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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Savoirs techniques et compétences technologiques

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Academic year: 2021

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SÉMINAIRE DE DIDACTIQUE

DES DISCIPLINES TECHNOLOGIQUES

CACHAN — 1996-1997

-Savoirs techniques et compétences technologiques

Responsables : A. Durey, J. Lebeaume & P. Vérillon © Association Tour 123

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SÉMINAIRE DE DIDACTIQUE

DES DISCIPLINES TECHNOLOGIQUES

CACHAN – 1996-1997

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L

ES AUTEURS Bernard Calmettes

IUFM de Toulouse - LEMME - Université Paul Sabatier

Alain Deliou

LIRDHiST, Université Claude Bernard Lyon 1

Joël Lebeaume

Maître de conférences, directeur d'études, IUFM d'Orléans-Tours

Jean François Levy

Institut National de Recherche Pédagogique

Département TECNE « Technologies nouvelles et éducation »

Jean-Louis Martinand

Professeur des Universités, ENS Cachan

Pierre Vérillon

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Séminaire de Didactique des disciplines techniques 1996-1997 3

S

OMMAIRE

UNITE ET DIVERSITE DE LA TECHNOLOGIE...5

Pierre Vérillon

FAMILIARISATION TECHNIQUE ET CONNAISSANCE...17 TECHNOLOGIQUE - LA TECHNOLOGIE AU COLLEGE

Jean-Louis Martinand

ENTRETIEN AVEC YVES DEFORGE...29

conduit par Joël Lebeaume

DES SAVOIRS PROFESSIONNELS DU BTS CIRA...43 Alain Deliou

L’ENSEIGNEMENT DE L’ELECTROTECHNIQUE ...67 DANS LES CLASSES TERMINALES DES LYCEES

(SECTION ELECTROTECHNIQUE)

Bernard Calmettes

LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DANS L'ENSEIGNEMENT : ...87

CONTINUITES, CHANGEMENTS, RUPTURES

Jean François Levy

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Quelles nouvelles competencesdes acteurs de la formation...95 Dans le contexte des tic ?

de Claire Bélisle & Monique Linard par Jean-Luc Laurent

L’enseignement professionnel. quel avenir pour les jeunes ? ...98

C. Aghulon par J. Lebeaume

La compétence. Mythe, construction ou réalité ?... 100

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Unité et diversité de la technologie 5

U

NITE ET DIVERSITE DE LA TECHNOLOGIE

Pierre Vérillon

Le thème autour duquel nous avons souhaité organiser les séances du séminaire de cette année est celui de l’unité et de la diversité de la technologie. À première vue, ce thème peut apparaître comme le parfait sujet pour exercice de rhétorique et l’on devine le développement ternaire auquel pourrait donner lieu l’exposé : au départ, le constat vaguement angoissant de la diversité des techniques, puis, la mise en évidence d’éléments d’invariance et enfin, l’affirmation rassurante de l’unité.

Ce schéma pourrait se généraliser aisément à d’autres domaines : unité et diversité de la science, unité et diversité de la littérature, etc… Dans le rôle de l’invariant unificateur, on pourrait ainsi convoquer plusieurs candidats : la discipline ou le genre, un paradigme, une communauté de projet ou de problèmes...

Cependant, à y regarder de plus près, la technologie se prête assez mal à ce jeu de l’unité et de la diversité. On peut identifier des communautés d’ingénieurs ou de techniciens, des métiers et des corporations, mais existe-t-il des communautés de technologues ? Peut-on légitimement cPeut-onsidérer les génies, par exemple, comme des équivalents en technologie des genres littéraires ou des disciplines scientifiques ? Peut-on parler de disciplines technologiques au sens où l'on parle de disciplines scientifiques ? Sinon, dans quelle direction faut-il chercher ce qui ferait l’unité de la technologie ? Les réponses à ces questions ne sont pas simples car encore faudrait-il s’entendre sur la signification même du terme « technologie ». Guillerme affirme en avoir trouvé plus de 600 définitions différentes, ce qui constitue en soi un bel indice de la diversité.

En réalité, bien davantage que la diversité, c’est l’hétérogénéité qui paraît s’imposer lorsqu’on considère les œuvres qui se réclament de près ou de loin de la technologie : hétérogénéité des approches, des objets, des cadres conceptuels. Quelle continuité en effet, si l'on considère la technologie « savante », entre un Leroi-Gourhan, un Gille, un

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Haudricourt, un Combarnous ou un Simondon, pour ne citer que des auteurs de langue française ? La situation du champ justifie pleinement le constat de Godelier (1991) : « des grandes œuvres solitaires consacrées à l’analyse des techniques » mais pas « d’effort collectif soutenu, structuré et reconnu ».

La thématique de l’unité et de la diversité de la technologie s’annonce donc plus ardue et complexe à traiter qu’il n’y paraît et invite donc à une approche circonspecte et mesurée. À titre de première contribution à la réflexion, on cherchera d’abord dans cette introduction à discuter brièvement de quelques acceptions du terme « technologie ». Puis, dans un deuxième temps, on examinera un ensemble d’études récemment réunies dans une publication consacrée à l’enseignement de la technologie, afin, tout en poursuivant notre question de l'unité et de la diversité, de chercher d'une part à caractériser ces approches actuelles en didactique de la technologie et de voir d'autre part comment s'y thématisent les rapports à la technique.

TECHNOLOGIE : UN MOT DÉBORDÉ PAR SES SIGNIFICATIONS

De nombreux auteurs (Goffi, Séris, Sigaut, Deforge...) soulignent la polysémie extraordinaire du terme « technologie », certains pour déplorer les usages laxistes que subit ce mot aussi bien dans les médias que dans le langage courant. Néanmoins, comme dans le même temps ces auteurs sont loin de s’accorder sur des définitions communes, on peut penser que cette question de la définition de la technologie constitue en soi un problème qui mérite attention.

Mais avant de s’interroger sur les usages de « technologie », peut-être serait-il utile d’examiner de plus près, en amont, le mot « technique ». Schématiquement, comme substantif, on le rencontre à la fois sous une forme générique — la technique — et sous une forme plus déterminée désignant des réalités individuelles — telle ou telle technique — considérée en elle-même.

CARACTÉRISATION DES TECHNIQUES

Lorsqu’on évoque une technique en ce dernier sens particularisé — par exemple les techniques de nage, la technique de la soudure à l’arc, etc. — on se réfère à un ensemble organisé d’opérateurs corporels et éventuellement extra-corporels mobilisés pour obtenir un effet anticipé dans le réel.

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Unité et diversité de la technologie 7

• Leur caractère organisé : toute technique présente une structure relativement invariante1 et de ce fait elle est identifiable et

classable. Chez l’homme, cette organisation est en général considérée comme le résultat d’un processus social d’acquisition2.

• Leur caractère opératoire : toute technique produit une transformation ou un ensemble de transformations dans le réel3

dont le résultat constitue l’effet recherché. Ces transformations sont conduites et réglées par des opérateurs (physiques, logiques...) qui peuvent relever du seul corps propre (les techniques du corps chez Mauss) ou de l’association d’objets externes finalisés (idées de médiation, d’artefact, d’instrumentation).

• Leur caractère anticipatoire : l’effet permis par une technique est recherché, donc représenté et anticipé. En tant que représentation, il est souvent en grande partie socialement déterminé. Il renvoie également à la dimension efficacité4 au sens où il constitue un but qui oriente la chaîne opératoire et un moyen d’évaluation, la réussite se mesurant à l’écart entre effet anticipé et effet obtenu. • Leur caractère cognitif : les techniques, dans leurs composantes

corporelle et extra-corporelle, constituent des solutions à des problèmes de relation au réel. À ce titre, elles condensent des connaissances « en acte » et « en artefact » qui, bien que plus ou moins conceptualisées et susceptibles d’être exprimées de manière discursive, n’en sont pas moins transmises socialement (y compris, donc, par des moyens non discursifs).

