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CHAPITRE 3 : CADRE MÉTHODOLOGIQUE

2.6 Contexte du terrain de l’étude

Alors que je regardais autour de moi, une vingtaine d’enfants me souriaient à pleines dents en me disant « Namaste didi44!», tout en me donnant des petites tapes sur le dos

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ou en me serrant la main, ils m’invitaient chaleureusement à faire un tour dans leur maison pour y prendre le thé…

Afin de brosser un tableau du quartier à l’étude, voici quelques informations qui caractérisent cette population et les problématiques qui les concernent. L’organisme dans lequel je me suis impliquée lors de mon terrain est localisé au nord de New Delhi, un endroit où l’on retrouve des gens en situation de pauvreté, de religion mu- sulmane et hindoue, qui vivent dans des bidonvilles45. Les gens sont très fiers de montrer leur demeure. Les maisons sont très colorées et faites à partir de matériaux de récupération : bidons, tôles, caisses, planches, cartons goudronnés, pailles, briques, etc. Lors de mon passage, la fête de Diwali46 approchait et par conséquent, toutes les maisons étaient ornées de banderoles fabriquées à la main.

Ces agglomérations de logements ont été développées sans plan ni infrastructure. Au sein de ce quartier, les autorités locales ont installé quelques points d'eau non potable, les gens doivent donc la faire bouillir avant de la consommer47. Faute

d'égouts, les problèmes d’hygiène sont considérables. En effet, il n’y a pas de toi- lettes au sein des maisons, car le système d’égouts ne s’y rend pas et le système d’aqueduc n’est pas fonctionnel. Les latrines étant situées au centre du bidonville et n’étant pas éclairées le soir, la sécurité des femmes et des filles est quotidiennement menacée. Par ailleurs, certaines maisonnées n’ont pas de porte, rendant les mai- sons elles-mêmes facilement accessibles.

Les gens ont accès à l’éducation et à l’information et bénéficient de services, avec l’aide de l’organisme du quartier,48 mais ne connaissent pas nécessairement leurs droits. Les intervenant-e-s de l’organisme que j’ai fréquenté - tentent de leur appor- ter des connaissances et de leur donner les ressources nécessaires pour faire valoir

45 Partie défavorisée d'une ville caractérisée par des logements très insalubres, une grande pauvreté et sans aucun droit.

46Diwali, fête de la lumière dit-on. Lors de cette fête indienne, les gens allument des bougies et partagent des sucreries et font exploser des feux d’artifice. Dans la journée, on achète des chandelles flottantes, pour prier la déesse Lakshmi afin qu'elle nous apporte la prospérité. Certaines familles ont pour cou- tumes de mettre des guirlandes de fleurs à leurs portes et de laisser leurs portes ouvertes, pour per- mettre à la déesse d'entrer dans leur maison (certains vont même dessiner les pieds de la déesse au pied de leur escalier).

47 Le fait de la faire bouillir n’est pas facilitant pour ces gens, car la majorité ne peut se payer le propane pour faire fonctionner la cuisinière ou encore n’a pas de cuisinière. Le propane coûtant très cher, les personnes optent donc pour se faire un feu et se brûler quelques bûches.

48 Pour des raisons de sécurité et de confidentialité, les noms de l’organisme, des intervenantes et des programmes ne seront pas dévoilés.

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leurs droits à l’éducation, à l’information, au logement, à une alimentation saine et régulière, à la protection individuelle, etc.

Ces intervenant-e-s travaillent dans le cadre d’un programme financé et mis en place par le gouvernement afin de contrer l’analphabétisme49. Ce programme de bourses individuelles permet d’appuyer les enfants pour qu’ils aillent à l’école. Il est basé sur une loi appelée « Right to Education Act50», entrée en vigueur en Inde en avril 2010. Dans son discours, le premier ministre de l’Inde, Manmohan Singh51 avait affirmé que cette loi avait été mise en place pour que tous les enfants aient accès à l’éducation, et ce, indépendamment de leur genre ou de leur classe sociale : « We are committed to ensuring that all children, irrespective of gender and social category, have access to education. An education that enables them to acquire the skills, knowledge, values and attitudes necessary to become responsible and active citizens of India. »52 Malgré cela, l’accès à l’éducation pour toutes et tous reste tou-

jours un défi pour le gouvernement, car il n’a pas atteint son objectif de 201553.

Au sein de l’organisme, les intervenant-e-s ont pour mission d’accompagner les femmes pour certaines formalités administratives et d’animer des focus groupes pour les sensibiliser et les conscientiser aux enjeux qui les concernent, en leur pro- posant des outils utiles à faire valoir leurs droits. Par le biais de ces groupes, l’organisme donne une formation aux mères les amenant à s’exprimer sur leurs ex- périences relatives à l’éducation et les problèmes qu’elles rencontrent au quotidien. L’objectif de ces activités est de permettre aux femmes d’en savoir davantage quant à leur rôle au sein de divers comités dans les écoles et quant aux obligations du gouvernement de leur fournir les droits prévus par la loi « Right to Education Act ». Au terme de ces activités, une dizaine de femmes leaders, nommées par les groupes de femmes, joueront leurs rôles d’agentes de changement au sein de la communau- té en transmettant ce qu’elles auront appris à d’autres afin d’éviter qu’un-e jeune soit dépourvu-e de son droit d’être éduqué-e.

