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Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie dans un contexte d'ajustement structurel : 1980-2000

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Texte intégral

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Du rôle de l’État au Sénégal et du type de démocratie

dans un contexte d’ajustement structurel:1980-2000

Thèse

Abdourahmane Konaté

Doctorat en sociologie

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Abdourahmane Konaté, 2014

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Résumé :

Contrairement à une idée bien répandue en Afrique et dans le monde, le Sénégal n’est pas une démocratie, mais plutôt une démocratie institutionnelle; une forme de gestion de l’État qui s’est révélée avec la mise en place du Programme des Ajustements Structurels. Dans ce type de démocratie où le chef de l’État est aussi chef d’un parti politique, le pouvoir législatif ne joue pas son rôle. En effet, la dynamique du parti-État fait du parlement un lieu de subordination au pouvoir exécutif (dominé par le président) plutôt qu’un contre-pouvoir. À ce manque de contrôle du parlement, il faudrait ajouter l’existence d’organes de contrôle dépourvus de pouvoir de décision, et dont les recommandations sont laissées à la libre appréciation du président de la République. L’un des traits les plus marquants dans ce type de démocratie réside d’ailleurs dans les pouvoirs exorbitants voire hors norme du chef de l’exécutif. En effet, la puissance et l’étendue de son pouvoir de nomination en fait un personnage central qui est ressenti autant dans la sphère législative que dans la sphère judiciaire. C’est ce qui fait que le principe de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs est dans la pratique inopérant, à la limite nul et sans effet. Adossée à l’État de droit, la démocratie institutionnelle est aussi caractérisée par une série de révisions et de modifications de la Constitution. Par ce procédé légal, la Constitution devient un instrument pour réaliser les ambitions du chef de l’État. Autrement dit, la légalité, pivot de l’État de droit, devient un outil de gestion de la société et de légitimation des politiques au détriment de la légitimité des populations. Dans ce type de démocratie, la liberté de presse est loin d’être une réalité. En effet, alors que celle publique est sous la tutelle du ministère de l’information, la liberté de la presse privée, soumise elle aussi à la tutelle, est encore atténuée par la menace, l’intimidation et les représailles que peuvent subir ses agents de la part des responsables politiques gouvernementaux. On trouve enfin dans une démocratie institutionnelle une prolifération d’institutions dignes des grandes démocraties, mais sans grande efficacité.

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Abstract

Contrary to a quite widespread idea in Africa and in the world, Senegal is not a democracy, but rather an institutional democracy, a form of management of the State which appeared with the installation of the Program of the Structural adjustments. In this kind of democracy where the Head of the State is also chief of a political party, the legislative power does not play its part. Indeed, the dynamics of the party-State rather makes Parliament a place of subordination to the executive power (dominated by the president) than a countervailing power. For this lack of control of the Parliament, it would be necessary to add the existence of control committees deprived of power of decision, and whose recommendations are left with the free appreciation of the president of the Republic. One of the most outstanding features in this kind of democracy resides besides in the exorbitant powers even except standard of the chief of the executive. Indeed, power and extent of its power to appoint in fact a central figure who is felt as much in the legislative sphere as in the legal one. It is what that the principle of balance and separation of powers is in practice inoperative, in a way null and without effect. Leaned with the Rule of law, the institutional democracy is also characterized by a series of revisions and of modifications of the Constitution. By this legal process, the Constitution becomes an instrument to carry out the ambitions of the Head of the State. In other words, legality, pivot of the Rule of law, becomes management tools of the company and legitimation of the policies to the detriment of the legitimacy of the populations. In this kind of democracy, freedom of press is far from being a reality. Indeed, whereas that public is under the supervision of the ministry for information, the private freedom of the press, also subjected to the supervision, is still attenuated by the threat, the intimidation and the reprisals which its agents on behalf of the governmental political officials can undergo. What one finally finds in an institutional democracy, is a proliferation of institutions worthy of the great democracies, but without much effectiveness.

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Table des matières

Résumé : ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des abréviations et sigles ... ix

Dédicace ... xi

Remerciements ... xiii

Avant-propos ... xv

INTRODUCTION ... 1

I.LES OBJECTIFS POLITIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS ... 37

I.I. METTRE UN TERME À LA MISSION SOCIALE DE L’ÉTAT ... 46

I.II INSTAURER L’ÉTAT MINIMAL ... 52

I.III RESPONSABLISER L’INDIVIDU ... 57

II.LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS ... 61

II.I PRIVATISER ET LIBÉRALISER L’ÉCONOMIE ... 62

II.II INSTAURER L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ ... 67

II.III AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE DE L’INDIVIDU ... 72

III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT ... 81

III.I LA RESTRUCTURATION DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC ... 82

III.II LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE ... 87

III.III LA NOUVELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE ... 94

IV LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN SOCIAL. ... 107

IV.I UNE AUGMENTATION DU CHÔMAGE ET DE LA PAUVRETÉ ... 110

IV.II LA DÉTÉRIORATION DU POUVOIR DE DÉPENSER DES POPULATIONS ... 117

IV.III UNE EXACERBATION DE LA TENSION SOCIALE ... 124

V. LES CONSÉQUENCES DES NOUVELLES POLITIQUES AU PLAN POLITIQUE ... 141

V.I UN ÉTAT SUBSTANTIELLEMENT GENDARME ... 146

V.II. UN GOUVERNEMENT SANS POUVOIR DE DÉCISION DANS LA FORMULATION DES POLITIQUES PUBLIQUES ... 167

V. III UN PARLEMENT SANS POUVOIR DE CONTRÔLE SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES ... 192

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VI.I DE L’ABSENCE DE CONSULTATION ET DU MANQUE DE CONSENTEMENT DES POPULATIONS

DANS LA MISE EN PLACE DES GRANDES POLITIQUES PUBLIQUES ... 218

VI. II DE LA PRÉPONDÉRANCE DU FORMALISME DANS LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS. ... 235

VI.III DE LA DÉMOCRATIE INSITUTIONNELLE ... 267

CONCLUSION ... 291

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Liste des abréviations et sigles

AFP : Alliance des Forces Progressistes APR : Alliance Pour la République ASS : Afrique Sub-Saharienne

BIRD : Banque International pour la Reconstruction et le Développement BM : Banque Mondiale

BNDS : Banque Nationale pour le Développement du Sénégal CFD : Coordination des Forces Démocratiques

CNT : Compagnies Transnationales ou TNC : Transnational Corporations CNTS : Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal

COUD : Centre des Œuvres Universitaires de Dakar DIC : Division des Investigations Criminelles

DSRP : Document de Stratégie pour une Réduction de la Pauvreté ESAM : Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages

ESP : Enquête Sur les Priorités

FASR : Facilitation d’Ajustement Renforcé FMI : Fonds Monétaire International

FESMAN : Festival Mondial des Arts Nègres GMI : Groupement Mobile d’Intervention

GMPE : Gouvernement de Majorité Présidentielle Élargie

GROC : Gouvernement de large Rassemblement, d’Ouverture et de Consensus IGE : Inspection Générale d’État

IPRES : Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal LDMPT : Ligue Démocratique

MDFC : Mouvement Démocratique des Forces Casamançaises NPA : Nouvelle Politique Agricole

NPI : Nouvelle Politique Industrielle

ONCAD : Office National de Coopération et d’Assistance au Développement ONU : Organisation des Nations Unies

OPCE : Office des Postes et de la Caisse d’Épargne

OPTS : Office des Postes et des Télécommunications du Sénégal OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PAS: Programme des Ajustements Structurels

