de ce nombre de coloni que sont mobilisés les milites, on peut voir, dans le souci romain de pourvoir la colonie d’une population suffisante, la volonté manifeste de lui donner les moyens démographiques de sa défense – capacité dont les colonies elles-mêmes s’inquiètent, pour des raisons bien évidentes de survie488. Ce souci d’ailleurs, se traduit dans la disposition d’une lex caractéristique de la colonisation latine d’initiative romaine, et qui donne une définition restrictive au ius migrandi des colons latins : ceux-ci en effet doivent laisser au moins un fils dans la colonie s’ils décident de migrer à Rome. L’intention de la disposition paraît être clairement de préserver le potentiel de mobilisation de la communauté civique489.

La précision sur la constitution censitaire, quant à elle, intervient nettement à partir des fondations en Cisalpine. On sait ainsi que les ciues sont distribués entre une majorité de

pedites et une minorité d’equites à Placentia et Cremona, et le fait encore mieux connu pour

les fondations du début du IIe siècle490. Les colonies se trouvent ainsi dotées d’une constitution qui indique très clairement la fonction militaire de leur corps civique. Les colonies latines antérieures ont d’ailleurs sans doute déjà été déduites sur un modèle du même type, même si les sources ne l’indiquent pas clairement au moment des fondations491. C’est

487

Cf. Annexe 3. Voir aussi les cas de Luceria (2500), Interamna Sucasina / Lirenas, Sora, Carseoli (4000), Plaisance et Crémone (6000). L’information devient encore une fois sytématique pour les fondations du début du IIe siècle, 3300 pour Thurii Copia (Liv., XXXV, 9, 7-9), 4000 pour Vibo Valentia (Liv., XXXV, 40, 5-6), 3000 pour Bononia (Liv., XXXVII, 57, 7) et Aquileia (Liv., XL, 34, 2-3) et 2000 pour Luna / Luca (Liv., XLI, 13, 4- 5). Les 20000 ‘colons’ indiqués pour Venusia posent problème, voir nos indications dans la n. correspondante de l’Annexe 3.

488 C’est le cas de Narnia en 199, cf. Liv., XXXII, 2, 6 : « Et Narniensium legatis querentibus ad numerum sibi

colonos non esse… », cf. Annexe 3. Cette préoccupation concerne aussi les socii foederati, comme en témoigne la fameuse affaire de 177, cf. ILARI, op. cit., p. 76sq.

489 Cf. Liv., XLI, 8, 9 : « Lex sociis [ac] nominis Latini, qui stirpem ex sese domi reliquerent, dabat, ut cives

Romani fierent ». Nous suivons ici l’interprétation proposée par W. BROADHEAD, ‘Rome’s migration policy and the so-called ius migrandi’, CCG, XII, 2001, pp. 69-89, qui p. 86sq, rappelle après BELOCH la disposition parallèle de la loi de fondation de Naupacte par les Locriens au début du Ve siècle. Celle-ci prévoit l’obligation pour le colon désireux de revenir dans sa patrie de laisser un fils adulte ou un frère sur place, explicitement afin que le potentiel démographique de la colonie soit préservé, cf. SIG³, 47, ll. 7-8. Une telle interprétation du ius migrandi, reprise par KREMER, op. cit. p. 30sq, ne fait cependant pas l’unanimité.

490

Cf. Annexe 3. Le fait semble d’ailleurs confirmé par l’archéologie pour les deux fondations de Cisalpine, la classe dirigeant semblant habiter l’oppidum, tandis que le reste des colons vit sur le territoire de la colonie, cf. KREMER, op. cit., pp. 74-75 s’appuyant sur les travaux de P. TOZZI. On est en effet renseigné sur ce point pour Thurii Copia (Liv., XXXV, 9, 7-9), Vibo Valentia (Liv., XXXV, 40, 5-6) et Bononia (Liv., XXXVII, 57, 7), la constitution d’Aquileia ajoutant même une classe intermédiaire de centuriones (Liv., XL, 34, 2-3). Sur ces questions de recensement voir dernièrement D. KREMER, ‘Il censo nelle colonie latine prima della guerra sociale’, in L. CAPOGROSSI COLOGNESI, E. GABBA éd., Gli Statuti Municipali, Pavie, 2006, pp. 627-645, repris dans KREMER, p. 72sq.

491

Pour Venusia, on peut peut-être le déduire de la lex Osca Tabulae Bantinae (FIRA, I², 16), si on considère qu’elle est rédigée sur le modèle de sa constitution de 291, voir dernièrement KREMER, op. cit., p. 81sq pour cette position et le débat qu’elle implique. Elle connaît en effet la fonction des censeurs et prévoit une punition sévère pour les incensi, ce qui peut apparaître comme une mesure destinée à s’assurer que les habitants ne cherchent pas à échapper à leurs obligations militaires.

confirmé par l’archéologie au moins dans le cas de Cosa492. Et cela concorde avec l’ancienneté d’un modèle qui plonge ses racines dans l’histoire politique de l’Italie archaïque, et semble précisément avoir été porté à son achèvement ‘classique’ à la fin du IVe siècle à Rome, date à partir de laquelle il a pu véritablement être érigé en modèle imitable493. Cela implique donc une grande ressemblance entre la métropole et ses colonies. Mais il y a plus. Il semble en effet que le recensement dans les colonies coïncide avec celui de Rome au moins à partir du dernier tiers du IIIe siècle, ce qui indique sans doute un droit de regard assez fort de la métropole sur ses fondations quant à leur capacité militaire494. Et on sait qu’à partir de 204, elle impose même ses propres critères censitaires aux douze colonies latines qui ont refusé de fournir des contingents depuis 209. Or, cette mesure, qui s’explique d’abord par le désir d’empêcher les colonies de jouer sur les chiffres du cens pour ne pas satisfaire à leurs obligations militaires, accroît sans doute la capacité de contrôle de la métropole sur ce point495. Il est vrai cependant que les dix-huit autres colonies gardent leur propre constitution censitaire et conservent donc sans doute un droit de regard plus important en la matière.