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III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT

III.II LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE

La Nouvelle Politique Agricole qui était un produit du PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) visait exclusivement le monde paysan, c’est-à-dire les agriculteurs qui Ŕ faudrait-il le rappeler Ŕ vivaient et vivent essentiellement de la terre et de l’élevage. Comme politique, la Nouvelle Politique Agricole s’est voulue celle de la rupture en ce sens qu’elle allait mettre un terme aux subventions qui étaient

accordées au monde paysan, c’est-à-dire aux agriculteurs pour les assister et aider dans leur activité agropastorale. Ce soutien avait été jugé par les autorités politiques post indépendance non seulement nécessaire, mais également et surtout vital pour une activité qui ne bénéficiait pas du support naturel de la nature. La pluie se faisait rare durant l’hivernage, et cela avait des répercussions négatives sur la production agricole, mais également sur l’élevage, dont la survie dépendait en grande partie d’une bonne pluviométrie. Il y a lieu de souligner que même lorsque la pluie était abondante, elle pouvait être une corvée Ŕ tel a été souvent le cas d’ailleurs Ŕ pour le monde paysan qui ne bénéficiait d’aucune structure pour faire face aux potentielles inondations qui pouvaient en découler.

La sécheresse, avec tout ce qu’elle comporte comme préjudice et dommage pour les populations, était une donnée avec laquelle les masses paysannes devaient composer si l’on considère le manque de palliatifs technologiques pour contrecarrer ce phénomène. Le monde paysan était donc confronté à une certaine fatalité, que les autorités politiques post indépendance ont voulu corriger, en dotant la population paysanne d’un ministère pour le développement rural en plus de certaines structures comme l’ONCAD (Office National de Coopération et d’Assistance au Développement) par exemple, pour l’assister et l’encadrer dans ses activités agropastorales. Cette prise en charge par l’État des activités du monde rural apparaissait ainsi comme une obligation morale. L’intervention de l’État pour assister matériellement et financièrement le monde rural, en plus d’encadrer également ses activités était donc non seulement justifiée, mais légitime de surcroît. Elle fut malheureusement interdite, au nom de l’assainissement des finances publiques, par les créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI et Banque Mondiale) pour solutionner des maux dont les populations paysannes étaient loin d’être responsables.

Prenant prétexte de la mauvaise gestion administrative de l’ONCAD (Office National de Coopération et d’Assistance au Développement), le gouvernement avait décidé de se désengager pour ce qui était de la gestion du secteur agricole. Dans un contexte où la préoccupation des créditeurs ou des bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale) était la recherche d’un certain équilibre budgétaire, la suppression de soutien de tout ce qui n’était

pas rentable pour l’économie devait être prise en considération par le gouvernement, et le secteur agricole en était la parfaite illustration. Non seulement, la production agricole était loin de répondre aux attentes du gouvernement et des créditeurs, mais l’assistance au monde paysan en termes de de semences, d’engrais et de matériels commençait à peser lourdement sur le budget de l’État. La nouvelle orientation politique, née du PAS (Programme des Ajustements Structurels) imposait des recommandations allant dans le sens comme en attestent ces propos du Président de la République :

Notre pays va fêter dans quelques mois le 25ème anniversaire de son ascension à l’indépendance. Vingt-cinq années d’un parcours semé d’écueils à surmonter et de contours à franchir, auront permis d’accumuler une moisson d’expériences mais aussi de résultats positifs. Une adolescence tourmentée par une série de longue sécheresse, secouée par les retombées d’une crise économique internationale sévère et persistante, aura valu au Sénégal, à l’âge de raison, de passer en revue les étapes significatives du chemin parcouru et d’en tirer les enseignements nécessaires pour son meilleur devenir. Il est naturel que les enseignements à dégager concernent en premier lieu l’Éducation et l’Agriculture qui constituent les deux piliers du développement économique et social de la nation sénégalaise. Après les états généraux de l’Éducation, le secteur de l’Agriculture ne pouvait donc pas être en reste. C’est pourquoi, dès les premiers mois de 1984, fidèle à sa tradition de dialogue et d’ouverture, le Sénégal avait convié ses partenaires au développement à une analyse critique de la situation de l’Agriculture sénégalaise en vue de détecter les principaux maux dont elle souffrait afin que de ce diagnostic, puisse être tirées les conclusions propres à en assainir les bases et à en assurer l’évolution future. Des journées de réflexion pour la politique agricole et la stratégie alimentaire aux rencontres entre experts sénégalais et représentants des bailleurs de fonds en octobre et décembre 1983, la mise en forme de la nouvelle politique agricole sénégalaise ont fait l’objet de discussions et d’échanges fructueux. Cette nouvelle politique agricole, fruit de la coopération tissée avec les pays et institutions qui ont toujours appuyé notre pays dans son développement, reflète cette double vocation d’enracinement et d’ouverture. Enracinement parce que puisant son essence même dans la plus pure tradition séculaire qui dit bien que : Yala, Yala,

bay so tol (il faut compter avant tout sur soi), mais aussi ouverture parce que la

promotion du secteur agricole reste un des cadres essentiels de notre politique de coopération. Au demeurant, la nouvelle politique agricole met fortement l’accent sur une intensification des efforts de la nation sénégalaise, au seul profit des vrais acteurs et bénéficiaires du développement agricole que sont les

producteurs, en libérant ceux-ci des différentes contraintes structurelles négatives et en les rendant maitres de leur destin136.

