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C'est une fille! : inégalités de genre et stratégies d'adaptation des femmes d'un quartier du Nord de New Delhi

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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C’est une fille!

Inégalités de genre et stratégies d’adaptation des femmes

d’un quartier du Nord de New Delhi

Mémoire

Marie-Eve Ross

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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C’est une fille!

Inégalités de genre et stratégies d’adaptation des femmes

d’un quartier du Nord de New Delhi

Mémoire

Marie-Eve Ross

Sous la direction de :

Martin Hébert, directeur de recherche

Édith Guilbert, codirectrice de recherche

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iii

Résumé

Ce mémoire porte sur la représentation des femmes de New Delhi et leurs percep-tions d’elles-mêmes, comme filles et femmes dans la société indienne. Plus spécifi-quement, les femmes rencontrées nous parlent de l’image des femmes en Inde, leur position et leur rôle dans la famille, en tant que filles, épouses et mères tout en étu-diant leurs relations avec les autres (femmes et hommes). Dans l’objectif d’éclairer le phénomène de la sexo-sélection de l’enfant à naître et la discrimination basée sur le sexe, les rapports de genre pouvant être affectés par les pratiques et coutumes ont été analysés. Plus particulièrement, le discours et les expériences vécues des répon-dantes nous ont permis d’illustrer que les femmes rencontrées sont agentes de changement et qu’elles ont du pouvoir d’agir sur leurs vies.

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iv

Abstract

This thesis is about the representation of women in New Delhi and their perceptions of themselves, as women and girls in Indian society. More specifically, the women interviewed talk about the image of "woman" in India, their positions and their roles in the family, as daughters, as wives and as mothers, but also studying the rela-tions with others (women and men). With the aim to illuminate the phenomenon of sexual selection of the unborn child and discrimination based on gender, gender relations that can be affected by the practices and customs were analyzed. Specifi-cally, it is through their discourse and their experiences that have enabled us to illustrate that women are agents of change and have the power to act on their lives.

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v

Table des matières

Résumé... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste de figures ... viii

Liste de graphiques ... ix

Remerciements ... xi

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : CADRE CONCEPTUEL ... 4

1.1 Le concept de « Violence culturelle » ... 5

1.1.1 L’identité sexuelle, un facteur d’inégalité ... 6

1.1.2 Représentations sexistes et pratiques culturelles ... 7

1.1.3 Le consumérisme comme violence « culturelle » ... 8

1.1.4 Le trafic de fiancées ... 10

1.1.5 Systèmes d’oppressions et contrôle du corps des femmes ... 11

1.2. Le concept de Justice Reproductive ... 12

1.2.1 Justice sociale et enjeux de santé reproductive ... 12

1.3. Le concept d’Agencéité ... 14

1.3.1 Les femmes, actrices de changement ... 14

CHAPITRE 2 : CADRE CONTEXTUEL ... 18

2.1 L’Inde et sa population en général ... 18

2.2 Contexte du pays : La République de l’Inde ... 18

2.3 Systèmes de castes hindoues ... 19

2.4 Ordre social musulman ... 20

2.7 Méthodes de limitation des naissances ... 24

2.8 Situation des femmes dans la société indienne ... 25

2.9 Les mariages précoces ... 26

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vi

2.11 Le sexisme « high-tech » ... 28

2.12 Distinctions entre les sélections prénatales ... 31

2.13 Rôle féminin dans la famille indienne ... 33

2.14 Les formes de violence et la reproduction de la discrimination sexuelle ... 34

2.15 Revalorisation de l’image des filles ... 37

CHAPITRE 3 : CADRE MÉTHODOLOGIQUE ... 40

3.1 Objectifs de recherche et méthodologie ... 40

3.2 Discrimination ... 40

3.3 Agencéité ... 41

3.4 Méthodologie... 42

3.5 Déroulement de l’étude ... 43

2.6 Contexte du terrain de l’étude ... 43

3.7 Recrutement et profil des participantes ... 47

3.8 Collectes de données ... 51

3.8.1 Première collecte de données ... 51

3.8.2 Observation participante ... 52

3.9 Seconde collecte de données ... 53

3.10 Analyse des données ... 55

3.11 Choix de méthodes d’analyse ... 56

3.12 Considérations éthiques ... 57

CHAPITRE 4 : REGARD DES FEMMES SUR LES INÉGALITÉS ... 59

4.1 Discriminations ... 59

4.1.1 Représentations des filles et des femmes ... 59

4.1.2 Division sexuelle ... 60

4.1.3 Le rôle du mariage dans la culture indienne ... 63

4.1.4 Mariage et acceptation de la jeune mariée ... 64

4.1.5 Âge lors du mariage ... 67

4.1.6 Les femmes seules ... 68

4.1.7 Coutumes de la dot et de l’héritage... 69

4.1.8 Devoir envers sa famille ... 70

4.1.9 Relations familiales ... 72

4.1.10 Hiérarchie familiale indienne et pression sociale ... 74

(7)

vii

4.1.12 Célébration des naissances ... 76

4.1.13 Agressions et violences... 78

4.2 Agencéité ... 79

4.2.1 Santé reproductive : régulation des naissances ... 79

4.2.2 Préférence pour un enfant en santé ... 82

4.2.3 Ratio de sexe à la naissance ... 83

4.2.4 Les lois améliorant les conditions de vie des femmes ... 83

4.2.5 Égalités et inégalités entre les femmes et les hommes ... 85

4.2.6 Le pouvoir d’agir par procuration ... 87

CHAPITRE 5 : LES FEMMES, AGENTES DE CHANGEMENT, AU CŒUR DES DÉCISIONS ... 91

5.1 PREMIÈRE SECTION : Discriminations et violences au féminin ... 92

5.1.1 Sexisme et inégalités sexuelles ... 92

5.1.2 Le partage de l’héritage ... 95

5.1.3 Impunité de la violence faite aux femmes ... 96

5.1.4 Non-enregistrement des naissances ... 98

5.1.5 Importance du statut de mère ... 99

5.2 DEUXIÈME SECTION : Agencéité des femmes ... 102

5.2.1 Mariée et aux études : transformation des coutumes ... 102

5.2.2 Accessibilité des contraceptifs et utilisation des biotechnologies... 103

5.2.3 Préférence du sexe de l’enfant à naître ... 105

5.2.4 Composition familiale idéale et sélection sexuelle... 105

6. CONCLUSION ... 111

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 115

Annexe 1 : Carte de l’Inde ... 124

Annexe 2 : Quartiers de New Delhi ... 125

Annexe 3: Guide d’entrevue... 126

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viii Liste de figures

FIGURE 1 CONCEPT DE JUSTICE REPRODUCTIVE ... 13 FIGURE 2 TAUX DE FÉCONDITÉ EN INDE PAR RELIGION ... 24 FIGURE 3 DONNÉES SOCIOÉCONOMIQUES DES PARTICIPANTES ... 49 FIGURE 4 DONNÉES SUR LE NOMBRE DE GROSSESSES ET LE NOMBRE

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ix Liste de graphiques

GRAPHIQUE 1 DISTRIBUTION DES PARTICIPANTES SELON LEUR ÂGE LORS DU MARIAGE ... 67 GRAPHIQUE 2 CONTINUUM D’AGENCÉITÉ ... 108

(10)

x

«Raising a daughter is like watering your neighbours’ garden. » Proverbe indien

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xi

Remerciements

Je remercie les participantes de l’étude de nous avoir partagé leurs réflexions et leurs expériences. Un merci particulier à Asha de la National Commission of the Protection of Child’s Rights qui m’a aiguillée tout au long de l’enquête de terrain. Merci à l’équipe formidable de l’ONG qui m’a permis de rencontrer les participantes et d’encadrer les interventions lors des entrevues.

Je remercie très sincèrement mon directeur du département d’anthropologie Martin Hébert de la faculté des sciences sociales ainsi que ma codirectrice Édith Guilbert du département de gynécologie et obstétrique de la faculté de médecine pour avoir cru en mon projet et de m’avoir encouragée et soutenue tout au long de cette aven-ture.

