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CHAP III : ASPECTS DIPLOMATIQUES ET SYMBOLIQUES D’UNE RELATION

2. Les aspects diplomatiques de la relation d’alliance

À une époque ultérieure, on sait qu’il existe une formula rassemblant les noms de l’ensemble des socii et amici reconnus comme tels par les Romains et leur réservant un traitement diplomatique privilégié - si on suit l’hypothèse de D. A. BOWMAN selon laquelle il n’existe qu’une seule et unique formula sociorum amicorumque594. En 78 av. J.-C. en effet, le Senatus Consultum de Asclepiade Clazomenio sociisque, attesté par une inscription, donne un certain nombre de privilèges à des alliés d’Orient qui se sont particulièrement signalés par leurs services militaires auprès des Romains : en plus de privilèges fiscaux et juridiques dans leurs communautés d’origine, ils doivent être admis dans la formula et se voient offrir, précisément en vertu de ce titre, un traitement diplomatique privilégié à Rome595. En fait, on entrevoit dès le IIe siècle av. J.-C. l’existence d’une telle formula, surtout pour les alliés d’Orient, et on est donc tenté de considérer que l’inscription en tant que socii et amici a toujours valu un traitement spécifique des représentants de ces alliés lorsqu’ils sont reçus à Rome, ce que les sources littéraires laissent par ailleurs deviner596. Si on remonte au premier

594

Cf. D. A. BOWMAN, ‘The Formula Sociorum in the Second and First Centuries B.C.’, The Classical Journal, LXXXV, n° 4, 1990, pp. 330-336, qui critique la thèse traditionnelle de P. C. SANDS, The Clients Princes of the Roman Empire, Cambridge, 1908, p. 40 selon laquelle il existerait deux listes : une formula sociorum comprenant les communautés et rois obligés de fournir des troupes à Rome par un traité, et une formula amicorum listant des particuliers qui ont rendu des services éminents à Rome, à titre privé. Pour BOWMAN, il n’en existe qu’une et elle n’a de signification que diplomatique. La rareté des témoignages relatifs à la formula ne facilite évidemment pas la tâche de l’historien, mais il faut souligner d’emblée que dans tous les cas suffisamment renseignés indiqués infra, l’inscription dans la formula semble toujours étroitement liée à un service de nature militaire.

595 Cf. SHERK, RDGE, n° 22, l. 12 : « … Q. Lutatiu[s M.] Aemilius co(n)s(ules) a(lter) a(mboue) s(ei) e(is)

v(ideretur) eos in ameicorum formulam re[fe]rundos curarent… ». Ce sont les capitaines Asclépiade de Clazomène, Polystratos de Carie et Meniskos de Milet qui sont ainsi distingués, pour leurs vaillants services sur les mers aux côtés des Romains, sans doute pendant la guerre sociale. Pour le commentaire du le lien organique qui unit leur enrôlement dans la formula et les privilèges proprement diplomatiques, ainsi que l’ensemble des avantages qui leur sont accordés, cf. A. J. MARSHALL, ‘Friends of the Roman People’, AJPh, XCIX, 1, 1968, p. 39-55 (qui défend cependant encore l’existence d’une formula amicorum distincte), et, plus récemment A. RAGGI, ‘Senatus Consultum de Asclepiade Clazomenio sociisque’, ZPE, CXXXV, 2001, pp. 73-116, e. p. p. 109sq.

596 On connaît en effet deux cas de communauté ou d’individus qui se sont illustrés par leur ralliement aux Romains et leurs éminents services lors de la guerre contre Persée. Liv., XLIII, 6, 7-10 évoque d’abord ces Lampsacéniens venus demander l’amicitia des Romains en 170, et auxquels le Sénat fait cette réponse : « … Lampsacenos in sociorum formulam referre Q. Maenius praetor iussus ». Toujours d’après Liv., XLIV, 16, 4-7, en 169, c’est au tour d’Onésimus, noble macédonien pro-romain : « … senatus in formulam sociorum eum referri iussit… ». Dans ce dernier cas, la distinction accordée à un particulier (et non plus à une communauté) semblerait plaider en faveur de la distinction classique de SANDS indiquée supra. Mais outre qu’il est bien question de son inscription dans la formula sociorum (et non amicorum), il faut rappeler que, d’une certaine manière, Onésimus peut apparaître comme le représentant légitime d’une Macédoine fidèle à son traité avec Rome (cf. Liv., XLIV, 16, 5), et que le titre de ‘bons alliés’ est de toute façon donné aux représentants comme à leurs communautés, voir les exemples cités supra de SHERK, RDGE, n° 7 et 9. Enfin, on doit sans doute ajouter à ce dossier les formules de plusieurs inscriptions du tout début du IIe siècle relatives à la distinction d’individus comme ‘amis des Romains’ en Asie (cf. OGIS, n° 438 et 439 ; IGRR, IV, 291 et les remarques J.-L. FERRARY, ‘Rome et la géographie de l’hellénisme : réflexions sur ‘hellènes’ et ‘panhellènes’ dans les inscriptions d’époque romaine’ in O. SALOMIES éd., The Greek East in the Roman Context, Helsinki, 2001, pp.