PALM T : Plan de Redressement Économique et Financier à Long et Moyen Terme PAMSCAD: Programme of Action to Mitigate the Social Coast of Adjustment PCS : Pouvoir Central Sénégalais

PDS : Parti Démocratique du Sénégal

PDS/R : Parti Démocratique du Sénégal/Rénovation PIT : Parti pour l’Indépendance et le Travail

PMA : Pays les Moins Avancés

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement PREF : Plan de Redressement Économique et Financier

PS : Parti Socialiste

UEMOA : Union Économique Monétaire Ouest Africaine

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UNTS : Union Nationale des Travailleurs du Sénégal UPS : Union Progressiste Sénégalaise

URD : Union pour le Renouveau Démocratique URD/FAL : Union pour le Renouveau Démocratique URSS : Union des Républiques Soviétiques Socialistes RDC : République Démocratique du Congo

SENELEC : Société Nationale d’Électricité SICAP : Société Immobilière du Cap Vert SNR : Société Nationale de Recouvrement

SONAR : Société Nationale d’Assistance au monde Rural SONES : Société Nationale des Eaux du Sénégal

SO : Service Officiel

SONATEL : Société Nationale des Télécommunications TEC : Tarif Extérieur Commun

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Dédicace

Je dédie ce travail à mes défunts parents qui m’ont inculqué le goût des études et de la réflexion. À ma mère Khady Sow pour son soutien et son support affectif constant, et qui m’a aidé à faire face à la vie avec la plus grande confiance. À mon père Sogui Konaté qui n’a jamais cessé de me dire, par le rappel mais aussi par l’encadrement, l’importance du sérieux dans les études, et par extension dans le travail.

Je dédie aussi ce travail à mes enfants pour leur soutien désintéressé et sans faille dans un contexte où rien n’était évident. Leur soutien a été une source inestimable de motivation.

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Remerciements

AL HAM DOU LILAH. Merci DIEU. Pour sa grâce, sa volonté et son support sans lesquels ce travail n’aurait jamais vu le jour.

À tout seigneur, tout honneur pour parler du professeur Gilles Gagné, un esprit brillant certes, mais aussi un humaniste attentif. Une mise en contexte me paraît nécessaire pour illustrer mes propos.

Expulsé du département de science politique alors que j’étais dans le programme de doctorat pour des raisons qui n’ont jamais été porté à ma connaissance, le professeur Gilles Gagné, par empathie, avait accepté de m’épauler d’abord et de m’encadrer ensuite. Il m’a redonné le moral dans un moment où j’ai été sérieusement déstabilisé par cette expulsion que je n’ai jamais compris, et jusqu’à présent. Admis sans condition au programme de doctorat en sociologie, le professeur Gilles Gagné avait pris la responsabilité de m’encadrer pour poursuivre le travail entamé au département de science politique.

En hiver 2004, lors de mon examen de synthèse, le professeur Gilles Gagné est intervenu en ma faveur. Que l’on me permette de ne pas rentrer dans les détails, tout en précisant par souci de clarté que le second congrès de Berlin, convoqué par Bismarck, a été le moment où l’Afrique a été partagée comme un gâteau entre les puissances coloniales. C’est l’histoire, du moins celle qui nous été enseignée au Sénégal.

Revenu aux études après une absence de huit (8) années, plus précisément en 2013, le professeur Gilles Gagné avait accepté de continuer à poursuivre son engagement initial. Il ne m’a posé aucune question. Il ne m’a fait aucun reproche alors qu’il était dans ce droit en vertu de son implication dans mon cheminement académique. Dans nos correspondances téléphoniques et électroniques, il avait fait montre, comme par le passé, d’un support qui était encourageant à tous les niveaux.

Pour ce qui est de l’encadrement, il s’est assuré par une contre interrogation constante et espacée du bien fondé de ma pensée et de ma démarche. Attentif au moindre détail dans ses lectures, soucieux de la clarté et de l’argumentation, rigoureux et professionnel, Le professeur Gilles Gagné a rendu possible une préoccupation, mais aussi une vision. Pour cet encadrement sans lequel ce travail n’aurait jamais vu le jour, je lui dis MERCI.

Que la professeure Marie Brossier du département de science politique soit profondément remerciée pour ses commentaires non seulement pertinents, mais aussi et surtout extrêmement constructifs. Qu’elle excuse notre oubli de la citer après la soutenance, oubli qui ne fait que confirmer cet adage en wolof qui dit que ; Kou lime dioum = la personne qui cite des noms pour remercier se trompe. Elle pourra certainement vérifier cette assertion compte tenu de la place qu’elle accorde au Sénégal dans ses champs de recherche.

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Que le professeur Joseph Yvon Thériault soit également et vivement remercié pour son implication. Il n’a jamais cessé de se montrer disponible. J’ai été son étudiant, il a été mon directeur de thèse pour la maîtrise. Le professeur Thériault n’a jamais cessé par ses commentaires constructifs, alors que cette étude était à son stade embryonnaire, de me demander de faire preuve de discernement et de rigueur. Un esprit brillant, devenu par le sérieux de son travail, un incontournable dans ses champs de recherche.

Que le professeur André. C Drainville soit également remercié pour son implication, son support et surtout pour ses pertinentes remarques. Un esprit brillant, mais aussi un humaniste attentif.

Que les professeurs Réjean Pelletier du département de science politique et Nicole Bousquet du département de sociologie, anciennement membres du jury, soient également remerciés pour leur implication et contribution.

Que le professeur Richard Marcoux, en tant que directeur du programme de doctorat, soit aussi remercié pour m’avoir facilité un retour sans grande difficulté. Que l’homme soit également remercié pour sa modestie, sa disponibilité, son sens de l’écoute et ses conseils. Que monsieur Harold Germain, directeur exécutif de la Faculté des sciences sociales, soit profondément remercié pour son écoute, son support, son empathie, sa générosité et son sens élevé du respect de l’humain.

Que monsieur Fernand Gervais, en tant que vice doyen de la FESP (Faculté des Études Supérieures et Post doctorales) soit aussi remercié pour son implication et ses conseils. Que madame Sarah-Côté Delisle et madame Manon Deschêsnes soient également remerciées pour leur support dans un contexte où Ŕ je rappelle Ŕ rien n’était évident.

Que monsieur Jean Philippe De Melo, employé à l’université d’Ottawa, soit profondément remercié pour le soutien technique.

Que madame Marie-Joe Nemnom, employée à l’université d’Ottawa, soit également et profondément remerciée pour le soutien technique.

Je remercie enfin toutes les personnes, de près ou de loin qui m’ont apporté leur support ou leur réconfort, dans le cadre de ce travail.

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Avant-propos

La démocratie et l’idéal de liberté qui la supporte, me semble être une valeur incontournable.

Liberté pour l’individu, mais aussi liberté pour la communauté des individus, c’est-à-dire la société.

C’est d’ailleurs l’intérêt pour cette « promesse » qui m’avait amené dans le cadre de mes études de maîtrise, à travailler ou plutôt à réfléchir sur son exercice dans un cadre de gestion néolibérale.

En raison de la prépondérance du marché et de son extension, qui est allé jusqu’à affecter le cadre national, certains auteurs comme David Held par exemple, ont proposé son dépassement pour la mise sur pied d’un cadre supranational. Mais, ce cadre, et telle fut ma pensée en m’appuyant sur des auteurs comme Thibault et Thériault, déconnecté ou en déphasage avec les réalités nationales, serait un recul pour la démocratie entendue comme cadre de liberté. Et sur cette base, j’ai quant à moi rappelé que le cadre adéquat voire approprié (historiquement parlant) était et reste l’État nation.