Un merci tout particulier à mes proches, qui ont su me soutenir et m’encourager à terminer ce mémoire. Merci à mes collègues et ami(e)s pour leur écoute et le récon-fort qu’ils et qu’elles ont su m’apporter, plus particulièrement j’aimerais remercier mes amies pour m’avoir guidée à travers mes écrits et mes réflexions. Un dernier remerciement et non le moindre, à mon conjoint Alexis pour son soutien tout au long de cette aventure.

En terminant, j’espère que ces expériences vécues et racontées par ces femmes ap-porteront une meilleure compréhension de ce qu’elles vivent au quotidien et que ces connaissances écrites puissent leur permettre un jour de vivre dans une culture exempte de discrimination et de violence envers les femmes.

(12)

1 INTRODUCTION

De nombreux travaux ont été faits sur les thématiques de la santé reproductive et des droits reproductifs des femmes en Inde, dans lesquels on peut relever les con-traintes culturelles, sociales et économiques auxquelles les femmes indiennes font face quant à leur décision de poursuivre ou non leur grossesse. (ACRJ; 2005, Smith; 2005, Ross; 2006, Sen, 2007; Ghai et Jhori, 2008, Price; 2010, Unnithan-Kumar; 2010, Lee-Rife; 2010, Ross; 2011, Edmeades; 2012, Unnithan-Unnithan-Kumar; 2014, MacQuarrie et Edmeades 2015) Ce mémoire ne remet pas en question le droit à l’avortement pour les femmes. La présente recherche s’intéresse à un aspect plus précis de cet univers : elle portera un regard sur les discriminations basées sur le sexe1 et le genre, vécu par les filles et les femmes, et d’éclairer le phénomène de la sélection sexuelle de l’enfant à naître dans la société indienne. Selon Joan W. Scott (2012) :

Le genre est une façon de signifier les rapports de pouvoir. Ou mieux encore, le genre est le champ premier à l'intérieur et au moyen duquel le pouvoir se déploie (...) Établis comme un ensemble objectif de réfé-rences, les concepts de genre structurent la perception et l'organisation, autant concrètes que symboliques de toute la vie sociale. Dans la me-sure où ces références organisent la distribution de pouvoir (contrôle dif-férentiel ou accès inégal aux ressources matérielles ou aux biens symbo-liques), le genre se trouve impliqué dans la conception et la construction du pouvoir. (Scott, 2012 : 44)

C’est avec l’aide de cette lunette du genre qu’il est possible de déceler les rapports de pouvoir existants entre les femmes et les hommes, car on trouve leurs fonde-ments dans l’attribution de rôles socialement construits basés sur le sexe. L’approche du genre constitue un outil incontournable dans cette recherche, car elle consiste en l’analyse et la remise en question des différenciations et de la hié-rarchisation des personnes en fonction de leur sexe. Cette division sexuelle amène une répartition inégale des rôles et des responsabilités entre les femmes et les hommes.

1 J’entends ici définir le sexe comme étant un construit social. L’image que l’on se fait du « biologique » est teintée des stéréotypes centraux issus de nos propres schèmes culturels et de la définition que l’on se fait des catégories de « sexe ». C’est notamment « la division hiérarchique des humains en deux genres qui construit la différence sexuelle. » (Baril, 2007) Tout comme Butler (2005) et Baril (2007), je soutiens que le « sexe » et le genre sont des constructions culturelles, sociales et politiques pouvant faire l’objet de transformations. (Butler, 2005; Baril, 2007)

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2

Cette approche est transversale et porte sur l’ensemble de la présente analyse. Tou-tefois, il importe de signifier que cette étude ne fait pas l’objet d’une analyse diffé-renciée selon les sexes (ADS). Bien qu’intéressant, nous nous intéressons plus par-ticulièrement au genre féminin et la façon dont il est socialement et culturellement construit. Dans le Giddens (2006), on définit le genre comme suit: « Social expecta-tions about behaviour regarded as appropriate for the members of each sex. Gender does not refer to the physical attributes in terms of which men and women differ, but to socially formed traits of masculinity and femininity ». (Giddens 2006 : 1017) En effet, le genre ne se réduit pas uniquement à l’aspect biologique, il fait état de l’existence de cadres de références, liés au comportement social et culturel que l’on attribue au féminin et au masculin. Cette construction sociale et culturelle sert à fabriquer et penser une organisation sociale patriarcale. (MacCormack et Strathern 1980; Héritier 1996;Vella, 2003, Robeyns;2007)

Ce mémoire a pour objectif de se nourrir des pensées et des expériences vécues par les femmes rencontrées d’un quartier du nord de New Delhi. Comme le mentionne Dagenais (1987), « entreprendre une recherche du point de vue des femmes veut donc dire relier leur vécu aux processus sociaux plus larges qui lui donnent un sens » (Dagenais, 1987 : 25) Ce projet ne prétend évidemment pas être représentatif de la situation de toutes les femmes en Inde. Il amène plutôt une réflexion sur les attitudes des participantes quant au « choix » du sexe de l’enfant à naître. Dans le cadre de cette recherche, les valeurs et normes sociales et culturelles auxquelles se rattachent les discours des femmes pour expliquer la discrimination basée sur le sexe et le genre sont mises en lumière. Il permet ainsi de mieux connaître les im-pacts liés à la pression sociale exercée sur les femmes et leur santé reproductive pouvant conduire à des pratiques de sélection sexuelle, un phénomène encore in-compris :

Tandis que plusieurs pays d'Asie témoignent d'un déséquilibre croissant de leur ratio de sexe en faveur des garçons, un discours mondial sur l'avortement sélectif des filles est en train de naître. Alors que, concomi-tamment, le nombre d'enquêtes démographiques et sociales sur cette question est en augmentation, la compréhension de l'avortement sélectif des filles, en tant que pratique désirée ou contestée de construction de la famille, dans les contextes où il est pratiqué, reste limitée. (Unnithan-Kumar, 2010)

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Pour tenter d’apporter un éclairage qualitatif sur cette mesure quantitative, l’étude des conditions de vie des femmes, à l’échelle ethnographique, permet de tracer un portrait de l’environnement social, économique et culturel dans lequel s’effectue la sélection du sexe de l’enfant à naître.

Le premier chapitre présente le cadre conceptuel qui guide cette recherche. Dans cette section, il est question de la discrimination basée sur le sexe par le biais de la violence culturelle de Johan Galtung (1990) et le phénomène de la sélection sexuelle de l’enfant à naître en étudiant les enjeux liés à la santé reproductive et aux droits reproductifs sous l’angle de la Justice reproductive de Loretta Ross (Ross, 2011). Pour faire état de la capacité d’agir des femmes, les stratégies d’adaptation que dé-veloppent certaines femmes pour faire face à ces violences et discriminations vécues au quotidien ont été mises en lumière avec l’aide du concept d’agencéité tel qu’utilisé par Armatya Sen (2007).

Le second chapitre fait un portrait de la problématique à partir des éléments contex-tuels du terrain de l’étude et de la République de l’Inde, plus particulièrement nous ferons état du contexte socioéconomique et religieux dans lequel vivent les femmes rencontrées.

Le troisième chapitre expose le choix relatif à la démarche d’analyse et de méthodo-logie, les objectifs et questions de recherche qui la compose et qui sont liés aux en-jeux de la représentation du genre féminin et de la santé reproductive des femmes.

Le quatrième présente les résultats de la recherche liés au rôle des femmes dans la famille et la société indienne, aux violences perpétrées envers les femmes, à la pres-sion sociale d’enfanter et aux idéaux de la maternité.

Le cinquième chapitre concerne l’interprétation des résultats. Il permet d’explorer à travers les discours des participantes les représentations des femmes, leurs opi-nions quant aux pratiques et coutumes empreintes de discrimination basée sur le sexe et leur expérience vécue de la maternité. En terminant, ces discours nous mè-neront à connaître les perceptions de nos répondantes quant aux interruptions vo-lontaires de grossesse et les motifs qui poussent certaines femmes dans la sélection du sexe de l’enfant ainsi que l’influence de leur entourage dans cette décision.