Les techniques sont omniprésentes dans la mesure où dans tout groupe ou société humains, elles permettent d’assurer les différentes fonctions de la vie biologique et collective : alimentation, médecine, défense, enseignement, culte, productions utilitaires, esthétiques, ludiques... Même les fonctions les plus élémentaires — manger, dormir, se mouvoir... — sont cadrées par des techniques socialement constituées et transmises et qui peuvent donc différer d’un groupe humain à un autre. Dans la réalisation de ces fonctions, on peut souvent observer une répartition sociale plus ou moins élaborée des techniques : il existe des techniques réservées aux femmes, aux hommes, à certains sous-groupes ou classes. Cette division sociale et technique associée aux activités fonctionnelles varie dans le temps et dans l’espace anthropologiques. La technicité paraît plus diffuse dans les sociétés dites « traditionnelles »5. En revanche, dans les sociétés industrielles contemporaines, on constate que la différenciation fonctionnelle a conduit à l’émergence de grandes

1 Cf. Séris (1994) : « méthode cristallisée de l’action ». 2 Cf. Mauss (1936) : « acte traditionnel efficace ».

3 Cf. Séris (1994) : « une action sur les choses et les hommes ». 4 Cf. Mauss, note 2.

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sphères sociales spécialisées (sphères artistique, savante, juridique, admi-nistrative, religieuse...) au sein desquelles œuvrent des communautés professionnalisées, possédant une culture et des techniques propres.

AUTONOMIE DE LA TECHNIQUE

Si l’on considère la sphère sociale concernée par la conception et la production de biens et de services liés à l’équipement et à la consommation, on constate qu’elle a connu dans ces sociétés, grâce à la mécanisation et à l’automation, des transformations qualitatives et quantitatives telles qu’elle est devenue emblématique de la technicité elle-même. C’est ainsi que la technique, au sens générique évoqué plus haut, tend de fait à désigner exclusivement cette sphère industrieuse. J.-P. Séris, dans son ouvrage sur « la technique »6, consacre me semble-t-il cette acception. La technique y apparaît comme « une sphère relativement autonome de la réalité », au même titre que l’art et la science, autres sphères d’activité humaine avec lesquelles, notamment mais pas exclusivement, elle entretient des rapports problématiques que l’auteur étudie.

Les expressions « la technique » et « une technique », malgré leur proximité évidente, renvoient donc néanmoins à des objets relativement différents : d’une part, à un univers particulier — la « sphère technique », le « monde de la technique » (Séris) —, et d’autre part, une modalité plurielle de l’activité humaine — « les techniques » — transversale aux découpages historiques et sociaux qui peuvent spécifier cette activité.

Cette digression permettra d’éclairer notre discussion du terme « technologie ». Une des raisons fréquemment évoquées de la confusion sémantique dont souffre le terme résiderait dans une dérive de l’usage anglo-américain de « technology »7. Les auteurs anglophones ont à leur disposition plusieurs termes :

• « A technique » qui correspond à ce que nous désignons par « une technique » mais en mettant davantage l’accent sur l’opération elle-même que sur l’opérateur physique de la transformation.

• « A technology »que nous traduirions aussi par « une technique » mais qui, au contraire de l’expression « a technique », met davantage en relief le support matériel de l’opération technique. « A technology » désigne un ensemble d’artefacts et d’usages associés destiné à assurer une fonction donnée et organisé par un principe technique. Par exemple, une technique d’attelage à palonnier (cf. Haudricourt) constituerait en anglais « a

6 Séris, op. cit.

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Unité et diversité de la technologie 9 technology ». Combarnous confirme, voire cautionne une dérive

francophone de ce sens : « le terme de technologie, utilisé dans le sens de technology, peut désigner un groupe de moyens techniques dont on dispose dans un domaine, en un lieu et à une époque donnée »8.

• « Technology » au sens générique et qui correspond à ce que nous désignons par « la technique » ou « la sphère technique ». Ainsi la revue « Technology and Culture » s’intéresse essentiellement aux aspects culturels des activités industrieuses, c’est à dire à la culture de la sphère technique, ou à la technique comme réalité culturelle. Si l’usage de l’anglicisme « la technologie » pour « la technique » paraît critiquable, comme le soulignent de nombreux auteurs, il faut reconnaître que l’anglais introduit quelques nuances dont nous ne disposons pas en français.

LA TECHNOLOGIE COMME DISCOURS SUR LA (LES) TECHNIQUE(S) Là où l’usage français « canonique » se distingue très nettement de l’usage anglo-américain, c’est dans son acception étroitement étymologique de la technologie. Tous les auteurs francophones rappellent que la technologie est avant tout un logos c’est à dire un « discours sur », au même titre que la biologie ou l’archéologie.

Cette acception me paraît soulever trois ordres de questions problématiques et que je me contenterai d’évoquer faute de pouvoir y répondre :

• Quelle est la nature du discours tenu ? • Qui tient le discours ?

• Sur quoi porte le discours ?

Les questions de la nature du discours et de qui le tient sont liées. Elles renvoient au fait que les caractéristiques du logos en tant que production humaine, sont étroitement liées aux conditions historiques d’émergence et d’institution de la sphère sociale qui détient le monopole de sa production : la sphère savante. Les cadres théoriques, les critères, les valeurs qui ont présidé dans l'antiquité à l’apparition, à la définition et à l’autonomisation de la sphère et de la pensée savantes ont pesé et pèsent encore sur le regard épistémologique que l’on porte sur les techniques. La pensée savante — qui s’est imposée comme norme de toute pensée9 — a été constituée dans ses grandes lignes par la tradition grecque, notamment dans ses formes abouties, platonicienne et aristotélicienne10. Celle-ci en a fixé à la fois :

• Les objets légitimes : la connaissance, le beau, la cité, le cosmos...

8 Combarnous (1984) 9 Bourdieu (1980) 10 Vernant (1971).

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• La méthodologie adéquate de production du savoir : le logos (le débat).

• Les grands cadres explicatifs : l’ordre, l’équilibre ...

• les institutions de production et de transmission savantes : écoles, académies ...

Dans le même moment, ce qui relève de l’ordre de la technique, est explicitement disqualifié autant comme source possible de savoir que comme objet légitime d’une approche savante. Cette double exclusion se fait sur des bases :

• Théoriques : la connaissance procède d’un rapport contemplatif et spéculatif aux idées et non aux choses qui ne sont accessibles que par les sens et l’action.

• Éthiques : la connaissance est recherchée pour elle-même, désintéressée et pure. À l’opposé la technique est servile, utilitaire, qui plus est, fondée sur la ruse et le calcul. Elle est « banausique », c’est à dire, sale, vile.

• Sociales : les préoccupations savantes sont réservées aux hommes libres (arts « libéraux »), les techniques (arts « mécaniques ») aux esclaves.

La portée de cette exclusion est conséquente : de l’Antiquité à la Renaissance la sphère savante s’interdit d’agir sur la nature et se désintéresse de — voire méprise — la sphère des activités techniques industrieuses11. Sauf de manière marginale (Hughes de St Victor, Roger Bacon...) il n’y aura pas de discours savant sur les techniques, ni de reconnaissance des techniques dans l’univers des savoirs. On assiste à un cloisonnement entre ces deux sphères qui vont connaître dans l’histoire des évolutions indépendantes et autonomes12. Notamment les techniques et les savoirs qui leur sont liés, niés en tant que tels par la communauté savante, vont connaître des modalités d’existence et de reproduction propres ne devant rien à celle-ci. Cette situation a duré jusqu’au XVIIe siècle, où apparaissent des signes de changement liés à l’émergence de la « Nouvelle Science » (Galilée), mais jusqu'à aujourd’hui les conséquences de ces clivages originels pèsent encore sur la question des savoirs relatifs aux techniques.