Toujours intéressé par la démocratie et convaincu qu’elle a joué un grand rôle dans le développement des nations développées, j’ai jugé utile de réfléchir sur ce qui se passe au Sénégal : mon pays de naissance. Un pays pauvre, mais qui a la chance de ne pas être confronté à des problèmes ethniques : ce mal, disons ce cancer pour l’Afrique.

J’ai donc jugé utile de réfléchir sur sa supposée démocratie. Les politiques d’ajustement structurel se sont présentées à moi comme une opportunité, une occasion, je dirais même un prétexte pour entamer cette réflexion. En termes plus clair : j’ai fait une analyse des ajustements pour réfléchir à la supposée ou prétendue démocratie qui existe au Sénégal. Je parle de supposée démocratie pour la seule et simple raison que ce qui s’est passé de 1980 à 2000 me paraissait fort différent de ce que j’avais vu dans ce Canada ou je vis depuis 1993, et qui est une grande démocratie.

Au Canada, j’ai vu la vigilance des parlementaires pour l’intérêt national tant au fédéral qu’au provincial. J’ai vu aussi l’acharnement de l’opposition parlementaire dont ses membres, bénéficiant des mêmes avantages et faveurs que ceux de la majorité, faire leur travail avec comme seul viatique : servir loyalement le citoyen et la société et agir en fonction de l’intérêt suprême de leur communauté. Je n’idéalise pas. Je raconte des faits. Bref, je privilégie l’empirie dans mon appréciation.

J’ai remarqué également que la presse jouait un rôle important pour la manifestation de la vérité, non suffisante peut être, pour accompagner l’individu en particulier et la société en général, dans leur quête constante d’un plus de liberté et de transparence. La liberté de ton des journalistes et leur aisance vis-à-vis de leur interlocuteur, fut-il le premier ministre, sont des indicateurs de cette liberté de presse. J’ai aussi remarqué que le devoir de vigilance somnole dans chaque individu, attentif au moindre dérapage de tout un chacun, y compris

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celui des plus hautes autorités. C’était pour moi une belle attitude et un bel exemple de solidarité dans ces sociétés jugées pourtant individualistes, mais où l’individu offre sa collaboration spontanée qui en définitive, n’est que le fruit d’un construit civique, pour la sauvegarde de l’intérêt général ou du bien commun public.

L’indépendance des juges est aussi une réalité pour ne citer que ces faits qui sont loin d’être exhaustifs.

Prétexte ou opportunité ne pouvait donc être plus approprié que le PAS (Programme des Ajustements Structurels) pour réfléchir sur la marche de la démocratie au Sénégal, en ce sens que des politiques s’y sont déroulées, et sur une longue période, en ignorant totalement l’avis des populations. Dit autrement, les autorités gouvernementales se sont passées de leur consentement. Mieux, se passer de l’avis des populations était devenue une habitude et à la limite même une tendance chez les autorités, et cette tendance pose problème au regard de la démocratie et de son processus. Curieusement, c’est durant cette période que le Sénégal a été présenté comme un pays phare, voire de référence pour la qualité de sa démocratie jugée et réputée exceptionnelle et exemplaire. Cette appréciation pose des problèmes, que la présente étude a tenté de faire ressortir.

Notre recours à la rencontre de la Baule n’est pas gratuit, mais se veut plutôt un repère pour mettre en exergue cette invitation du président Mitterrand à ses homologues africains, pour leur demander, dans un langage de raison, de démocratiser leur espace public. Nous partageons la pensée du Président Mitterrand lorsqu’il affirme que « la démocratie mène au développement ».

Sur la base de mon vécu au Canada et vu le contraste entre ce qui se passe ici et qui est complétement différent de ce qui s’est passé et qui se passe encore au Sénégal, j’ai entamé une remise en cause de cette « démocratie », la nôtre, et j’en suis arrivé à la conclusion que la démocratie entendue comme cadre de liberté n’a jamais existé au Sénégal. Ce qui a existé et qui existe toujours, est ce que nous avons appelé dans cette thèse une démocratie institutionnelle; un régime qui malheureusement continue à faire son chemin, à moins que des correctifs soient apportés.

Cela précisé, il y a des convictions, voire des certitudes que le texte qui suit a essayé de faire ressortir. Ces convictions sont au nombre de trois`

1. Nous ne croyons pas que la démocratie, comme cadre de liberté, soit l’apanage des pays riches ou développés. Elle est à la portée des pays pauvres.

2. Nous ne croyons pas non plus que le marché soit une entrave à la bonne marche de la démocratie. Il n’est pas son ennemi. Ce sont plutôt ses excès, sa démesure dans la recherche du profit, encouragés et soutenus par des non démocrates, qui posent problème. Si le marché était une entrave à la démocratie, celle-ci n’aurait jamais existé dans les pays capitalistes, et c’est pourtant dans ces lieux, et en dépit de ses insuffisances et imperfections que la démocratie continue à faire son chemin avec comme arme : l’interrogation voire le questionnement pour une éventuelle remise en cause du fait, du construit, bref de l’acte humain.

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3. Le mal ou bien l’ennemi pour les démocraties émergentes ou en voie de construction en Afrique, n’est ni le FMI et encore moins la Banque mondiale. La conditionnalité, au-delà de ses excès, est une composante avec laquelle il faudrait composer et à tous les niveaux. En plus, cette conditionnalité est intrinsèque au monde de la finance. Elle en est à la fois l’essence et la substance. Le mal sénégalais en particulier et africain en général, est dans les politiques, dépourvues de deux éléments qui restent, et quel que soit le secteur d’activité, les garants de la voie du développement : la concrétisation des mécanismes de contrôle, précédée par le devoir de vigilance qui doit être présent chez chaque individu, et impérativement chez les parlementaires, et la transparence dans la gestion de la chose publique.

Ces précisions Ŕ nous pensons Ŕ pourraient être d’une certaine utilité pour comprendre ou mieux comprendre notre travail avec ses insuffisances, mais aussi avec ses limites.

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INTRODUCTION

La mondialisation de l’économie et des marchés a entraîné une victoire quasi exclusive de l’idéologie libérale, caractérisée par une libre circulation Ŕ nous dit-on Ŕ des biens, des personnes, des services et des capitaux. Cette mondialisation, grande consécration de l’économie marchande, a engendré des rapports nouveaux entre l’État et les citoyens d’une part, et entre les entreprises (publiques ou privées) et les autorités gouvernementales d’autre part. Elle a aussi favorisé au plan politique, non seulement la victoire de la démocratie, mais également et surtout la généralisation puis l’extension de l’idée démocratique. On ressent ses effets autant dans les pays du Nord que du Sud. On les ressent même en Afrique, et ce, en dépit de la pauvreté qui la caractérise. Il y a là une réalité certes, et en même temps, une dynamique qui heurte et fait bouger les politiques les plus protectionnistes comme en attestent ces propos :

À l’orée de la décennie de 1980, les multinationales les plus capitalisées et les mieux positionnées se métamorphosent en compagnies transnationales (CNT) ou Transnational corporations (TNC) comme on les appelle dans leur pays de prédilection, les États-Unis. Une appellation qui signale que ces méga-entreprises se situent au-delà des États-Unis ou au-dessus, avec des moyens financiers et technologiques qui défient les frontières et transcendent les pouvoirs étatiques. Les fusions, les acquisitions et les alliances se multipliant, la concentration de la richesse au sommet atteint un degré tel que, pour la première fois dans l’histoire, le pouvoir économique réussit à s’affranchir du cadre juridique national et du pouvoir politique, lequel s’excuse tout platement de son impuissance1.

