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II. LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

II.I PRIVATISER ET LIBÉRALISER L’ÉCONOMIE

La privatisation et la libéralisation du secteur économique constituaient les principaux objectifs qui étaient recherchés par les bailleurs de fonds (FMI & Banque mondiale). Pour les initiateurs du programme, des monétaristes entre autres, la privatisation et la libéralisation de l’économie étaient les options appropriées pour permettre à l’économie affaiblie de créer les bases de son succès. La libéralisation du secteur économique allait non seulement favoriser la venue de nouveaux acteurs, mais également elle était porteuse d’emploi en ce sens que les nouveaux investisseurs Ŕ dans la logique de ses tenants Ŕ étaient de potentiels créateurs d’emploi. Elle apparaissait donc au regard de cette logique, soutenue par l’expertise des créditeurs (FMI et Banque mondiale) comme une option qui faisait sens, mais aussi qui pouvait séduire les autorités politiques gouvernementales en ce sens que le non emploi était non seulement préjudiciable pour l’économie nationale en général, mais également pour les autorités politiques gouvernementales. La privatisation à l’instar de la libéralisation était également Ŕ dans la logique de ses tenants Ŕ porteuse et créatrice d’emploi, mais aussi et surtout d’efficacité. Ce choix du gouvernement apparaissait ainsi sous un certain angle comme celui de la classe politique dans son ensemble comme en attestent ses propos :

La libéralisation renforcée de l’économie a été facilitée par les mutations observées au sein de la classe politique dont la tendance à l’insensibilité aux questions sociales constituait l’une des données de structure. En effet, alors que durant les années 1970 les partis politiques, notamment ceux de l’opposition, proposaient une critique détaillée des politiques économiques du Gouvernement, pendant les années 1990, la baisse de la contestation par l’intelligentsia urbaine des choix économiques des institutions de Bretton Woods était devenue un élément de structure de la vie politique sénégalaise107.

107 Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

Dans un contexte de désengagement de l’État au nom des conditionnalités qui accompagnaient le programme des ajustements structurels, et en raison également du rejet du keynésianisme, la libéralisation et la privatisation qui sont des fondamentaux dans l’approche du laissez-faire, apparaissaient pour le FMI et la Banque mondiale, comme les voies de substitution appropriées pour corriger les maux de l’économie nationale tout en assurant dans le court terme son efficacité et son succès dans le long terme. Par le laissez-

faire au sens néolibéral du terme, le marché pourrait s’autoréguler et apporter, rien que par

la libre-concurrence, les réponses adéquates pour corriger tout dysfonctionnement qui en résulterait. Tel est le postulat sur lequel repose la doctrine du laissez-faire néolibéral, qui perçoit et voit en l’intervention de l’État non seulement un problème, mais la source même du problème.

Officiellement lancé en 1987, le programme de privatisation a connu un démarrage effectif à partir de 1988. La première vague (1988-91) a concerné des entreprises du secteur marchand de petites et moyennes envergures avec des enjeux modestes. Elle a permis au Trésor de faire rentrer dans ses caisses la somme de 13,7 milliards F.CFA, représentant seulement 4% des recettes de l’exercice budgétaire de 1990-91. La seconde vague a été plus ambitieuse et a inclus certaines entreprises du secteur non marchand. À travers ce nouveau programme, l’État a décidé de se désengager totalement ou partiellement du secteur marchand, de confier la gestion des entreprises dites « stratégiques » au secteur privé tout en conservant la propriété des actifs publics, et de plafonner sa prise de participation au capital des sociétés d’encadrement rural, d’habitat social et de prospection minière à 50%. Globalement, le programme de privatisation des entreprises non financières réalisé au cours des années 90 a permis de réduire le volume des entreprises du portefeuille de l’État de 25%. Au niveau du portefeuille des entreprises du secteur privé, l’État ne détient désormais qu’une participation minoritaire108.