De sorte que, lorsqu’on s’intéresse en didacticien, aux savoirs de référence de la technologie enseignée, on est conduit à distinguer :

• Les élaborations savantes concernant les techniques industrieuses lorsque la sphère savante s’est finalement autorisée à les prendre pour objet. Ainsi est apparue une pluralité de discours savants sur

11 Thuillier (1992), Vérin (1993). 12 Layton (1991)

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Unité et diversité de la technologie 11

les techniques (et la technique) : philosophique, historique, sociologique... Ces différentes approches tendent-elles en convergeant, à constituer une technologie, un peu à la manière dont elles constituent une épistémologie lorsqu’elles portent sur les sciences (cf. Popper, Kuhn, Feyerabend, Lakatos...) ? La technologie consisterait alors en un métadiscours sur la technique à l’instar de ce que la critique et l’épistémologie représentent pour les sphères de l’art et de la science. Une conception différente renvoie à la technologie comme science spécifique des faits techniques non sans analogie avec la linguistique comme science spécifique des faits de langue. C’est l’idée de technologie — ou de « mécanologie » — générale chère à Lafitte, Simondon et, semble-t-il, Sigaut.

• Les différentes formes de savoirs élaborées, de manière interne, au sein des communautés technico-industrieuses : la parole, le savoir des artisans, ouvriers, ingénieurs, architectes... ; leur genèse, leurs modalités d’existence, d’évolution, de conservation, de transmission.

...Force est de constater que ces communautés n’ont que très marginalement (les ingénieurs, les formateurs...) et très récemment formulé par écrit ce qu’ils savent, de sorte que ce que nous connaissons de « l’écologie » de ces savoirs est largement le résultat d’investigations savantes. Ces savoirs à visée pragmatique, ne s’inscrivent pas dans les catégories habituelles de la connaissance. Par exemple un néologisme tel que « savoir d’action », qui permet de les désigner et les penser, paraît presque antinomique et soulève des contradictions qui renvoient aux conditions, évoquées plus haut, de constitution de ces catégories. Autre exemple, Sigaut ne voit pas dans la science des ingénieurs, en raison de son caractère normatif et prescriptif, un logos à part entière qui permettrait de la qualifier de technologie scientifique13.

LE RAPPORT SCOLAIRE A LA TECHNIQUE (AUX TECHNIQUES)

Outre la sphère technicienne et la sphère savante, il est bien sûr d’autres lieux et communautés où s'élaborent des discours sur les techniques industrieuses : par exemple, la sphère politico-économico-juridique, qui tend à organiser et encadrer les techniques au niveau de la société, ou la sphère scolaire, lorsque tout ou partie de la transmission des savoirs techniques et des savoirs sur la technique est assurée par le système éducatif. La didactique a pour objet de rendre compte de ce qui se passe dans cette dernière sphère notamment au niveau de l’élaboration des savoirs et des discours. Les travaux conduits en didactique des disciplines technologiques reflètent les préoccupations des chercheurs,

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mais renvoient aussi une image du mode d’existence des objets, discours et savoirs dans la sphère. À ce double titre il nous a paru intéressant d’examiner un ensemble de productions réunies dans le numéro 23 de la revue Aster.

On peut grouper les huit contributions en trois sous-ensembles, selon l’objet principal auquel elles s’intéressent. Un premier groupe d’articles constitue trois regards différents sur la réalité disciplinaire et curriculaire :

• Joël Lebeaume14 prend pour objet la technologie enseignée au collège. À partir de sources telles que manuels scolaires, prescriptions officielles ou discours des différents acteurs, il étudie dans la diachronie les différentes configurations disciplinaires auquel cet enseignement a donné lieu comme composante de formation générale dans la scolarité obligatoire depuis ses origines, dans les années 1960. Le concept de matrice disciplinaire lui permet de distinguer et situer les orientations successives de cet enseignement, l’évolution de ses contenus (objets manipulés, tâches proposées) ainsi que ses différents positionnements parmi les autres disciplines scolaires. Il met en évidence la constance de l’affichage culturel de la discipline mais montre, que celui-ci s’incarne différemment selon les acceptions, successivement dominantes dans la noosphère, de cette dimension culturelle.

• Frédéric Glomeron et Joël Lebeaume15 analysent, d’une part, les représentations qu’évoquent, auprès d’une population d’étudiants en licences du secteur tertiaire, le mot « technologie » et, d’autre part, les conceptions que ceux-ci entretiennent quant à ce que devrait être son enseignement en tant que discipline. Une partie non négligeable des futurs enseignants de technologie étant recrutée parmi cette population, la connaissance de leurs représentations constitue un enjeu important pour la mise au point de leur formation. Les auteurs montrent qu’il existe un contraste considérable entre l’univers des significations spontanément associées par les étudiants au mot « technologie » et les objectifs qu’ils assignent à la discipline ou qu’ils poursuivraient s’ils l’enseignaient. La technologie hors contextualisation scolaire, renvoie chez eux de manière privilégiée à l’idée de recherche, d’innovation, d’étude avec une connotation surtout scientifique et à un moindre degré, industrielle. En revanche, dans une perspective éducative, les activités valorisées sont au contraire celles qui engagent et développent des compétences d’ordre pratique liées à la fabrication et à la réalisation d’objets à partir de divers matériaux et dont la

14 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996. 15 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996.

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Unité et diversité de la technologie 13

référence est essentiellement artisanale (menuiserie, plomberie ...) ou domestique (cuisine). Les auteurs relient cette contradiction au fait que l’expérience scolaire de la technologie vécue par la population sondée, peut avoir été marquée par des options pédagogiques encore proches de l’EMT.

• Bernard Calmettes et Richard Lefèvre16 ont observé des séquences d’enseignement en physique appliquée (PA) et en sciences et techniques industrielles (STI) dans des classes de terminale de Génie Electrotechnique. Ils ont mis en évidence un décalage entre le curriculum « prescrit » par les programmes et le curriculum effectivement « réalisé ». En PA, ce décalage semble avoir été favorisé par les caractéristiques de l’instrumentation mise en œuvre lors de la séquence ainsi que par la rémanence d’anciens contenus prescrits. En STI, il est lié à l'usage systématique de sujets du bac comme base des travaux pratiques.

Un second ensemble distingue des articles qui se donnent pour objet l'examen d'une caractéristique spécifique de la sphère technique dans la perspective de sa transposition didactique :

• Mustapha Gahlouz17 s'intéresse à la normalisation, aux différentes formes par lesquelles elle se manifeste, notamment en génie civil, et au problème de la nature de son statut dans l'enseignement. Il montre, que les normes sont le produit d'une histoire et de rapports techniques, économiques, politiques et sociaux dans un champ d'activités. Il montre également, que ces normes cristallisent des savoirs conceptuels et des savoirs d'action. Dès lors, la question se pose, de la prise en charge par l'institution scolaire de ces savoirs dont le mode d'existence, précisément, se démarque du mode scolaire.

• Alain Crindal18, de manière analogue, interroge la notion de projet. À partir d'une analyse de la littérature, il repère trois dimensions caractéristiques du projet: une dimension contextuelle, une dimension processus, reliant une visée à sa réalisation, et une dimension point de vue définissant la position du (des) acteur(s). À l'aide d'une grille d'analyse, il situe par rapport à ces trois dimensions des récits d'élèves de classes de sixième relatifs à des situations de fabrication vécue, d'une part, et imaginée, d'autre part. Il obtient ainsi, deux « figures » contrastées permettant de distinguer deux démarches de projet sous-jacentes.

16 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996. 17 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996. 18 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996.

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Enfin, un troisième ensemble regroupe des articles où l'intérêt est focalisé, à l'occasion d'apprentissages technologiques, sur l'interaction entre les élèves et les contenus et/ou la situation didactique.