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4 CHAPITRE 1 : CADRE CONCEPTUEL

La présente section est la pierre angulaire du projet de recherche. Dans l’objectif de faire l’analyse des rapports de genres, nous visons dans un premier temps à explo-rer les pratiques et les coutumes légitimant les inégalités entre les sexes pour mettre en lumière les discriminations et de violences vécues par les filles et les femmes au quotidien. Pour ce faire, nous allons étudier cette dimension avec l’aide du concept de « violence culturelle » de Johan Galtung. (1990) Dans un second temps, nous allons éclairer le phénomène de la sélection sexuelle de l’enfant à naître en approfondissant nos connaissances sur les motifs sociaux, économiques et culturels des mères quant au choix du sexe de l’enfant à naître et leurs recours à l’interruption volontaire de grossesse. Afin de comprendre ces aspects de la re-cherche, il importe de prendre en considération le concept de « Justice reproduc-tive » de Loretta Ross (2006), pour être en mesure de connaître les contraintes aux-quelles les femmes sont confrontées en termes de droits reproductifs.

En terminant, je définirai ici le concept d’« agencéité» en m’appuyant sur les travaux d’Armatya Sen (2007) qui, quant à lui, permet de constater la capacité d’agir des femmes dans ces circonstances et les moyens qu’elles ont utilisés pour pallier les violences vécues au quotidien. Tout d’abord, je tiens à mentionner que le choix des concepts était une tâche ardue tout au long de la recherche. Au tout début, mon choix s’était arrêté sur les concepts de violence culturelle, de violence idéelle et d’agencéité. Toutefois, en ce qui avait trait à la notion de violence idéelle développée par Mathieu (1985), je me suis aperçue que celle-ci était problématique, puisqu’il m’était quasi impossible de la trouver dans des écrits plus récents. Ainsi, n’ayant pas suffisamment de sources pour appuyer cette notion, je me suis résolue à me tourner vers un autre concept qui soit plus approprié pour l’analyse des données de cette présente recherche. J’ai donc décidé de me tourner vers le concept de Justice reproductive (L. Ross, 2006), car il a été suffisamment développé pour permettre de souligner les enjeux qui entourent le contrôle du corps des femmes et des enjeux en matière de droits reproductifs.

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5 1.1 Le concept de « Violence culturelle »

Nous appuyant sur la thèse de plusieurs auteurs ayant écrit sur cette question, nous postulons ici que la violence envers les femmes en Inde est culturellement construite, c’est-à-dire qu’elle émerge des mœurs et des coutumes pratiquées (Ber-geron-Dufour : 2011, Guilmoto : 2010, Sen : 2007). Cette articulation entre culture et violence est définie par Johan Galtung (1990) de la manière suivante: «By ‘cultur-al violence’ we mean those aspects of culture, the symbolic sphere of our existence- exemplified by religion and ideology, language and art, empirical science and formal science (logic, mathematics)- that can be used to justify or legitimize direct or struc-tural violence.» (Galtung, 1990 : 291) La nature diversifiée des productions cultu-relles doit donc être prise en compte pour saisir la portée de la violence culturelle. Dans le cadre de notre analyse, il importe de reconnaître les effets de chacun des facteurs sociodémographiques (le sexe, la classe, la caste2, la région, etc.) qui ren-forcent, à différents degrés, les inégalités de la société indienne. (Guilmoto, 2008)

En ce qui concerne la discrimination basée sur le sexe de l’enfant à naître, le ratio de sexe à la naissance est un indicateur utile pour déterminer ces inégalités, comme le mentionne Amartya Sen (2007) :

[…] [L]e ratio filles/garçons peut permettre malgré tout (entre autres indicateurs) de mieux cerner les préjugés qui influent sur la natalité en dépit des effets statistiques que les différences entre les taux de morta-lité infantile masculins et féminins tendent à induire - en fait, ces deux phénomènes (les avortements sélectifs et le désavantage de la popula-tion féminine en matière de mortalité infantile) sont révélateurs l’un et l’autre de puissants préjugés sexistes […] (Sen, 2007 :254)

Les préconceptions et les représentations sociales (qui seront énoncées ultérieure-ment) associées à l’image négative de la fille et de la femme en Inde sont mises en lumière par les données démographiques. Le ratio de sexe à la naissance varie d’une région à l’autre :

2 Issu d’un système qui trouve son fondement dans la hiérarchisation de groupes indépendants en fonction de leur profession, les castes avaient pour objectif de distribuer les fonctions au sein de la société indienne. Le système de caste est caractérisé comme une division de la société où les gens naissent et demeurent inégaux et où chaque personne doit accomplir sa tâche. De nos jours, la spécialisation n’est plus d’ordre strictement héréditaire, particulièrement en raison de l’arrivée de nouvelles professions, les castes tendent à être plus disparates. Reste néanmoins que les mariages intracastes, c’est-à-dire les mariages endogames sont encore affaires courantes. (Deliège, 2006 :17)

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Il y a le groupe des États du Nord et de l’Ouest, conduit par le Pendjab, le Haryana, le territoire de Delhi et le Gujarat, où les [ratios de sexe]pour les enfants sont très loin d’atteindre le repère allemand3 : ils vont ici de [793 à 878; (pour 1000 garçons)] et les ratios d’autres États de ces ré-gions tels que l’Himachal Pradesh, le Madhya Pradesh, le Rajasthan, l’Uttar Pradesh, le Maharashtra, le Jammu et Cachemire et le Bihar sont aussi nettement inférieurs au point de référence de [948 filles pour 1000 garçons]. (Sen, 2007 : 256)

Cet indicateur, qu’est le ratio de sexe à la naissance, n’apporte que des données quantitatives et ne prend pas en compte les aspects qualitatifs de cette situation. Même s’il sert d’indice suggérant une violence sous-jacente, ce ratio ne permet pas de connaître les facteurs qui influencent, entre autres, le taux de mortalité infantile filles/garçons : « Un lien statistique est repérable, mais il n’en reste pas moins que la répartition filles/garçons (laquelle intègre l’impact des avortements sélectifs) a un profil régional beaucoup plus contrasté que les [ratio de sexe] pour les décès d’enfants, même si ces deux données sont elles aussi assez fortement corrélées. » (Sen, 2007 : 256) Cet économiste tente de démontrer comment le ratio de sexe à la naissance et la mortalité infantile selon le sexe, même s’ils ont une grande corréla-tion, doivent être compris séparément dans toute leur complexité. En fait, selon lui, « il n’est pas facile de dire jusqu’à quel point ces influences régionales ou culturelles sont profondes en l’absence d’examens complémentaires.» (Sen, 2007 : 259) Par ailleurs, les avancements technologiques médicaux ou encore la croissance écono-mique ne peuvent être pris pour seuls responsables de l’écart grandissant entre la natalité féminine et masculine ainsi qu’entre la mortalité infantile féminine et mas-culine. Afin d’avoir une meilleure compréhension des phénomènes étudiés, il est nécessaire de s’intéresser aux facteurs culturels de discrimination à l’égard des femmes.

1.1.1 L’identité sexuelle, un facteur d’inégalité

Amartya Sen voit l’identité sexuelle comme étant l’une des sources d’inégalités liées au sexe et qui est articulée à d’autres sources de marginalisation : « L’identité sexuelle est certainement un facteur additionnel d’inégalité sociétale, mais elle n’agit pas indépendamment de la classe : seule la conjonction d’une privation liée à

3 Le nombre de filles pour 1000 garçons en Allemagne est de «[948]» (Sen, 2007 : 255)

Note : Le mariage endogame est le fait de se marier à l’intérieur de son groupe. Celui-ci inclut les groupes culturels, religieux, professionnels, géographiques et, particulièrement dans le cas présent, entre groupe social hiérarchisé, les castes.

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la classe et d’une discrimination liée au sexe peut totalement gâcher la vie des femmes les plus pauvres. » (Sen, 2007 : 233) Dans ce cas-ci, on comprend que ces femmes sont doublement, voire triplement discriminées; du fait de leur sexe, de leur classe et de leur situation économique. Par ailleurs, dès leurs naissances, les filles « font l’objet de moins d’attentions : elles sont moins nourries et moins soignées que les garçons et leur taux de mortalité infantile est anormalement plus élevé.» (Manier, 2006 :16) La préférence pour les garçons accentue la discrimination à l’endroit des filles. D’ailleurs, l’interruption volontaire de grossesse de sexe féminin4, ce « sexisme high-tech »5 comme le souligne Amartya Sen (2007), est un bon exemple pour expli-quer la violence culturelle.