Aucun État n’est donc à l’abri, pour ainsi dire que ni les États-Unis (en raison de sa puissance politique et économique) et encore moins le Laos (en raison de son extrême pauvreté), ne sont épargnés par ses effets au plan politique, économique et social. Pour ce qui est du rapport entre l’État et le citoyen, on assiste de plus en plus à un retrait de l’État par rapport aux aspirations légitimes de l’individu en matière de droit du travail et en matière d’éducation par exemple. En effet, si dans des pays comme la France par exemple, l’éducation est gratuite, donc accessible à tous, il en est autrement au Canada et aux

1 Gélinas, Jacques B, La globalisation du monde : laisser faire ou faire ? Montréal : Éditions Écosociété,

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Unis ou la gratuité est quasiment inexistante pour les études universitaires. Pour ce qui est du droit au travail, il ne signifie plus pour les gouvernements de garantir du travail aux individus, mais plutôt de créer les conditions pour rendre possible et viable un tel droit. Alors que dans les pays riches, ce droit s’essouffle ou est en perte de vitesse présentement, il est malheureusement sérieusement compromis dans les pays pauvres, où d’ailleurs son effectivité n’a jamais été réelle, non pas seulement par manque de volonté politique, mais surtout par manque de moyens financiers. Nous voulons parler de cette Afrique qui accuse un retard énorme par rapport aux pays du Nord.

Au nom de ces rapports nouveaux, il n’est plus maintenant de la responsabilité de l’État de procurer du travail à l’individu, et encore moins de lui garantir une éducation. L’individu est renvoyé à lui-même avec l’obligation de reconnaître l’autorité de l’État qui, malgré tout, reste intacte et entière. Dit autrement, dans ses rapports avec le citoyen, l’État lui demande et exige qu’il le reconnaisse comme instance attitrée pour parler et agir en son nom, tout en se disqualifiant pour lui apporter par exemple cette nécessaire protection contre les licenciements abusifs du patronat. La passivité du citoyen est aussi demandée face aux décisions visant à apporter les correctifs nécessaires pour redonner une certaine vitalité à l’économie nationale, qui ultimement devrait être à son service.

C’est d’ailleurs au nom de cette logique qu’il faut comprendre le sacrifice demandé aux citoyens grecs par un gouvernement contraint d’appliquer des politiques, qui même si elles ont été avalisées formellement par le parlement, n’ont pas obtenu l’assentiment du corps social légitime. Ce fait rappelle à bien des égards les politiques du programme des ajustements structurels du gouvernement du Sénégal au début des années 80. C’est aussi au nom de la mise sur pied d’impératifs économiques qu’il faudrait comprendre les mesures d’austérité qui avaient accompagné ce programme et qui étaient demandées par des instances internationales, en l’occurrence le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque mondiale.

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Ce retrait de l’État est aussi perceptible dans ses rapports avec les entreprises publiques et privées. Ainsi, loin de bénéficier de certains avantages leur permettant d’avoir une gestion axée sur le social et sur le long terme, il leur est désormais demandé de faire preuve d’innovation et de rentabilité. La quête du profit devient ainsi la valeur prépondérante avec comme victimes l’individu et la communauté qui, faut-il le rappeler, sont pourtant à la base de la création de l’État. Abandonnés d’abord par un gouvernement censé leur porter aide et assistance, ils deviennent ensuite et sont d’ailleurs devenus les victimes d’un système de gestion soucieux de faire uniquement du profit.

Recevant des gouvernants (gouvernement et parlement) les législations appropriées pour rechercher et faire ce profit, le secteur privé par exemple va mettre sur pied des politiques à caractère contractuel pour atteindre son objectif et pour répercuter les contraintes en amont. Ce retrait de l’État est également perceptible dans les pertes d’emploi, une tendance qui non seulement n’épargne aucun secteur, mais est souvent justifiée par la quête du profit. La sécurité d’emploi, jadis un acquis, est de nos jours perdue. Il ne serait donc pas faux de soutenir que la mondialisation a engendré le ponce pilatisme de bien des dirigeants. Et Rosavalon de soutenir :

Et pourtant, le développement de l’État providence était presque parvenu à vaincre la vielle insécurité sociale et à éliminer la peur du lendemain. A l’issue des « trente glorieuses », vers la fin des années 1970, l’utopie d’une société libérée du besoin et d’un individu protégé des principaux risques de l’existence paraissait à portée de main. Depuis le début des années 1980, la croissance du chômage et l’apparition de nouvelles formes de pauvreté ont au contraire semblé nous ramener loin en arrière2.

C’est d’ailleurs au nom de ces politiques que certaines entreprises choisissent par exemple la délocalisation de leur main d’œuvre, de manière à profiter de celle à bon marché et non syndiquée. C’est aussi au nom de ces politiques que le secteur bancaire fait d’énormes profits, récemment dénoncé par le mouvement dit des indignés. C’est enfin, au nom de ces politiques que le monde de la finance dicte ses règles et impose sa loi à la fois aux

2 Rosavalon, Pierre, La nouvelle question sociale : Repenser l’État-providence, Paris : Éditions du Seuil :

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gouvernements et aux individus, et cela dans un contexte mondial ou la démocratie tient valeur de référence. Jadis, protecteur des couches sociales les plus défavorisées, l’État est devenu avec la mondialisation de l’économie et des marchés un État soi-disant neutre, mais en réalité au service des intérêts privés, c’est-à-dire, de certaines oligarchies financières dont la seule et unique préoccupation est la recherche du profit. Il y a lieu de convenir que cette réalité est inquiétante.

Cette réalité inquiétante suscite des interrogations quant au rôle de l’État, mais aussi de la démocratie qui reste et se veut avant tout un cadre de liberté. Ces interrogations ont présentement toute leur pertinence en raison surtout du contexte actuel de la gestion de l’État où, les agences de notation, au nom d’une logique de marché, dictent aux gouvernements européens par exemple, une ligne de conduite en rupture totale avec les aspirations réelles des populations. En disant oui au marché et en lui accordant la prépondérance dans la gestion de la chose publique, il ne serait pas illogique de soutenir que les gouvernements ont cessé d’être les mandataires de ceux et celles dont ils tirent pourtant leur légitimité. Il est aussi important de mettre une telle attitude en relation avec les logiques de base de la démocratie que sont la consultation et la prise de décision via le vote, et d’examiner leurs conséquences sur le fonctionnement de la démocratie.

Cette victoire de l’économie de marché est présentée par ses tenants qui ne sont pas seulement des monétaristes, mais aussi des hommes d’État, des universitaires et des entrepreneurs, comme étant une réalité incontournable, le résultat d’une prépondérance de l’économique sur le social dont il est permis de se demander si elle ne serait pas plutôt le résultat d’une suprématie orchestrée du capital sur la démocratie. L’individu et la communauté, malgré leurs agissements pour dénoncer cette dynamique sourde et insensible à leurs légitimes aspirations et doléances, sont contraints de s’ajuster, du moins pour le moment. Cette réalité, dont la dynamique semble commander l’action politique de bon nombre de chefs d’État et de gouvernements, bénéficie toutefois d’un soutien implicite des hommes politiques comme en attestent ces propos :

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Alliés objectifs de l’oligarchie globale, nos politiciens sont loin d’être les victimes innocentes de la globalisation. Ils s’en font au contraire les serviteurs empressés, se livrant volontairement aux forces même qu’ils ont le devoir de contester. Et cela survient non seulement dans les dictatures du tiers-monde, mais ici même, dans nos vielles et respectables démocraties d’Europe et d’Amérique. En effet, ce sont les gouvernants eux-mêmes qui organisent leur propre capitulation. Traité après traité, loi après loi, les gouvernements et les parlements éliminent les obstacles qui gênent la concentration de la richesse et du pouvoir dans les mains des maîtres du monde3.

