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Un mode original de formation de l’alliance, la fondation coloniale latine (début du V e siècle – fin du III e siècle av J C.)

CHAP I : LES CONDITIONS POLITIQUES DE L’ALLIANCE MILITAIRE

4. Un mode original de formation de l’alliance, la fondation coloniale latine (début du V e siècle – fin du III e siècle av J C.)

Il faut enfin évoquer la colonisation latine qui, parmi les modalités de la ‘fabrique’ des alliances militaires, constitue une option d’importance majeure dans l’histoire de Rome267. La fourniture de troupes par ces colonies, ainsi que l’obligation dans laquelle se trouve la République de les protéger, autorisent leur classement parmi les socii, à côté des communautés que Rome s’est ralliées par la diplomatie ou par les armes. Ces communautés, en tant qu’elles sont dotées d’une véritable existence politique, deviennent donc des interlocuteurs de plus dans la diplomatie militaire de Rome268. Communautés autonomes à part entière, à la différence des coloniae ciuium Romanorum, leur existence semble donc s’intégrer parfaitement au dispositif par lequel les Romains organisent leurs alliances militaires dans les conditions politiques précédemment définies. Les circonstances de leur création incitent pourtant à traiter leur cas à part : résultats d’une deductio décidée par Rome et ses alliés latins jusqu’en 338, puis par Rome seule jusqu’à la fin du IIIe siècle269, elles ne préexistent constitutionnellement pas à cette décision, et par conséquent leur alliance n’est pas de la même nature que celle qui procède du rapport diplomatique entre deux communautés, tel que nous l’avons déjà analysé ci-dessus. Sauf à considérer que cette création ex novo n’implique, au-delà de l’affrontement initial qui conduit à la confiscation territoriale préalable

267 Pour une première approche du phénomène, à distinguer soigneusement de la colonisation civique romaine, voir la définition sommaire de H. GALSTERER, ‘Coloniae’, DNP, III, coll. 76-85, e. p. col. 83, et surtout E. T. SALMON, Roman Colonization under the Republic, Londres, 1969 ; A. BERNARDI, Nomen Latinum, Pavie, 1973 ; les multiples contributions rassemblées dans La colonizzazione romana tra la guerra latina e la guerra annibalica, Dialoghi di Archeologia, s. III, a. VI, n. 2, 1988, ainsi que dernièrement D. KREMER, Ius Latinum : le concept de droit latin sous la République et l’Empire, Paris, 2007 pour sa dimension proprement juridique.

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Il revient d’ailleurs à M. JEHNE, ‘Diplomacy in Italy in The Second Century B.C’, in C. EILERS éd., Diplomats and diplomacy in the Roman World, 2009, pp. 143-170, d’avoir dernièrement remarqué que les échanges diplomatiques attestés entre Rome et les colonies portent, de manière significative, essentiellement sur des questions intéressant leur capacité de mobilisation militaire.

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Par colonisation latine, nous ne désignons en effet que le phénomène de la colonisation de statut latin à vocation militaire attestée dans l’Italie d’époque républicaine, que les sources laissent entrevoir du début du Ve siècle au tournant des années 180, cf. Annexe 3. On exclut donc la colonisation ‘latine’ d’époque royale en tant que modalité de ‘fabrication’ d’alliances militaires (ce qui ne signifie pas que ces colonies ne sont pas considérées en tant qu’alliés militaire effectifs pendant la période républicaine), voir pour une appréhension positive de ce problème complexe F. COARELLI, ‘Colonizzazione e municipalizzazione : tempi e modi’, in F. COARELLI, M. TORELLI, et J. UROZ SÁEZ éd., Conquista romana y modos de intervención en la organización urbana y territorial, Dialoghi di Archeologia, Ser. 3, X, 1992, 1-2, pp. 21-30 ; F. CÀSSOLA, ‘Aspetti sociali e politici della colonizazzione’, in La colonizzazione romana tra la guerra latina e la guerra annibalica, Dialoghi di Archeologia, s. III, a. VI, n. 2, 1988, 1995, pp. 5-17 et G. BANDELLI, ‘Coloni e municipi dall’età monarchica alla guerre sannitiche’, in Nomen Latinum. Latini e Romani prima di Annibale, Eutopia, IV, 2, 1995, pp. 143-197. Et on laisse naturellement de côté les fondations postérieures au IIIe siècle, ce qui signifie en particulier que le phénomène reste circonscrit à la seule péninsule italienne – Italica, fondée en 206 en Espagne, n’étant manifestement pas une fondation coloniale latine, cf. G. BANDELLI, ‘La colonizzazione romana della penisola iberica’, in G. URSO éd., “Hispania terris omnibus felicior” : premesse ed esiti di un processo di integrazione, Pise, 2001, pp. 105-142 et F. CADIOU, Hibera in terra miles. Les armées romaines et la conquête de l’Hispanie sous la République (218-45 av. J.-C.), Madrid, 2008, p. 636sq.