• Bernard Hostein19, à partir d'observations en classe ainsi que d'une analyse factorielle de correspondance sur des données obtenues par questionnaire, distingue trois catégories d'élèves en seconde Technologie des Systèmes Automatisés. Les « concepteurs » visent plutôt un bac autre que technologique, ils préfèrent une approche conceptuelle, ils privilégient l'électronique et l'informatique, ce sont eux qui correspondent le mieux aux objectifs de la TSA. Les « réalisateurs » préparent le plus souvent un bac technologique, ils s'intéressent au fonctionnement et aux effets des systèmes, ils ont une préférence pour la manipulation et la conduite mais ils risquent du coup d'avoir moins recours à la modélisation et au concept. Les « scolaires » ont davantage subi leur orientation en TSA. Ils manifestent peu d'intérêt pour les dispositifs et les contenus proposés, ne cherchent pas à leur donner du sens et se réfugient dans un fonctionnement purement procédural. L'auteur souligne l'importance de la capacité des élèves à assumer une part de responsabilité dans leur apprentissage et à rompre avec les contrats scolaires les plus coutumiers.

• Jean-François Lévy20, à partir d'observations d'élèves et d'enseignants en formation, s'interroge sur les difficultés posées par l'introduction de la micro-informatique comme aide aux acquisitions disciplinaires de l'enseignement secondaire. Ces difficultés sont présentées comme étant liées à la rupture technologique inaugurée par l'informatique dans le rapport à la réalité et à ses transformations. La nature des objets informatiques et leur manipulation, notamment en raison de l'échelle des phénomènes électroniques, exigent une transformation profonde des représentations et des raisonnements. L'auteur plaide pour une « didactique de l'ordinateur » et évoque des expériences visant à favoriser des constructions notionnelles et conceptuelles spécifiques. • Colette Andreucci, Jean-Pierre Froment et Pierre Vérillon21, à

partir d'un modèle psychologique des processus d'instrumentation de l'action technique, analysent les difficultés que posent l'apprentissage et l'enseignement des graphismes de représentation et de communication techniques (Grafcet, schéma cinématique, dessin technique). Ils proposent une approche accordant davantage d'attention aux aspects fonctionnels au sein des situations scolaires d'activité graphique. Notamment, Il s'agit de favoriser chez les

19 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996. 20 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996. 21 In Enseignement de la technologie, Aster n°23, 1996.

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Unité et diversité de la technologie 15

élèves, une prise de conscience des relations entre représentation-communication technique, objet référent, contexte de la tâche et caractéristiques spécifiques du code utilisé.

L’école — et individuellement chaque enseignant — cherche à donner une unité, une cohérence aux domaines de connaissance qu’elle propose aux élèves comme objet d’apprentissage et de développement. L’idée de matrice disciplinaire, empruntée à l’épistémologie kuhnienne, traduit bien cette exigence d’unité. Néanmoins la matrice disciplinaire résulte d’un processus de filtrage qui sélectionne, privilégie et oriente certaines caractéristiques, certains objets et savoirs du domaine de référence, notamment du fait d’impératifs — J. Lebeaume le montre bien pour la technologie — qui relèvent autant de contraintes proprement scolaires que de considérations épistémologiques. Pour autant, si celles-ci ne sont sans doute pas le moteur principal de l’évolution disciplinaire, elles tendent néanmoins — voir les articles de M. Gahlouz et de A. Crindal — à l’inclusion de nouveaux objets et savoirs, voire à des réaménagements de la matrice. Il résulte de tout ceci que les principes de cohérence de la technologie à enseigner peuvent varier, et ont effectivement varié, de manière significative dans son histoire récente, de sorte que l’unité de la technologie à enseigner est donc instable et relative.

Entre la technologie prescrite, caractérisée par sa matrice et la technologie effectivement enseignée, il y a encore des sources de variation que pointent certaines contributions à Aster. Ainsi, les futurs enseignants se construisent des représentations personnelles - non nécessairement superposables, on l’a vu (J. Lebeaume et F. Glomeron) -à la fois de la technologie de référence et de la technologie -à enseigner. Ces représentations sont en concurrence avec la représentation « prescrite ». En outre, comme le montrent B. Calmettes et R. Lefèvre, la prégnance de matrices anciennes, le cadre matériel et les routines d’enseignement contribuent à produire des dérives par rapport au curriculum.

Enfin, les approches plus psychologiques et pédagogiques des rapports que les élèves construisent avec les dispositifs techniques soulèvent le problème de la cohérence d’une autre manière : quelle cohérence dans la variété des tâches et des outils auxquels ils sont confrontés ? Les auteurs proposent plusieurs voies : la négociation du contrat didactique (Hostein), des aides à la conceptualisation (Lévy), une démarche attentive aux processus d’instrumentation (Andreucci, Froment & Vérillon).

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POUR NE PAS CONCLURE...

Dans cette présentation qui se veut introductive sur le problème de l’unité et de la diversité de la technologie, il ne saurait bien entendu être question de conclure. Au contraire, on a tenté, à travers des considérations qui demandent à être éventuellement reprises, documentées et travaillées par les intervenants suivants, d’ouvrir des champs de questionnement, de rappeler des données problématiques et contradictoires, en se gardant bien de toute tentative de clôture prématurée de l’espace du problème.

RÉFÉRENCES

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Editions Sociales.

GODELIER M. (1991). Préface. In PERRIN J. (Ed.), Construire une science des techniques (pp. 7-10). Limonest: L'interdisciplinaire. GOFFI J.Y. (1988). La philosophie de la technique. Paris: PUF. LAYTON D. (1991). Science education and praxis: the relationship of

school science to practical action. Studies in science education, 19 (1991) 43-79.

MAUSS M. (1936). Les techniques du corps. Journal de psychologie, 3-4, XXXII.

PERRIN J. (1991). Sciences de la nature et sciences de l'artificiel: deux processus différents de production de connaissances. In PERRIN J. (Ed.), Construire une science des techniques (pp. 381-397).

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PERRIN J., Ed. (1991). Construire une science des techniques. Limonest: L'interdisciplinaire.

SERIS J. P. (1994). La technique. Paris: PUF.

SIGAUT F. (1987). Préface. In HAUDRICOURT A.G. (1987). La technologie science humaine. Paris: M.S.H..

SIGAUT F. (1991). Les points de vue constitutifs d'une science des techniques, essai de tableau comparatif. In PERRIN J. (Ed.), Construire une science des techniques (pp. 381-397). Limonest: L'interdisciplinaire.

THUILLIER P. (1992). Techniques et sciences: le message de Hughes de Saint Victor. La Recherche, 23 (240), 170-179.

VERIN H. (1993). La gloire des ingénieurs. Paris: Albin Michel.

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La technologie au collège 17

FAMILIARISATION TECHNIQUE ET

CONNAISSANCE TECHNOLOGIQUE

LA TECHNOLOGIE AU COLLEGE

-Jean-Louis Martinand

La technologie au collège a maintenant plus de dix ans. Son histoire est marquée aujourd'hui par une évolution importante qui lui donne une « nouvelle figure ».

Avant de présenter les grands traits de cette nouvelle figure, rappelons quelques éléments de préhistoire de la discipline. En effet, il a existé dans les années 60 une discipline de collège nommée technologie. Mais elle n'est pas l'ancêtre de la technologie actuelle. Cette ancienne technologie s'est en effet transformée en... sciences physiques.

La technologie est née en 1984 par une transformation brutale de l'Éducation Manuelle et Technique ; et cette dernière résultait de l'évolution des Travaux Manuels Éducatifs. Cependant, la figure et les contenus de la technologie tirent leurs origines de toutes ces disciplines, des expériences, des critiques et des projets auxquelles elles ont donné lieu depuis trente ans. Ainsi les débats et les essais de la « commission Lagarrigue » pour la rénovation de l'enseignement de la physique et de la technologie, tout en conduisant à l'instauration des sciences physiques au collège, ont joué un rôle précurseur majeur pour les contenus et les démarches de la technologie aujourd'hui. Peut-être faut-il souligner ici le rôle qu'un homme a tenu dans cette histoire complexe : Lucien Géminard, présent depuis le début des années 60 jusqu'à l'avènement de la technologie au milieu des années 80.