cercle d’alliance des Romains, compte-tenu de la position particulière que ces derniers réservent à leurs partenaires italiques, il paraît également difficile de penser que ceux-ci n’ont pas bénéficié dès auparavant d’un traitement également spécial, bien que celui-ci n’ait sans doute pas été défini par la formula dont ces derniers relèvent à partir du IIIe s., c’est-à-dire la

formula togatorum597. Aussi se propose-t-on encore une fois de préciser les privilèges réservés aux représentants de ces différents cercles d’alliés, péninsulaires puis ultra-marins, pour mieux cerner la signification de la relation de societas sur le plan diplomatique.

La position particulière des alliés italiques

Il paraît en effet logique que l’importance de la contribution militaire des alliés du premier cercle, déjà symboliquement reconnue à tavers le titre que les Romains leur réservent, leur vale un traitement privilégié dans l’espace diplomatique de l’Urbs. Celui-ci doit les distinguer précisément des autres alliés de Rome, et les codes, les rituels et les comportements qu’il implique souligner sans doute l’importance vitale de leur alliance. Cependant, les sources manquent pour identifier avec assurance les spécificités de ces échanges diplomatiques entre Romains et Italiens, à la différence de ceux, plus nombreux et surtout plus directement attestés, qu’ils ont avec leurs alliés grecs d’outre-mer. On ne dispose ici que du témoignage des sources littéraires, presque uniquement au sujet des Latins, et pour une période qui n’est que rarement antérieure à la seconde guerre punique. Aussi demeure-t-on dans l’incapacité de saisir les évolutions qui ont pu affecter ces pratiques, et tout spécialement la manière dont elles se distinguent, dès l’origine ou seulement progressivement, de celles qu’on identifie plus clairement pour la diplomatie ultra-marine598.

19-35, e. p. p. 27 n. 48), ainsi que les témoignages littéraires relatifs à une telle distinction déjà évoqués supra (voir la liste de BOWMAN, art. cit., cependant incomplète, en particulier en Occident).

597 L’identité du terme formula, qui a pu inciter les historiens à distinguer les alliés militaires et leurs obligations précisément en vertu de la formula dont ils relèvent (voir par ex. ILARI, op. cit., p. 51sq), ne doit en effet pas conduire à conclure qu’il s’agit d’un même type de document. Nous avons déjà indiqué supra pourquoi la formula togatorum nous semblait se résumer à une liste romaine des soldats alliés susceptibles d’être mobilisés. Rien n’indique qu’un tel document ait pu prévoir formellement un quelconque privilège diplomatique pour les représentants de leurs communautés.

598 Sur ce sujet de la diplomatie romaine en Italie, voir désormais les travaux déjà cités supra de C. AULIARD,

La diplomatie romaine. L’autre instrument de la conquête. De la fondation à la fin des guerres samnites (735- 290 av. J.-C.), Rennes, 2006, et G. STOUDER, ainsi que, pour un IIe siècle plus riche en informations, celui de M. JEHNE, ‘Diplomacy in Italy in The Second Century B.C’, in C. EILERS éd., Diplomats and diplomacy in the Roman World, Brill, 2009, pp. 143-170 (Sur cette dernière période, voir aussi J.-M. DAVID, ‘La prise en compte des intérêts des Italiens dans le gouvernement de Rome’, in M. JEHNE et R. PFEILSCHIFTER éd., Herrschaft ohne Integration ? : Rom und Italien in republikanischer Zeit, Francfort-sur-le- Main, 2006, pp. 95-110). Pour la période antérieure au IIe siècle, le soupçon demeure souvent de ce que les sources décrivent ces échanges à l’aune de ce qu’ils sont en fait devenus ultérieurement, leur récit s’inspirant parfois plus particulièrement d’épisodes dramatiques comme ceux de la Guerre Sociale, voir le premier exemple analysé infra.