Un autre programme soutenu par l’organisme cible les enfants entre 0 et 6 ans pro- venant de familles vivant en situation de pauvreté et a pour objectif de leur procurer

49 En 2011, on relevait un taux d’alphabétisation de 74%. (INED, 2011) 50 Right to Education Act (Government of India: 2010)

51 Manmohan Singh a été Premier ministre en Inde de 2004 à 2014. 52 THE HINDU, (2010)

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de la nourriture nécessaire à leur sain développement. Des dizaines d’enfants de ce quartier bénéficient de ce programme chaque jour. Il y a, au sein du bidonville, un endroit qui permet également aux enfants de moins de 18 ans, qui n’ont pas l’opportunité d’aller à l’école, d’apprendre à lire et à écrire. Selon les intervenant-e-s de l’organisme, plusieurs centaines d’enfants sont dans cette situation. Les interve- nantes détiennent un registre des enfants du quartier avec lequel elles doivent avoir un suivi, avec chacun d’eux, une fois par mois. Quotidiennement, j’accompagnais une intervenante de l’organisme qui faisait la tournée des bidonvilles pour voir si tous les enfants qui étaient inscrits sur sa liste allaient toujours à l’école. Elle re- gardait plus particulièrement si les filles avaient été à l’école et si tout se passait bien à la maison; si c’était le cas, la bourse était alors renouvelée. L’organisme, de par ses visites dans le quartier, incite les parents à envoyer les enfants à l’école et les appuie dans diverses démarches administratives, car ne sachant ni lire, ni écrire, les documents administratifs du gouvernement deviennent problématiques.

Afin de mieux documenter les conditions dans lesquelles vivent les enfants au quo- tidien, je suis allée visiter une école du quartier avec l’agente de la National Com- mission of the Protection of the Child’s Right (NCPCR) et un membre de l’équipe de l’organisme du quartier. À notre entrée dans l’édifice, je me demandais pour quelle raison l’odeur d’urine était aussi intense : Il n’y avait que trois toilettes pour une école de 3000 élèves. Il n’y avait pas d’eau, donc impossible pour les enfants de se laver les mains. Mis à part le manque d’installations sanitaires, j’ai constaté qu’il n’y avait pas non plus d’électricité; comment les enfants pouvaient-ils être en mesure de voir leurs cahiers ou encore le tableau? Les enfants étaient assis par terre dans la classe, au nombre de cinquante pour un professeur. Aux dires de la direction de l’école, la moitié des élèves ne venaient pas à ses cours; « aucune motivation », me disait-on... Le seul point qui semblait positif dans la logique cette école était que les élèves recevaient un repas chaud à l’heure du dîner.

Les conditions dans lesquelles les enfants apprennent sont, sommes toutes déplo- rables, mais ce qui m’interpellait davantage ce sont ces jeunes qui veulent aller à l’école, mais qui ne réussissent pas à y être admis. En bref, les programmes de bourses pour l’éducation offertes par le gouvernement indien, qui visent à être ac- cessibles pour toutes et tous, ne tiennent pas compte des réalités vécues par les personnes en situation de pauvreté. Pour mieux comprendre l’ensemble des circons- tances dans lesquelles vivent ces habitants du quartier du nord de Delhi, voici

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quelques informations recueillies lors d’une discussion informelle avec une des in- tervenantes de l’organisme : Les familles obtiennent des bourses de 600 roupies54 pour que leurs filles aillent à l’école. Pour les obtenir, il leur faut une preuve de ré- sidence ou encore une facture d’électricité. Par ailleurs, pour inscrire son enfant à l’école, il faut présenter le certificat de naissance de l’enfant, un document rare dans ces milieux. Les gens habitant dans les bidonvilles n’ont pas d’adresse comme telle et pas nécessairement d’électricité, car aucune installation de ce genre n’a été mise en place dans leurs habitations, il est donc difficile de se procurer de telles preuves. De plus, pour être en mesure de recevoir une aide, sous forme de bourses en éducation ou d’appui alimentaire dans les centres de rationnement, les familles doivent avoir un compte en banque. Cependant, pour avoir un compte en banque, il faut une adresse, ce qui rend ces demandes plutôt contraignantes et démontre qu’il y a une réelle lacune quant à la mise en application du programme. Après un cer- tain temps, l’enfant cessera d’aller à l’école, car faute de certificat de naissance, on lui en refusera l’accès. Il s’agit d’un cercle vicieux : avec ces mesures visant à con- trer les inégalités, on en vient finalement à les maintenir.

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