L’infanticide, l’acte de tuer un enfant âgé entre 0 et 5 ans, est également un phéno-mène présent au sein de la société indienne. (Miller, 1987) En Inde, malgré les ef-forts gouvernementaux pour l’endiguer, cette pratique d’élimination de l’enfant de-meure malheureusement courante. Les femmes subissent la pression de leur belle-famille et doivent, pour diverses raisons, mettre fin à la vie de leur nouveau-né : «Un grain de riz dans la trachée, un biberon d’herbes empoisonnées, un peu d’éther sur un linge […]» (Brisset, 2006 :18) Voilà les pratiques qui peuvent être employées par des femmes ayant intériorisé un système de sens légitimant la violence envers les enfants de sexe féminin.

1.1.2 Représentations sexistes6 et pratiques culturelles

Dès sa naissance et bien souvent avant, la petite fille indienne n’est pas désirée; elle est plutôt perçue comme étant une charge, un fardeau dans sa famille. (Sabot, 2005; Hundal, 2012; Bergeron-Dufour, 2011) Durant son enfance, elle sera prépa-rée à aller vivre dans la famille de son époux. La coutume de la dot, même si elle est interdite depuis 1961, est encore pratiquée dans la société indienne et se perpétue à un certain degré dans toutes les castes, les classes sociales et les religions. Cette coutume veut que des biens, symboles de gratitude de la part des parents de la jeune épouse, soient donnés à la belle-famille lors du mariage. Ces cadeaux auront

4 Je tiens à mentionner que l’auteur utilise le terme «foeticide féminin» dans son ouvrage, pour éviter toute confusion quant à la terminologie de ce mot, nous appellerons cette pratique une intervention volontaire de grossesse de sexe féminin.

5 Amartya Sen, 2005, p. 254

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un grand impact sur la façon dont la jeune mariée sera accueillie au sein de sa nouvelle famille. (Gangoli et Rew, 2011; Chaturvedi, 2010)

La dot est une des raisons pour lesquelles les parents ont une préférence pour les garçons : s’ils ont une fille, ils devront s’endetter pendant des années pour consti-tuer la dot. Même si cette dernière est basée sur un principe de protection de la jeune fille au sein de la belle-famille, les inégalités de sexe restent fortement in-fluencées par les modèles de formation des ménages et de l’héritage. (Das Gupta, 1995) Amali Philips (2003) dénonce l’absence de prise en compte du point de vue des femmes à l’égard de ces pratiques. Elle deplore: «the absence of a gender per-spective that arises from a failure to include women’s experiences and voices in re-gard to dowry and inheritance issues». (Philips, 2003: 246) De plus, l’auteure remet en question la manière dont sont perçues certaines coutumes et plus particulière-ment celle de la dot, qui selon elle, a tendance à être « décontextualisée » et « généra-lisée ». (Philips, 2003 : 246) Ainsi, on réalise qu’il serait utile de mieux comprendre les perceptions des femmes sur ces pratiques et leurs manières d’y répondre.

En effet, il faut souligner que la dot et l’héritage sont liés, car selon la situation fa-miliale, la part de l’une ou de l’autre de ces pratiques en sera diminuée ou éliminée: « A growing trend, among households trying to cope with inflated dowry demands, is to sacrifice the inheritance of sons in favour of dowries for daugthers ». (Philips, 2003 : 246) Les réponses à ces pratiques peuvent être multiples et sont possible-ment propres à la situation de chacune des femmes, modulées par des questions de classes, de castes et de rapports de parenté (Kapadia 1995, citée par Philips 2003).

1.1.3 Le consumérisme7 comme violence « culturelle »

Il semble que la mondialisation aurait entraîné des possibilités de consommation qui ont permis la surenchère dans la constitution de la dot. Avant même l’arrivée de la « modernité », la dot était considérée comme coûteuse, mais le prix à payer pour offrir sa fille en mariage est de plus en plus élevé de nos jours. Par exemple, dans le documentaire « Filles de Jardiniers », réalisé par Karina Marceau, on nous men-tionne que certaines femmes préfèrent avoir des garçons, parce que les filles coûtent

7 Le terme de consumérisme ici est utilisé pour désigner la place qu’occupe la consommation de biens et service dans la société étudiée. La société de consommation capitaliste est une idéologie économique.

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trop cher; les belles-familles demandant des télévisions, des voitures, des maisons, etc. (Marceau, 2007) La dot peut ainsi prendre différentes formes. Même interdite, elle fait partie de la vie quotidienne des familles indiennes. Lorsqu’impayée ou insuf-fisante, elle devient source de conflits entre les familles des époux.

En Inde, la dot est considérée comme l’une des causes principales des violences faites aux femmes et est également une des raisons pour lesquelles les femmes se suicident (Manier 2006 :42, Rustagi, 2004) Il a été évalué qu’environ onze pourcent des suicides en Inde seraient associés à des problèmes de dot. (Rustagi, 2004 : 331) Il peut arriver, par exemple, que la famille du marié demande beaucoup plus d’argent pour la dot que ce que la famille de la future épouse peut offrir; il en ré-sulte du harcèlement envers la jeune mariée qui peut conduire dans certains cas à son suicide. Tel que rapporté par Manier, « depuis les années 1990, la police in-dienne répertorie environ 6000 à 7000 décès dus à la dot chaque année ». (Manier, 2006 : 41) Certains auteurs mentionnent cependant que la police classerait trop hâtivement certains cas de meurtres comme des cas de suicides. Il en serait de même pour certaines morts supposément accidentelles : « the incidence of female deaths classified as suicide or accidental deaths by burns are very useful in this context. Many women’s organisations, concerned groups or individuals highlight the false categorisation of female murders as suicides or accidents ». (Vimochana, 1999, et Viswanathan, 2001 dans Rustagi, 2004 : 331) Les interprétations de la loi sur les violences par les législateurs auraient également un impact quant à sa réelle mise en application. En fait, selon Ray (2014) la violence due à la dot serait « une cause plus socialement acceptable » que la violence domestique ou conjugale, car elle im-plique un questionnement sur la structure de la société et non sur celle de la famille et des valeurs patriarcales qui y sont véhiculées :

L’une des explications au fait que la dot soit une cause facilement ac-ceptable est que dans la société, la notion de « dot en tant que mal so-cial » est largement acceptée aujourd’hui, du moins à un niveau superfi-ciel. Cela s’explique aussi par le fait que la dot est envisagée comme un élément extérieur à la structure familiale. La condamner ou la contester ne remet pas en cause l’intérêt patriarcal ni la structure familiale, con-trairement à la condamnation de toute autre raison telle que les rela-tions inégales entre les sexes, le droit inégal à la propriété et les idéolo-gies de cette nature. (Ray, 2014 : 97)

Ces questionnements sur le fonctionnement de la société indienne pourront peut-être apporter des changements dans les coutumes et pratiques. En attendant, la dot se perpétue.

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10 1.1.4 Le trafic de fiancées

Certains auteurs émettent l’hypothèse que le déséquilibre entre les sexes aurait une grande incidence sur l’augmentation de la violence (Manier, 2006, Bergeron-Dufour, 2011, Marceau, 2007, Krantz et Garcia-Moreno, 2005). Il a été noté que « d’ici 2020, l’Inde pourrait connaître un surplus d’hommes évalué à près de 15 % de la popula-tion adulte. » (Marceau, 2007 : 39) Quelles seront les stratégies d’adaptapopula-tion et de réaction pour atténuer l’écart entre les sexes? Selon le démographe indien Aswimi K. Nand : « l’Inde connaîtra probablement un assouplissement des conditions du mariage, notamment des critères sociaux ou d’âge […]». (Manier, 2006 : 114) Cer-taines pratiques culturelles referont surface, comme la polyandrie8, qui tendait à disparaître. Utilisée autrefois par les tribus du nord de l’Inde et du Tibet pour em-pêcher la division des terres d’une famille, elle sert maintenant à répondre à l’absence de femmes : « Cette rareté de femmes donnera lieu à un sentiment gran-dissant de pouvoirs chez les femmes, mais des rapports de cas récents venant de l’Inde à l’effet que des femmes sont forcées à porter les enfants de toute une famille de frères suggèrent exactement le contraire. » (Lobo, 2014 : 139) D’autres pratiques culturelles pourraient venir à disparaître. Par exemple, on peut voir des change-ments dans les coutumes reliées au mariage : « affaiblissement du système de caste et une acceptation plus large du divorce ». (Ibid : 114) Des familles acceptent de prendre des épouses étrangères, d'autres nationalités, pour leurs fils. Certaines familles iront même jusqu’à reconsidérer les femmes divorcées9 ou veuves, qui étaient jusqu’à présent, marginalisées.