Il est cependant remarquable que, pour réduit que soit le nombre des réceptions diplomatiques au sujet desquelles les sources livrent quelque détail, elles sont très souvent liées à des questions militaires599. En dépit des multiples relations personnelles qui lient les représentants des alliés italiens aux sénateurs, et qui leur permettent sans doute de faire pression sur l’appareil de décision romain, l’échange diplomatique apparaît en effet toujours comme le mode privilégié de résolution des différends relatifs à ce qui constitue le cœur de la relation d’alliance600. Cela renvoie, au fond, à l’identification première des socii nominis

Latini comme partenaires militaires. De fait, sur la scène diplomatique, les sources prennent

soin de faire apparaître les représentants de ces alliés comme agissant au nom de ce groupe privilégié dont le dénominateur commun est précisément la relation de societas avec Rome. On les voit en effet toujours venir en ambassade groupée dans la cité. C’est bien sûr le cas dans des épisodes au sujet desquels on soupçonne volontiers le récit annalistique d’anachronismes, comme la réception des principes des communautés latines en voie de sécession en 340, dont le récit semble s’inspirer étroitement de la tradition relative à la délégation des Italiens révoltés à la veille de la Guerre Sociale601. Mais plus précieuses paraissent les informations que livrent les sources au sujet d’épisodes postérieurs, à l’époque

599 En effet, si on complète la liste de JEHNE, art. cit. pour la période antérieure au IIe siècle, on se rend compte que la question militaire est au cœur de la réception des Latins à Rome en 340, qui se voient alors reprocher l’emploi des armes contre les Samnites (Liv., VIII, 3, 8sq et 5, 6-7) ; de celle de 209, à l’occasion de laquelle 12 colonies refusent de fournir leur contingent (Liv., XXVII, 9, 7-10, 10) ; de l’épisode (sans réception au Sénat) de 204, lors duquel ces dernières se voient intimer l’ordre de le fournir (Liv., XXIX, 15, 4-15) ; de la réception des représentants de Narnia en 199, Cosa en 196, et Plaisance et Crémone en 190, qui réclament tous un supplementum (Liv., XXXII, 2, 6 ; XXXIII, 24, 8 ; XXXVII, 46, 9) ; de celle des socii nominis Latini en 193 pour la mobilisation de leurs troupes (Liv., XXXIV, 56, 5-7) ; de celles de 187 puis 177 pour leurs plaintes au sujet de l’émigration de leurs concitoyens à Rome ((Liv., XXXIX, 3, 4 et XLI, 8, 6-12) ; de celle des délégués d’Aquilée réclamant des fortifications en 171 (Liv., XLIII, 1, 5-8), puis demandant un supplementum en 169 (Liv., XLIII, 17, 1) ; ou même encore de celle des représentants de Pise en 168, dans la mesure où la querelle qui les oppose aux colons de Luna affecte leur potentiel militaire à travers leur territoire (Liv., XLV, 13, 10). On ignore cependant quel est l’objet de l’ambassade de Tiburtes, sans doute en 159, attestée par une inscription (ILS, 19).

600 Comme le remarque justement JEHNE, art. cit., p. 149sq qui explique précisément la rareté des témoignages sur les ambassades italiennes (par différence avec celles de l’Orient) par le faible recours à l’échange diplomatique de la part des partenaires péninsulaires de Rome. Remarquons cependant que le seul exemple qu’il puisse mobiliser à l’appui de la thèse des relations particulières d’hospitium qui unissent Italiens et Romains, est celui de Liv., II, 22, 6-7, analysé supra dans le chap. I, qui débouche précisément sur la conclusion du foedus Cassianum. Très antérieur à la période analysée ici, on acceptera cependant de voir dans le récit qu’en font les sources la projection a posteriori des pratiques de la période médio-républicaine, mais on n’oubliera pas que le recours à l’hospitium s’inscrit ici dans une démarche proprement diplomatique. Les Latins se servent de leurs relations personnelles, mais pour venir à Rome en tant que représentants diplomatiques de leurs communautés. 601 Cf. Liv., VIII, 3, 8 : « Ceterum Romani … decem principes Latinorum Romam euocauerunt, quibus

imperarent quae uellent ». L’historien augustéen précise ensuite (§ 9) que les deux préteurs du Latium, L. Annius de Sétia et L. Numisius de Circéi sont convoqués aussi nominatim : comme l’a réaffirmé G. DIPERSIA, ‘La polemiche sulla guerra sociale nell’ambasceria latina di Livio VIII, 4-6’, in M. SORDI éd., Storiografia e propaganda, CISA, III, 1975, pp. 111-120, cela rappelle le rôle des chefs marse et samnite Q. Poppaedius Silo et C. Papius Mutilus au moment du bellum sociale, et l’ensemble du récit livien doit se ressentir de l’œuvre d’un annaliste au fait de la dernière ambassade italienne avant le déclenchement du conflit, cf. App., B.C., I, 176.