à la deductio, quelque forme de négociation avec les vaincus, aboutissant par exemple à leur intégration dans la fondation. Mais la formulation d’une telle hypothèse implique d’abord d’affronter les difficultés du dossier colonial tel que nous le livrent les sources.

Le filtre des sources : droit de conquête et colonisation stratégique

Les historiens anciens de l’expansion romaine pouvaient difficilement éviter de prêter une attention particulière au phénomène colonial, vecteur essentiel de la romanisation de la péninsule italienne, puis de l’Occident méditerranéen. Bien qu’ils n’aient pas toujours fait clairement la distinction avec les coloniae ciuium Romanorum, la colonisation latine, par son importance stratégique et numérique du Ve siècle au IIe siècle avant J.-C., ne pouvait que leur apparaître comme la stirps augendae causa par excellence270. De fait, sur la base d’une documentation officielle émanant des institutions romaines elles-mêmes, sans doute remaniée par les antiquaires du Ier siècle avant J.-C., des historiens comme Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, ou encore Velleius Paterculus dans les fameux chapitres XIV et XV du premier livre de son Histoire romaine, nous renseignent de manière assez sûre sur toute une série de faits relatifs à la longue histoire de cette colonisation : datation, identité, territoire, procédure et distribution de terres…271. Mais, dans la mesure même où ces informations font l’objet d’une compilation encore plus minutieuse que pour les faits diplomatiques, elles offrent matière à une réinterprétation de leur part, en fonction des préoccupations idéologiques propres à leur temps. Le principal effet de cette relecture est l’élaboration d’un modèle homogène de la colonisation, quant à ses motivations et ses modalités, projeté a

posteriori sur l’ensemble de la période, sans que soit toujours prêtée une attention suffisante

aux transformations profondes qui interviennent sur une si longue durée, en particulier autour du IVe siècle.

De ce modèle idéologique, on parvient à identifier sans trop de peine ce qui relève manifestement de conceptions polémiques post-gracquiennes, et d’en abstraire ainsi les récits livien et dionysien afin de refaire toute sa place à l’élément proprement latin, lors des

270 Nous reprenons l’expression à Liv., XXVII, 9, 11, à l’occasion de la fameuse affaire des douze colonies rebelles en 209. Il faut remarquer que l’importance et l’originalité de la colonisation latine sont identifiées très tôt comme un élément de la ‘réussite’ romaine, comme en témoigne la lettre de Philippe V à Larissa en 217 (SIG³, 543), faisant le double éloge de l’intégration des affranchis par les Romains et de leur politique coloniale (ce dernier en identifiant alors 70, sans qu’on sache à quoi ce chiffre correspond exactement).

271 L’hypothèse d’une compilation tardo-républicaine au sujet de la colonisation, peut-être à caractère antiquaire, est défendue par M. H. CRAWFORD, ‘La storia della colonizazzione romana secondo i Romani’, in A. STORCHI MARINO, L’incidenza dell’antico. Studi in memoria di Ettore Lepore, I, Naples, 1995, pp. 187-192. Beaucoup d’historiens de la colonisation romaine s’accordent pour donner un grand crédit aux informations ‘factuelles’ livrées par les sources, voir par exemple l’analyse de U. LAFFI, ‘La colonizzazione romana tra la guerra latina e l’età dei Gracchi : aspetti istituzionali’, in La colonizzazione romana op. cit., pp. 23-33.

deductiones des Ve et IVe siècles avant J.-C.272. Mais il faut aussi prendre garde de ce que d’autres éléments de cette lecture, qui ont pourtant bien les apparences de la plus pure évidence pour la période qui suit, sont tout aussi susceptibles d’une réinterprétation idéologique, élaborée dans un contexte bien particulier. C’est le cas par exemple, de la vision classique selon laquelle les colonies latines sont comme les propugnacula imperii chers à Cicéron, forteresses avancées du dispositif de défense de Rome en Italie, naturellement appelées à répandre le nom latin au milieu même de ses ennemis : sans nier l’importance militaire de la colonisation latine depuis l’époque archaïque, on peut se demander si la mentalité obsidionale et le ‘patriotisme’ qui l’accompagnent n’ont pas pu s’exprimer clairement dans une phase déjà assez avancée de l’histoire de la colonisation latine273. La question nous intéresse d’autant plus qu’une telle conception de la colonisation semble interdire a priori, en accentuant l’opposition avec les peuples victimes des confiscations territoriales, toute forme de conciliation. Si elle est historiquement datée cependant, le fossé n’est peut-être pas toujours apparu aussi grand.