1- LES NOUVEAUX PROGRAMMES

Appliqués en 96-97 en classe de 6ème, publiés pour application en 97 et 98 pour les classes de 5ème et 4ème, en projet pour la classe de 3ème (99), les nouveaux programmes présentent des modifications de forme et de fond notables si on les compare aux précédents, beaucoup moins précis puisqu'ils ne comportaient que deux niveaux (6ème - 5ème

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et 4ème - 3ème) et que l'expérience faisait encore défaut lors de leur rédaction.

Si l'on regarde le programme de 5ème - 4ème, ce qui saute aux yeux à la première lecture, c'est la différence de présentation et de contenu entre deux parties : l'une concerne des « réalisations sur projet », et développe des « scénarios », l'autre, la « technologie de l'information », est constitué « d'unités ». A quoi cela correspond-il ?

Les unités sont des groupes d'une dizaine d'heures « pilotées par les compétences » : les activités proposées aux élèves visent avant tout l'acquisition de compétences utiles.

Le programme de 6ème, dont la conception et la structure se rattachent aux programmes du dernier cycle de l'école élémentaire, se compose de quatre unités, dont trois visent la « préparation à la réalisation sur projet » (mise en forme des matériaux, construction électronique, approche de la commercialisation d'un produit) et la quatrième, le traitement de l'information textuelle, prépare la « technologie de l'information ».

Les unités de « technologie de l'information », au cycle central (5ème - 4ème) visent d'une part une première maîtrise de l'ordinateur dans différents usages, d'autre part, une réflexion, une conceptualisation du traitement de cette matière d'œuvre très spéciale qu'est « l'information ». Technologie de l'information ne veut donc dire ni informatique, ni apprentissage purement utilitaire de l'ordinateur. C'est pourquoi la première manipulation de l'information concerne l'information textuelle en 6ème : cette « information textuelle » a déjà été manipulée à l'école élémentaire, elle est déjà familière, elle permet de se faire une première représentation du rôle propre de l'ordinateur (traitement, mémorisation,...). En 5ème les unités concernent l'utilisation du tableur et du grapheur, le pilotage d'automatismes ; en 4ème on trouve la conception-fabrication assistée, et la consultation-transmission d'information. Chaque unité permet donc d'élargir les compétences pratiques, de donner sens à quelques notions, de réfléchir au travail avec ordinateur. Leur présentation dans le programme est la même que pour les sciences de la vie et de la terre et les sciences physiques : explicitation des buts, tableaux donnant les activités, les notions et les compétences, enfin quelques « corrélats » avec d'autres disciplines.

En tant que « technologie de l'information », la technologie se rapproche donc des autres disciplines scientifiques. En même temps elle apparaît pour la première fois de manière explicite comme la discipline responsable au collège des apprentissages des divers usages de l'ordinateur, que ce soit pour d'autres activités de réalisation en technologie elle-même, pour des travaux dans d'autres disciplines, pour les besoins ou les loisirs domestiques.

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La technologie au collège 19

Avant de quitter les « unités », signalons qu'il est projeté en 3ème, un peu sur le même modèle pédagogique (notions, types de questionnement et d'activités), deux unités sur la connaissance des fonctions de l'entreprise et des contraintes économiques, et sur l'étude de l'évolution historique des solutions à un problème technique.

À côté des unités, occupant la meilleure place - deux tiers du temps -, apparaissent dans le programme des réalisations sur projet, préparées par quelques acquisitions de compétences en 6ème. Six scénarios sont proposés :

• montage et emballage d'un produit • production à partir d'un prototype • étude et réalisation d'un prototype • essai et amélioration d'un produit • extension d'une gamme de produits • production d'un service

Ici l'idée directrice est complètement différente de celle des unités : il s'agit de « mettre en scène » des « références », c'est-à-dire des types d'entreprises de l'industrie ou des services. Les activités proposées aux élèves sont structurées par un « scénario », c'est-à-dire la donnée de la référence, des ressources (matériels, documents) à disposition des élèves, des principales tâches à accomplir, collectivement, des compétences que ces tâches impliquent (sans qu'il soit nécessaire de les acquérir préalablement).

Avec les réalisations sur projet, la technologie maintient l'option forte qui a marqué son avènement : il s'agit d'éduquer par la réalisation collective, sur projet car les produits doivent être suffisamment complexes pour refléter les réalités sociales et techniques de la France aujourd'hui. Ce faisant, la technologie du collège n'a pas privilégié l'option étude de solutions techniques existantes par observation, expérimentation ou enquête.

Quelles sont les caractéristiques majeures de cette partie consacrée aux réalisations ?

La première caractéristique est que sur six scénarios, trois en 5ème et trois en 4ème, il faut en choisir deux chaque année. C'est un vrai choix : au fondement de cette offre de choix, il y a la conviction que dans le cadre d'une éducation générale, non professionnelle ni même pré-professionnelle, il ne s'agit pas d'acquérir toutes les compétences en jeu, ni même de rencontrer tous les problèmes, il faut avant tout avoir éprouvé quelquefois l'expérience collective de réalisations menées à leur terme, et qu'on puisse comparer à des réalités de l'environnement économique proche. Ce qui est éducatif c'est la participation, l'implication dans une œuvre : le choix est la conséquence de cette orientation.

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La deuxième caractéristique est que ces réalisations « pilotées par projet » et non par compétences comme les unités, sont structurées par des scénarios. Dans cette notion de scénario, il y a trois idées essentielles. D'abord l'idée de référence : les activités ne doivent pas être conçues comme des tâches purement scolaires ou dériver vers de telles tâches ; le sens des activités est à la fois interne, lié aux caractéristiques des tâches, des moyens, du produit, mais aussi externe, lié aux travaux, matériels, produits des types d'entreprises qui servent de référence, c'est-à-dire de terme de comparaison. Ensuite, l'idée de programmation : le scénario c'est l'outil destiné à l'enseignant pour l'aider à programmer, à réguler les activités réalisatrices en maintenant leur logique. Enfin l'idée d'interprétation : le scénario, c'est le cadre de représentation anticipatrice et d'interprétation récapitulative pour que les élèves qui ont vécu la réalisation, puissent en dégager les traits qui leur permettent de reconnaître et de comprendre ce qui se passe dans les types d'entreprises pris comme référence.

La troisième caractéristique concerne les « compétences en jeu » dans les réalisations. Elles sont associées à la réalisation effective : il faut bien que quelqu'un accomplisse la tâche. Mais elles ne sont pas des objectifs pédagogiques primordiaux, ce qui conduirait à substituer à la logique de la réalisation la logique d'acquisition des compétences. Pour autant, il n'est pas possible de les mépriser : elles sont des dimensions de progression des élèves que l'enseignant doit s'efforcer de favoriser sans changer la logique de réalisation.

Tel est le tableau rapide que propose le programme de la technologie. Par bien des côtés, il s'écarte des figures qu'offrent les autres disciplines, au moins celles que tout le monde a en tête lorsqu'il cherche à se représenter les traits typiques d'une discipline scolaire. De ce point de vue, la technologie peut étonner, inquiéter, et subir des pressions externes et des dérives internes qui la déstabilisent.

En tout cas il est important de ne pas ajouter aux risques de déstabilisation, en omettant de fixer des modalités d'évaluation cohérentes avec les intentions, les contenus et les démarches.