Il n’est donc pas surprenant que la libéralisation et la privatisation aient été au centre des politiques des ajustements structurels. Leur mise en place comme support aux politiques économiques constituaient une réponse adéquate voire appropriée pour atteindre efficacement le premier objectif politique du dit programme à savoir le démantèlement de l’État-assistance. Elles permettaient au gouvernement par la simplicité de son postulat théorique, en l’occurrence, le laissez-faire, de s’inscrire dans la logique de l’hérétique

notion de désengagement de l’État, tout en le conduisant et paradoxalement à mettre sur pied la législation appropriée pour sa concrétisation.

Dans les années 80, avec les premiers programmes d’ajustement, il n’était question de privatisation que pour les entreprises publiques déficitaires, parce que les subventions dont elles bénéficiaient participaient au déficit des finances publiques. Avec la relance de la mondialisation dans les années 90, un nouveau pas était franchi : la privatisation dans les pays du tiers monde, devait s’étendre à l’ensemble du secteur parapublic, à commencer par les secteurs de fourniture de services publics comme l’eau, l’électricité, les télécommunications traditionnellement excédentaires109.

Les sociétés comme la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES), la Société Nationale d’Électricité (SENELEC), qui avaient pour mandat de « ravitailler les populations et non de faire des bénéfices », allaient avec leur privatisation changer de devise pour s’inscrire dans une logique de recherche de profit. « Dans le domaine de l’eau, l’État a concédé le développement et la gestion du patrimoine de l’hydraulique urbaine à la SONES et a confié l’exploitation, la production et la distribution d’eau potable à une société privée, la SDE »110. L’Office des Postes et des Télécommunications du Sénégal(OPTS) privatisé, avait donné naissance à la Société Nationale des Télécommunications (SONATEL) qui allait être une succursale de France Telecom (une société française) et l’Office des Postes et de la Caisse d’Épargne (OPCE). La Banque Nationale pour le Développement du Sénégal (BNDS) privatisée allait devenir la Société Nationale de Recouvrement (SNR). Aucun secteur en fait n’a été épargné quoique certains comme la santé et l’éducation, bien qu’ayant continué à fonctionner avec une logique du service public avaient connu une forte réduction du budget qui leur était alloué.

Cette privatisation et son corollaire la libéralisation, allaient atteindre leur plénitude avec la

Nouvelle Politique industrielle avec laquelle, le gouvernement allait apporter la

réglementation adéquate pour leur concrétisation. Dit autrement, la libéralisation et la privatisation comme choix et option de gestion de l’économie allaient trouver dans et avec

109 Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

Éditions L’ Harmattan, 2002, p 174

la Nouvelle Politique Industrielle les lois, mieux la législation appropriée pour permettre au secteur économique dans son ensemble de pouvoir fonctionner sans difficulté et en toute quiétude. C’est dans cette logique que certaines sociétés nationales furent privatisées, et dans sa logique d’être en parfaite adéquation avec sa notion du désengagement de l’État, le gouvernement avait porté son choix sur l’expertise étrangère :

« C’est ainsi que la société française de télécommunications, France Télécom fait son entrée comme actionnaire principal dans le capital de la Société Nationale de Télécommunications (SONATEL). La Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES) passe sous le contrôle de la Saur, société commune à Bouygues et Électricité de France (EDF). La Société Nationale d’Électricité (SENELEC) est rachetée par Hydro Québec (Canada) et Elyo (France). Dans ce dernier cas, le contrat est rompu en janvier 2001 par le nouveau gouvernement d’alternance, les partenaires extérieurs n’ayant pas tenu leurs engagements »111.