de la deuxième guerre punique et peu après. En 209 en effet, ce sont les legationes des douze colonies qui sont présentes à Rome et s’apprêtent à manifester aux consuls Q. Fabius Maximus et Q. Fulvius Flaccus leur refus de contribuer encore à l’effort de guerre. De même, les legati des dix-huit colonies désireuses de remplir leur devoir semblent également se présenter ensemble pour répondre à la convocation des Romains un peu plus tard602. À vrai dire, cela correspond à la pratique bien établie ultérieurement de la venue groupée des représentants des socii nominis Latini dans l’Urbs pour s’y voir notifier le montant des contingents exigés d’eux à chaque début d’année, comme en témoigne un passage de Tite- Live relatif à la levée de 193603.

La venue en groupe des députés des différentes catégories d’alliés péninsulaires est du reste également attestée au début du IIe siècle604. De la part des Latins et des Italiens, le choix de la délégation conjointe obéit bien évidemment à la volonté de disposer d’une représentation de plus de poids au Sénat. Mais il signale aussi à quel point ils ont intégré le principe de cette identification collective comme socii nominis Latini qui leur a été initialement imposée par les Romains, et que sanctionne symboliquement leur apparition commune dans l’espace diplomatique de l’Urbs. La voix commune qui en résulte apparaît d’ailleurs sous les traits du Frégellan qui, en deux occasions au moins, semble prendre la parole pour défendre leurs intérêts. C’est le cas en 209, lorsque M. Sextilius de Frégelles s’engage, au nom des dix-huit colonies fidèles, à fournir les forces que les Romains désirent605. Le fait qu’un représentant d’une des colonies latines dont la contribution à l’effort de guerre romain est la mieux attestée par les sources soit identifié à deux reprises comme le porte-parole du parti de la fidélité en matière d’obligations militaires renforce encore, dans l’espace diplomatique, l’identification collective des socii nominis Latini comme alliés de premier plan606.

602 Cf. Liv., XXVII, 9, 7 : « Triginta tum coloniae populi Romani erant ; ex iis duodecim, cum omnium

legationes Romae essent, negauerunt consulibus esse unde milites pecuniamque darent », et 10, 2 (à propos des mêmes consuls) : « pertemptatis prius aliarum coloniarum animis citauerunt legatos quaesiueruntque ab iis ecquid milites ex formula paratos haberent ».

603 Cf. Liv., XXXIV, 56, 5 : « item sociis et Latino nomini, magistratibus legatisque eorum qui milites dare

debebant, edixit ut in Capitolio se adirent ». On peut également renvoyer à Pol., VI, 21, 4 qui explique que les consuls informent les cités alliées d’Italie des conditions de mobilisation de leurs troupes au service de Rome, mais sans préciser toutefois si cela passe par une convocation de leurs représentants diplomatiques dans l’Urbs. 604 Un nombre sans doute important de communautés latines et même italiennes, soucieuses de faire connaître leurs difficultés à faire face à l’émigration de leurs concitoyens députent en effet à ensemble à Rome en 187 et 177, cf. Liv., XXXIX, 3, 4 et Liv., XLI, 8, 6

605

Cf. Liv., XXVII, 10, 3-4 : « Pro duodeuiginti coloniis M. Sextilius Fregellanus respondit… ». Voir T. SCHMITT, ‘Sextilius, I 3’, DNP, XI, 2001, col. 489.

606 Voir infra chap. V et VI pour la contribution militaire des Frégellans. Et c’est sans doute aussi lors de l’ambassade de 177, si on accepte la thèse de L. MALCOVATI, ORF, I, n° 94 selon laquelle c’est un certain L. Papirius de Frégelles qui prend la parole pro Fregellanis colonisque Latinis (Cf. Cic., Brut., 170) en 177 (contra

Cette relation privilégiée, enfin, peut se lire jusque dans les modalités de la réception à Rome. On est, dans ce domaine, beaucoup moins renseigné qu’au sujet des ambassades des partenaires ultra-marins que l’on traitera plus loin, tant les sources sont avares de précisions sur les conditions de la réception dans l’Urbs et surtout de l’audition devant le Sénat. Il est cependant remarquable que lorsqu’elles éprouvent le besoin de préciser le lieu de réception des ambassadeurs péninsulaires, elles indiquent un lieu particulièrement symbolique. C’est le cas dans l’épisode déjà évoqué de la convocation des ambassadeurs latins à Rome en 340. Tite-Live précise en effet (VIII, 5, 1) :

« Ubi est Romam uentum, in Capitolio eis senatus datus est »607.

