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La méthode généalogique foucaldienne et l'ouverture de l'actualité

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Academic year: 2021

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La méthode généalogique foucaldienne

et l’ouverture de l’actualité

Mémoire

Alexis Bouchard-Goupil

Maîtrise en philosophie Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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iii

Résumé

Le travail de Foucault est multiforme. C’est le travail d’un historien et d’un sociologue autant que celui d’un philosophe. Sa réflexion est de ce fait traversée de lignes de force diverses qui lui permettent de mobiliser ses réflexions sur l’histoire, tant des idées que des institutions, en vue de comprendre de façon critique l’actualité de son époque. Le présent mémoire a pour but d’analyser l’objectif, propre à la méthode généalogique foucaldienne, d’ouvrir l’actualité par une analyse critique de celle-ci. Nous expliquerons en un premier temps comment l’ouverture de l’actualité nécessite, pour Foucault, le rejet de la notion de sujet originaire et comment Foucault établit ce rejet en réaction à l’épistémologie kantienne. Nous verrons par la suite par quelle perspective épistémologique Foucault vient remplacer cette épistémologie, soit par la perspective que la vérité est produite par des facteurs historiques et contingents, extérieurs au sujet qui connait. Nous verrons comment la description de ces facteurs historiques permet au généalogiste d’établir une description réaliste de son contexte contemporain, et comment cette description permet une modification de ce contexte. Nous prendrons également le temps d’évaluer les conséquences du tournant éthique de la pratique généalogique foucaldienne. Nous verrons que même si Foucault accorde finalement une capacité de subjectivation à l’individu qui travaille sur lui-même, cette pratique s’inscrit toujours dans un contexte culturel et institutionnel où la production de vérité sur soi et sur les autres est conditionnée par des facteurs historiques et contingents. Nous analyserons finalement la pratique généalogique comme une pratique de subjectivation éthique qui vise à se détacher de soi-même.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des abréviations ... vii

Note concernant l’orthographe ... ix

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Chapitre 1 - Le rejet du sujet originaire et la discontinuité historique ... 5

1. Le rejet du sujet originaire ... 5

1.1 La subjectivité transcendantale comme fondement épistémologique de l’objectivité ... 6

1.2 L’ambigüité constitutive du doublet empirico-transcendantal ... 10

2. La discontinuité historique des modes de véridiction ... 14

2.1 La discontinuité historique ... 14

2.2 Les modes de véridiction ... 16

2.3 Les modes de véridiction discursifs et le projet archéologique ... 18

Chapitre 2 - Les rapports savoir-pouvoir ... 26

1. Les modes de véridiction mixtes et le projet généalogique ... 26

2. Le dispositif du panoptisme disciplinaire ... 30

2.1 Le panoptisme disciplinaire ... 30

2.2 L’âme du délinquant ... 37

3. Le dispositif de sexualité ... 42

3.1 Le rejet de l’hypothèse répressive ... 42

3.2 Le sexe et la sexualité ... 45

3.3 L’aveu ... 50

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Chapitre 3 - Le tournant éthique de la généalogie foucaldienne ... 59

1. Réorientation du projet généalogique ... 59

1.1 L’expérience du sujet en ses trois axes constitutifs ... 60

1.2 Les jeux de vérité ... 62

1.3 Une histoire des problématisations ... 65

1.4 L’étude historique comme pratique de soi ... 68

2. Les pratiques de soi et les formes du rapport à soi ... 70

2.1 Méthodologie permettant l’étude des pratiques de soi ... 71

2.2 La constitution de soi du sujet et l’expérience morale ... 73

2.3 Les esthétiques de l’existence ... 84

Chapitre 4 - L’ontologie critique de nous-mêmes et la question de l’actualité ... 88

1. Qu’est-ce que l’actualité? ... 88

1.1 Les deux projets kantiens et la question de l’actualité ... 89

1.2 Comment définir ce qu’est l’actualité? ... 91

1.3 L’attitude de modernité... 94

2. Méthodologie de l’ontologie critique de nous-mêmes ... 100

Conclusion ... 109

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vii

Liste des abréviations

CRP : Critique de la raison pure DÉI : Dits et écrits I

DÉII : Dits et écrits II

MC : Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines QL : « Qu’est-ce que les Lumières? », l’article tiré de The Foucault Reader SP : Surveiller et punir. Naissance de la prison

UP : Histoire de la sexualité II. L’usage des plaisirs UPTS : « Usage des plaisirs et techniques de soi » VS : Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir

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ix

Note concernant l’orthographe

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xi

Remerciements

Je remercie chaleureusement ma directrice Sophie-Jan Arrien pour son intelligence, sa rigueur, sa générosité et sa patience. Sans elle, les pages qui suivent n’auraient jamais vu le jour. Je remercie également tous ceux et celles qui m’ont soutenu d’une manière ou d’une autre pendant la rédaction de ce mémoire.

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Introduction

La généalogie se présente, dans l’œuvre de Foucault, comme une description des modes de véridiction discursifs, des systèmes de domination et des rapports à soi qui se sont formés et transformés à différentes époques en Occident. Mais dépasser cette définition très générale de la pratique généalogique foucaldienne ne va pas sans difficulté puisque Foucault évite de définir de manière systématique et définitive les modèles procéduraux et les objectifs de sa pratique philosophique. Il affirme en effet qu’il ne désire pas offrir un modèle défini de pratique philosophique (modèle qui pourrait être repris par une éventuelle école foucaldienne). Une de nos hypothèses de travail est que ce refus provient d’un objectif central de sa philosophie, l’ouverture de l’actualité par une analyse critique de

celle-ci, qui implique un perpétuel retour critique du penseur sur sa propre activité,

mouvement qui force cette activité à éviter toute position de nécessité logique (scientifique, politique ou encore éthique) de peur de retomber dans un mode de véridiction qui pose comme naturel et nécessaire ce qui est en fait culturel et contingent.

La généalogie, comme méthode dont l’opérateur ne peut définir en détail la procédure, se présente comme une activité réagissant aux discours d’autres penseurs : idéaliste, structuraliste, phénoménologique, communiste, etc. Cette position est assez bien assumée dans les écrits de Foucault qui définit souvent la méthode généalogique par ce qu’elle n’est pas plutôt que par ce qu’elle est. Cependant, Foucault nous présente à quelques reprises des modèles procéduraux qu’il semble retenir, au nombre desquels : la pensée du dehors de Maurice Blanchot, la généalogie de Nietzsche et l’ontologie critique de l’actualité qu’il reconnait dans un court article de Kant : Was ist Aufklärung?1.

1 Emmanuel Kant, « Was ist Aufklärung? » (« Qu’est-ce que les lumières? »), in Berlinische Monatsschrift,

décembre 1784, pp. 481-494. Édition utilisée : Qu’est-ce que les lumières?, traduction, préface et notes de Jean Mondot, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2007.

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Bien que chacun de ces « modèles » puisse être analysé pour éclairer les objectifs et modèles procéduraux qui se trouvent dans les écrits de Foucault, nous nous concentrerons pour notre part sur le rapport entre Foucault et Kant qui apparait comme le plus structurant – ce qui devrait s’attester dans les pages qui suivent. Pour schématiser disons que le rapport de Foucault à Kant est double. Il consiste d’abord en une remise en question radicale du projet critique kantien qui veut fonder la connaissance sur un sujet humain universalisable, duquel découlerait toute possibilité de dire vrai sur le monde et sur l’humain lui-même.