Le manque de femmes créé par les diverses pratiques culturelles mentionnées plus haut, telles que l’interruption volontaire de grossesse de sexe féminin, l’infanticide féminin, la négligence envers les filles et les décès liés à la dot, a été présenté comme ayant d’énormes répercussions sur le plan culturel. En Inde et en Chine : « de vastes trafics de jeunes femmes ont en effet commencé à se développer depuis quelques années dans les zones où le recul de la population féminine est manifeste, afin de répondre aux vœux de célibataires qui sont prêts à payer pour se marier ».

8 Cette coutume peut se définir par le fait qu’une femme soit mariée aux hommes de la lignée de sa belle-famille.

9 Épouser une veuve est encore vu comme un tabou en Inde. En effet, on considère que si la femme survit à son mari, c’est qu’elle lui a porté malheur. D’ailleurs, la pratique de la Sati y est intimement liée, même s’il n’y a plus d’« immolation sur le bûcher funéraire du mari » […] les veuves restent traitées comme des parias : elles sont souvent jetées dehors par leur belle-famille sitôt après le décès et vivent dans la misère ». (Manier, 2006 : 115)

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(Manier, 2006 : 120) Ces hommes, seuls, célibataires, ceux qui ont perdu espoir d’avoir une descendance, sont nommés par les démographes comme étant des « branches nues »10. La difficulté pour les hommes à se trouver des femmes, les amène à chercher ces femmes « manquantes » dans d’autres régions parfois éloi-gnées. Avec le soutien de multiples intermédiaires, il peut arriver que des jeunes filles soient vendues par leur famille. (Krantz et Garcia-Moreno, 2005) Ce phéno-mène, relié au manque de filles à marier, accentue la problématique entourant la prostitution et le trafic humain. En fait, Manier (2006) nous informe de l’augmentation de l’« offre et de la demande » que peut engendrer la rareté des femmes indiennes : «Non seulement les parents des filles achetées ne paient pas de dot, mais, maintenant, ce sont les maris qui paient pour avoir une femme ». (Ma-nier, 2006 :122) On constate, selon le docteur Baljit Singh Dahiya, dans Manier (2006), que « ce(s) achat(s) de femmes ‘’revien[nent] finalement à inverser la coutume de la dot». (Manier, 2006 :122) Cette marchandisation des femmes serait selon Ma-nier (2006) une stratégie adaptative que les hommes et leurs familles ont trouvée pour faire face à cette pénurie de femmes à marier.

L’« achat » des filles et des femmes semble être la « solution ». Il y a des familles qui n’hésitent pas à parler ouvertement de ces « achats humains », ce trafic étant en fait une façon de montrer qu’elles ont un capital économique considérable. Certaines familles sont prêtes à payer de « 35 000 à 70 000 roupies11 » pour avoir une fille. (Manier, 2006) On peut noter également que le trafic de fiancées tend à se dévelop-per auprès des populations rurales et des populations en situation de pauvreté. Le contrôle des femmes et de leur corps s’effectue tout au long de leur vie que ce soit en matière de mariage, de fécondité ou de sexualité.

1.1.5 Systèmes d’oppressions et contrôle du corps des femmes

Qu’elles soient célibataires, mariées, divorcées ou veuves, le contrôle des femmes permet de « faire du corps des femmes la matrice de reproduction communautaire et familiale. » (Guilmoto, 2004 : 27) Ces systèmes d’oppressions reproductives12, par

10 Fait référence à « des branches d’arbres sèches et cassantes qui ne donnent jamais fruit » (Karina Marceau, 2007 : 39)

11 Ce qui équivaut à une somme entre 600 et 1200 $ canadiens. Considérant que le salaire moyen men-suel des participantes de cette étude est de 3000 roupies (51$C), il faudra plusieurs années à la famille pour amasser une telle somme.

12 Les oppressions reproductives réunissent tout ce qui peut affecter de près ou de loin la santé sexuelle et les droits reproductifs des filles et des femmes.

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exemple, peuvent être issus des politiques de planification familiale ou encore de contrôle des populations et elles se définissent comme étant :

Le contrôle et l’exploitation des femmes, des filles et des individus à tra-vers leur corps, leur sexualité, leur travail et leur reproduction. Le con-trôle des femmes et des individus devient ainsi un moyen stratégique pour contrôler des communautés entières. Cette logique s’appuie sur des systèmes d’oppression basés sur la « race », l’ (in)capacité, la classe, le genre, la sexualité, l’âge ou le statut migratoire. (FQPN, 2014 : 5)

Ainsi, on note une étroite attention au corps des femmes au sein de la communauté en raison de leur pouvoir reproductif. En d’autres termes, en donnant naissance, les femmes rendent possible la poursuite de la lignée de la famille. Toutefois, pour que l’héritage familial se préserve, il leur faut donner naissance à un garçon, d’où l’attention portée à leurs grossesses : « […] Si les femmes sont valorisées comme mères, et notamment dans un système patriarcal comme mères de garçons appelés à prolonger les lignées familiales, la communauté entend contrôler étroitement leur vie génésique afin de s’assurer de la bonne naissance des héritiers. » (Guilmoto, 2004 : 25)

1.2. Le concept de Justice Reproductive

1.2.1 Justice sociale et enjeux de santé reproductive

Le terme de « Justice Reproductive » (JR) a été introduit en 1994, par des femmes Africaines-Américaines suite à la Conférence Internationale sur la Population et le Développement ayant eu lieu au Caire, en Égypte. (Ross, 2011) Le mouvement pour la justice reproductive, quant à lui, est né aux États-Unis suite à la première confé-rence nationale donnée par Sistersong en novembre 2003 à l’issue d’une critique véhiculée par des femmes autochtones et racisées qui ne se sentaient pas incluses dans le mouvement « pro-choix ». (Ross, 2011) Ce choix était considéré uniquement en terme individuel et ne tenait pas compte du contexte social et économique dans lequel il s’inscrivait. En fait, elles critiquaient le mouvement pro-choix états-unien, car il n’a pas tenu compte des iniquités structurelles et systémiques qui limitent les choix des femmes, notamment de celles qui font partie de groupes ou de commu-nautés traditionnellement marginalisés : « Le fait qu’un droit soit garanti pour toutes ne signifie pas que toutes sont en mesure d’exercer ce droit.» (FQPN, 2014 : 7) On reproche plus particulièrement au mouvement Pro-Choix de ne pas avoir été

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solidaire de toutes les femmes. Cette organisation n’a pas pu mettre de l’avant les besoins et droits de ces femmes discriminées, et marginalisées du fait de leur classe, de leur ethnie, pour ainsi leur permettre d’avoir également accès aux ser-vices en termes de santé reproductive, sexuelle et maternelle.