Le Sénat leur intime alors l’ordre de ne pas combattre les Samnites, qui sont liés à Rome par un foedus, et ce au nom du foedus Cassianum renouvelé en 358. Qu’ils se voient ainsi rappelés à leurs obligations dans le temple de Jupiter Capitolin, divinité garante des serments, n’est évidemment pas sans importance. Le récit de Tite-Live est tout entier traversé par ce thème de la violation des foedera qui expose le parjure à la sanction des dieux, et qui trouve son illustration dans la tradition selon laquelle L. Annius de Sétia, parce qu’il aurait insulté le dieu, aurait fait, en sortant du temple, une chute et se serait brisé le crâne contre un

saxum608. À vrai dire, le message est tellement limpide qu’on est en droit de se demander si Tite-Live, ou l’annaliste dont il s’inspire, n’a pas choisi de représenter la scène au Capitole précisément parce que cela servait son propos.

Le fait est, cependant, que le Capitole apparaît comme un lieu essentiel dans la mise en scène des relations entre Romains et Italiens dans l’enceinte de l’Urbs. On a déjà évoqué plus haut ce passage de Tite-Live, auquel il faut peut-être attribuer une valeur normative, et

une datation en 126 ou 125, à la veille de la révolte de Frégelles), voir aussi ‘L. Papirius Fregellanus’, Athenaeum, XLIII, 1955, pp. 137-140 où elle conteste l’hypothèse de E. BADIAN, ‘L. Papirius Fregellanus’, C.R., LXIX, 1955, pp. 22-23 selon laquelle le Frégellan plaide contre l’expulsion des Latins de Rome, et, plus récemment, à JEHNE, op. cit., p. 151 n. 32. Le fait même que les sources aient conservé si précieusement le souvenir du rôle militaire et diplomatique des Frégellans malgré la révolte et la destruction de leur cité par les Romains en 125 plaiderait d’ailleurs pour l’authenticité des faits. À moins de considérer que c’est justement à cause de la répression dont a fait l’objet Frégelles qu’une historiographie sensible à la question italienne a imposé sa version des échanges diplomatiques avec les socii nominis Latini en figurant leur porte-parole sous les traits du Frégellan, afin de souligner la fidélité mais aussi la justesse des revendications des alliés péninsulaires. 607 « Après leur arrivée à Rome, les délégués latins se virent accorder une audience du Sénat au Capitole » (Trad. de R. BLOCH et Ch. GUITTARD, TITE-LIVE, Histoire romaine, Tome 8, Livre VIII, Paris, 1987). 608 En réponse au discours de L. Annius demandant le partage du pouvoir entre Romains et Latins, qui sera analysé infra chap. IV, T. Manlius Torquatus mobilise en effet le souvenir des anciens foedera qui, à ses yeux, dictent la soumission aux Latins, et les sénateurs eux-mêmes invoquent les dieux, testes foederum (Liv., VIII, 5, 9-10 et 6, 1). Quant à l’épisode qui suit du châtiment divin d’Annius, insultant Jupiter et frappé consécutivement par un saxum comme celui qu’on utilise lors du sacrifice présidant à la conclusion du serment (voir supra chap. II), il est juste de rappeler que Tite-Live jette le doute sur l’authenticité de la tradition qui rapporte qu’il en meurt, tout comme sur celle qui fait état d’un coup de tonnerre lorsque l’assistance prend les dieux à témoin de la ruptio foederum (Liv., VIII, 6, 1-3) : l’artifice littéraire lui paraît par trop évident.

selon lequel Q. Minucius Thermus ordonne le rassemblement des magistrati et legati italiens sur le Capitole en 193 av. J.-C. (Liv., XXXIV, 56, 5). Dans la mesure où il s’agit de leur demander la fourniture de troupes, le lieu n’a rien d’étonnant puisque il est aussi, classiquement, celui du dilectus des citoyens romains609. Mais précisément parce qu’ils sont les représentants de peuples étrangers, un tel lieu de rassemblement prend une signification particulière. La réception par les magistrats romains au Capitole les réunit certes symboliquement, eux et les citoyens des communautés qu’ils représentent, aux citoyens romains mobilisables dont ils sont appelés à partager le sort sur le champ de bataille, mais elle