• Aucun résultat trouvé

CHAP III : ASPECTS DIPLOMATIQUES ET SYMBOLIQUES D’UNE RELATION

3. Rome, le lieu d’une reconnaissance réciproque

Plus que toute autre occasion en effet, la réception des représentants des communautés alliées dans l’Urbs se prête à l’expression de la reconnaissance réciproque des parties pour leur engagement dans une collaboration militaire active, comme on l’a déjà vu à travers l’attribution des titres. Les conditions particulières et solennelles de la réception sont en fait destinées à la mettre en scène, en montrant aux yeux de tous dans quelle estime exceptionnelle est tenue la communauté dont les ambassadeurs sont ainsi traités. Elles esquissent ainsi le décor dans lequel cette reconnaissance peut être explicitement énoncée. L’expression d’une telle gratitude emprunte naturellement la voix du discours, par exemple

636

Cf. R. D. WEIGEL, ‘Meetings of the Roman Senate on the Capitoline’, AC, LV, 1986, pp. 333-340 et M. BONNEFOND-COUDRY, Le Sénat de la République romaine op. cit., p. 65sq pour la signification politique du choix de ce lieu par les Romains. Pour les alliés ultra-marins, Seul le cas des Sagontins, analysé infra, est attesté pour une réception du Capitole, bien qu’on puisse se demander si elle n’est pas parfois impliquée par les démarches diplomatiques d’alliés voulant faire une offrande à Jupiter Optimus Maximus, voir les exemples analysés infra.

637 Pour le discours des Sagontins proprement dit, cf. Liv., XXVIII, 39, 1-16 et nos analyses infra. Il faut préciser que le premier acte accompli par l’Assemblée lors de cette session concerne en fait les Jeux voués par Scipion en 206, à l’occasion de la mutinerie de Sucro (cf. Liv., XXVIII, 38, 14) : au-delà de l’urgence des obligations religieuses, celui-ci aura pris le risque de commencer le débat par l’affaire la plus embarassante quant à sa crédibilité de chef militaire, et ce sans doute afin de mieux l’enterrer. L’introduction consécutive des Sagontins semble répondre à un tel calcul, et, de fait, dans sa critique en règle du plan de débarquement de Scipion en Afrique, Q. Fabius Maximus n’y fait pas allusion dans le débat qui suit (cf. Liv., XXVIII, 40sq).

devant les sénateurs lors de l’audition, mais elle peut également passer par les gestes que les ambassadeurs ont reçu mission de faire devant leurs hôtes à Rome même638. Ici encore, la connaissance que nous pouvons avoir de la relation qui unit les Romains et leurs alliés est déséquilibrée, puisque nous ne pouvons guère nous appuyer que sur la mémoire civique des décisions romaines qui sanctionnent les témoignages de gratitude auxquels elle donne lieu. Mais dans la mesure où l’expression de la reconnaissance provoque souvent l’engagement d’un dialogue, et que les archives sénatoriales comme des inscriptions encore visibles à l’époque des annalistes en ont parfois recueilli le souvenir, l’entreprise qui consiste à explorer la réciprocité de la relation unissant Romains et alliés à travers leur double expression n’est pas complètement désespérée. À Rome en effet, les alliés se félicitent mutuellement pour les services qu’ils ont pu se rendre dans le cadre d’une collaboration militaire, et ils n’hésitent pas non plus à rappeler eux-mêmes ceux dont ils sont les auteurs.

Les Romains aux alliés reconnaissants

Cette mémoire civique, en effet, a d’abord gardé trace des honneurs que les Romains aiment à réserver à leurs alliés lorsqu’ils estiment qu’ils leur ont rendu des services remarquables dans des situations de crise. Le Sénat n’hésite pas à rendre un hommage appuyé à ces derniers quand il reçoit leurs représentants, et cette pratique est attestée pour la plus haute période de l’histoire de la République. Les premiers bénéficiaires connus en sont les Tusculans, alliés militaires précieux et fidèles des Romains au Ve s. av. J.-C. En vertu de l’accord d’alliance qui les unit à la cité latine, ces derniers peuvent compter sur son soutien en 460, lorsque le Capitole est aux mains d’Appius Herdonius et de ses partisans : les autorités tusculanes décident alors d’envoyer un contingent, commandé par le dux L. Mamilius, pour prêter main forte au consul P. Valérius Publicola dans la reconquête du sanctuaire de l’Urbs639. Au terme d’une opération qui a vu les alliés militaires rivaliser d’énergie pour venir