À la fois considérée comme une théorie, une pratique et une stratégie, la justice reproductive est un prolongement de la théorie intersectionnelle13. (Ross, 2011; FQPN, 2014) Elle nous permet non seulement d’étudier les enjeux liés à la santé et aux droits reproductifs des femmes qui vivent à la croisée des oppressions, mais aussi de comprendre comment ils s’articulent avec les divers systèmes d’oppressions. (Ross, 2011; FQPN, 2014)

Comme le souligne Loretta Ross (2011), «la justice reproductive est une approche positive qui relie la sexualité, la santé et les droits humains aux mouvements pour la justice sociale en plaçant l’avortement et les enjeux de santé reproductive dans le contexte plus large du bien-être et de la santé des femmes, des familles et des com-munautés. » (Ross, 2011) Elle montre que ce choix en est teinté, car il n’est pas uni-quement une question d’accessibilité ni d’ordre strictement personnel, mais bien directement liée à la communauté dans laquelle ces femmes vivent. La capacité de déterminer leur vie reproductive est intrinsèquement liée à leurs conditions de vie et celles de la communauté dans laquelle elles grandissent. (Ross, 2011)

Il est important selon Loretta Ross (2006) de respecter les droits fonda-mentaux pour chaque femme et ce respect débute par l’élimination de tout contrôle et réglementation exer-cés sur « le corps, le genre et la sexua-lité des femmes et des filles », mais aussi par la modification des con-textes « politiques, économiques, so-ciaux et structurels tels que le

13 Issue du courant du Black Feminism, la théorie intersectionnelle a été créée par une universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw en 1991 dans un article, intitulé « Mapping the Margins:

Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color ». Cette théorie étudie la situation de personnes qui vivent de multiples formes d’oppressions et de dominations et la manière dont elles s’entrecroisent. (Crenshaw, 1991)

Black Feminism : Un mouvement féministe états-unien des années 1960-1970. Figure 1 Concept de justice reproductive

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cisme, l’éducation, les politiques environnementales, les services sociaux (…) qui ont un impact systémique sur leur destinée sexuelle, reproductive et maternelle. » (FQPN, 2014 : 10) Notamment, le mouvement pour la justice reproductive milite avec les femmes et demande à ce que soient considérés les droits suivants pour toutes les femmes : 1) Le droit d’avoir des enfants; 2) Le droit de ne pas en avoir; 3 ) Le droit d’élever ses enfants et de choisir les circonstances de leurs accouchements; 4)Le droit d’exprimer librement sa sexualité

En résumé, comme le démontre la figure 1, la JR tient ses bases théoriques dans l’approche intersectionnelle. (ACRJ : 2005) De cette façon, elle permet de prendre connaissance et conscience du partage inéquitable du pouvoir selon les « marqueurs de différenciation », c’est-à-dire de caste, de genre, de classe, de religion, etc. (FQPN, 2014 : 11) Ancrée dans l’expérience des femmes, il sera possible avec cette grille d’analyse d’examiner l’entrecroisement des divers systèmes d’oppressions et les impacts qu’ils peuvent avoir sur les femmes indiennes, leur entourage et la communauté indienne, pour mieux les déconstruire. En terminant, tout ceci justifie l’importance de tenir compte des besoins des femmes concernées en situation de pauvreté, racisées, marginalisées et des contraintes qu’elles peuvent subir, pour que le droit à l’IVG devienne réellement accessible pour toutes.

1.3. Le concept d’Agencéité

1.3.1 Les femmes, actrices de changement

Tous les facteurs mentionnés précédemment contribuent à marginaliser davantage les femmes et favorisent la dégradation de leur santé. Il faut toutefois prendre en considération qu’il y a, certes, des privations liées aux inégalités de genre, du fait que « les femmes sont moins bien traitées - beaucoup moins bien, quelques fois - que les hommes […], les filles, surtout, bénéficiant souvent d’infiniment moins d’égards que les garçons ». (Sen, 2007 : 252) Par contre, on ne doit pas généraliser et enfermer les femmes indiennes dans un déterminisme social, car elles ne sont pas nécessairement passives devant la discrimination. Elles remplissent un rôle d’« agent (e)» par lequel elles « poursui[vent] des buts et des objectifs » qu’elles priori-sent, étant « liés ou non à leur propre bien-être. » (Sen, 2007 : 248) En effet, comme le mentionne Amartya Sen (2007), le pouvoir d’agir de ces femmes passe d’abord par leur reconnaissance en tant qu’agentes actives au sein de la société indienne et par

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leur importance non seulement en tant que mères, mais aussi en tant qu’individu, membres à part entière d’une communauté :

Conceptualiser les privations féminines en termes de bien-être avant tout et se concentrer de ce fait sur l’aspect « patient » des femmes con-duit immanquablement à ne rien comprendre de la fonction extraordi-nairement importante que les femmes remplissent chaque fois qu’elles se comportent comme des agents actifs de changement qui transforment non seulement leur propre vie, mais même celle de tous les membres de nos sociétés - des autres femmes, des hommes et des enfants. (Sen, 2007 : 250)

Par ailleurs, il faut prendre conscience que la production de discours sur les expé-riences de violence vécues par les femmes peut amplifier la stigmatisation faite à leur encontre. Mathieu (1985) note le peu d’attention portée aux discours directs des femmes ainsi que le fait que certains ethnologues ne prennent pas en compte la « situation structurelle » à l’intérieur de laquelle ces discours ont été produits. L’auteure soulève l’importance de prendre en considération le contexte de ces dis-cours pour en saisir le sens et la portée : « Dans quel contexte objectif par rapport au pouvoir immédiat des hommes la personne s’exprime-t-elle, ou dans quelle si-tuation de (même relative) liberté, non seulement de parler, mais de penser son ex-périence se trouve-t-elle »? (Mathieu, 1985 : 210)

Pour pallier ces effets pervers de la formulation du discours savant sur la violence, nous insistons tout au long de cette recherche sur le fait de porter une attention particulière au fait que ces femmes ont adapté la modernité à leur manière, dans le cadre de leur culture, pour articuler leurs propres discours sur la situation que nous avons décrite ici. Ceci évite de donner d’elles une image unidimensionnelle de victimes.

L’image féminine étant hétérogène, il serait essentiel de garder à l’esprit qu’il existe des différences entre les femmes et qu’il n’y a pas de modèle universel. Par exemple, en se basant sur différents facteurs et indicateurs sociodémographiques (le taux de scolarisation, la moyenne d’âge des femmes à leur mariage, l’espérance de vie des femmes, etc.), on remarque qu’une femme dans un État au nord de l’Inde (Territoire

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de New Delhi), n’aura pas la même capacité d’agir au quotidien qu’une femme dans un État du Sud, comme celui du Kérala14. (Mathew, 2010)

Par ailleurs, comme le mentionnent Ghai et Johri (2008), « the problem is not a matter of autonomous choice, but the context in which such choice is made ». (Ghai et Johri, 2008: 311) On pourrait voir par exemple, la sélection basée sur le sexe comme étant une stratégie d’adaptation pour faire face à une violence : « Deliberate sex selection in the population practicing it can be considered neither socially aber-rant nor a legacy of an archaic mindset. From the actor’s point of view, discrimina-tion against unborn girls emerges as a radiscrimina-tional strategy in response to changing constraints and opportunities within existing gender regimes » (Guilmoto, 2009 : 526) En fait, les femmes prennent les moyens et méthodes qui sont à leurs disposi-tions pour réduire la perpétuation de la violence : cette perspective voudrait que les femmes considèrent les interruptions volontaires de grossesses sur la base du sexe du fœtus (IVGSF)» comme moins violentes que l’infanticide, la négligence vis-à-vis des filles et même le stress imposé aux filles pour la constitution de leur dot.

Culturellement et historiquement construite, l’agencéité prend tout son sens dans la subjectivité des actrices et des acteurs sociaux. On y découvre en fait que la capaci-té d’agir des femmes se trouve dans chacune des actions quotidiennes. (Goyal, 2007) Les normes sociales et le poids des coutumes et traditions les aident non seu-lement à évaluer la faisabilité de leurs projets, mais aussi et surtout de penser et d’imaginer les outrepasser, pour ainsi se réaliser et avoir cette capacité d’agir sur leurs vies. (Mahmood, 2004) Selon Mahmood (2004), il ne suffit pas que les normes soient renforcées, elles doivent également être comprises comme étant personnelles et expérientielles, habitées par la personne au quotidien. Il ne faut néanmoins pas tomber dans l’illusion du romantisme de la résistance. Mahmood cite notamment Abu-Lughod qui nous met en garde contre cet effet : « In some of my earlier work, as in that of others, there is perhaps a tendency to romanticize resistance, to read all forms of resistance as signs of ineffectiveness of systems of power and of the

14 Le Kérala ayant vécu plusieurs années sous un régime communiste valorisant l’égalité des sexes, la réalité socioéconomique des femmes kéralaises est particulière : « Le niveau élevé d’instruction des femmes et la spécificité politique du Kerala – État devenu communiste en 1957 qui eut le souci de réduire les inégalités socioéconomiques et d’améliorer l’état de santé de la population – ont été fréquemment invoqués pour expliquer cette transition démographique plus précoce. Le changement a en réalité été très global (Rajan et Véron, 2006). Voilà quelques raisons qui pourraient expliquer partiellement la baisse de la fécondité chez ces femmes. Il y a certes eu une amélioration de l’instruction féminine, mais aussi une augmentation importante de l’âge au mariage (21) ainsi que de la prévalence contraceptive; des programmes orientés vers la santé maternelle et infantile ont été mis en place » (Véron, 2008 :14)

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ence and creativity of the human spirit in its refusal to be dominated. » (Abu-Lughod, 1990b, dans Mahmood 2004) Certes, il existe de multiples formes de résis-tances, mais cela ne signifie pas qu’elles soient présentes dans l’ensemble des sphères de la vie.