Dans les années 60, Foucault présente l’idéalisme transcendantal de Kant comme un modèle dont il faut rejeter le projet. Il met alors énormément d’énergie à problématiser tout discours qui s’appuie, pour se justifier, sur la figure d’un sujet originaire. Selon lui, les phénoménologies de Husserl et de Sartre, qui centrent leur philosophie sur la constitution du monde dans son apparition pour le sujet, sont de tels discours, tout comme les philosophies qui défendent une évolution nécessaire de l’histoire comme celles de Marx ou de Hegel2. Il affirme que tous ces discours poursuivent en dernière instance le projet

kantien d’une épistémologie s’articulant sur un sujet originaire source de toute vérité. Foucault tente alors de remettre en question l’héritage du projet kantien dans la modernité.

Alors que dans les années 60 le rapport de Foucault à Kant est négatif, dans les années 80 Foucault présente Kant, ou plutôt un court texte de Kant, Was ist Aufklärung?, comme un modèle pour une pratique philosophique pertinente à laquelle les intellectuels modernes devraient encore aujourd’hui s’attacher. Les références multipliées à ce court article de Kant deviennent un leitmotiv pour Foucault dans les années 80. Il s’y réfère à différentes reprises, dans des articles, des entretiens et dans ses cours au Collège de France. Il avoue d’ailleurs dans l’un de ceux-ci qu’il prend cet article pour modèle dans sa propre pratique philosophique : « C’est un texte pour moi un peu blason, un peu fétiche, dont je vous ai parlé déjà plusieurs fois, et que je voudrais regarder d’un peu plus près aujourd’hui. Ce texte, si vous voulez, il a à la fois rapport à ce dont je parle, et je voudrais bien que la

2 Voir FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard,

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3 manière dont j’en parle ait un certain rapport avec lui. »3 C’est à partir de ce court texte de

Kant que Foucault explique de manière rétrospective son objectif d’ouvrir l’actualité par une analyse critique de celle-ci, objectif auquel il affirme rattacher l’ensemble de sa pratique généalogique. Le double rapport de Foucault à Kant, négatif puis positif, nous servira ainsi à éclairer la pratique philosophique du penseur français.

Découpage de l’œuvre de Foucault

Concrètement, nous reprendrons dans ce mémoire, pour schématiser le travail de Foucault, le découpage par décennies établit entre autres par Judith Revel dans Foucault, une pensée

du discontinu4 et que nous jugeons pertinent suite à notre propre lecture. Les années 60,

chez Foucault, sont caractérisées par un intérêt centré sur le champ discursif (autant dans le registre du littéraire, de la linguistique, que de la documentation à caractère scientifique). Les œuvres qu’il publie à cette époque se construisent autour d’une analyse historique des modes de véridiction propres aux discours, analyse qu’il nomme archéologie. Le passage d’une analyse archéologique des modes de véridiction à une analyse généalogique de ceux-ci se fait au tournant des années 60 et 70 et se manifeste par l’investissement de Foucault dans l’analyse de la trame incarnée de son époque, notamment par ses études sur les prisons dans le cadre de son implication dans le Groupe d’information sur les prisons (G.I.P.). Cette période se termine au début des années 80 avec l’intégration de plusieurs notions qui réorientent drastiquement les analyses généalogiques de Foucault vers le sujet et la construction de soi. Ces notions (nous pensons par exemple à « problématisation », « souci de soi », « techniques de soi » ou encore « jeu de vérité») font toutes leur apparition dans le travail de Foucault au début des années 80 (sauf pour la notion de « problématisation » mais elle y devient centrale) et marquent le tournant éthique qui oriente le travail généalogique de Foucault jusqu’à sa mort en 84.

3 Michel Foucault, Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France (1982-1983), Paris,

Gallimard, 2008, pp. 8-9.

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Plan du mémoire

Sur le fond, nous expliquerons dans un premier temps comment l’ouverture de l’actualité nécessite le rejet de la notion de sujet originaire et comment Foucault établit ce rejet en réaction à l’épistémologie kantienne. Nous verrons par la suite par quelle perspective épistémologique Foucault vient remplacer cette épistémologie, soit par la perspective que la vérité est produite par des facteurs historiques et contingents, extérieurs au sujet qui connait. Nous verrons comment la description de ces facteurs historiques permet au généalogiste d’établir une description réaliste de son contexte contemporain, et comment cette description permet une modification de ce contexte. Nous prendrons également le temps d’évaluer les conséquences du tournant éthique de la pratique généalogique foucaldienne. Nous verrons que même si Foucault accorde finalement une capacité de subjectivation à l’individu qui travaille sur lui-même, cette pratique s’inscrit toujours dans un contexte culturel et institutionnel où la production de vérité sur soi et sur les autres est conditionnée par des facteurs historiques et contingents. Nous analyserons finalement la pratique généalogique comme une pratique de subjectivation éthique qui vise à se détacher de soi-même.

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Chapitre 1 - Le rejet du sujet originaire et la discontinuité

historique

Nous posons comme hypothèse que l’objectif central de Foucault, dans son projet généalogique, est d’ouvrir l’actualité par une analyse critique de celle-ci. Pour bien comprendre que tel est bien son objectif, nous devons tout d’abord explorer deux conceptions épistémologiques que Foucault rejette dès ses premiers écrits : le sujet originaire et l’histoire continue. Nous effectuerons pour ce faire une brève incursion dans la période archéologique de Foucault. L’objectif de cette incursion n’est pas de rendre compte de l’ensemble des objectifs et modèles procéduraux que Foucault met en place autour de son projet archéologique dans les années 60, mais de comprendre sur quelle perspective philosophique générale s’appuie son projet généalogique des années 70 et 80.

Pour mieux cerner comment et pourquoi Foucault rejette, dès les années 60, les différentes conceptions modernes d’une subjectivité originaire comme fondement de la connaissance humaine, nous nous intéresserons à son rejet du modèle théorique qui est selon lui au fondement de ces conceptions : le sujet transcendantal kantien.

Au terme de cette analyse, nous serons en mesure d’exposer la conception discontinuiste de l’histoire que défend Foucault.

1. Le rejet du sujet originaire

Dans Les mots et les choses5, Foucault s’attaque directement au rôle fondateur du sujet

transcendantal kantien qu’il considère comme la structure épistémologique générale qui permet de dire le vrai depuis la fin du XVIIIe siècle. Nous verrons dans un premier temps

5 Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, [Dorénavant cité MC],

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comment l’objectivité du savoir est permise par la nature universelle du sujet chez Kant. Nous expliquerons par la suite la critique de Foucault à l’égard de cette source de savoir.

1.1 La subjectivité transcendantale comme fondement épistémologique de l’objectivité

Dans sa Critique de la raison pure6, Kant cherche à découvrir les pouvoirs et les limites de

l’entendement humain7. Il désire mettre en lumière la structure originaire productrice d’une

conceptualisation juste et exacte des différents objets de la nature. Cette structure sera le sujet transcendantal.