638

Sur le langage des discours et des gestes, on se reportera à la réflexion de L. PICIRILLI, ‘L’invenzione della diplomazia: temi del linguaggio e caratteristiche dei ambasciatori nelle Grecia antica’, in M. G. ANGELI BERTINELLI et L. PICIRILLI éd., Linguaggio e terminologia diplomatica dall’Antico Oriente all’impero Bizantino, 2001, pp. 65-83, et on indiquera la voie tracée par TORREGARAY PAGOLA, en signalant particulièrement, au sujet de la diplomatie romaine (mais à travers des exemples qui ne concernent pas à proprement parler la relation de societas), son ‘Legatorum facta : la ejemplaridad de los embajadores romanos’, VELEIA, XXVI, 2009, pp. 127-152.

639 Cf. Liv., III, 18. Les arguments dont use le dictateur L. Mamilius pour décider le Sénat de Tusculum à intervenir mérite d’être rapportés tant ils inscrivent cette action dans l’esprit des engagements réciproque du foedus (Liv., III, 18, 2-3) : « … magnoperecenset ‘ne exspectent dum ab Roma legati auxilium petentes ueniant ; periculum ipsum discrimenque ac sociales deos fidemque foederum id poscere ; demerendi beneficio tam potentem, tam propinquam ciutiatem nunquam parem occasionem daturos deos’ ». En l’absence de foedus clairement attesté entre Rome et Tusculum, on doit identifier ce dernier au foedus Cassianum, cf. A 1, 1.

à bout des hommes d’Herdonius, c’est semble-t-il sur le Capitole même que les Tusculans sont distingués par les Romains d’après Liv., III, 18, 10 :

« Tusculanis gratiae actae »640.

C’est là, comme on va le voir à travers d’autres exemples, la formule traditionnelle par laquelle le Sénat rend hommage aux alliés de Rome lorsqu’ils se sont illustrés par des services éminents. L. Mamilius, d’ailleurs, est également récompensé, un peu plus tard en 458, par l’octroi de la ciuitas, inaugurant ainsi la longue liste des bénéficiaires de la citoyenneté romaine uirtutis causa distingués par le Sénat641. Le fait que les Romains aient conservé le souvenir de ces distinctions pour un passé si lointain pourrait plaider en faveur de l’authenticité des sources officielles qui les rapportent et dont se sont sans doute servi les annalistes642.

De fait, l’authenticité de ce premier témoignage se renforce de ce qu’il s’inscrit dans une série de témoignages du même type au sujet d’épisodes ultérieurs de l’histoire de Rome. C’est d’abord le cas lors de la conquête de l’Italie. Les sources conservent alors le souvenir des hommages que les Romains rendent à leurs alliés, quelle que soit la nature exacte du soutien qu’ils apportent, militaire, matériel ou même simplement informatif. On peut d’abord citer certaines décisions qui sanctionnent la guerre latine en 338, et dont Tite-Live se fait le fidèle compilateur dans le célèbre paragraphe 14 de son Livre VIII. Les equites campaniens, les Fundani et les Formiani sont alors distingués honoris causa par l’octroi de la ciuitas sine

suffragio, les uns pour être restés fidèles aux Romains, les autres pour leur avoir laissé libre

passage vers le Sud, mais il est vrai que les sources n’évoquent pas clairement la présence des

640 « On remercia les Tusculans ». Les Tusculans ici distingués, c’est-à-dire les hommes du contingent de L. Mamilius ne sont pas à proprement parler des ambassadeurs, mais nul doute qu’avec leur dictateur, ils sont considérés comme les représentants les plus éminents de leur cité. Le récit livien place leur collaboration militaire avec les Romains sous le signe de l’émulation, cf. Liv., III, 18, 7 : « certare socii ciuesque utri reciperatae arcis suum decus facerent ; dux uterque suos adhortatur… ».

641

L’octroi intervient à l’occasion du triomphe du dictateur L. Quinctius Cincinnatus en 458 d’après Liv., III, 29, 6 : « eo die L. Mamilio Tusculano, adprobantibus cunctis ciuitas data ». Voir également Caton, Origines, fr. 26 Chassignet : « Nam de omni Tusculana ciuitate soli Lucii Mamilii beneficium gratum fuit ». Les sources rapportent bien une concession individuelle, contrairement à l’hypothèse de M. HUMBERT, Municipium et ciuitas sine suffragio, Rome, 1978, p. 175 n. 69 selon laquelle elle aurait été accordée à tous les Tusculans ayant participé à la défense de Rome, et comme l’a récemment rappelé J. MARTÍNEZ-PINNA, ‘L. Tarquinius magister equitum (458 a. C.)’, Klio, XCIII, 2, 2011, pp. 385-391, e. p. p. 390 n. 34. Sur la question de l’octroi de la ciuitas uirtutis causa, voir dernièrement P. SÁNCHEZ, ‘La clause d’exception sur l’octroi de la citoyenneté romaine dans les traités entre Rome et ses alliés (Cicéron, Pro Balbo, 32)’, Athenaeum, XCV, fasc. 1, 2007, pp. 215-270.