« Après la décision irresponsable du gouvernement allemand de fixer à 1% le taux de change entre mark occidental et mark oriental afin de favoriser la réunification Ŕ soutient dans le même sens Manuel Castels Ŕ la Bundesbank, pour garder le contrôle de l’inflation en Allemagne, a relevé les taux d’intérêt et imposé la déflation à toute l’Europe, indépendamment du comportement de chaque économie nationale »4. Face à cette impuissance de ceux et celles qui sont aux commandes de l’État, il y a lieu de reconnaître que cela n’est pas sans conséquence sur le rôle de l’État, mais aussi sur le fonctionnement de la démocratie. Le Sénégal n’a pas fait exception à cette réalité avec l’acceptation du programme des ajustements structurels dont il fut l’objet.

A. DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

Ce programme qui a commencé en 1979, s’était déroulé sur quatre périodes. D’abord, il y a eu le plan de stabilisation à court terme d’une année, c’est-à-dire de 1979 à 1980. Il y a eu ensuite le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) qui s’était échelonné sur une période de cinq années, soit de 1980 à 1985. Il y a eu ensuite le PALM (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) d’une durée de sept années, soit de 1985 à 1992. Et il y a eu enfin, suite au rapport Berg5, le Plan d’urgence de

3 Gélinas, Jacques B, La globalisation du monde : laisser faire ou faire ? Montréal : Éditions Écosociété, 2000,

p 133

4 Castels, Manuel, L’État impuissant dans Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information, Paris, Fayard,

1999, p 298

5 Ce rapport avait souligné des manquements dans l’application des réformes préconisées par les bailleurs de

fond, en l’occurrence, le FMI et la Banque Mondiale. En termes plus clairs, le gouvernement selon le rapport Berg, avait manqué de volonté voire de rigueur Ŕ nous disons courage Ŕ pour mettre en pratique les mesures demandées, lesquelles allaient se concrétiser dans le plan d’urgence de 1993. En parlant de courage, nous tenons à donner du crédit aux tenants de la thèse qu’il y avait une résistance par le haut, et elle désignait celle des autorités gouvernementales qui étaient aussi des acteurs politiques locaux, préoccupés certainement de

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1993 avec une série de mesures qui n’allaient épargner personne. « Durant le deuxième semestre de 1993, après une période de rapports devenus difficiles avec la Banque mondiale, le pouvoir central sénégalais (PCS) a été obligé d’affronter les syndicats et les partis politiques, en prenant des mesures destinées à corriger les déséquilibres macro-économiques »6. Et Makhtar Diouf faisant l’historique du programme des ajustements structurels de faire remarquer :

En février 1980, le ministre des finances en place avait porté un jugement peu flatteur sur la gestion de son prédécesseur : « De 1973 à 1977, l’évolution des

finances publiques a été marquée par de graves erreurs de gestion au niveau de l’État et des services parapublics ». C’est dans ces conditions que démarre

dans le pays la politique d’ajustement structurel. Les premières mesures de redressement sont prises en 1979, avec un Plan de stabilisation à court terme d’un an; il sera suivi par un Plan de redressement économique et financier (1980/85) et un Plan d’ajustement à moyen et long terme (1986/92). La période 1981/91, couverte par cette étude, est ainsi celle de l’application des premiers programmes d’ajustement structurel au Sénégal. Elle correspond à dix années d’exercice du pouvoir par Abdou Diouf, qui, rappelons-le, a été aussi au cours des dix années précédentes le Premier ministre, responsable de la politique économique... Au tout début des années 80, on ne parle que d’ajustement

conjoncturel avec les interventions à court terme du FMI. C’est l’entrée en

scène de la Banque mondiale, agence de développement sur le moyen et le long terme, qui a rendu l’ajustement structurel. Dans l’ensemble, l’objectif déclaré est, comme dans toute politique économique conjoncturelle, le rétablissement des grands équilibres : stabilité des prix, équilibre des finances publiques et de la balance des paiements, croissance économique, plein emploi7

C’est donc sur la base de l’atteinte des objectifs mentionnés par l’auteur que le programme des ajustements structurels aurait vu le jour avec comme objectif de résultat de corriger le déficit d’abord, et de donner à l’économie affaiblie un certain regain d’énergie ensuite. Sous l’égide du FMI (Fonds Monétaire International) et de la Banque mondiale, il sera demandé aux autorités gouvernementales de libéraliser le secteur économique, mais

maintenir leur base politique : gage de leur légitimité d’action. Cette résistance par le haut est éloquemment révélatrice du caractère contraignant des politiques demandées et préconisées par les institutions créditrices (FMI et Banque Mondiale).

6 Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de l’État

au Sénégal, Paris : Éditions Karthala, 2002, p 67

7 Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : la démocratie à

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également de mettre fin à toute politique sociale. Autrement dit, l’État devait cesser d’intervenir dans l’économie et dans le domaine social, le marché demeurant, selon ses tenants, la seule alternative pour corriger le déficit public et donner à l’économie paralysée sa pleine croissance. Une suppression considérable des programmes et de politiques à caractère social, soutenue et renforcée par des politiques qui avaient pour nom : Réduction des dépenses publiques Ŕ Assainissement de la fonction publique Ŕ Privatisation du secteur public en étaient les grandes lignes.

Les populations (urbaines et rurales) en général et les travailleurs ou salariés en particulier, déjà affligés par des politiques comme celles de la Nouvelle Politique du secteur para

public, la Nouvelle Politique Agricole et la Nouvelle Politique Économique, allaient voir

leurs conditions sociales et économiques se détériorer davantage avec le plan d’urgence. Il ne serait donc pas faux de soutenir que la rupture entre l’État, entendu comme gouvernement, et les populations, entendues comme social, amorcée voire entamée concrètement en 1985, allait s’accentuer avec les mesures qui avaient accompagné le Plan

d’urgence. En effet, les conséquences de ces mesures sur les populations rurales et

urbaines (baisse du pouvoir d’achat Ŕ augmentation du chômage et de la pauvreté) et les salariés (baisse du salaire par exemple) avaient suscité auprès des concernés ce sentiment légitime de contestation qui avait commencé en 1988, c’est à dire après les élections présidentielles de février.

À la cherté des prix des denrées de premières nécessités en raison de la fin de toute politique de subvention consécutive aux nouvelles politiques, devait s’ajouter une baisse considérable de leur pouvoir d’achat à cause de la Dévaluation du franc CFA intervenue en 1994. « La dévaluation du franc CFA avait provoqué un véritable retournement dans les relations entre la Banque mondiale et le Sénégal. En effet, dans le courant de la même année, le Gouvernement avait enclenché des réformes structurelles se traduisant, entre autres, par l’adoption d’un appareil législatif et réglementaire assez dense en vue

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d’accélérer la libéralisation de l’économie8 ». Cette rupture avait fait naître un nouveau type de rapport entre le gouvernement et les populations.

Dit autrement, au rapport d’assistance né de la tutelle coloniale et ayant également existé dans l’État postcolonial, s’était succédé un rapport de responsabilisation, justifié et conditionné par les nouvelles politiques du programme des ajustements structurels. A travers ce nouveau type de rapport, le gouvernement renvoyait la communauté d’abord, et l’individu ensuite à eux-mêmes, marquant ainsi la fin du contrat social tacite. L’État (le gouvernement), en raison de ses nouvelles priorités qui étaient essentiellement économiques, s’était donné un nouveau rôle qui Ŕ il est important de le mentionner Ŕ était au détriment des populations. Cette remise en cause du rôle social de l’État Ŕ il est important de le souligner Ŕ occasionnée et justifiée par une logique économique, n’a pas été sans conséquence pour la liberté d’action des autorités gouvernementales. Ce programme qui fut présenté par le gouvernement de l’époque comme incontournable, voire inévitable et dont la légitimation reposait sur la notion du désengagement de l’État, en réduisant la capacité d’intervention du gouvernement, avait amené le gouvernement à s’inscrire dans une dynamique qui était étrangère et éloignée de la démocratie. Et c’est pourtant dans le cadre de ce programme que l’on a parlé de l’exception sénégalaise, pour mettre en exergue sa « démocratie », qui était jugée exemplaire.