Déjà le programme de 6ème attire l'attention sur les trois composantes que doit comporter l'évaluation :

∗ « une appréciation de l'implication de l'élève dans l'activité collective qui lui est proposée » ;

∗ « une estimation des progrès que l'élève a effectués pour chacune des compétences attendues. Par l'observation et l'aide individuelle au cours des activités, le professeur s'efforce de faire progresser chaque élève » ;

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La technologie au collège 21

∗ « un “contrôle” de la “maîtrise minimale” qui “doit être atteinte pour chacune des compétences attendues” ».

Pour le cycle 5ème - 4ème, si l'évaluation pour les unités ne pose pas de problème nouveau, celle des réalisations sur scénarios demande des précisions : « l'appréciation de l'implication » et « l'estimation des progrès » sont les deux composantes de l'évaluation « en cours de réalisation ». Il faut cependant se poser le problème de l'évaluation en fin de cycle des acquisitions par les réalisations.

C'est ce que fait le programme, de manière originale, dans des termes que je me permets de citer :

« Les réalisations sur projet permettent de faire progresser les élèves selon la logique propre aux différents scénarios et les compétences spécifiques à chacun d'eux. Quels que soient les scénarios vécus par les élèves, les compétences instrumentales et notionnelles suivantes doivent être obligatoirement disponibles en fin de cycle, et sont évaluées à cet effet.

1) Compétences instrumentales.

Parmi les compétences instrumentales mises en œuvre, sont retenues celles qui visent la maîtrise de l'usage des instruments de contrôle et de mesure (réglet, calibre à coulisse et contrôleur électrique), de la mise en œuvre des équipements de fabrication (perceuse, thermoformeuse et fer à souder), et de l'utilisation des outils de représentation (tableaux et planning).

2) Compétences notionnelles.

Plutôt que des termes dont la définition doit être mémorisée et appliquée, les notions sont des idées ou des schémas de pensée qui permettent d'ouvrir un questionnement, d'orienter l'observation ou la compréhension, de diriger l'analyse, d'organiser l'espace et le temps, ou d'orienter les choix d'action. Parmi l'ensemble des notions abordées en technologie, sont retenues : gamme de réalisation, tolérance, cahier des charges, poste de travail, fonction d'usage, marché, coût, et cycle de vie d'un produit ».

Le nombre très restreint de ces compétences à évaluer a beaucoup surpris. Mais il s'agit de compétences « exigibles ». Normalement elles ont dû être acquises par la grande majorité des élèves lors des réalisations. Peut-être quelques rappels et apprentissages complémentaires seront nécessaires pour certains. En tout cas ces compétences devront être « disponibles » et donc évaluables sur des « postes d'évaluation » analogues à des situations d'examen. C'est bien pourquoi elles ne peuvent être ni nombreuses ni ambitieuses, sous peine de devoir renoncer à les exiger.

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2- LA NOUVELLE FIGURE D'UNE DISCIPLINE

Après cet exposé rapide des traits principaux du nouveau programme de technologie et des raisons de certains choix, je souhaite maintenant prendre un peu de recul et discuter quelques particularités de la figure de la discipline parmi les autres disciplines. J'essaierai de répondre à cinq questions :

1 pourquoi des types d'activités différents ? 2 quel principe d'unité pour la discipline ? 3 quel fondement à la discipline ?

4 quelle évaluation cohérente avec les activités ? 5 quel principe de progressivité du programme ?

Ces cinq questions tournent autour de ce que Michel Develay (1995, p.27 § 9) a proposé d'appeler principe d'intelligibilité d'une discipline ou « matrice disciplinaire ».

En réalité, la technologie pose problème : son « principe d'intelligibilité » ne correspond vraiment ni au modèle de matrice disciplinaire développé par Develay, trop polarisé sur l'apprentissage de concepts scientifiques, ni au schéma de la transposition didactique (Yves Chevallard, 1985 et 1991) entre un savoir savant et un savoir enseigné, trop tributaire de l'existence d'un texte du savoir savant, ni à la thèse de la création scolaire (André Chervel, 1977), trop décalée par rapport aux références sociotechniques visées. Leurs suggestions ne sont pas sans valeur, à condition de ne pas projeter sur les caractéristiques de la discipline des cadres conceptuels qui ne sont pas faits pour elle, en tout cas pas sans profonds réaménagements. Ainsi des quatre éléments d'une discipline mis en évidence par André Chervel - une « vulgate », des exercices spécifiques, des pratiques incitatives, des modalités d'évaluation - que retenir pour la technologie ? Qu'est-ce que la « vulgate de la technologie » ?

2.1- deux types d'activité.

Il y a en effet deux logiques différentes, qui correspondent à deux visées éducatives. La première visée, celle des unités, est celle qui est devenue familière avec la pédagogie par objectifs : il y a un ensemble de compétences à atteindre, les activités doivent avant tout y concourir. S'il y a contrat, c'est un contrat d'objectifs. Le risque dans ce cas est la carence de signification pour les élèves.

La seconde visée, celle des réalisations sur projet, est attachée à la technologie depuis son avènement. Ce qui est éducatif, c'est la réalisation elle-même, l'investissement complet qu'elle suppose, à la fois intellectuel, émotif, pratique. Le contrat entre l'enseignant et les élèves est un contrat de réalisation : c'est ce qui exige un projet, concrétisé en

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La technologie au collège 23

un scénario. Les compétences sont ici secondaires, sans être négligeables : elles objectivent les progrès à favoriser ; quelques unes sont vraiment exigibles.

Chercher à gommer les différences entre ces deux types d'activités reviendrait donc à maintenir une confusion pédagogique.

2.2- unité de la discipline.

Deux types d'activité, trois composantes de l'évaluation, mais aussi des domaines techniques variés - mécanique, électronique, économie -, des références industrielles et tertiaires : la technologie apparaît au premier abord comme une discipline éclatée, soumise à des tendances centrifuges, en tout cas une discipline compliquée. En réalité l'unité de la technologie résulte de différentes mises en relation internes.

Il y a d'abord unité de présentation des réalisations sur projet : quelles que soient les références, industrielles ou tertiaires, quels que soient les moments privilégiés, les scénarios ont une structure identique.

Il y a ensuite pour les unités comme pour les réalisations des activités qui visent à la fois la familiarisation pratique et les élaborations intellectuelles : des pratiques raisonnées. C'est une des raisons de la dénomination « technologie », en particulier pour technologie de l'information.

Il y a encore pour les unités et les réalisations des compétences instrumentales ou notionnelles, associées ou exigibles, définies de même façon, même si les modalités d'évaluation sont multiples.

Il y a enfin l'incitation aux réinvestissements systématiques, des acquisitions des unités vers les scénarios (compétences), des unités antérieures vers les unités ultérieures (extension des compétences), des scénarios vers les autres scénarios (extension de l'expérience et du sens des activités), des scénarios vers les unités (approfondissement et signification).

Au total, la structure est peut-être complexe, mais elle est forte. Il faut aussi remarquer qu'avec cette première approche où la technologie n'est pas encore différenciée selon les diverses disciplines technologiques ultérieures (génie mécanique, génie électrique, gestion, etc...), elle fait aussi assez peu appel aux autres disciplines de même niveau du collège, et plutôt aux compétences de français et de mathématiques déjà acquises à l'école primaire et consolidées en 6ème. C'est pourquoi on peut vraiment affirmer l'unité de la technologie.

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2.3- fondement de la discipline.

Quelles sont les modalités envisageables pour réaliser une éducation technologique dans l'enseignement général ? L'institution d'une discipline n'est qu'une des solutions envisageables (Jean-Louis Martinand, 1994). Parmi ces solutions, quelques types :

∗ sciences et applications, où la technique apparaît avant tout comme ce que la science explique ou permet par ses découvertes. Cette solution suppose cependant un certain niveau de maîtrise scientifique.

∗ sciences appliquées, où des démarches d'étude de type scientifique, avant tout observation et expérimentation, sont appliquées aux objets et procédés techniques.