À la lumière de ces informations on constate, comme beaucoup d’autres avant nous l’on fait, que les facteurs socioculturels peuvent influencer, voir renforcer les inéga-lités entre les femmes et les hommes; il importe donc maintenant de se questionner sur ces aspects de la culture indienne qui ont été utilisés pour légitimer la violence faite aux femmes. Les pratiques et coutumes, telles que la dot et l’héritage, ci-dessus mentionnées, issues des modèles d’organisation sociale et familiale patriar-cale, sont imprégnées de préjugés sexistes. Ces iniquités structurelles et systé-miques accentuent les contraintes vécues par les femmes, particulièrement en termes de santé reproductive. Leurs capacités d’agir dans ces circonstances doivent être étudiées concomitamment avec leurs conditions de vie et celles de la commu-nauté dans laquelle elles vivent. D’où la pertinence de tenir compte du poids des coutumes et traditions dans le «choix» des femmes d’interrompre ou non une gros-sesse. Nous proposons une telle contextualisation dans le prochain chapitre.

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18 CHAPITRE 2 : CADRE CONTEXTUEL

Dans cette partie sont décrits les éléments contextuels qui ont été d’un intérêt par-ticulier dans la présente recherche. Nous nous intéressons particulièrement à la structure démographique de la République de l’Inde et au contexte socioéconomique et religieux dans lesquels vivent les femmes.

2.1 L’Inde et sa population en général

D’après les données du recensement de 2011, l’Inde avec une population se chif-frant à 1 208 737 436 habitants, représente environ 17,6 % de la population mon-diale, ce qui fait de ce pays le deuxième plus peuplé au monde. (Census of India, 2011) Les hindous comptent pour 80 % de la population totale de l’Inde, les mu-sulmans sont minoritaires avec 14 % de la population. Ils représentent néanmoins la plus grande majorité des groupes sociaux minoritaires en Inde, soit environ 170 millions, faisant de l’Inde le deuxième pays musulman au monde après l’Indonésie, à égalité avec le Bangladesh et le Pakistan. (Granger et al., 2013 : 17) Les chrétiens représentent 2 %, les sikhs 2 % également et les autres communautés religieuses qui ne représentent pas plus de 1 %, mais qui ne sont pas négligeables en termes de population : le bouddhisme, judaïsme et le jaïnisme. Les enjeux examinés dans ce mémoire touchent plus particulièrement les groupes religieux hindous et musul-mans. Malgré qu'elles soient minoritaires à l'échelle du pays, il s'avère que la grande majorité des participantes à notre recherche ont une affiliation à la religion musul-mane. Nous identifierons, au fil de la présentation des résultats, l'incidence de cette caractéristique sur les perceptions des répondantes.

2.2 Contexte du pays : La République de l’Inde

Depuis l’Indépendance de l’Inde en 1947, les conditions socioéconomiques des mi-norités religieuses se sont dégradées. Ayant pour objectif de forcer l’exode des mu-sulmans les multiples vagues d’émeutes suite à la Partition15 ont eu pour effet de

15 La partition est survenue lors de la création de la république de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh en 1947 créant ainsi d’importants mouvements de population fondés sur l’appartenance religieuse.

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circonscrire les personnes de confession musulmane dans des camps de réfugiés, les « muslim slums ». (Granger et al., 2013 :34) On peut voir cette marginalisation notamment par la surreprésentation et la ghettoïsation des musulmans dans les bidonvilles. D’ailleurs, cette «ségrégation de l’espace » selon les castes et les religions perdure, et cette forme de xénophobie augmente la discrimination vécue par les musulmans et en particulier en ce qui a trait au logis. (Chasles, 2008; Granger et al., 2013)

L’Inde part du principe que toutes religions doivent être traitées sur un pied d’égalité16. Néanmoins même si elle est interdite, la discrimination à l’égard des mi-norités religieuses se perpétue, particulièrement envers les communautés issues de religion musulmane. Les musulmans indiens sont tenus pour responsables de la division du territoire indien et sont suspectés d’allégeance au Pakistan : « Comme la majorité des élites musulmanes a rallié le Pakistan en 1947, les 35 millions de mu-sulmans demeurés en Inde par choix, par ignorance ou par incapacité d’émigrer se sont retrouvés politiquement orphelins, formant une minorité socialement fragmen-tée et économiquement laissée à elle-même. » (Granger et al., 2013 : 345) Le refus d’accepter un système d’éducation et de juridiction laïques pourrait expliquer en partie les discriminations vécues par cette communauté, dont les membres se tour-nent vers les lois personnelles musulmanes (Charia) et vers des écoles religieuses pour structurer leur vie collective.

2.3 Systèmes de castes hindoues

Même si aboli depuis 1950, le système de castes hindoues maintient et renforce les inégalités au sein de la société indienne dans la mesure où, il dicte encore au-jourd’hui les rôles sociaux. (Deliège, 2004; Cassan, 2015) Chaque caste a une posi-tion hiérarchique dans la société. Le système de caste divise la société indienne en quatre grandes catégories. Ces castes sont des groupes endogames dont l’occupation détermine la position hiérarchique d’une personne dans la société, et ce, dès sa naissance. Dans les hautes castes, on retrouve les Brahmanes (prêtres et

16 Inscrit dans la constitution en 1976, le principe du sécularisme en Inde désigne non pas la séparation de l’État et de la religion, mais bien « l’égale bienveillance » de l’État à l’égard de toutes les religions. Jawaharl Nehru, qui a gouverné l’Inde de 1947 à 1964, voyait en ce principe un multiculturalisme permettant aux minorités religieuses d’avoir un sentiment d’appartenance à l’Inde. Cherchant ainsi à intégrer les musulmans qui avaient choisi de rester et de les conforter dans leur choix. (Granger et al., 2013 :179)

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enseignants), les Kshatriyas (guerriers et seigneurs) et les Vayshas (marchand et propriétaires terriens). (Deliège, 2004; Cassan, 2015)) Tandis que les Shudras sont des serviteurs, des domestiques et agriculteurs, issus de la caste inférieure. Puis l’on retrouve également les personnes qui ramassent les déchets, que l’on qualifie d’impurs, les exclus, les hors-castes appelées Dalits ou intouchables. (Cassan, 2015)

La multiplication des professions et la démocratisation17 de l’Inde contemporaine permettent une plus grande mobilité des individus et les castes deviennent de plus en plus hétérogènes. (Cassan, 2015) Comme le mentionne Deliège (2006), la caste ne semble plus être «la seule institution de référence » pour définir l’identité d’une personne dans la société. (Deliège, 2006 : 156)

2.4 Ordre social musulman

Exemple de «l’institutionnalisation des inégalités et des hiérarchies sociales » les castes se perpétuent à travers le temps et s’adaptent aux changements de la société indienne. (Delage, 2011) Dans l’objectif de comprendre l’ordre social musulman, l’étude de trois grandes catégories de l’ordre social musulman (ashrâf, ajlâf, arzâl) est nécessaire, car le groupe de naissance permet non seulement de déterminer le statut social d’une personne, mais aussi de faire une distinction entre les religions, ainsi qu’entre les Arabes et non arabes. (Delage, 2011)

Les nobles musulmans communément appelés Ashrâf-s se situent en haut de l’échelle sociale musulmane en Inde. Cette catégorie sociale peut être de diverses origines (arabe, afghane, persane, turque) et est reconnue comme faisant partie d’un lignage remontant jusqu’au Prophète. On retrouve d’ailleurs dans cette caste les Sayyads et le Shaykhs, qui sont soit des Oulémas18, des propriétaires terriens, des marchands ou encore des entrepreneurs. (Delage, 2011)

La strate sociale intermédiaire est celle des Ajlâf-s, qui sont les plébéiens. Descen-dants d’un lignage converti à l’islam, leur statut est déterminé par leur profession.