B. DE LA DÉMOCRATIE EN GÉNÉRAL ET DE SA DIFFICILE PERCÉE EN AFRIQUE

Cela précisé, il est important de mentionner que si la mondialisation de l’économie et des marchés a favorisé au plan économique, le triomphe de l’économie de marché, il y a lieu de constater qu’elle a aussi favorisé, et implicitement au plan politique, celle de la démocratie qui est devenue de nos jours, une exigence pour tous les États, et cela sans exception. Cette exigence est devenue plus visible en 1989 avec l’éclatement de l’ex URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) longtemps ancrée dans une logique totalitaire. Cette date confirme la démocratie à titre de référence universelle, entendue comme modèle de

88 Diop, Momar Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

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gestion du social, de l’économie mais aussi et surtout du politique. Depuis cette date également, et à l’échelle internationale, aucune forme de gestion du pouvoir autre que démocratique n’est acceptée dorénavant et encore moins tolérée : en somme, la fin des alternatives signe la fin des possibles.

Les récentes interventions des forces de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) en Lybie, légitimées par l’ONU (Organisation des Nations Unies), et celles françaises en Côte d’Ivoire démontrent, encore une fois, que la communauté internationale entend promouvoir la démocratie et par tous les moyens. Les soulèvements populaires dans les pays du Maghreb notamment en Tunisie d’abord, puis en Égypte ensuite et qui se sont soldés par la chute des chefs d’États Ben Ali et Hosni Moubarak, illustrent de façon fort éloquente, que les individus ont une soif de liberté que la répression armée ne pourrait étouffer. « Dans certains endroits Ŕ fait remarquer Todorov - le mouvement a été couronné de succès, dans d’autres il s’est heurté à une résistance acharnée, et l’issue du conflit y est encore incertaine. Mais, quel que soit le destin politique de tous ces pays, on peut déjà considérer comme établi que le modèle démocratique exerce aujourd’hui une grande attraction au-delà du monde occidental qui l’a vu naître9 ».

Toutefois, il est important de noter que même si la démocratie n’a pas complètement éradiqué la pratique totalitaire, il serait juste de reconnaître qu’elle l’a sérieusement ébranlé, voire fragilisé, compromettant ainsi à jamais sa survie. Il existe certes des poches de résistances, reposant ou s’appuyant sur une quelconque tradition sociale, religieuse et même dans l’art de gérer la cité, mais elles demeurent fragiles face à la démocratie qui postule par exemple l’égalité de tous les individus devant la loi. Elle fait naître l’espoir et donne à l’individu et à la société la réelle possibilité de s’interroger d’abord et de s’améliorer ensuite, et c’est à ce niveau qu’elle suscite et provoque chez ses adversaires les plus redoutables cette panique ou cette peur à l’endroit des manifestations ou des mouvements de contestation. Et Todorov de faire encore remarquer :

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Il est vrai que plusieurs pays dans le monde continuent de se réclamer de l’idéologie communiste, mais on ne les perçoit plus comme une menace, mais plutôt comme des anachronismes qui ne sauraient survivre longtemps. Le seul parmi eux qui représente une grande puissance, la Chine, ne correspond plus au « type idéal » du régime totalitaire selon l’auteur, et apparaît plutôt aux yeux des observateurs comme un hybride baroque de rhétorique communiste, d’administration centralisée répressive et d’économie de marché qui permet, voire favorise Ŕ chose inconcevable du temps du communisme soviétique ou maoïste - l’ouverture au monde extérieur et l’enrichissement des individus10.

En démocratie, le peuple est souverain et doit le rester. Tel est le credo de ce modèle qui entend être partout présent. Par ce mode de gestion, l’individu et la communauté restent et sont maîtres d’un projet qui en finalité, entend les servir. « Elle n’a plus d’ennemis déclarés » Ŕ pour parler comme Marcel Gauchet qui rappelle toutefois que « si son existence est à l’abri de la contestation, la façon dont ses acteurs la comprennent tend à dissoudre les bases sur lesquelles repose son fonctionnement »11 « Tout examen, même rapide de la situation de la démocratie dans les sociétés postindustrielles de type libéral Ŕ déplore André Vachet - ne peut que relever le caractère formel ou institutionnel de sa pratique, tandis que son contenu se limite surtout à des symboles ou concepts abstraits quand il n’est pas simplement réduit à un pur discours couvrant les entreprises d’un pouvoir en expansion12 ».

Ce constat Ŕ il est important de le mentionner - devient plus alarmant sur le continent africain ou la quasi-totalité des dirigeants, suspicieux par rapport à la démocratie et à ses exigences, ont toujours géré le pouvoir comme un patrimoine personnel et, cela malgré que le fait que la démocratie soit inscrite dans leur constitution. « Les pays eux-mêmes ne se sentent constitutionnellement à l’aise que s’ils affichent Ŕ faisait remarquer le Président Abdou Diouf - dans leurs dénominations, le qualificatif, comme pour se parer des paumes

10 Todorov, Tzvetan, Les ennemis intimes de la démocratie, Paris : Éditions Robert Laffont : 2012, p 11 11 Gauchet, Marcel, La démocratie d’une crise à l’autre. Nantes : Éditions Cécile Defaut : 2007, pp 11-12.

Nous sommes en accord total avec Marcel Gauchet en ce sens que ce sont précisément les bases sur lesquelles reposent le fonctionnement de la démocratie pour le paraphraser, qui expliquent et justifient entre autres notre étude, pour faire ressortir ce que Gilles Gagné considère comme « les conditions essentielles et non suffisantes » [Gagné : 2013] pour parler de démocratie.

12 Vachet, André, « L’État contre le politique : pour une pratique de la démocratie » dans La démocratie

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de la démocratie13. C’est d’ailleurs au nom de cette gestion patrimoniale que des successions se sont produites au Gabon, au Togo, et en République démocratique du Congo (ex Zaïre), ou les chefs d’États Joseph Kabila (RDC), Eyadema (Togo) et Omar Bongo (Gabon) ont été remplacés par leurs fils après leur décès. Une telle gestion est d’ailleurs toujours d’actualité, et cela en dépit des appels incessants de la communauté internationale pour une gouvernance démocratique.

Dit autrement, outre la personnalisation de l’exercice du pouvoir, s’y ajoute une gestion patrimoniale et partisane du pouvoir, qui sont perceptibles dans la gestion de beaucoup de pays de la sous-région. « Les pays africains ont certes accompli des progrès significatifs sur la voie de la démocratisation, mais les résistances rencontrées démontrent que les perspectives prometteuses que l’ouverture démocratique au début des années 1990 avait laissé entrevoir semblent être dans une impasse préoccupante14. Le recours à la force par exemple, via la résolution 1975 de l’ONU pour faire partir Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire) après son refus de reconnaître la victoire de son adversaire lors du second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010, témoigne du peu de considérations qu’une certaine élite africaine se fait de la démocratie et de son processus.