Nous comprenons le terme « sujet » comme l’unité rationnelle de l’homme face à ses différents jugements et ses différentes perceptions; unité à laquelle celui-ci peut se référer par le pronom personnel « je ». « Dans tous les jugements, je suis toujours le sujet

déterminant du rapport qui définit le jugement. Mais que le Moi, le Je pense, doive toujours

dans la pensée avoir valeur de sujet, de quelque chose qui ne puisse être simplement considéré comme un prédicat venant s’attacher à la pensée, c’est une proposition apodictique. »8

Chez Kant existe une distinction entre le sujet transcendantal et le sujet dont nous avons conscience au quotidien lorsque nous pensons. Nous nommerons ce dernier : sujet empirique. Le sujet transcendantal doit quant à lui être compris comme la structure universelle et a priori (précédant toute expérience) de tout homme en tant qu’il est la source de la possibilité de toute connaissance sur les objets du monde. Nous verrons

6 Emmanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft, Riga, J. F. Hartknoch, 1781, réédité en 1787. Édition

utilisée : Critique de la raison pure, [Dorénavant cité CRP], traduction, présentation et notes par Alain Renaut, Paris, Flammarion, 2001. Nous mentionnerons également, entre parenthèses, la pagination de la deuxième édition allemande établie par l’Académie de Berlin dans : Kants gesammelte Schriften, Königliche Preussische Akademie der Wissenschaften, tome III, Berlin, 1904, pp. 1-552.

7 Kant établit cet objectif dans une section de son introduction à la Critique de la raison pure : «III. La

philosophie requiert une science qui détermine la possibilité, les principes, et l’étendue de toutes les connaissances a priori. » (CRP, pp. 97-100, (AK, III, 30-33).)

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7 comment, chez Kant, ce sujet transcendantal prédétermine le sujet empirique, celui qui

perçoit et qui juge le monde, celui, également, qui peut analyser dans la perception de son intériorité ses propres jugements et perceptions sensorielles.

Pour comprendre comment le sujet transcendantal peut être le fondement épistémologique de toute connaissance objective, notons tout d’abord que, pour Kant, ce sujet est constitué de deux fonctions premières et fondamentales : l’intuition pure et l’entendement pur. Le qualificatif « pur » suivant ces deux fonctions signifie qu’elles sont des formes a priori du sujet humain, c’est-à-dire des fonctions que celui-ci possède avant même de les mettre en œuvre dans son expérience empirique, dans son expérience du monde : « Je nomme pures (au sens transcendantal) toutes les représentations dans lesquelles ne se rencontre rien qui appartienne à la sensation. »9

L’intuition pure est présentée par Kant comme la fonction du sujet transcendantal qui lui permettra, une fois activée dans son expérience, d’intérioriser les différents objets sensibles de son expérience empirique10. Kant divise l’intuition pure en deux formes pures,

l’espace et le temps, respectivement formes pures de notre sens externe et de notre sens interne. Alors que l’espace, qui est, nous le rappelons, présenté comme une forme pure structurant le sujet transcendantal, permet au sujet un rapport aux différents objets de la nature qui lui sont externes, le temps, quant à lui, est présenté comme la forme pure de sa sensibilité interne, forme pure qui permet l’organisation temporelle de nos représentations.

L’intuition pure est nécessaire à la structure épistémologique du sujet transcendantal puisque c’est elle qui permettra au sujet un rapport à son extériorité et qui le place ainsi en liaison avec les différents objets qui composent le monde naturel. Cependant, dans la théorie de la connaissance kantienne, les objets de la nature tels qu’ils sont en eux-mêmes, avant d’être intériorisés par le sujet, sont inaccessibles dans leur essence propre. Notre

9 CRP, p. 118, (AK, III, 50).

10 Kant déduit la nécessité, les formes et les modalités épistémologiques de cette « intuition pure » dans la

première partie de sa Théorie transcendantale des éléments : L’esthétique transcendantale. (CRP, pp. 117-141, (AK, III, 49-73).)

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intuition pure ne nous donne pas accès à l’immanence des différents objets de la nature. Elle nous permet cependant de les phénoménaliser. L’intuition pure prédétermine notre rapport sensible aux différents objets que nous rencontrerons dans notre expérience, avant cette expérience. Et lorsque les différents objets de la nature nous apparaissent, dans leurs matérialités sensibles, ils sont pour ainsi dire « préformatés » par les formes de notre intuition pure et cela avant même que nous les jugions. Les objets en eux-mêmes, que Kant nomme « choses en soi », deviennent ainsi le « x » de toute connaissance et de toute sensation : la variable inconnaissable. Le rôle de formalisation fondamentale de notre rapport au sensible que Kant donne à l’intuition pure du sujet transcendantal implique que tout objet devra être compris comme phénomène, c’est-à-dire, comme ce qui apparait dans l’esprit du sujet : « La forme pure des intuitions sensibles en général se trouve a priori dans l’esprit, où tout le divers des phénomènes est intuitionné selon certains rapports. »11

Et c’est à l’entendement pur du sujet transcendantal, en tant que fonction a priori permettant toute conceptualisation sur les objets phénoménalisés, de permettre la donation de leurs formes rationnelles et de leurs sens aux différents phénomènes ainsi intériorisés12.

Kant affirme de l’entendement pur qu’il permet, par les fonctions de conceptualisation qui le constituent, la formation de connaissances sur les divers phénomènes du monde. Cet entendement pur contient originairement toutes les comparaisons, liaisons et conceptualisations qu’il est possible d’établir entre les différents phénomènes qui seront intériorisés par l’intuition. Ces différents concepts, qui permettent de connaitre les caractéristiques fondamentales que nous pouvons appliquer aux phénomènes qui nous apparaissent, Kant les nomme « catégories de l’entendement ». Il nous les présente comme des fonctions épistémologiques fondamentales qui nous permettent d’établir, entre les différents phénomènes, des comparaisons, des liaisons, des oppositions, bref des relations de toutes sortes. Il nous affirme que ces liaisons possibles entre les phénomènes existent

11 CRP, p. 118, (AK, III, 50).

12 Kant résume cette fonction et explique sa division en 12 catégories dans la deuxième partie de sa Théorie

transcendantale des éléments : La logique transcendantale. Nous fondons notre compréhension et notre interprétation de cette fonction sur la première division de La logique transcendantale : L’analytique transcendantale. (CRP, pp. 143-328, (AK, III, 74-233).)

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9 avant toute expérience et sont ainsi des outils de formalisation a priori. Cette

prédétermination de tout jugement sur les objets du monde avant de faire l’expérience de celui-ci impliquerait que le monde des phénomènes, qui constituera l’expérience du sujet empirique, se retrouve déjà organisé, dans sa systématicité et son ordre, par la structure catégoriale du sujet transcendantal.

Ce qui est remarquable dans la théorie épistémologique kantienne, c’est que la fonction permettant toute sensation précède toute sensation et que la fonction qui conditionne tout jugement, tout formalisme et toute conceptualisation, précède toute connaissance effective. C’est en cela que l’on peut qualifier le sujet transcendantal kantien de sujet originaire. En lui se trouvent déjà programmés toute sensation et tout jugement que les hommes pourront expérimenter au cours de leur vie. Il est également à noter que le sujet transcendantal kantien, en tant que condition de possibilité de toute expérience et de toute connaissance, est universel et immuable. Et c’est justement cela qui garantit la fiabilité du savoir qu’il produira. Dans la structure épistémologique kantienne, les objets de la nature en eux-mêmes, avant d’entrer dans l’expérience de l’homme, sont peut-être inconnaissables, mais l’intelligibilité de tous les phénomènes se trouve déjà « préprogrammée » dans le sujet transcendantal et nous pouvons pour cela établir sur eux des connaissances a priori, c’est-à-dire nécessaires et universelles.