Il est pourtant un élément, fondamental à la compréhension du rapport qui préside à la

deductio et à l’alliance qu’elle génère automatiquement, que les sources, au-delà des

déformations ultérieures, restituent avec constance et précision : c’est l’appropriation du sol en vertu du droit de conquête274. Les consuls de 209, lorsqu’ils rappellent leur origine romaine aux délégués des douze colonies épuisées par la guerre qui refusent de fournir troupes et argent, insistent sur le fait qu’elles sont établies in agrum bello captum275. Mais, surtout, les

272 Les lignes ci-dessus doivent beaucoup à l’excellente mise au point de F. CÀSSOLA, ‘Aspetti sociali e politici della colonizazzione’, in La colonizzazione romana tra la guerra latina e la guerra annibalica, Dialoghi di Archeologia, s. III, a. VI, n. 2, 1988, pp. 5-17 qui propose d’identifier et de dater trois éléments de la relecture du phénomène colonial : l’explication ‘politique’ post-gracquienne associant la colonisation à la plèbe urbaine ; le thème des réticences face à une colonisation éloignée, sans doute propre à la période immédiatement consécutive à la seconde guerre punique ; et la vocation de stirpis augendae causa affirmée pour y répondre. Sur le premier point, il faut rappeler le témoignage le plus ancien que constitue Caton, ORF, 8, fr. 13, selon lequel il veut des agriculteurs pour ces colonies, et non les paresseux de la plèbe urbaine.

273 Cf. Cic., de lege agr., II, XXVII, 73 pour les propugnacula imperii. Liv., VI, 9, 3 semble suivre la même inspiration avec les fameux claustra Etruriae Sutrium et Nepete. Ces deux citations ont beaucoup contribué à fixer la doctrine historiographique d’une colonisation à vocation essentiellement stratégique, en particulier à travers une approche géopolitique. Cette mentalité de ‘frontière’ persiste longtemps, voir récemment O. De CAZANOVE, ‘Les colonies latines et les frontières régionales de l’Italie : Venusia et Horace entre Apulie et Lucanie : Satires, II, 1, 34’, Mélanges de la Casa de Velázquez, XXXV, 2005, pp. 107-124, ce qui ne signifie pas qu’elle a toujours existé, voir nos hypothèses infra sur sa genèse probable à la fin du IIIe siècle.

274 Nous développons ici une intuition fondatrice de CÀSSOLA, art. cit., qui identifie deux ‘noyaux durs’ de la tradition : le droit de conquête que résume la formule du tribun de la plèbe M. Sextius au sujet du projet de colonisation de Bola en 414 en Liv., IV, 49, 11 : « …dignum enim esse qui armis cepissent, eorum urbem agrumque Bolanum esse… » ; et la place centrale du général conquérant dans le processus de colonisation, qui n’est pas simplement une projection du rôle des imperatores de la République tardive.

275 Liv., XXVII, 9, 11 : « Admonerent non Campanos neque Tarentinos esse eos sed Romanos, inde oriundos,

inde in colonias atque in agrum bello captum stirpis augendae causa missos ». Ce passage, que nous ajoutons au dossier de CÀSSOLA, associe trois thèmes idéologiques essentiels à la compréhension des relations entre

auteurs anciens, à l’occasion d’une notice de fondation coloniale, soulignent très fréquemment l’origine du territoire confisqué. Comme on le voit dans la troisième rubrique des tableaux 1 et 2 de l’Annexe 3, la mention du peuple possédant antérieurement le territoire est explicite dans au moins une des sources dans cinq cas sur douze pour la période de colonisation ‘fédérale’ (508-383), et douze sur vingt-trois pour celle de la colonisation d’initiative romaine (334-218). On peut d’ailleurs ajouter que, déjà très fréquente chez Tite-Live, et même perceptible à travers les Periochae, elle devient systématique à partir de 218 : compte-tenu de la normalisation des notices liviennes à partir de la décade, on peut même se demander si cette mention ne remonte pas à la lex de fondation coloniale276. Le fait même que l’on trouve parfois des versions contradictoires au sujet de cette origine (dans deux cas : Carseoli et Ariminum) atteste de l’importance et de la richesse des traditions qui se rattachent à ce thème. Tout son intérêt réside en effet dans le droit en vertu duquel elle a été prise et légitimement appropriée par le conquérant, comme le laisse déjà bien entendre Denys d’Halicarnasse lorsqu’il rapporte, en 467, la décision des tribuns de la plèbe de distribuer une partie de la terre (IX, 59, 1) :

« e)k th=j )Antiatw=n xw/raj h$n tw|= prote/rw| e)/tei do/rati e(lo/ntej kate/sxon »277

.