Il appartenait donc aux paysans, peu aux faits des autres réalités hormis les siennes, de se prendre malheureusement en main, c’est-à-dire de s’organiser via des coopératives pour assurer la gestion de leurs activités. Il était désormais de leurs responsabilités de se procurer les semences, les engrais et le matériel requis y compris de la vente ou de l’écoulement de leur production. Et dans un contexte où cela était loin d’être facile et encore moins évident. Non avertis et non-initiés aux principes d’une telle gestion, mais contraints par la NPA (Nouvelle Politique Agricole) d’y faire face, les paysans étaient sans soutien administratif pertinent, pour combiner à la fois les exigences de leurs activités agropastorales et celle nouvelle de gestionnaire, née de la NPA. En fait et en vérité, la

Nouvelle politique Agricole voulait en faire des créanciers d’une activité dont ils n’étaient

même pas certain de tirer un certain bénéfice.

La NPA (Nouvelle Politique Agricole) cherche à responsabiliser les paysans, en les dégageant de la tutelle des sociétés rurales d’encadrement; celles-ci avaient été créées en grand nombre comme manifestation du socialisme africain par le président Senghor, dans les années 60. Les dispositions de la NPA sont les suivantes : réorganisation du monde rural par la constitution de groupements de producteurs appelés « sections villageoises » ayant accès au crédit bancaire : 4472 sections villageoises ont été créées à ce jour Ŕ restructuration des sociétés rurales d’intervention selon deux modalités : désengagement de l’État dans certaines, allègement de l’encadrement en ce qui concerne les autres Ŕ réforme de la gestion des facteurs de productions (semences et engrais) : la gestion des engrais passe de la SONAR aux huileries; dorénavant, les engrais seront vendus directement aux paysans, la subvention publique étant supprimée, ce qui va entraîner pour eux une augmentation sensible des charges d’exploitation137.

En tant que politique publique, elle se voulait avant tout une orientation de l’activité agricole, mais souffrait d’un manque de vision, en ce sens qu’elle avait fait le diagnostic du mal agricole sénégalais, en occultant que les agriculteurs faisaient face à une nature qui

136 Diouf, Abdou, Préface dans Nouvelle Politique Agricole, Dakar : Ministère du développement rural, 1984,

pp 1-3

137 Diouf, Makhtar, « La crise de l’ajustement » Politique Africaine : no 45 : Sénégal : La démocratie à

avait décidé de ne pas les accompagner dans leur labeur quotidien. Le climat faisant défaut et avec des conséquences incalculables, un examen sérieux et responsable des « maux de l’Agriculture » selon les propres termes du président Abdou Diouf, devait et devrait Ŕ nous semble-t-il Ŕ accorder une place considérable, voire prépondérante à cette question afin d’y trouver une solution ou des palliatifs.

En terme concret, cela équivaudrait à une politique qui réfléchirait sur la façon de rendre l’eau accessible pour le monde rural de manière à permettre aux agriculteurs de s’activer concrètement pour commencer leurs activités agropastorales. Une politique réellement soucieuse de solutionner les « maux de l’Agriculture » devrait s’accorder à trouver, via la technologie, une solution aux ennemis naturels des agricultures et qui ont pour nom par exemple : criquets Ŕ sauterelles, etc, qui portent un sérieux préjudice au monde paysan. La voie l’autonomie du monde paysan était à ce niveau, et non simplement et uniquement dans la mise en place d’une politique qui avait la prétention de responsabiliser le monde paysan, de le rendre autonome, sans créer les conditions d’une réelle autonomie.