C’est de cette manière que Kant établit la possibilité d’une connaissance objective : la connaissance des différents phénomènes provient de la structure fixe et universelle du sujet, ce qui fait que la connaissance que nous aurons de ces phénomènes pourra être fixe et universelle. En quoi cette connaissance est-elle objective? Le phénomène est l’objet tel qu’il doit nécessairement apparaitre au sujet empirique et cette nécessité est inscrite dans la structure du sujet transcendantal.

Kant accorde une grande importance à ce lien entre le sujet connaissant et l’objet à connaitre. Il nous présente la variable x, représentant la chose en soi telle qu’elle nous est inaccessible dans son immanence, comme étant elle-même une condition permettant la connaissance telle qu’elle est accessible à tout homme. Kant en vient même à inclure, dans

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la structure épistémologique du sujet transcendantal, la nécessité de l’incursion d’une extériorité inconnaissable. Il déduit en effet la nécessité d’inclure le concept a priori d’« objet transcendantal » dans la structure a priori du sujet transcendantal. Car les deux fonctions pures du sujet que sont l’intuition et l’entendement ne pourraient produire de la connaissance objective sans cette extériorité que lui offrent les différents objets de la nature. Le concept d’objet transcendantal doit donc être compris comme possibilité, à l’intérieur même du sujet transcendantal, que l’homme soit en contact avec une extériorité qui lui est inconnaissable.

Le concept pur de cet objet transcendantal (qui, en fait, dans toutes nos connaissances, est toujours indifféremment = X) est ce qui peut procurer à tous nos concepts empiriques en général une relation à un objet, c’est-à-dire de la réalité objective13.

Le concept a priori d’objet transcendantal est inclus dans la systématicité du sujet transcendantal comme nécessité épistémologique de l’incursion d’une extériorité objective à l’intérieur du sujet, mais l’« objet transcendantal » en lui-même doit toujours être pensé comme extériorité absolue et inconnaissable. L’objet transcendantal est donc cette chose en soi générique qui ne nous sera jamais accessible, mais dont l’existence participe à la fondation de la connaissance objective du sujet transcendantal. Nous nous permettons ici d’insister sur le fait que, pour Kant, les choses en soi, dans leurs pures extériorités hors du sujet, sont inconnaissables dans leur immanence respective et correspondent par le fait même au dehors du domaine du connaissable.

1.2 L’ambigüité constitutive du doublet empirico-transcendantal

Le sujet transcendantal kantien, tant en raison de sa structure interne que de son rapport aux choses en soi, peut donc être qualifié à juste titre par Foucault de limite absolue de toute connaissance objective. Foucault s’oppose radicalement à ce type de fondement

13 CRP, p. 185, (AK, IV, 82). Nous nous référons ici exceptionnellement à un passage de la première édition

de La critique de la raison pure. La traduction en a été faite à partir de la première édition allemande établie par l’Académie de Berlin dans : Kants gesammelte Schriften, Königliche Preussische Akademie der Wissenschaften, tome IV, Berlin, 1903, pp. 1-252.

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11 épistémologique qui détermine autant les conditions de possibilités que les limites de toute

connaissance par la nature universelle et inaliénable du sujet. Sa critique se cristallise autour de la problématique où l’homme est l’objet à connaitre. Cette problématique, Kant la développe à plusieurs reprises dans La critique de la raison pure.

Comment puis-je donc dire que moi, comme intelligence et sujet pensant, je me connais moi-même comme objet pensé, en tant que je suis de surcroît donné à moi-moi-même dans l’intuition, simplement comme les autres phénomènes, non pas tel que je suis devant l’entendement, mais tel que je m’apparais : la question n’entraîne ni plus ni moins de difficulté que celle de savoir comment je peux en général être pour moi-même un objet, et plus précisément un objet de l’intuition et des perceptions internes14.

Kant ne prend bien entendu pas à la légère cette problématique. Notre objectif n’est pas ici d’analyser sa réponse et d’évaluer sa cohérence théorique, mais d’expliquer l’interprétation que Foucault tire de cette problématique et les conséquences de cette interprétation dans la construction de ses méthodes archéologique puis généalogique. Selon Foucault, dans la structure épistémologique kantienne qui repose sur le sujet transcendantal, un problème se pose : celui du redoublement de l’empirique et du transcendantal. Il affirme en effet que le sujet transcendantal ne peut nous être connu que par le truchement du sujet empirique. Il en tire la conclusion qu’il s’agit là d’une erreur puisque cette structure épistémologique kantienne mène les hommes à s’analyser, dans leur expérience d’êtres rationnels, pour déterminer les limites nécessaires qui légitiment les connaissances valides. Cette perspective mène, toujours dans la perspective foucaldienne, à une analytique de la finitude.

L’homme, dans l’analytique de la finitude, est un étrange doublet empirico-transcendantal, puisque c’est un être tel qu’on prendra en lui connaissance de ce qui rend possible toute connaissance15.

C’est cette dépendance réciproque entre le sujet empirique et le sujet transcendantal qui est problématique selon Foucault. En effet, dans sa perspective sur l’épistémologie kantienne, le sujet empirique a besoin du sujet transcendantal pour garantir la validité et l’objectivité

14 CRP, p. 212, (AK, III, 122). 15 MC, p. 329.

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de son savoir, mais le sujet transcendantal ne nous est accessible que par l’étude du sujet empirique.

Dans Les mots et les choses, Foucault s’attaque directement à cette dépendance réciproque entre l’empirique et le transcendantal qu’il considère comme la structure épistémologique générale qui permet de dire le vrai depuis la fin du XVIIIe siècle. Le pari

épistémologique de la modernité que Foucault cible puis condamne est que les différentes activités par lesquelles l’homme se définit et dans lesquelles il peut s’observer (soit, globalement, la vie biologique, le travail et le langage) sont limitées et fondées par la nature fondamentale de l’homme, et qu’en observant de manière empirique la structure et les limites de ces activités, nous pouvons avoir accès à la forme de l’instance originaire qui prédétermine ces différentes activités.

Les thèmes modernes d’un individu vivant, parlant et travaillant selon les lois d’une économie, d’une philologie et d’une biologie, mais qui, par une sorte de torsion interne et de recouvrement, aurait reçu, par le jeu de ces lois elles-mêmes, le droit de les connaître et de les mettre entièrement au jour, tous ces thèmes pour nous familiers et liés à l’existence des « sciences humaines » sont exclus par la pensée classique16.

Ce pari épistémologique moderne vise, toujours selon Foucault, à fonder la nécessité des limitations effectives que vit l’homme au quotidien (ou qu’il vivra dans le futur lorsque ces savoirs modernes prennent une forme eschatologique) en une limitation originaire, nécessaire et a priori qui redoublerait les limitations empiriques que l’homme expérimente au quotidien.

Foucault rejette ce fondement des discours de vérité modernes qui repose sur la figure de l’homme comme doublet empirico-transcendantal. Il rejette ce fondement épistémologique s’appuyant sur l’homme, sujet et objet de savoir, dans lequel se redoubleraient un pouvoir de connaitre limité et une existence effective limitée. Il affirme qu’il s’agit là non pas de l’origine constitutive d’un savoir objectif et nécessaire sur l’homme, mais d’une ambigüité constitutive qui doit être remise en question.

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13 La configuration anthropologique de la philosophie moderne consiste à dédoubler le

dogmatisme, à le répartir à deux niveaux différents qui s’appuient l’un sur l’autre : l’analyse précritique de ce qu’est l’homme en son essence devient l’analytique de tout ce qui peut se donner en général à l’expérience de l’homme17.