17 Notamment par l’adhésion à des principes d’égalité et de liberté, mais aussi par la mise en œuvre de politique de discrimination positive pour les basses castes, afin de leur permettre d’accéder à l’éducation supérieure, à un emploi, etc.

18 Théologiens qui ont autorité pour interpréter la loi régissant tous les aspects de la vie des musulmans et des musulmanes, la Sharî’a. (Gaborieau, 1989)

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Parmi cette caste on relève les Ansâri ou Julâhâ, ce sont des agriculteurs, des commerçants, des tisserands. (Delage, 2011) Ayant été converties à l’islam, les Ajlâf-s font l’objet de diAjlâf-scrimination, car leAjlâf-s éliteAjlâf-s muAjlâf-sulmaneAjlâf-s (AAjlâf-shraf-Ajlâf-s) ne leAjlâf-s recon-naissent pas, car selon eux ils n’appartiennent pas au lignage du Prophète. (Delage, 2011)

Les Arzâl-s, appelés vulgaires, se retrouvent au bas de l’organisation sociale mu-sulmane. Ces personnes font partie d’un groupe d’intouchables convertis et prati-quant des métiers comme ceux de blanchisseurs, barbiers, tanneurs, que l’on quali-fie également d’impurs dans l’hindouisme.

Il existe d’autres facteurs hiérarchisant au sein de ces groupes. Le niveau écono-mique des ménages et le niveau d’éducation en sont des exemples. De plus, on ob-serve plusieurs interdits sociaux entre ceux-ci : « les relations entre les groupes so-ciaux musulmans sont régies par une série d’interdits soso-ciaux (commensalité, ma-riage, sociabilité) et spatiaux (accès aux espaces domestiques, aux lieux de prière, ségrégation dans les cimetières et les quartiers).» (Delage : 2011) Il en est de même pour le mariage, qui est endogame et qui se fait entre castes de mêmes catégories, ceci étant il est néanmoins possible de marier à l’intérieur de chacune d’entre elles, des personnes de différentes castes. (Delage, 2011)

2.5 Contexte des politiques familiales en Inde

Depuis l’indépendance en 1947, l’Inde fait face à une croissance démographique importante. Devant l’accroissement de sa population et la faible progression du rythme de production agricole, l’Inde a donc tenté de stabiliser la population, par le biais de quelques stratégies. Elle a été le premier pays du monde émergent en 1951 à instaurer un programme de planification familiale, afin de réduire le nombre de naissances. (Guilmoto, 2004) En bref, la maîtrise de cette croissance démogra-phique reposait sur la réduction de la fécondité. Lors du second plan de 1956 à 1961, le Central Family Planning Board (CFPB), une instance consultative fut créée et de nombreux conseils de planification des naissances virent le jour au sein des hôpitaux et des dispensaires, favorisant ainsi l’accès aux services. (Guilmoto, 2004 : 33) Dans le courant des années soixante, voyant le recul du stérilet, le gouverne-ment indien s’est tourné vers d’autres méthodes de limitation des naissances: « Le

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stérilet, qui donnait en 1966, les plus grands espoirs, a causé au contraire une forte déception. Les taux de complication (10 %) et de rejet (16 %) sont supérieurs à la moyenne internationale, par suite, dit-on, de l'anémie des patientes, mais sans doute aussi de l'insuffisance du personnel. Quelques grossesses ont en outre dis-crédité cette méthode dans 1'esprit populaire.» (A.S., 1969 : 354) Le gouvernement indien a donc mis en place de nouvelles politiques de limitation des naissances, rendant disponibles à la population les moyens de contraception tels que la stérili-sation féminine et masculine, le stérilet, le condom, etc. (Guilmoto, 1997 :146) Suite aux camps de vasectomie de masse et aux politiques de stérilisation forcée, «les pro-grammes de planning familial et même plus largement les centres hospitaliers ont suscité une grande méfiance teintée de ressentiment au sein de la population.» (Jul-lien, 2015 : 264) À la fin du troisième plan quinquennal (1961-1966), les services de planification de naissance grandissaient et devenaient plus accessibles tant pour la population urbaine que rurale : «Les connaissances en matière de disponibilité et de gratuité de l’offre contraceptive, même réduite, firent de larges progrès durant cette période.» (Guilmoto, 2004 :36) En 1977, pour redonner une nouvelle image aux hô-pitaux et afin de susciter la confiance chez la population, des changements dans les politiques démographiques ont été effectués et le Ministère du Planning familial a été rebaptisé sous le nom du Ministère de la Santé et du Bien-être familial. (Jullien, 2015)

Depuis les années 2000, divers programmes liés à la santé maternelle et infantile ont été créés et faisaient partie des priorités de l’État indien :

«Le premier, Janani Suraksha Yojana (JSY) inauguré en 2005, prévoit de remettre une somme d’argent aux femmes venues à l’hôpital pour ac-coucher (1 000/1 400 Rs) ou pour se faire stériliser (750 Rs). Le deu-xième Janani Shishu Suraksha Karyakram (JSSK)  inauguré en 2011, accorde la gratuité totale des soins liés à la grossesse, à l’accouchement et à la période postnatale dans tous les établissements publics, ruraux comme urbains.» (Jullien, 2015 :261)

Ces programmes visant à améliorer la santé maternelle des femmes et à réduire la mortalité infantile sont d’ailleurs en concordance avec les Objectifs du millénaire pour le développement proclamés par le Fonds des Nations Unies pour la popula-tion. (Jullien, 2015) Malgré ce désir de démocratisation des soins, les pratiques de corruptions, ainsi que la violence structurelle des programmes sont persistantes. (Gupta, 2012)

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Des données issues d’une recherche de terrain ethnographique dans un hôpital gouvernemental d’obstétrique de la ville de Jaipur au Rajasthan en Inde ont montré que ces programmes gratuits de santé maternelle et infantile font l’objet de cri-tiques; certains membres du personnel hospitalier (Jullien, 2015) disent que «ces programmes inciteraient les plus démunis à se reproduire davantage et, par consé-quent, à reproduire la pauvreté et l’analphabétisme. La communauté musulmane est explicitement visée […] Les femmes musulmanes continueraient à se reproduire «comme des chiens et des chats, et ce gratuitement.» (Jullien, 2015 : 267) Ce dis-cours essentialiste renforce la discrimination et la stigmatisation à l’endroit des femmes musulmanes.

2.6 Fertilité des femmes

Largement documenté via des enquêtes démographiques et des sondages sur la santé familiale, le taux de fécondité (ou l’indice synthétique de fécondité) des femmes en Inde, qui «réfère au nombre d’enfants qu’aurait hypothétiquement une femme au cours de sa vie reproductive19», est en décroissance depuis les années

1960. (Banque mondiale, 2014, IIPS, 2007) Selon les données de la Banque Mon-diale (2014), le taux de fécondité est passé de 5,9 en 1960 à 2,4 en 2014. Alors que ce taux est en baisse, la prévalence contraceptive est quant à elle en hausse. La prévalence contraceptive était de 40,7 en 1993, alors qu’elle était de 54,8 en 2008, soit une augmentation de près de 15%. (Banque Mondiale, 2014)

Dans un rapport sur la santé familiale en Inde, effectué en 2007, par l’International Institute for Population Sciences (IIPS), les sondages (National Family Health Sur-vey(NFHS)) révélaient que les femmes issues des communautés musulmanes avaient un taux de fécondité plus élevé que les femmes des autres communautés, et ce, malgré le fait que ce taux en Inde ait diminué au fil des années. (Figure 2) (IIPS, 2007)

19 Statistique Canada, 2015

Figure

Figure 1 Concept de justice reproductive
Figure 4 Données sur le nombre de grossesses et le nombre d'enfants selon le sexe et l'âge
Tableau 1 Pratiques culturelles de socialisation de l’enfant
Graphique 1 Distribution des participantes selon leur âge lors du mariage
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