Toutefois, il est important de mentionner que la libéralisation et la privatisation n’avaient pas apporté les attentes dont elles faisaient l’objet, et cela malgré le fait que les populations payaient désormais plus cher pour avoir le service. La qualité du service n’avait pas connu une amélioration en ce sens que les populations étaient toujours confrontées à des problèmes de ravitaillement pour l’eau et l’électricité par exemple. « Ces privatisations posaient bien des problèmes : la qualité du service ne s’était guère améliorée, avec la fréquence des coupures d’eau et d’électricité, tandis que les tarifs étaient régulièrement à la hausse. À cette insatisfaction des usagers, s’ajoutait celle des travailleurs opérant dans ces secteurs et qui se manifestait par la fréquence des grèves »112. Le résultat est toutefois autre au plan économique comme en attestent ces propos du PNUD :

Il importe de noter que le programme de privatisation des sociétés et établissements public n’a pas encore été achevé. Sur les 19 entreprises restant à privatiser en 1999-2000, seule Air Sénégal a été effectivement cédé. Le processus de privatisation devrait cependant se poursuivre d’autant que les entreprises déjà privatisées connaissant des améliorations certaines. En effet, avec l’entrée de partenaires stratégiques étrangers dans le capital des entreprises

111Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

Éditions L’ Harmattan, 2002, pp 174-175

nationales, de nouvelles marques managériales se font jour et le savoir-faire

technologique est importé. Ces entreprises deviennent plus visibles,

communiquent mieux et certaines d’entre elles ont amélioré la qualité de leurs prestations (SONATEL). Quant à la SDE, née de la scission de l’ancienne SONES en société de patrimoine et société d’exploitation, elle gagne en compétitivité et a connu son premier exercice bénéficiaire en 1998. Par ailleurs, l’État tire de la cession de ses parts dans les sociétés publiques des recettes exceptionnelles. Celles des privatisations qui se sont élevés à 32,2 milliards de francs en 1997 et à 30, 9 milliards en 1998 ont permis une nette amélioration de la trésorerie de l’État113.

Il convient toutefois de souligner que des secteurs tels que la télévision et la radio avaient été épargnés par cette politique de privatisation. La raison, selon l’auteur alors ministre de l’information et des télécommunications, chargé en relation avec les assemblées et en même temps porte-parole du gouvernement, relevait d’une option, mieux d’un choix Ŕ que nous qualifions de stratégique Ŕ qui traduisait et démasquait en même temps ce faux

enthousiasme des nouvelles autorités à s’inscrire concrètement dans la voie d’une réelle

démocratisation ou d’être en phase avec les conseils de nature démocratique du Président Mitterrand. Ainsi, il est juste et même légitime de s’interroger sur la pertinence ou la signification de certains gestes posés par le Président Abdou Diouf Ŕ significatifs entre autres pour la démocratie Ŕ tels que la suppression du visa de sortie du territoire, l’instauration du multipartisme intégral ou la mise en place d’un Ombudsman, en rapport avec cette volonté de l’État ou de son gouvernement d’exempter114 la radio et la télévision de la politique de privatisation, dans un contexte où les mesures ou les voies appropriées à prendre pour relancer l’économie asphyxiée, étaient définies et sans aucun doute, par les institutions de Bretton Woods.

Seul le secteur de la Radio-Télévision restait encore sous l’emprise de l’État. La vision et l’option des pouvoirs publics étaient que ces moyens d’information, en raison de leur impact, devaient demeurer dans le champ de l’intervention de la puissance publique. Personnellement, je partageais cette vision qui, aujourd’hui est inopérante. L’information est en effet parmi les libertés les plus fondamentales. Elle ne peut dépendre d’un monopole, fût-il celui de l’État. En conséquence, il est indispensable de libérer l’information,

113 PNUD, Rapport national sur le développement humain : Sénégal, Dakar, 2001, p 86

114 Nous considérons ce fait comme une stratégie bien pensée par Abdou Diouf et son gouvernement. Nous

sous toutes ses formes. Les débuts notés depuis 1994, dans le domaine de la Radio, sont encourageants. Ils doivent se généraliser. La télévision, elle aussi, ne peut échapper à cette nécessité115.