Cet homme objet et sujet de tout savoir, ce doublet empirico-transcendantal, servirait selon Foucault à fournir l’horizon de vérité autant aux sciences dites positives (où la vérité de l’objet permet la vérité du discours qui le décrit), qu’aux discours de type eschatologique (où la vérité d’un discours est permise par l’étude de l’évolution de l’homme vers un avenir qui est préprogrammé en lui). Et il en serait de même pour la phénoménologie qui tente de lier l’empirique et le transcendantal par l’étude du vécu. « On voit quel réseau serré relie, malgré les apparences, les pensées de type positiviste ou eschatologique (le marxisme étant au premier rang) et les réflexions inspirées de la phénoménologie. »18 Ce que Foucault

avance c’est que ces trois discours de vérité modernes reprennent la même structure de nécessité bivalente entre l’empirique et le transcendantal instaurée par la critique kantienne, et ce même si l’importance de l’étude du pôle empirique de cette structure y prend davantage d’importance que chez Kant. Il souligne en effet que le savoir sur l’objet « homme en tant qu’il peut être connu par l’homme » y est avant tout formé par l’observation minutieuse des hommes concrets dans leurs activités. Dans les sciences humaines positives, c’est une observation à la fois individualisante et totalisante, mesurée et comparative, qui sera mise en œuvre; dans le marxisme, une observation partant des phénomènes politiques et économiques globaux dans lesquels l’individu prend place; et dans la phénoménologie, ce sera par l’analyse du vécu intime de l’homme : « cette dimension ambiguë de la réalité qui est à la fois de l’ordre de l’expérience concrète et de l’ordre de ce qui vient la fonder »19.

Foucault affirme que même lorsque l’objet de la connaissance par excellence devient l’homme lui-même, la connaissance doit tout de même, dans toutes ces formes modernes de constitution de savoir permises par la figure empirico-transcendantale, passer

17 MC, p. 352. 18 MC, p. 332.

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par une extériorité qui dépasse et déborde la capacité de la raison à lui donner forme et nécessité. Foucault nous dit à demi-mot que l’« objet homme », au centre de la structure épistémologique de la modernité, demeure une chose en soi inconnaissable selon cette même structure épistémologique.

2. La discontinuité historique des modes de véridiction

Nous exposerons maintenant la conception historiciste et relativiste de l’épistémologie que Foucault oppose à la conception d’une subjectivité originaire au fondement de la connaissance. Nous verrons comment la production de connaissances vraies est selon lui dépendante de facteurs relatifs à une époque historique donnée. Nous désirons en effet souligner comment Foucault conçoit la création de vérité sans se référer à un sujet de connaissance originaire, mais en se référant plutôt à des modes de véridiction extérieurs au sujet, historiquement circonstanciés et qui émergent à une époque donnée.

2.1 La discontinuité historique

C’est à partir d’une conception discontinuiste de l’histoire que Foucault élabore sa pensée. Elle s’oppose à une conception qui verrait dans l’histoire une entité unitaire possédant une systématicité continue. Une telle entité continue, qui saurait s’expliquer dans son ensemble (par le concept d’évolution historique par exemple), n’existe pas dans l’optique foucaldienne. Il existerait, selon la conception continuiste de l’histoire, des liens de causalité nécessaires entre les différentes modifications qui s’opèrent au cours de l’histoire : changements de régime politique, apparitions de nouvelles technologies, de nouvelles religions, de nouvelles sciences, de nouvelles morales, etc.

Foucault développe plutôt son travail de pensée autour de la notion de discontinuité historique. Il s’intéresse particulièrement à la discontinuité entre les différentes formes de rationalité qui se développent dans différents contextes historiques et en relation à ceux-ci. Cette discontinuité implique que lorsqu’un contexte culturel et institutionnel change, les

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15 formes de rationalités qui l’organisent changent avec lui. Selon Foucault, l’horizon de

vérité, les règles qui déterminent ce qui est vrai et faux, changerait suffisamment d’une époque à une autre pour qu’on puisse parler de rupture et de seuil plutôt que de transformation et d’évolution entre ces différentes époques. Cette conception foucaldienne de l’histoire s’appuie sur une remise en question radicale du sujet de connaissance comme fondement universel de la rationalité humaine. Foucault affirme en effet que, pour pouvoir penser l’histoire comme un tout, nous devons fonder son unité sur un sujet de connaissance constitué de diverses fonctions permettant la connaissance des différents phénomènes du monde. La solidité de ce fondement implique également que ces fonctions épistémologiques précèderaient les connaissances effectives produites au cours de l’histoire. Seul un tel sujet, pensé comme fondement originaire d’une possibilité de dire vrai sur les choses du monde, permettrait selon lui de rassembler le divers des connaissances produites au cours de l’histoire en un système cohérent parce que produit par une seule et même entité rationnelle. C’est ainsi que, dans le projet foucaldien, la remise en question de la continuité historique va de pair avec la remise en question du rôle fondateur du sujet dans la production de connaissances, et ce, parce que « l’histoire continue est le corrélat indispensable à la fonction fondatrice du sujet »20. C’est encore ici le rapport de

dépendance réciproque entre le sujet transcendantal et le sujet empirique qui est remis en question. Foucault s’oppose à l’idée que tout ce qu’un être humain peut être ou dire de vrai au cours de son histoire serait programmé dans la structure a priori du sujet transcendantal. Il s’oppose également à l’idée que l’évolution historique possèderait une cohérence et une logique émanant de son origine : le sujet transcendantal et sa structure fixe et a priori. « Vouloir faire de l’analyse historique le discours du continu, et faire de la conscience humaine le sujet originaire de tout savoir et de toute pratique, ce sont les deux faces d’un même système de pensée. »21

20 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 21.

21 Michel Foucault, « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », in Cahier pour

l’analyse, nº 9, Généalogie des sciences, été 1968, pp. 9-40. Édition utilisée : texte nº 59 in Dits et écrits I, [Dorénavant cité DÉI], Paris, Gallimard, 2001, pp. 727-728.

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Penchons-nous maintenant sur la conception que Foucault met en place pour remplacer cette corrélation entre histoire continue et sujet originaire : une conception de la vérité qui s’appuie sur le rapport entre un mode de véridiction historiquement circonstancié et le contexte culturel et institutionnel dans lequel il prend place. Pour étudier cette corrélation, il nous faut d’abord expliquer ce que nous entendons par « mode de véridiction ».

2.2 Les modes de véridiction

Les modes de véridiction sont des ensembles de règles et de techniques permettant de faire reconnaitre les propositions d’un discours comme vrai. Foucault affirme de ces « véridictions » qu’elles sont des « formes selon lesquelles s’articulent sur un domaine de choses des discours susceptibles d’être dits vrais ou faux »22. Nous conservons cette

définition. Et pour ce qui est du substantif « mode » que nous ajoutons à la notion, il nous sert à mettre l’accent sur le fait qu’il y a pour Foucault plusieurs modalités différentes, plusieurs systèmes variés et hétérogènes, qui permettent à une véridiction d’opérer sur un domaine de choses.