∗ sciences et techniques, où des domaines d'étude technique sont juxtaposés à des domaines scientifiques, avec de forts risques de déséquilibre, sauf si une perspective commune est imposée, par exemple celle des études « sciences-technologie et société ».

∗ technologie comme discipline enfin, où l'approche, investigatrice ou réalisatrice, cherche à affronter de manière d'abord immédiate et globale, puis de manière de plus en plus « outillée » (démarches d'analyse et de conception, instrumentation) les réalisations techniques complexes de notre environnement.

C'est cette dernière option qui a été suivie de plus en plus fortement depuis vingt ans maintenant, à travers l'éducation manuelle et technique, et surtout la technologie. Dans cette conception, la technologie est fondée sur des références socio-techniques : les entreprises et leurs activités pratiques qui vont être prises comme sources d'inspiration pour des activités scolaires et comme termes de comparaison pour ces activités, même si des écarts sont inévitables, et d'ailleurs nécessaires quant à leur signification et leur structure. L'affirmation des références privilégiées a un double rôle : maintenir des réalisations authentiques, contre des dérives formalistes, et développer la capacité de lecture du monde de la technique et du travail environnant. La technologie est la discipline d'étude du travail des hommes autant que des processus techniques.

Cette relation à des références, affirmée depuis 1984 (technologie,

textes de références, 1992), a été abordée de plusieurs points de vue. Lors

des discussions de la « Commission Géminard » (technologie, textes de

références, 1992, p.30) il avait été proposé trois « domaines de

référence » : fabrications mécaniques, productions agro-alimentaires, travail de bureau (services). Il ne s'agit pas ici de rappeler tous les arguments échangés, mais seulement de noter que très rapidement ces domaines d'action sont devenus des disciplines de formation : mécanique, électronique, gestion ; il y a eu subversion de l'idée même de référence sociotechnique.

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La technologie au collège 25

Un peu plus tard, lors des discussions de la « Commission Combarnous » (technologie, textes de références, 1992, p. 78), les propositions s'ordonnaient à partir de « champs techniques » :

- travail - économie - gestion

- échanges - information - communication - production - procédés - systèmes

- information - systèmes - électronique - caractérisation - mesure - instrumentation - énergie - mécanique - production

Mais ces juxtapositions souffrent d'une trop forte proximité avec les disciplines universitaires pour organiser une technologie vraiment définie pour le collège ou le lycée d'enseignement général.

Une autre tentative est celle de formaliser un schéma d'activité (I. Rak, Ch. Teixido et al, 1990), celle de la « démarche de projet industriel ». Elle s'appuie sur une norme de « démarche qualité », et modélise certaines pratiques industrielles tout en les systématisant. Ici le risque d'application formaliste est important au niveau du collège. C'est l'expérience et la réflexion sur ces tentatives et leurs dérivés qui ont conduit à l'idée de scénario présentée précédemment.

Il faut enfin, pour une véritable éducation technologique dépassant une initiation technique, un questionnement proprement technologique. Or ce qui permet un questionnement, ce sont les concepts. Un effort a été fait pour définir plus précisément ces concepts associés aux scénarios de réalisations sur projets comme aux unités de technologie de l'information. Il s'agit d'ouvrir un questionnement non limité aux points de vue « scientifiques » (le « principe » du fonctionnement ou du procédé), « techniciste » (analyses structurelles et fonctionnelles), mais élargi aux points de vue de l'économie (marché), de l'organisation (entreprise), de la civilisation.

2.4- dispositif d'évaluation.

Pour que des activités scolaires soient une discipline il faut préciser quoi et comment évaluer. La technologie des programmes de 1984 était de ce point de vue faible, même si on pouvait trouver une certaine profusion d'objectifs notionnels ou pratiques. Comme cela a été vu précédemment le programme examine cette question avec attention en cherchant à adapter les modalités de l'évaluation aux principes de constitution de la discipline. Il faut reconnaître que cette exigence a conduit à des propositions qui s'écartent manifestement des habituelles évaluations conçues dans le cadre d'une « pédagogie de maîtrise sur objectifs ». Il y a donc des risques de détournement dans la mise en œuvre.

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2.5- principes de progression.

Le précédent programme de technologie comportait deux niveaux, correspondant aux deux cycles du collège à l'époque (6ème - 5ème/4ème - 3ème). Dans la pratique, une dérive avait été constatée : il n'y avait pas vraiment de différence entre la technologie de 6ème et celle de 3ème ; Par exemple un schéma abstrait de démarche de projet était quelquefois présenté dès la 6ème. Or une discipline étalée sur un certain nombre d'années a besoin de principes nets de répartition et de progression.

Avec le programme actuel, une progression en trois cycles est clairement affirmée. Au niveau de la 6ème, il s'agit bien de consolider, d'assurer, d'étendre un peu les acquisitions qui ont dû être poursuivies au cours du dernier cycle de l'école élémentaire. C'est ce qui est visé par les activités concrètes des différentes unités. Une conséquence, beaucoup discutée un temps, est que le « projet » n'apparaît plus comme la structure nécessaire des activités, ni à l'échelle des unités, ni à l'échelle de l'année. La signification doit donc être recherchée au niveau des tâches elles-mêmes.

Comment introduire concrètement à la pratique de la réalisation sur projet et à une représentation schématique de la structure des activités ainsi développées ? C'est pour résoudre ce problème qu'a été introduite en 5ème et 4ème la notion de scénario. Il ne s'agit pas d'un simple équivalent de l'idée de séquence, mais d'un concept pour penser la structure et la signification des activités, au plus près de leur mise en œuvre, d'abord pour l'enseignant (anticipation et régulation), puis pour l'élève (stylisation et mémorisation) : le scénario articule référence, produit, tâches, moyens, organisation et planification en un schéma qui reste concret.

Le niveau de 3ème devrait permettre alors deux développements. D'abord on pourrait envisager des projets plus développés, avec une plus grande initiative des élèves pour les scénarios. Ensuite, on pourrait reprendre les scénarios précédemment mis en œuvre ; pour cela il faut construire, ou utiliser un modèle idéal de projet qui permette d'analyser chaque scénario, de comparer les scénarios entre eux, de les mettre en relation avec des pratiques d'entreprises réelles. Il s'agirait enfin de concevoir un projet particulier.

Au sens pédagogique du terme, le programme propose donc une véritable progression « inductive », mettant l'accent sur une démarche à la fois concrète et constructive.

Au terme de cet examen, je crois pouvoir dire que le nouveau programme de technologie est un outil pour renforcer la capacité de cette discipline à occuper toute sa place au collège. Elle dispose d'un corps d'enseignants, même si leur formation pose aujourd'hui des problèmes

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La technologie au collège 27

difficiles pour son unité. Elle a une légitimité qui provient des missions qui lui sont confiées : donner dans le cadre d'une scolarité obligatoire poursuivie jusqu'à 16 ans les connaissances élémentaires sur le travail et la technique nécessaires à l'orientation et à la culture personnelles. Sans résoudre tous les problèmes par avance, le nouveau programme devrait lui permettre mieux qu'avant d'affirmer sa spécificité et d'affermir sa cohérence.

RÉFÉRENCES

CHERVEL, A. (1977). Histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot. CHEVALLARD, Y. (1985 1ère éd., 1991, 2ème éd.). La transposition

didactique ; du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La

Pensée Sauvage.

DEVELAY, M. (dir) 1995. Savoirs scolaires et didactique des

disciplines : une encyclopédie pour aujourd'hui. Paris : ESF.

MARTINAND, J-L. (1994). La technologie dans l'enseignement

général : les enjeux de la conception et de la mise en œuvre. Paris :

UNESCO-IIPE.

RAK, I, Teixido, C, & al (1990). La démarche de projet industriel,

technologie et pédagogie. Paris : Foucher.