642 Les relations romano-tusculanes constituent, de fait, un véritable ‘lieu de mémoire’ de la République archaïque comme en témoignent le rappel répété du soutien fourni par les Tusculans en 460, voir les réflexions de Liv., III, 23, 2 et 31, 3 (voir aussi D.H., X, 43, 3). On pourrait ajouter l’exemple des iuuenes latins et herniques récompensés par le Sénat en 390 pour avoir aidé Rome au moment de l’invasion gauloise, mais Liv., V, 19, 5-6 ne permet pas d’affirmer qu’il s’agit là d’ambassadeurs officiellement investis par leurs cités, même si on peut émettre des doutes sur la manière dont il présente leur contribution comme du volontariat, sur l’ensemble de ces questions, voir nos analyses infra chap. IV.

représentants des bénéficiaires à Rome643. De ce point de vue, l’exemple ultérieur des Picentes est beaucoup plus clair. Alors qu’ils viennent de conclure un foedus avec des Romains soucieux de consolider leur système d’alliances péninsulaires dans la perspective d’une nouvelle guerre contre les Samnites, ceux-ci leur envoient une ambassade pour livrer de précieux renseignements sur les démarches des Samnites qui ont tenté de gagner leur alliance644. Tite-Live conclut encore : « Picentibus gratiae actae… »645.

C’est cependant dans la période suivante, celle de l’expansion méditerranéenne, que les témoignages gagnent en qualité d’information diplomatique. Ils se multiplient particulièrement à l’occasion de la seconde guerre punique, surtout autour de l’année 216. Confrontés aux pires difficultés depuis l’invasion d’Hannibal en Italie, les Romains sont alors soucieux de rendre hommage aux alliés qui, en leur procurant une aide quelconque, manifestent leur fidélité et leur dévouement. On en a plusieurs exemples en 216 lorsque le Sénat reçoit une série d’ambassades de leurs alliés grecs. Les Napolitains d’abord, estimant que les sacrifices des Romains sont d’abord ceux des défenseurs de l’Italie, viennent offrir tout leur or, qu’ils déposent dans la Curie646. À eux comme aux Paestans reçus un peu plus tard et venus également offrir leur or, les sénateurs manifestent leur gratitude même s’ils n’acceptent pas leur don647. Mais leur réaction est un peu différente lorsqu’ils reçoivent les représentants de Hiéron. Ceux-ci viennent leur proposer, après la défaite du Trasimène, des vivres, des contingents d’archers et de frondeurs, ainsi qu’un soutien logistique au cas où ils seraient prêts à suivre Syracuse dans une nouvelle offensive navale contre les Carthaginois648.

643 Cf. Liv., VIII, 14, 10 : « Campanis equitum honoris causa, quia cum Latinis rebellare noluissent,

Fundanisque et Formianis, quod per fines eorum tuta pacataque semper fuisset uia, ciuitas sine suffragio data ». La manière même dont Tite-Live rapporte les décisions motivées du Sénat fait en tout cas penser à une quasi- citation de documents officiels. Si tel est le cas, il faut bien sûr renoncer à une interprétation ‘punitive’ de l’octroi de la ciuitas sine suffragio à cette date, telle que la défend HUMBERT, op. cit., p. 195sq au sujet de ces cités.

644

Cf. Liv., X, 11, 7-8 : « … alterius belli, fama, Picentium nouorum sociorum indicio exorta est : Samnites arma et rebellionem spectare seque ab iis sollicitatos esse. Picentibus gratiae actae… ».

645 « On remercia les Picentes ». Pour le foedus avec les Picentes, voir A 1, 36.

646 Cf. Liv., XXII, 32, 4sq. L’exposé des motifs des Napolitains mérite d’être rapporté tant il développe le thème de la guerre commune à l’Alliance, cf. Liv., XXII, 32, 5 : « bellum… et cum iuxta pro urbibus agrisque sociorum ac por capite atque arce Italiae, urbe Romana, atque imperio geratur, aequum censuisse Neapolitanos, quod auri sibi cum ad templorum ornatum, tum ad subsidium fortunae, a maioribus relictum foret, eo iuuare populum Romanum ».