Dans les deux premières décennies de son travail de philosophe professionnel (les années 60 et 70), Foucault développe une analyse distincte de deux types de modes de véridiction. Le premier de ces deux types est principalement constitué de règles et de

22 Michel Foucault, « Foucault », in D. Huisman, éd., Dictionnaire des philosophes, Paris, P.U.F., 1984, t. I,

pp. 942-944. Édition utilisée : texte nº 345 in Dits et écrits II, [Dorénavant cité DÉII], Paris, Gallimard, 2001, p. 1451. La notion de « véridiction » est très peu utilisée par Foucault et uniquement en fin de parcours, lorsqu’il fera des analyses rétrospectives de son travail, comme dans ce court texte qu’il rédigea anonymement pour servir de notice à son propre patronyme dans le Dictionnaire des philosophes que Denis Huisman préparait pour les Presses universitaires de France. Cette notion de « véridiction » y est d’ailleurs associée à la notion de « jeu de vérité » qui sera très présente dans le discours de Foucault à partir de la publication de son deuxième tome à l’Histoire de la sexualité : L’usage des plaisirs (Paris, Gallimard, 1984.), et même un peu avant si on considère la préface destinée à cet ouvrage qui circulera comme article jusqu’à la parution du livre (« Usage des plaisirs et techniques de soi », in Le débat, nº 27, novembre 1983, pp. 46-72.). Nous avons ici préféré la notion de « véridiction » à la notion de « jeu de vérité » pour sa stabilité et sa plus grande clarté. Les deux notions demeurent cependant très proches l’une de l’autre. Nous utiliserons et expliciterons la notion de « jeu de vérité » lorsque le développement de notre analyse nous permettra de faire les nuances nécessaires.

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17 techniques discursives (de systèmes épistémologiques permettant de garantir la validité des

propositions incluses en ceux-ci). Le second type de modes de véridiction qu’y analyse Foucault est quant à lui constitué à partir de rapports de pouvoir entre des corps. Ces rapports, qui peuvent entre autres prendre la forme de techniques matérielles de coercition (urbanisme, prison, éducation, force armée, système de santé, etc.), établissent également tout un réseau de liaisons et de dépendances réciproques avec des techniques discursives. Dans le cas de ces deux types de modes de véridiction, il ne s’agit pas d’abord pour un « sujet de connaissance » de produire de la vérité, mais la production de celle-ci est toujours l’œuvre de relations et de rapports dans un champ donné – dans un champ principalement discursif pour le premier de ces deux types; dans un champ à la fois institutionnel, corporel, interindividuel et discursif pour le deuxième.

Ce lien entre le discursif et l’extradiscursif n’était pas absent des analyses de Foucault dans les années 60. Il était particulièrement important dans Folie et déraison.

Histoire de la folie à l’âge classique23 où une analyse parallèle du partage raison-déraison

est effectuée au niveau des discours et au niveau de la séparation physique des fous du reste de la population. Bien qu’également présent dans Naissance de la clinique24, la mise en

lumière de ce lien entre le discursif et l’extradiscursif deviendra moins importante dans les autres articles et monographies que Foucault publie dans les années 60, et cela au profit d’une analyse des modalités de véridiction plus spécifiquement discursives. En définitive, pour définir les analyses foucaldiennes des années 60, il serait plus approprié de parler d’une spécialisation dans l’étude des modalités de véridiction discursives que d’une philosophie radicalement nominaliste qui considèrerait les conditions de possibilité de l’émergence des vérités comme étant produites strictement par des discours.

23 Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961. 24 Michel Foucault, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963.

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2.3 Les modes de véridiction discursifs et le projet archéologique

Dans les années 60, Foucault se spécialise dans l’analyse des modes de véridiction du champ discursif. Il analyse ceux-ci autour de la notion d’« épistémè ». Il s’agit alors pour lui de mettre à jour les systèmes multiples des différentes sciences qui forment l’espace discursif dans lequel s’établissent les vérités d’une époque. Une épistémè est un type de mode de véridiction qui, selon la lecture discontinuiste de Foucault, change d’une époque historique à une autre. L’épistémè peut être comprise comme l’espace discursif général d’une époque; espace discursif qui possède une cohérence interne suffisante pour permettre aux différentes vérités objectivantes de cette époque d’être reconnues et, par conséquent, d’opérer sur le domaine des choses qu’elles objectivent. Cet espace discursif, cette

épistémè, n’est cependant pas une structure fixe qui rassemble l’ensemble des discours

d’une époque dans une totalité logique solide qu’il s’agirait de reconstituer par l’étude des rapports de nécessité entre les différentes sciences d’une époque. Il s’agit plutôt des rapports possibles, des oppositions et des rapprochements, qui permettent à plusieurs sciences distinctes de cohabiter à une époque et de former une unité épistémologique qui a un caractère propre. Foucault affirme à ce sujet qu’il ne faut pas comprendre l’épistémè d’une époque comme « la somme de ses connaissances, ou le style général de ses recherches »25, mais plutôt comme « les distances, les oppositions, les différences, les

relations de ses multiples discours scientifiques : l’épistémè n’est pas une sorte de grande

théorie sous-jacente, c’est un espace de dispersion, c’est un champ ouvert et sans doute indéfiniment descriptible de relations. »26

Ce champ ouvert où cohabitent différentes unités de discours (les mathématiques, la psychopathologie, l’économie, etc.), Foucault l’analyse comme une « archive ». C’est-à-dire qu’il ne recherche pas la signification ni la structure logique qui se cache à l’origine de ses multiples unités de discours, mais qu’il recherche les critères de formation, de

25 Michel Foucault, « Réponse à une question », in Esprit, nº 371, mai 1968, pp. 850-874. Édition utilisée :

texte nº 58 in DÉI, p. 704.

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19 transformation et de corrélation qui permettent à la fois d’individualiser ces différents

discours, de marquer leur apparition et leur rupture par rapport aux discours des époques passées, et d’expliquer comment chacune de ces unités discursives est en relation avec les autres à une époque donnée, c’est-à-dire « dans le contexte non discursif où elle fonctionne (institutions, rapports sociaux, conjoncture économique et politique). »27

Il est important de comprendre que pour Foucault, cette étude de l’archive d’une époque implique « une analyse des discours dans la dimension de leur extériorité. »28

L’étude de l’archive d’une époque implique pour Foucault de ne pas interroger les discours « sur ce que, silencieusement, ils veulent dire, mais sur le fait et les conditions de leur apparition manifeste; non sur les contenus qu’ils peuvent recéler, mais sur les transformations qu’ils ont effectuées; non sur le sens qui se maintient en eux comme une origine perpétuelle, mais sur le champ où ils coexistent, demeurent et s’effacent. »29

Foucault s’oppose par là à la procédure philosophique qui cherche à découvrir l’origine indéfiniment reculée. Ce projet philosophique implique la recherche d’un sujet originaire dont la structure transcendantale pourrait nous être accessible si nous analysons l’histoire des différents discours de vérité comme une suite de demi-réussites où le sujet empirique aurait partiellement accompli l’atteinte des vérités objectives qui sont programmées dans la structure transcendantale qui le conditionne. Foucault s’oppose à l’idée que, dans l’histoire de la pensée, le « rôle de l’histoire est de réveiller les oublis »30,

d’amener la pensée à son plein potentiel en interprétant les erreurs des discours passés pour faire progresser la pensée humaine vers son plein potentiel (où la vérité pleine et entière qui est présente dans sa structure subjective transcendantale, à tout le moins comme potentialité, lui serait accessible). « À ce thème, je voudrais opposer l’analyse de systèmes discursifs historiquement définis, auxquels on peut fixer des seuils, et assigner des

27 Ibid. 28 Ibid., p. 710. 29 Ibid. 30 Ibid., p. 712.

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conditions de naissance et de disparition. En un mot, [...] remettre en question ces trois thèmes de l’origine, du sujet et de la signification implicite, c’est entreprendre – tâche difficile, d’extrêmes résistances le prouvent bien – de libérer le champ discursif de la structure historico-transcendantale que la philosophie du XIXe siècle lui a imposée. »31

Ce travail, Foucault le nomme archéologie. Derrière l’étymologie de ce terme se cache une double évocation : celle de l’archè comme commencement, comme lieu d’émergence des objets de savoir; et celle de l’archive comme lieu d’enregistrement de ces différents objets. L’union de ces deux significations nous donne le sens du travail archéologique entrepris par Foucault : il se présente comme une mise en lumière de l’émergence des vérités dans la trame discursive d’une époque. Il fait ainsi de l’archive l’objet d’étude par excellence puisque c’est en elle que se découpent et se partagent les différentes vérités qui forment l’horizon objectivant des différentes connaissances d’une époque.