Si le droit de la lance sous-tend le ‘titre de propriété’ sans lequel aucune fondation ex

novo ne pourrait être entreprise, la notice, en plus des contradictions des auteurs à ce sujet

(voir les cas d’Aesernia et Ariminum), se complique parfois d’une généalogie plus longue qui constitue comme la ‘mémoire’ juridique du territoire. Pour Frégelles et Sora, on trouve en effet la mention d’une double dépossession / appropriation, et on peut se demander si elle ne répond pas ici, au-delà de sa valeur ‘juridique’, à une vocation de propagande, les Romains cherchant alors à présenter la fondation coloniale comme une mesure de ‘restitution’ à l’égard du peuple qui possédait le territoire à l’origine278. Dans tous les cas, la mention indique nettement un rapport fondé sur la violence de l’appropriation. Mais la colonisation latine doit- Romains et alliés latins : la parenté commune, l’établissement en vertu du droit de conquête et la mission de diffusion du nom latin. Le premier et le dernier ont déjà été succinctement analysés supra.

276 Après Plaisance et Crémone (Liv., Per., XX, 18 : « coloniae deductae sunt in agro <de> Gallis capto

Placentia et Cremona »), cf. Annexe 3, la mention est en effet systématique pour les fondations postérieures : Thurii Copia (Liv., XXXIV, 53, 1 ; 2) ; Vibo Valentia (Liv., XXXIV, 53, 1-2 et XXXV, 40, 6) ; Bononia (Liv., XXXVII, 57, 8) ; Aquiléia (Liv., XL, 34, 2) et Luna / Luca (Liv., XLI, 13, 5, mais son statut latin est discuté). 277 « … d’une partie du territoire des Antiates qu’ils avaient pris par la lance l’année précédente et qu’ils

détenaient désormais ».

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C’est-à-dire les Segnini pour celui de Fregelles, occupé ensuite par les Volsques (Liv., VIII, 22, 2), et les Volsques eux-mêmes pour celui de Sora, conquise par les Samnites (Liv., X, 1, 2), cf. Annexe 3. On trouve d’ailleurs des cas comparables au IIe s. avec Vibo Valentia, grecque avant d’être bruttienne (Liv., XXXV, 40, 6), ou encore Bononia et Luna / Luca, étrusques avant d’être occupées par les Gaulois ou les Ligures (Liv., XXXVII, 57, 8 et XLI, 13, 5).

elle être nécessairement pensée selon des termes si exclusifs ? Il convient sans doute de moduler la réponse en réintroduisant la chronologie dans ce long processus colonial.

Une évolution du rapport aux vaincus ?

Pour conduire l’analyse, il faut distinguer plusieurs périodes : celle de la colonisation latine ‘fédérale’, qui complique le dossier d’une double responsabilité colonisatrice latine et romaine ; et celle de la colonisation latine d’initiative romaine dans une première période, à partir de 334 et jusqu’à la seconde guerre punique, les dernières fondations de Placentia et Cremona donnant elles-mêmes une nouvelle tonalité au processus279. Les conditions exactes de la colonisation latine dite ‘fédérale’, qui se développe en particulier après la période du

foedus Cassianum, sont sans doute les plus difficiles à établir. On est en effet dans

l’incertitude au sujet de deux paramètres essentiels : le degré de développement civique de Rome et des cités latines qui lui sont alliées, et partant, la nature exacte de leurs relations avec des colonies latines que l’on présente a posteriori comme des cités à part entière ; et l’identité exacte des responsables de telle ou telle entreprise coloniale, et donc de leurs participants réels280. L’analyse historique permet cependant d’établir deux constats. En premier lieu, le scénario général est celui d’une colonisation à vocation essentiellement défensive : tournée contre les Volsques vers le Sud, d’abord d’initiative latine (Velitrae, Norba, Antium et Ardée), et ensuite plus nettement romaine (Circeii, Satricum et Setia) ; anti-èque vers l’intérieur (Labicum et Vitellia) et anti-Étrusque vers le Nord (Sutrium et Nepete), cette dernière paraissant intéresser surtout les Romains. Ensuite, les communautés ainsi créées deviennent les nouveaux membres à part entière du nomen Latinum. Conformément au trait caractéristique majeur du modèle traditionnel de la fondation, la colonisation intervient, dans la plupart des cas, à la suite d’une conquête violente (Velitrae, Norba, Antium, Labicum, Circeii, Vitellia, Satricum, Setia).