Les Programmes de réformes que de nombreux pays africains ont adoptés au milieu des années 80, avec le soutien du Fonds monétaire, de la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds, reposaient sur un modèle nouveau. Leur but était de limiter le rôle de l’État dans la production et dans le contrôle de l’activité privée. Ils faisaient une plus large place aux exportations, en particulier à celles d’une agriculture négligée. Ils mettaient aussi davantage l’accent sur la stabilité macroéconomique et sur la nécessité d’éviter la surévaluation des monnaies. La réorganisation du cadre législatif et réglementaire sur la base de ce nouveau modèle a fini par s’appeler ajustement structurel. L’un des principaux changements intervenus dans la stratégie de développent en Afrique a été de considérer l’agriculture, non plus comme un secteur rétrograde, mais comme le moteur de la croissance Ŕ comme une importante source de recettes d’exportation et comme le principal moyen de faire reculer la pauvreté. L’amélioration des incitations et des services d’infrastructures destinés aux agriculteurs est donc au centre des programmes d’ajustement138.

138 Banque mondiale, Rapport sur les politiques de développent, L’ajustement en Afrique : Réformes, résultats

« Le désengagement de l’État Ŕ fait remarquer Gilles Duruflé Ŕ dans un contexte de revenu rural insuffisant et de pluviométrie incertaine aura pour effet la poursuite du sous- investissement dans l’agriculture pluviale : équipements, intrants, entretien de la fertilité des terroirs, semences améliorées »139. Toutefois, il est important de faire remarquer que le fait de convier des « partenaires » à un examen critique sur la situation de l’Agriculture en occultant les vrais raison du mal paysan était et est explicite de ces rencontres où le formalisme est à l’honneur et, souvent au mépris des populations concernées. Il n’appartenait pasaux « partenaires étrangers » par exemple et encoremoins aux bailleurs de fonds de situer la source du problème en ce sens qu’une telle attitude était et est contraire à une certaine tradition en diplomatie qui interdit à l’hôte de se prononcer sur ce qui relève de la politique intérieure d’un État.

Il est temps, par honnêteté d’esprit, de déculpabiliser les investisseurs étrangers et les partenaires au développement, souvent accusés à tort, d’être en déphasage avec la réalité des populations. On peut certes leur reprocher leur silence complice, mais il ne serait pas juste et à la limite acceptable de les désigner pour responsables du malaise social sénégalais en particulier et africain en général, alors que l’origine de ce malaise est dans les politiques et le comportement dépourvu de vertu politique des dirigeants gouvernementaux. Que les dirigeants décident, au prétexte d’une exigence de réformes demandée par les créditeurs ou bailleurs de fonds, de ne plus soutenir et assister efficacement les agriculteurs, relève d’un manque de vision et de responsabilité, donnant ainsi tout son sens à ce ponce pilatisme de beaucoup de dirigeants qui fait office avec la mondialisation de l’économie.

La tentative récente du président de la République sortant : Me Abdoulaye Wade, de vouloir « acheter la conscience » de monsieur Alex Segura, fonctionnaire du FMI, après la fin de séjour de ce denier, est profondément révélateur du sérieux problème auquel sont confrontés ces « partenaires étrangers » dans un pays où la corruption déguisée en « cadeau » dit de tradition, est monnaie courante. Ce problème sénégalais, transposable et sans réserve à toute l’Afrique de l’Ouest et Centrale, demeure et constitue le pernicieux

139 Duruflé, Gilles, Le Sénégal peut-il sortir de la crise ? Douze ans d’ajustement structurel au Sénégal, Paris :

problème auquel sont confrontés les investisseurs étrangers et bailleurs de fonds qui doivent, dans beaucoup de cas, avaler des couleuvres pour ne pas subir la « plume » du gouvernement pour demander leur rappel à leur poste d’attache.

La peur justifiée, entre autres, d’être déclarée persona non grata, donne souvent lieu à des cas de corruption avérée et souvent néfaste pour l’économie nationale et les populations. Mais, dans les grandes démocraties comme la France, le Canada ou les États-Unis par exemple, lorsqu’une telle situation est connue et documentée par la presse et les parlementaires, elle entraîne immédiatement le retrait avec sanction de la personne impliquée. Tel est le cas, du moins pour le Canada où les fonctionnaires, y compris tous les citoyens, contraints par la loi à faire une déclaration de revenu, sont dans l’obligation de faire preuve de la plus grande prudence pour éviter d’être cités dans des cas semblables ou similaires.

C’est le lieu de souligner la haute importance des mécanismes de contrôle pour une gestion efficace et transparente de la chose publique. Dans la démocratie dite sociétale et qui fait office dans les grandes démocraties comme la France, le Canada et les États-Unis par exemple, ces mécanismes de contrôle sont assurés au plan politique, explicitement par les parlementaires d’abord, et implicitement par une presse libre et totalement indépendante, qui agit sans subir aucune entrave provenant du gouvernement. « Le rôle essentiel que joue une presse libre et bien informée Ŕ fait remarquer le prix Nobel d’économie Ŕ pour tenir en lisière même nos gouvernements démocratiquement élus nous paraît tout à fait naturel. Tout délit, toute incartade, tout favoritisme est passé au crible, et la pression de l’opinion publique est rude »140.