J’appellerai archive, non pas la totalité des textes qui ont été conservés par une civilisation, ni l’ensemble des traces qu’on a pu sauver de son désastre, mais le jeu des règles qui déterminent dans une culture l’apparition et la disparition des énoncés, leur rémanence et leur effacement, leur existence paradoxale d’événements et de choses32.

La notion de rémanence dans la constitution d’une archive est importante pour saisir que cette discontinuité historique dont parle Foucault n’est pas découpée au couteau. Cette notion de rémanence implique l’intégration, dans l’archive d’une époque, de discours dont l’énonciation est temporellement distante par rapport à d’autres et qui forment tout de même avec eux un jeu de relations et de renvois qui s’inscrivent à une époque donnée. La rémanence de certains discours et la disparition d’autres (non pas nécessairement leur disparition matérielle, mais leur sortie d’un jeu de relations et de renvois qui fait que ces discours deviennent extérieurs au système épistémique d’une époque) sont des éléments importants de la constitution de l’épistémè d’une époque selon Foucault. « L’épistémè n’est

pas une tranche d’histoire commune à toutes les sciences; c’est un jeu simultané de

31 Ibid.

32 Michel Foucault, « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », in Cahier pour

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21

rémanences spécifiques. [...] rien ne prouve par avance (et rien ne démontre non plus après

examen) que leur chronologie est la même pour tous les types de discours. »33

Cette étude de l’archive permet une description des règles, des pratiques et du fonctionnement de l’épistémè dans une époque donnée, cette épistémè devant être comprise comme le système épistémique contingent qui établit les conditions de possibilité de l’émergence des vérités de cette époque.

Foucault établit la description de l’épistémè d’une époque en la considérant comme un jeu, c’est-à-dire comme un système de rapports, de rapprochements et d’oppositions qui inclut d’autres systèmes sous la forme d’unités discursives qui possèdent leur propre systématicité interne. Il affirme que ce jeu est ce qui permet finalement aux différents discours objectivants d’une époque de fonctionner. En plus de cet objectif descriptif, une deuxième mise en lumière est produite par le travail archéologique de Foucault. C’est celle de la fragilité et de la relativité des systèmes épistémiques propres à une époque. Cette mise en lumière s’effectue par l’étude des ruptures épistémiques. Car, malgré l’intégration de discours rémanents dans l’archive d’une époque, Foucault rejette la possibilité d’un champ discursif universel et homogène dont la systématicité globale nous permettrait de saisir la possibilité d’un mode de véridiction universel parce que valide à toutes les époques de l’humanité.

Il découvre plutôt des discontinuités épistémiques qui forment des ruptures entre différents jeux de règles qui forment l’archive de différentes époques. La continuité de la rationalité humaine en tant que tout cohérent se trouve ainsi attaquée par l’étude de ces ruptures qui établissent la séparation d’une épistémè à une autre.

Pour illustrer cette notion de rupture et de discontinuité, prenons l’exemple du seuil entre l’« épistémè de la représentation » propre à l’époque classique et l’« épistémè de

33 Michel Foucault, « Réponse à une question », in Esprit, nº 371, mai 1968, pp. 850-874. Édition utilisée :

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l’homme comme doublet empirico-transcendantal » qui caractérise le champ discursif de la

modernité. Cette rupture est étudiée par Foucault dans Les mots et les choses. Chacune de ces deux épistémès y est présentée comme un espace discursif suffisamment différent de l’autre pour justifier qu’il y aurait discontinuité entre la modalité du dire vrai à l’âge classique et à l’époque moderne. Ce que Foucault relève dans cette étude c’est qu’à l’âge classique, la possibilité d’affirmer un énoncé objectif était garantie par un espace discursif général, une archive, où il était possible de rendre compte que la représentation que nous avions d’un objet de la nature était conforme au caractère naturel de cet objet. Cette possibilité était justifiée par une corrélation naturelle (voire divine) entre la structure rationnelle du langage et la structure rationnelle du monde décrit par le langage.

Au point de rencontre entre la représentation et l’être, là où s’entrecroisent nature et nature humaine – en cette place où de nos jours nous croyons reconnaître l’existence première, irrécusable et énigmatique de l’homme – ce que la pensée classique, elle, fait surgir, c’est le pouvoir du discours. C’est-à-dire du langage en tant qu’il représente – le langage qui nomme, qui découpe, qui combine, qui noue les choses, en les faisant voir dans la transparence des mots. En ce rôle, le langage transforme la suite des perceptions en tableau, et en retour découpe le continu des êtres, en caractères34.

L’horizon de vérité permettant aux différents discours de l’âge classique de se qualifier et de s’orienter selon les critères du vrai et du faux était ainsi permis par ce découpage en tableaux, établi à l’aide du langage, des différentes perceptions que l’humain avait de la nature. Alors qu’à l’époque moderne, les différents discours prétendant à l’objectivité demandent à l’homme, s’il désire fonder quelque discours objectif que ce soit, de s’étudier lui-même (dans la finitude de sa condition d’être vivant, travaillant et parlant) en tant que subjectivité constitutrice de savoir.

C’est en étudiant (donc en constituant) l’archive de l’âge classique et en comparant son épistémè à celle présente dans l’archive (constituée par Foucault) de la modernité que Foucault en vient à affirmer cette différence générale entre les modalités épistémologiques de ces deux époques. Foucault va jusqu’à dire que l’homme, ce doublet

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23 transcendantal, en tant que fondement épistémologique du mode de véridiction propre à la

modernité, est une invention du XIXe siècle.

C’est que nous sommes si aveuglés par la récente évidence de l’homme, que nous n’avons même plus gardé dans notre souvenir le temps cependant peu reculé où existaient le monde, son ordre, les êtres humains, mais pas l’homme35.

L’archéologie se présente ainsi comme une analyse historique de l’archive de différentes époques, comme une analyse de celle-ci visant à découper certaines époques discursives dont la systématicité interne serait garantie par une épistémè spécifique à chacune de celles-ci. Cette épistémè est alors reconnue comme une modalité de véridiction générale permettant aux différents discours rationnels d’une époque de fonctionner dans un horizon de vérité y stipulant les lois du vrai et du faux. L’archéologie vise également à mettre en lumière l’existence des ruptures épistémiques qui découpent l’archive différenciée propre aux différentes époques.