279 Face au caractère monolithique de l’information livrée par les auteurs anciens sur la question coloniale, la distinction de ruptures majeures est, en soi, un problème. Aux propositions implicites des sources autour du début du IVe s. (Vell., I, 14, 1, l’historien identifiant 100 av. J.-C. comme la fin de ce moment, qui laisse ensuite place à la phase propre aux coloniae militares), et de la seconde guerre punique (Vell., I, 15, 1, qui semble concorder avec Liv., XXVII, 9sq au sujet de la fameuse affaire de 209), il convient d’ajouter le moment majeur du fameux règlement de 338, qui change la nature même de la colonisation latine, et prélude à son redémarrage et à son extraordinaire extension dans la péninsule. Nous n’ignorons pas que d’autres inflexions marquent cette histoire, en particulier dans leur rapprochement constitutionnel avec Rome autour de la genèse du fameux ius Ariminensium après la fondation d’Ariminum de 268, cf. BERNARDI, op. cit., p. 276sq.

280 On s’accorde en effet pour voir dans les grandes gentes des acteurs essentiels de la colonisation, mi- privée mi- publique, propre à cette phase pré-civique de l’histoire du Latium, tout comme ils le sont pour la diplomatie, voir nos analyses supra.

Mais, mis à part le cas d’Ardée, pour lequel les sources présentent la colonisation comme un artifice juridique destiné à réparer le scandale de la confiscation du territoire de Corioles281, quelques fondations semblent cependant intervenir dans des conditions un peu différentes. Elles paraissent en effet faire suite à une sollicitation de la communauté sur le territoire duquel la fondation prend place : Norba en 492, Nepete et Sutrium entre 386 et 383. Mais la discontinuité de l’information historique empêche d’arriver à une conclusion très ferme sur ce point : les sources ne s’accordent jamais pour montrer unanimement une communauté en position de demandeuse d’une colonie latine282. Dans ces conditions, on s’interroge sur le processus exact qui y conduit : la sollicitation d’une protection militaire sous la forme d’une garnison ne se transforme-t-elle pas alors en établissement durable quelque peu forcé pour les demandeurs ? Si on retient l’hypothèse d’un scénario pacifique, et non d’une prise violente qu’auraient tue les sources, on peut imaginer que les habitants sont alors intégrés à la colonie en tant que membres actifs du corps civico-militaire, mais rien ne permet de l’affirmer. De fait, même dans le cas des communautés soumises à la colonisation par la force, les sources ne nous disent rien sur le sort exact fait aux autochtones.

Le cas d’Antium fait cependant exception. On sait que la cité volsque a fait deditio auprès de T. Quinctius Capitolinus en 468, avant de recevoir une colonie latine l’année suivante. Les sources précisent alors l’identité des colons : Tite-Live et Denys d’Halicarnasse s’accordent pour dire que les Romains laissent la possibilité aux Volsques de s’enrôler dans la colonie, le Padouan précisant bien que l’intégration des derniers est la conséquence non- voulue des réticences des plébéiens à partir pour la colonie, tandis que l’historien grec évoque aussi la participation de Latins et d’Herniques, faisant ainsi de la fondation un cas exemplaire de colonisation ‘fédérale’283. Au-delà de la coloration post-gracquienne du récit fortement polémique de l’affrontement entre les ordres et des réticences plébéiennes, on se demande s’il n’y a pas là une projection pure et simple de l’admission postérieure des Volsques dans la colonie à l’occasion de son intégration à la civitas Romana en 338284. Finalement, le silence

281 La présentation de l’affaire, fortement intégrée à l’affrontement plèbe / patriciat, paraît nettement anachronique, cf. Annexe 3 pour les sources.

282 Pour Norba, seul D.C., fr. 18, 4 nous montre la cité en demande d’une colonie, Liv., II, 34, 6 et D.H., VII, 13, 5 ne précisant pas une telle origine diplomatique. Pour Nepete, la fondation décidée en 383 (Liv., VI, 21, 4)