647

Cf. Liv., XXII, 32, 9 pour les premiers : « legatis gratiae actae pro munificentia curaque ; patera quae ponderis minimi fuit accepta » ; et, pour les seconds, Liv., XXII, 36, 9 : « Iis sicut Neapolitanis gratiae actae, aurum non acceptum ».

648 Cf. XXII, 37. Hiéron estime que (§ 4) « … tamen se omnia quibus a bonis fidelibusque sociis bella iuuare

soleant misisse… ». Parmi ses multiples prestations, la première est assez habituelle depuis qu’il est allié aux Romains, et quant à la deuxième, la fourniture de troupes auxiliaires, elle n’est pas tout à fait nouvelle puisque Hiéron a déjà fourni, à cette date, des soldats aux Romains, qui ont combattu à la Trébie et au lac Trasiméne, cf. Pol., III, 75, 7 et Liv., XXIV, 30, 13. C’est surtout la troisième qui doit retenir l’attention : elle est plus précisément analysé infra chap. VI.

Dans le responsum qu’il fait à ses ambassadeurs, le Sénat ne tarit plus d’éloges au sujet de Hiéron qu’il qualifie à cette occasion de « uir bonus egregiusque socius », exprimant ainsi toute la gratitude du peuple Romain à son égard, et, surtout, il accepte toutes ses contributions649.

Après le désastre de Cannes, les Romains éprouvent sans doute d’autant plus le besoin de distinguer leurs alliés les plus fidèles que la survie de leur domination et même de leur cité est désormais en grande partie entre leurs mains. Bien qu’on en ignore les circonstances diplomatiques précises, on sait par exemple que le Sénat décerne des honneurs à l’Apulienne Busa de Canusium pour le refuge qu’elle offre généreusement aux rescapés de Cannes, des éloges aux Bruttiens de Pétélia ou encore des récompenses aux cinq-cents Prénestins en garnison à Casilinum qui se sont héroïquement défendus devant les assauts d’Hannibal650. L’exemple le plus parlant, cependant, intervient un peu plus tard et est relatif aux plus proches des alliés des Romains, les colons latins. Comme on l’a déjà vu, à l’occasion de l’affaire du refus de service des douze colonies en 209, les Romains convoquent les représentants des dix- huit autres colonies et reçoivent, de la part de celui qui joue de facto le rôle de porte-parole, M. Sextilius de Frégelles, la garantie de leur dévouement futur en matière de fourniture de troupes651. Les honneurs dont ils veulent alors faire bénéficier les dix-huit colonies fidèles méritent d’être rapportés d’après la version que livre Tite-Live (XXVII, 10, 5-6) :

« Consules parum sibi uideri praefati pro merito eorum sua uoce conlaudari eos nisi

uniuersi patres iis in curia gratias egissent, sequi in senatum iusserunt. Senatus quam poterat honoratissimo decreto adlocutus eos, mandat consulibus ut ad populum quoque eos producerent, et inter multa alia praeclara quae ipsis maioribusque suis praestitissent recens etiam meritum eorum in rem publicam commemorarent »652.

649 Cf. Liv., XXII, 37, 10 : « Id perinde ac deberet gratum populo Romano esse ». On verra infra que le Sénat accepte en particulier la Victoire en or offerte par Hiéron. Quant à la redéfinition de la stratégie navale proposée par Hiéron, il est assez remarquable que le Sénat la suive à la lettre, voir infra chap. VI.

650 Cf. Liv., XXII, 52, 7 : « pro qua ei munificentia postea, bello perfecto, ab senatu honores habiti sunt » (voir aussi Val.-Max., IV, 8, 2) pour la première ; Pol., VII, fr. 1 ; Liv., XXIII, 20, 4-10 et 30, 1-5 ; et surtout Val.- Max., VI, 5 : « Idem praestando, Petelini eundem laudis honorem meruerunt » pour les seconds ; et Liv., XXIII, 17, 8-18, 9 et 19-20, 3 : « Praenestinis militibus senatus Romanus duplex stipendium et quinquennii militiae uacationem decreuit ; ciuitate cum donarentur ob uirtutem, non mutauerunt » pour les derniers, dont l’acte héroïque est connu jusque dans leur cité grâce aux dédicaces visibles sur les statues de leur chef M. Anicius et celles du temple de la Fortune, voir infra chap. VI pour les circonstances de ces récompenses.