En rejetant la figure théorique du sujet originaire, Foucault tente de fragiliser l’épistémè qu’il reconnait dans son époque. Sa conception discontinuiste de l’histoire ainsi que sa méthode archéologique, qui conçoit les différents discours dans leur extériorité et leur interrelation contingente, établissent à la fois une description du mode de véridiction discursif propre à son époque et une possibilité de remettre en question ce mode de véridiction. Foucault ne se place pas pour autant comme une individualité révolutionnaire qui pourrait à elle seule ébranler les fondations épistémologiques de la modernité. Il établit à plusieurs reprises des liens entre sa propre perspective et celle d’autres penseurs qui lui sont contemporains, ou peu s’en faut. Sa critique du sujet originaire, il la met en parallèle avec les discours de Blanchot36 et de Barthes37, notamment, alors que sa conception

35 MC, p. 333.

36 L’influence de Blanchot sur son projet, Foucault en témoigne notamment dans un court article intitulé

« La pensée du dehors » publié en 1966 dans la revue Critique : « Cette pensée qui se tient hors de toute subjectivité pour en faire surgir comme de l’extérieur les limites, en énoncer la fin, en faire scintiller la dispersion [...] cette pensée, par rapport à l’intériorité de notre réflexion philosophique et par rapport à la positivité de notre savoir, constitue ce qu’on pourrait appeler d’un mot “ la pensé du dehors ”. » Voir FOUCAULT, « La pensée du dehors » [38], 1966, in DÉI, pp. 546 à 567.

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discontinuiste de l’histoire, il la met en parallèle avec les discours de Bachelard, Guéroult et Canguilhem38. Il y aurait donc peut-être une nouvelle épistémè en gestation dans

l’ensemble de ces discours et c’est dans celle-ci que Foucault semble situer son propre discours. Cette constatation nous amène à rappeler que, même si l’approche discontinuiste implique la mise à jour de ruptures épistémiques entre différentes époques, la contemporanéité d’un discours n’implique pas qu’il se situe dans l’épistémè de son époque. Foucault a conclu, dans son approche archéologique, que des discours pouvaient, par un jeu de rémanences et de dispersions, constituer l’épistémè d’une époque à venir.

Mais, si on en revient à l’objet de la critique de Foucault dans les Mots et les choses, il s’agit de rappeler que la philosophie kantienne ouvre une nouvelle épistémè, toujours en vigueur dans l’espace discursif d’où Foucault écrit. Cette épistémè fait de l’homme l’origine de la production de vérités, à travers sa structure a priori, tout en faisant du même homme l’objet premier du discours scientifique en tant que toute science doit être justifiée dans sa relation avec cet a priori constituant son objet. Foucault élabore sa propre méthodologie en réaction à la vigueur de cette épistémè, qu’il fallait donc en premier lieu exposer, à travers la vision kantienne du sujet transcendantal, pour ensuite introduire son dépassement à travers la critique du continuisme historique. En cela, Foucault ne confronte pas Kant sur son propre terrain, mais établit sa critique en amont, situant sa pensée, tout comme celle de Kant, dans un système historique contingent et fini, un produit culturel,

37 L’influence de Roland Barthes sur sa période archéologique, Foucault la développe dans une conférence

prononcée à Buffalo en 1970 : Qu’est-ce qu’un auteur?. Il cherche à y mettre au jour la fonction-auteur qui occupe le vide laissé par la disparition incessante de l’auteur-origine. Selon Foucault, la mort annoncée de l’auteur depuis quelques années en France à son époque permet de réfléchir la signification d’un texte ou d’une œuvre sans rechercher ce que l’auteur a voulu dire en tant qu’origine du discours. L’auteur est alors réduit à une fonction discursive structurant une œuvre par un système de renvois et de rapports propres à cette fonction-auteur qui découpe un ensemble discursif. Barthes écrivait, deux ans avant cette conférence de Foucault : « L’écriture est destruction de toute voix, de toute origine. L’écriture, c’est ce neutre, ce composite, cet oblique où fuit notre sujet, le noir-et-blanc où vient se perdre toute identité, à commencer par celle-là même du corps qui écrit. » Voir BARTHES, « La mort de l’auteur » in Œuvres complètes t. III 1968-1971, Paris, Édition du Seuil, 2002, p. 40; et FOUCAULT, « Qu’est-ce qu’un auteur? » [69], 1966, in DÉI, pp. 817 à 849.

38 « G. Bachelard a repéré des seuils épistémologiques qui rompent le cumul indéfini des connaissances ;

M. Guéroult a décrit des systèmes clos, des architectures conceptuelles fermées qui scandent l’espace du discours philosophique ; G. Canguilhem a analysé les mutations, les déplacements, les transformation dans le champ de validité et les règles d’usage des concepts. » Voir FOUCAULT, « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie » [59], DÉI, pp. 725-726.

(37)

25 rendant ainsi illégitime l’ambition d’un discours devant porter sur une vérité universelle et

anhistorique. Nous devrons maintenant, pour bien comprendre l’objectif d’ouverture de l’actualité propre à la méthode généalogique foucaldienne, évaluer comment ce rejet du sujet originaire s’inscrit dans une analyse de la trame incarnée d’une époque. L’ouverture de l’actualité par son analyse critique est bel et bien entamée dans l’archéologie foucaldienne. La fragilisation de l’épistémè moderne orientant l’objectivation de l’homme ainsi que les discours scientifiques ouvrent de nouvelles possibilités de discours vrais, s’orientant à travers un jeu de relations discursives autre et qui ne cherche pas sa validation dans un sujet transcendantal structurant. Mais l’analyse critique de l’actualité chez le généalogiste Foucault réclamera l’étude des rapports de pouvoir entre des corps, ce à quoi se confrontait peu l’archéologie en raison de son intérêt quasi exclusif pour le champ de la discursivité.

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Chapitre 2 - Les rapports savoir-pouvoir

Nous poursuivons maintenant l’étude de la conception historiciste et relativiste de l’épistémologie foucaldienne avec l’entrée de celle-ci dans sa période généalogique. Foucault quitte alors sa spécialisation sur les modalités de véridiction discursives et s’intéresse de plus en plus à l’existence incarnée des individus de son époque ainsi qu’aux modalités de véridiction qui donnent forme à la vie de chacun de ceux-ci par une prise sur son corps. Nous verrons comment cette entrée de la pensée foucaldienne dans le champ de la politique reconduit son rejet du sujet originaire.

Nous prendrons le temps d’illustrer la méthode généalogique de Foucault par l’analyse de deux études généalogiques : celle sur le système punitif moderne qu’il établit dans Surveiller et punir39, puis celle sur la sexualité moderne qu’il développe dans La

volonté de savoir40. Nous évaluerons à partir de ces études l’objectif de la méthode

généalogique, présentée par Foucault dans les années 70, qui vise une résistance théorique aux modalités de production de vérité historiques et contingentes. Nous expliquerons par le fait même la forme que prend, dans cette décennie, l’objectif foucaldien d’ouvrir l’actualité par une analyse critique de celle-ci.

1. Les modes de véridiction mixtes et le projet généalogique

Après l’étude des modes de véridiction discursifs autour de la notion d’épistémè, Foucault analyse un deuxième type de modes de véridiction constitué à partir de rapports de force entre des corps : le dispositif. Il l’analyse dans les années 70 sous la notion de « rapport

39 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, [Dorénavant cité SP], Paris, Gallimard, 1975. 40 Michel Foucault, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, [Dorénavant cité VS], Paris, Gallimard,

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