Au Niger également, la tentative de l’ancien président de la République Tandjan de briguer un troisième mandat, et cela malgré l’interdiction de la constitution, tout comme la gestion patrimoniale et monarchique de l’ancien chef de l’État Abdoulaye Wade (Sénégal) avec cette ambition (heureusement dénoncée et combattue) de vouloir se faire succéder par son fils, ministre d’État, avec des pouvoirs exorbitants, sont révélateurs de la grande difficulté que rencontre la démocratie pour s’y établir. « Le décret délimitant son champ de compétences et ses attributions donne une idée de l’immensité des pouvoirs du fils du chef de l’État. C’est son statut de président du Conseil de surveillance de l’Anoci (Agence

13 Diouf, Abdou, Colloque sur « Le bilan et les perspectives de la démocratie dans les États du Tiers monde »

dans Propos choisis : Tome 6. Abdou Diouf et la démocratie, Dakar, 1984, p 4

14 Gueye, Babacar, « La démocratie en Afrique : succès et résistances » dans Pouvoirs; no 129 : La

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nationale pour l’organisation de la conférence islamique), ou plutôt son statut incontestable de patron de l’agence créée sur mesure pour lui, qui lui a mis le pied à l’étrier »15 .

Une autre difficulté qui freine l’avènement de la démocratie sur le continent africain, est la gestion du pouvoir par des militaires (Burkina Faso, RDC) par exemple, qui non seulement sont réfractaires au changement, mais arrivent au pouvoir par la voie du coup d’État avec tout ce que cela comporte de préjudiciable pour l’économie et les populations. Pour faire bref, c’est dans ces maux, et aussi dans cette absence de vertu politique dont parle Montesquieu, « ce renoncement à soi-même qui est toujours une chose très pénible »16 que se trouvent entre autres le mal de l’Afrique en générale et de l’Afrique noire en particulier. Profondément aux antipodes du mode de gestion totalitaire où la liberté17 de choisir ses dirigeants est quasiment inexistante ou simplement formelle si elle existe, celle-ci est par contre fortement valorisée en démocratie. Cette liberté, entendue comme la possibilité de choisir ses dirigeants, mais aussi de se prononcer sur les choix offerts, en constitue l’essence voire la substance.

La démocratie est une construction sociale, une manière d’organiser les rapports collectifs, économiques, politiques, sociaux, en permettant à chacun d’y prendre part. Elle est donc un processus social, constamment en construction, non seulement à cause de l’institutionnalisation nécessaire à sa reproduction dans le temps, mais aussi et surtout, parce que les réalités sociales changent sans arrêt et qu’il faut réorganiser, légiférer, réorienter les mécanismes garantissant la démocratie elle-même18.

15 Coulibaly, Abdou Latif, Contes et mécomptes de l’ANOCI, Paris, Éditions L’Harmattan : 2009, p 23. 16 Montesquieu, Charles Louis de Seconda, De l’esprit des lois. 1. Paris, Éditions Gallimard, 1995, p 137 17Notes de cours de Droit Constitutionnel (1990)/Université de Dakar. L’article 6 de la constitution de 1977

de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) permettait l’existence des libertés, mais dans le sens des lignes édictées par le parti (seule référence nous ajoutons). Nous opposons à cette liberté conditionnée, celle canalisée qui est le propre des sociétés démocratiques occidentales. Cette liberté n’est pas exempte de contrainte, mais cette contrainte est voulue par l’individu et sa communauté, parce que essentielle à son effectivité.

18 Centre Tricontinental, Éditorial : « Marché et démocratie sont-ils compatibles ? » dans Démocratie et

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Elle est selon Claude Lefort et nous en convenons, « le lieu où la parole est donnée et non confisquée »19. Elle est donc un cadre de liberté. La liberté est l’une de ses valeurs fondamentales, elle lui est d’ailleurs intrinsèque. La liberté n’est possible qu’en démocratie et, il y a aussi de liberté qu’en démocratie. « La liberté est la condition d’existence du pouvoir démocratique, et seul un pouvoir auquel des citoyens ont consenti est démocratique »20. La démocratie permet la liberté de pensée, mais aussi d’action et est ainsi recherchée par tous les individus qui cherchent à améliorer leur sort. Elle fascine et séduit également par ce qu’elle offre ou peut offrir via cette liberté qu’elle refuse par principe, de limiter, d’encadrer ou de restreindre. Elle permet aussi la contestation, en permettant à l’individu ou à la communauté des individus, d’exprimer un point de vue autre et est virtuellement complice du désordre qui pourrait en résulter.

Elle est ainsi recherchée activement par le citoyen du Nord tout comme celui du Sud. Elle est même convoitée par les sujets pour parler de ces lieux où l’individu est muselé dans un silence assourdissant parce que privé d’opinion comme par exemple dans certaines monarchies du Maghreb. Elle permet l’interrogation et refuse par principe d’en dispenser la tradition et ses acquis, donnant ainsi du sens et du crédit à sa volonté d’être au service exclusif de l’individu et de sa communauté. La démocratie offre et encourage le débat. Elle est pourrait-on dire un cadre pour débattre et, ne doit sa survie qu’au débat, mais contradictoire. Elle est contre le formalisme et dans toutes ses formes.

La démocratie n’est pas un simple énoncé formel, c’est une culture, une manière de vivre, qui doit être apprise, intériorisée et traduite quotidiennement dans les pratiques sociales. L’une des premières tâches des nouveaux États africains est donc d’éduquer, de socialiser les populations à la démocratie. Mais un écueil important doit être évité, et qui réside dans le fait de chercher à relativiser la démocratie. En fait, écrit Edem Kodjo « il n’existe pas une démocratie pour Blancs d’Occident, et une démocratie pour Nègres d’Afrique. La démocratie est comme le Bien, le Vrai, le Juste, l’un de ces « universaux » qu’il est dangereux de chercher à relativiser à tout prix. Partout, elle appelle une organisation spécifique, des institutions précises, des règles incontournables » (Kodjo, 1990). Elle suppose partout pluralisme organisé et

19 Lefort, Claude, Manuscrit

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d’opinions, séparation des pouvoirs, contrôle des élus par le peuple, libertés accordées à tous, transparence, etc. Dans les pays de l’Afrique noire moderne, cette culture démocratique est problématique, principalement à cause de ce « despotisme obscur » caractérisé par la propension des Africains à assimiler tout pouvoir à une volonté divine, à l’autoritarisme, et au népotisme21.

Exigée désormais par un contexte international qui n’est plus bipolaire, du moins qui ne se pense plus expressément comme tel, la démocratie est aussi devenue une exigence pour les pays ouest africains avec la conférence de la Baule de juin 1990. L’aide de la France à l’endroit de ses anciennes colonies était désormais assortie d’une condition, à savoir celle de voir les chefs d’État africains démocratiser leur espace politique, parce que garante de leur développement. C’est dans ce sens qu’il convient de comprendre les propos du président François Mitterrand, lors de cette rencontre qui s’était tenue dans le cadre de la France-Afrique. « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque que je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure, voilà le schéma dont nous disposons22 ».

C’est d’ailleurs au nom de l’atteinte de cette exigence qu’il faudrait comprendre la mise sur pied d’une charte africaine sur la démocratie et la gouvernance en janvier 2007 dans laquelle les États membres ont réaffirmé dans le préambule, « leur volonté d’œuvrer sans

relâche pour l’approfondissement et la consolidation de la démocratie, de l’État de droit, de la paix, de la sécurité et du développement 23» dans leur pays respectif. Toujours au niveau du préambule, les États membres se disant « préoccupés aussi par les changements

anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l’une des causes essentielles d’insécurité, d’instabilité de crise et même de violents affrontements », se sont dits « résolus à promouvoir et à renforcer la bonne gouvernance par l’institutionnalisation de la transparence, de l’obligation de rendre compte et de la démocratie participative ».