651 Cf. Liv., XXVII, 10, 1-4.

652 « Les consuls, après avoir commencé par dire que leur mérite était tel que leur adresser en leur propre nom

des éloges leur paraissait insuffisant, si l’ensemble des sénateurs ne les remerciaient pas dans la curie, les invitèrent à les suivre au Sénat. Après leur avoir donné lecture du décret le plus honorifique possible, le Sénat chargea les consuls de les présenter aussi devant le peuple ; ils devaient, parmi beaucoup d’autres actions d’éclat que ceux-ci avaient accomplies pour eux et leurs ancêtres, rappeler aussi le service récent qu’ils venaient de rendre à l’Etat » (Trad. de P. JAL, TITE-LIVE, Histoire romaine, Livre XXVII, Tome XVII, Paris, 1998).

La complexité de la procédure suivie, avec la succession des laudes des consuls, l’introduction dans l’enceinte du Sénat pour la lecture du decretum et le renvoi devant le peuple pour le rappel de l’ensemble des mérites passés à l’égard des Romains, mais aussi le fait que Tite-Live donne la liste complète des bénéficiaires des honneurs, tout milite en faveur d’un témoignage de gratitude exceptionnel dont l’annaliste a connaissance sur la base d’archives officielles653.

Si la mémoire historique de Rome a particulièrement retenu les distinctions accordées aux moments les plus critiques de l’histoire de la cité, elle n’oublie cependant pas non plus complètement celles qui sont accordées plus tard, lorsque la victoire finale paraît désormais mieux assurée. On a déjà évoqué l’exemple des Sagontins, particulièrement honorés lors de leur introduction au Sénat au 205. Un peu plus tard, en 203, alors qu’ils viennent livrer les recruteurs carthaginois de mercenaires qu’ils ont capturés en Espagne et, en un geste ostentatoire, font déposer l’argent qu’ils comptaient utiliser à cette fin dans le vestibule de la Curie, ils obtiennent de nouveau un témoignage de gratitude très clair du Sénat654. Ces honneurs suivent de peu ceux qui sont accordés à un autre allié remarquable : Massinissa. La venue de ses ambassadeurs à Rome, pour demander la confirmation du titre de rex socius

amicusque dont Scipion vient de l’honorer, est l’occasion d’un véritable échange de

félicitations en 203. Citons d’abord les premiers d’après Liv., XXX, 17, 7 :

« gratulati primum senatui sunt quod P. Scipio prospere res in Africa gessisset ». Puis le Sénat (§ 12) :

« ad ea responsum legatis rerum gestarum prospere in Africa communem sibi cum

rege gratulationem esse »655.

Il est certain que les services qu’a rendus le Numide aux Romains en Afrique méritent une reconnaissance particulière, mais, à la différence des exemples précédents, celle-ci s’insère dans un véritable échange de compliments qui prolonge symboliquement l’esprit de

653 Liv., XXVII, 10, 7-8 donne en effet la liste des dix-huit colonies fidèles (Signia, Norba, Saticulum, Frégelles, Luceria, Venusia, Brundisium, Hadria, Firmum, Ariminum, Pontia, Paestum, Cosa, Beneventum, Aesernia, Spoletium, Plaisance, Crémone) et conclut ainsi (§ 9) : « Harum coloniarum subsidio tum imperium populi Romani stetit, iisque gratiae in senatu et apud populum actae ». On serait d’ailleurs tenté de voir dans son commentaire final sur l’interdiction sénatoriale de faire mention des douze colonies rebelles la confirmation indirecte que le Sénatus-Consulte relatif aux honneurs des colonies fidèles est sa principale source de connaissance sur l’épisode diplomatique de 209.

654 Liv., XXX, 21, 3-5 conclut en effet : « … gratiae legatis actae… ».

655 Ceux-ci félicitèrent d’abord les pères pour les succès que Scipion avait remportés en Afrique… Voici la

réponse qu’on fit aux ambassadeurs : les pères félicitaient également Massinissa pour la part qu’il avait prise dans les victoires d’Afrique.

la lutte commune menée en Afrique656. Et cette pratique est encore une fois largement confirmée au IIe siècle, le Sénat tenant toujours à témoigner de sa gratitude devant les représentants des alliés d’Occident comme d’Orient pour les services qu’ils ont rendus à Rome657. Ce qui montre que celle-ci, même en passe d’acquérir l’hégémonie universelle, n’oublie cependant pas tout à fait ce que celle-ci doit à ses nombreux partenaires, pour rituelle