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Entretien avec Yves Deforge 29

E

NTRETIEN AVEC YVES DEFORGE†

conduit par Joël Lebeaume

Joël LEBEAUME : Bien que vous soyez connu de beaucoup de gens, je me permets de vous présenter. Yves Deforge, vous êtes un technicien, un technologue, un artiste, un philosophe et un écrivain. Vos ouvrages témoignent de ce parcours à la fois original et engagé dont l'apport a été et reste essentiel pour la réflexion sur l'enseignement technique et sur l'enseignement de la technologie, notamment1 :

• Des ouvrages sur vos contributions à la genèse de la technologie ; ∗ L'éducation technologique, (1970). Casterman.

∗ Dix entretiens sur la technologie. (1970). IPN. • Des travaux universitaires ;

∗ Le graphisme technique son histoire et son enseignement. (1981). Champ Vallon.

∗ Technologie et génétique de l'objet industriel. (1985). Maloine. • Des contributions un peu différentes qui s'ouvrent sur la philosophie ;

∗ L'œuvre et le produit. (1990). Champ Vallon.

∗ Postface de la réédition de Du mode d'existence des objets

techniques. (1989) de G. Simondon.

• Des ouvrages avec la présence forte des valeurs et des préoccupations environnementales ;

∗ De l'éducation technologique à la culture technique. (1994). ESF. ∗ Des techniques à la technologie.

Comme vos ouvrages en témoignent, vos analyses couvrent un champ très étendu qui reflète vos multiples activités professionnelles dont je citerai votre qualité d'enseignant, puis d'IPR, d'expert au Conseil de l'Europe, de chargé de cours à l'Université de Compiègne, de membre de la COPRET et de multiples autres instances nationales et internationales. Vous avez été impliqué très tôt également dans le lancement de la technologie avec J. Capelle.

1 le lecteur se reportera utilement pour la bibliographie générale de l'auteur à l'ouvrage : DEFORGE, Y. (1994). De l'éducation technologique à la culture technique. Paris, ESF. 153-159.

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Ma première question porte sur l'histoire qui, comme je l'ai fait remarqué, est un peu la vôtre. Je souhaiterais que vous nous fassiez part de vos impressions sur l'idée de la technologie aujourd'hui, mais sans considérer dans un premier temps ses relations avec l'enseignement. Quelles sont selon vous les évolutions de sens du concept de « technologie » ?

Yves DEFORGE : Pour ce qui est de savoir ce qu'est la technologie, il faut prendre un peu de recul. Je dirais qu'il y a trois acceptions. Ces trois acceptions sont sources de confusion. Je me souviens qu'en 1960, à l'époque où on a lancé, à Sèvres, la technologie sous l'égide du Conseil de l'Europe, il y avait tous les pays européens, et vraiment le mot technologie ne passait pas parce que la plupart des anglo-saxons prenaient le mot technologie au sens anglo-saxon. Aujourd'hui encore technology, par exemple dans les expressions « good technology », « bad technology » désigne le matériel, la description du matériel. Donc ils disaient : « Pourquoi voulez-vous faire un enseignement du matériel aux enfants ? C'est trop tôt, le fer à repasser ou la targette nous verrons ça plus tard ». Or ce sens évidemment - et je dis évidemment car on l'entend sans cesse employé dans les médias - continue à avoir une certaine place dans les discours des gens qui parlent ou qui écrivent. Voilà un premier sens.

Le deuxième sens est celui de technologie pratique. La technologie pratique c'est celle qui imprègne confusément beaucoup d'entre nous, c'est la technologie du « faire », du comment faire. Cela appelle un tout petit aperçu historique. Par rapport à l'enseignement et à l'apprentissage, la question qui peut se poser est celle de la transmission des savoir-faire. Même dans les temps les plus primitifs, pour tailler les silex ou emmancher une hache, il fallait bien expliquer. Le maître devait expliquer à celui qui devait faire ou à celui qui devait apprendre. Comment faisaient-ils pour expliquer ? Était-ce une monstration, une démonstration, des explications alors que le vocabulaire n'existait pratiquement pas ? Donc, on peut s'interroger sur la transmission du savoir et il est probable qu'au tout début c'était par répétition, par imitation ; il y avait aussi une grande partie d'oral mais il y avait déjà une partie de graphisme. C'étaient les bâtons à encoches, c'étaient des dessins dans certains cas et puis pour l'oral c'était le récitatif, l'algorithme récitatif et les comptines. Un vieil auteur, à propos de la construction des navires explique que lorsqu'un apprenti ou un compagnon voulait passer un grade dans la hiérarchie des constructeurs de navires, il se présentait à l'examen de maîtrise par exemple et devait réciter en chantonnant un certain nombres de règles de construction des bateaux : « je prends le double de la moitié, je le reporte sur … ». C'est donc une manière de mémoriser, mais à un certain moment que l'on peut situer au XIVè siècle à peu près, - et là vous pouvez en trouver des traces dans les

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Entretien avec Yves Deforge 31

bibliothèques spécialisées - apparaît quelque chose qui permet de passer du récitatif à l'art de faire. « Art de faire » a été un terme pour désigner la technologie pratique au sens d'aujourd'hui. L'art de faire dans certains domaines techniques a commencé à être écrit vers le XVè siècle. Mais on ne le trouve pas sous le titre de technologie, on le trouve sous le titre « d'art de faire », « de catéchisme du », « de manuel du », … Ces ouvrages sont très descriptifs et c'est l'étape qui nous mène à la technologie pratique. Puis à partir de ces arts de faire, vers le XVIè siècle, de bons esprits se sont aperçus que pour des techniques différentes, on donnait des arts de faire qui se ressemblaient et on préconisait des pratiques, des outillages, qui pouvaient bien avoir la même finalité, la même forme. Par exemple pour les outils de coupe ; on voit que pour couper du bois, pour couper du métal, pour couper de la viande… il y a toujours trois angles. On est donc passé de ces rassemblements qui étaient spécifiques d'une technique à des rassemblements qui commencent à être inter-techniques. Il fallait donner un nom et on a récupéré le terme de technologie qui commençait à être utilisé dans un autre sens. Il a été mis comme titre à un certain nombre d'ouvrages destinés à des praticiens. Puis on s'est dit qu'il y avait peut être des lois générales, il y a peut être des choses qui rassemblaient encore plus. Tous les outils qui coupent ont trois angles, est-ce qu'il y avait une loi des trois angles, est-ce que dans toutes les choses qui servent à couper il faut trois angles, positifs, négatifs ou nuls ? C'est la technologie générale ou professionnelle générale, qui devient générale non pas parce qu'elle est universelle - ce serait l'idéal et c'est là où il y a une collision avec la science car la science va prétendre à cette universalité - mais ces technologies générales sont déjà pré-scientifiques. À partir du XIXè siècle, ces technologies générales deviennent l'un des piliers des enseignements puisque dans l'enseignement technique il y a une technologie pratique qui est donnée à l'atelier ou autour de l'atelier et une technologie générale qui est donnée en dehors des pratiques professionnelles ; ce sont des réflexions d'ordre général sur la technologie.

Est-on allé au delà ? Oui dans certains cas, en réfléchissant sur cette technologie très générale et à ces collusions avec la science. On est arrivé à ce qu'on a appelé une « science industrielle », c'est à dire une technologie générale mélangée avec de la science couvrant un large champ de problèmes. Cette science industrielle ne s'est pas beaucoup développée parce que la science « dure » a pris le principal. J'en dis quand même un mot parce que cette question m'est chère : la science ne donne jamais la totalité du « faire », il y a toujours des petits interstices où doit se glisser une pratique appuyée sur une technologie ou sur un savoir-faire ou sur une débrouillardise. Il en existe de nombreux exemples : prenons celui du Pont de Normandie qui m'est proche puisque j'habite juste à côté. De brillants jeunes ingénieurs ont fait des modèles

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