21 Assogba, Yao, L’Afrique au fil de la démocratisation, du développement et de la mondialisation, Paris :

L’Harmattan : 2012, p 32

22 Mitterrand, François, Allocution, Séance solennelle d’ouverture de la 16 ème conférence des chefs d’État

de France et d’Afrique, Baule, 1990

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Depuis les années 90, les droits et les libertés fondamentaux sont inscrits et garantis dans les différentes Constitutions de la plupart des pays africains. Il ne fait plus de doute, aujourd’hui, que le développement socio-économique ne peut intervenir en l’absence de conditions civiles et politiques, à même de forger la cohésion sociale, protéger les droits et la propriété privée, garantir la liberté individuelle, faire exécuter les contrats et assurer un gouvernement plus réceptif, transparent et tenu de rendre compte24.

Face à cet appel de l’ancien maître dont le « support affectif » à l’endroit de l’ancienne colonie est bien connu, Abdou Diouf et son gouvernement, soucieux d’être toujours appréciés au niveau international, mais également préoccupés par l’idée de ne pas déplaire à l’ancienne puissance coloniale, avaient ce devoir d’obligation de renforcer les gestes démocratiques posés depuis son ascension à la magistrature suprême, notamment dans la soirée du 31 décembre 1980 suite à la démission du Président Senghor. Ne pouvant donc pas se passer de cette aide, mais aussi du soutien de la France, et pour plusieurs raisons, les dirigeants ouest africains étaient donc obligés de poser des gestes concrets. Le Sénégal, à l’instar des autres pays ouest africains, était donc interpellé, et avait cette obligation de ne pas décevoir au regard surtout de l’image projetée par ses dirigeants au plan international comme en attestent les propos de l’auteur, alors ministre des affaires étrangères :

Sur la scène internationale, le Sénégal, malgré ses dimensions géographiques et son poids démographique et économique modestes, est un pays influent. C’est un État qui compte en Afrique et au sein des pays du tiers monde. Il a su trouver son originalité et ses marques dans le concert des nations grâce à une politique étrangère bâtie sur des principes qui forgent le respect. État de droit, attaché à la liberté des peuples et à la démocratie, partisan du dialogue pour le règlement des différends, le Sénégal a la diplomatie qui est celle d’un État crédible, qui inspire respect et considération dans le monde. Il a été observé que même pendant la confrontation « Est-Ouest », le Sénégal, quoique classé parmi les pays « modérés » était assez bien vu au sein du « bloc communiste ». Son appartenance à la famille des pays sous influence occidentale ne l’avait pas empêché d’entretenir des relations normales avec l’URRS, la chine populaire (rupture avec Formose en 1971) et les deux Corée25

24 PNUD, Rapport national sur le développement: Sénégal : Dakar : 2001

25 KA, Djibo Leïty Ka, Un petit berger au service de la République et de la démocratie, Dakar, Les Nouvelles

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C. DE LA DÉMOCRATIE AU SÉNÉGAL SELON LA REVUE DE LA LITTÉRATURE Mais, « le coup de semonce de la Baule ne visait certainement pas le Sénégal, et pour cause, ce pays faisait à tort ou à raison, figure d’exception »26. Dit autrement, le Sénégal pour sa part n’a pas attendu la Baule pour renforcer ou se familiariser avec le processus démocratique. « Le vote y a une histoire, et il est l’un des pays africains qui a la plus ancienne expérience du vote »27.

De 1848 aux années 1890, son électorat restreint et concentré dans les villes de Saint-Louis et de Gorée était appelé à élire son représentant à la chambre des députés français. Dès juin 1879, l’exercice du suffrage universel va se matérialiser aussi à travers le scrutin « départemental » (élections au conseil général) et local (élections municipales)… Après l’indépendance, la tradition séculaire du vote va être garantie par la constitution en son article 2…, et cette dernière est marquée par la volonté affirmée de consolider les acquis démocratiques mais aussi d’exercer un contrôle du jeu politique, particulièrement l’acte de voter qui signifie « être pour » ou « être avec »28.

Il est vrai que le vote est très important en démocratie, mais il perd tout son sens dans un contexte de domination ou l’avis de l’individu ou de la communauté même demandé, n’est que pure formalisme. Et tel fut le cas dans ce Sénégal où était citoyen celui que le colonisateur désignait comme tel. Le citoyen sénégalais n’a existé qu’avec l’indépendance, et c’est à partir de cette date (4 avril 1960) que le droit de vote doit être considéré comme acquis démocratique. « Le colonialisme, c’est le refus même de la démocratie aux colonisés, et aucune tradition démocratique n’a donc existé en ces temps. Tout au plus, à la veille des indépendances, on faisait allusion à quelques idées de libertés et d’égalité héritées du 18ème siècle ou des révolutions qui ont eu lieu 200 ans plus tôt en Europe ou en Amérique »29.

26 Diop, Alioune Badara, Le Sénégal, une démocratie du phénix ? Paris : Éditions Karthala : 2009, p 14 27 Ibidem, p 15

28 Ibidem, p 16

29 Assogba, Yao, L’Afrique au fil de la démocratisation, du développement et de la mondialisation, Paris :

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Selon Abdou Latif Coulibaly, la démocratie comme modèle de gestion a été une préoccupation constante des acteurs politiques et ce fait remonte au début des indépendances. C’est cette constance pour la mise sur pied d’une démocratie qui explique et justifie selon lui le fait assez singulier que le Sénégal n’a jamais connu de coup d’État militaire, et sa place prépondérante dans une Afrique où fait légion le règne par la force et l’instabilité politique.

« Le Sénégal a essayé, tant bien que mal, depuis presque l’indépendance du pays, à asseoir une démocratie et à entrer de plain-pied dans la modernité politique. Cette option que notre pays a faite dès le début des années 70 lui a permis de prendre une longueur d’avance sur les autres États du continent africain en la matière. Dans la période allant de l’année charnière 1974 à 2000, le Sénégal a réussi à construire une démocratie, citée en exemple en Afrique, car ayant favorisé une alternance politique, là où le seul moyen de changement de régime, demeurait presque dans l’absolu, la violence. Il a su éviter les aventures militaires, en favorisant l’avènement d’une transition cooptée bien avant que cela ne survienne ailleurs en Afrique »30.

Toutefois, si la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule constituent des facteurs à considérer dans ce processus de démocratisation en Afrique, ils ne sont que de simples détonateurs de ce processus selon le professeur Abdoulaye Bathily. Selon lui, le combat démocratique a d’abord eu pour cible le parti unique, qui après les indépendances des pays africains, était justifié par une préoccupation d’unité, voire d’unifier les sensibilités dans un contexte où la réalité ethnique pouvait être un obstacle à la mise en place d’une nation. Ce parti unique selon Bathily a plutôt favorisé l’émergence de dictateurs qui ont confisqué et étouffé la liberté d’expression. Ce combat démocratique se poursuit toujours selon Bathily avec comme cible le programme des ajustements structurels, qu’il pense comme étant un produit du néolibéralisme, tout en déplorant ses effets sur le social et l’économie.

En effet, la revendication démocratique telle qu’illustrée par le pluralisme politique et identitaire actuel, plonge ses racines dans l’échec du parti unique en tant qu’instrument de construction de l’État-nation qui avait été le projet politique des coalitions de libération anticoloniale. Presque partout, dans les

30 Coulibaly, Abdou Latif, Une démocratie prise en otage par ses élites : Essai politique sur la pratique de la

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