• Aucun résultat trouvé

LA DÉTÉRIORATION DU POUVOIR DE DÉPENSER DES POPULATIONS

III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT

IV.II LA DÉTÉRIORATION DU POUVOIR DE DÉPENSER DES POPULATIONS

les populations urbaines en particulier et rurales en général. Il était et a été toujours quasiment nul pour la quasi-totalité du monde rural. Le sous-emploi était présent avant la mise en place du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Ce manque de travail avait augmenté certes, en raison des politiques préconisées par les créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale), mais il constituait déjà une donnée qui faisait partie de la réalité de l’économie sénégalaise. À cette précision de taille, il faudrait y ajouter que le salaire comme source de revenu, autant dans le secteur public que privé, était loin d’être

167Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

suffisant pour entretenir l’employé, et par extension sa famille. Les fonctionnaires sénégalais ont toujours été mal rémunérés. Ce fait n’était pas consécutif au PAS même si cette mauvaise rémunération allait connaître son point culminant avec les mesures d’urgences de 1993. Il est important par conséquent de retenir que les sénégalais étaient, et sont d’ailleurs toujours mal payés, sous-payés même.

Il est même juste de soutenir que la Fonction publique au Sénégal ne paye pas et ne nourrit pas son employé de façon générale. Ses fonctionnaires ont par conséquent un pouvoir d’achat faible, mais non inexistant. Nous entendons par pouvoir de dépenser, la possibilité pour toute personne d’avoir une source de revenu, c’est-à-dire un salaire qui lui permet de pouvoir acheter. Il est important aussi de préciser que le pouvoir de dépenser était loin d’être seulement l’apanage des salariés du secteur public ou privé. Il était présent dans le secteur dit informel, et pouvait même être plus élevé que celui de certains fonctionnaires. Dans ce secteur s’y trouvait les commerçants, les marchands ambulants, les domestiques, les transporteurs, les chauffeurs de taxi et de clando (moyens de transport accessible au pauvre), les travailleurs de la construction, les artisans, les vendeurs de poissons, les boulangers, en somme, toutes les personnes s’activant dans un secteur autre que celui de la fonction publique ou du secteur privé légalement constitué.

« Le secteur informel émerge comme la seule alternative pour de larges segments des populations dont il permet de satisfaire les besoins les plus élémentaires. Cependant, il est caractérisé par de bas salaires, de mauvaises conditions de travail, le manque de protection sociale »168. Ce secteur informel était composait en grande partie par des gens qui aimaient s’activer en marge des circuits officiels, rendant ainsi la tâche difficile aux agents du contrôle des impôts et domaines. Il se caractérisait par cet esprit gorgolou (débrouillardise), né de ces temps difficiles consécutifs et contemporain au PAS. En vérité, c’est ce pouvoir de dépenser extrêmement faible des populations, que le Plan d’urgence avait ciblé pour l’affaiblir de nouveau, dans un contexte où, les mêmes populations devaient conjuguer avec des politiques qui étaient déjà assez éprouvantes et affligeantes pour elles-mêmes.

168 Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

Par la nature de ses mesures, le Plan d’urgence apparaissait comme un plus d’obligation de contraintes, que le gouvernement demandait aux populations, et plus particulièrement aux salariés par une baisse considérable de leur revenu. « Au second semestre de l’année 1993, le gouvernement confronté avec un déficit budgétaire alarmant, et la déficience du financement extérieur habituel, lance un Plan d’Urgence dont les grandes lignes »169étaient les suivantes :

- Réduction de 15% des salaires de la fonction publique de : - * 15% pour les salaires supérieurs à 50 000 f par mois - * 5% pour les salaires inférieurs à 50 000

- * 25% pour les ministres et députés - * 50% pour le président de la République

- Prélèvement exceptionnel (sur les revenus mensuels) de :

- * 4% pour les cadres et ouvriers du secteur privé, de septembre 1993 à décembre 1995 inclus

- * 15% pour les directeurs des sociétés nationales et publiques

- * 25% pour les présidents des conseils d’administration des sociétés nationales et des sociétés publiques

- Augmentation de 15% de l’impôt sur les revenus non salariaux (revenus de capitaux mobiliers, revenus fonciers, bénéfices non commerciaux, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles) des années 1992, 1993 et 1994.

- Emprunt forcé sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales, pour une durée de 6 ans avec différé, au taux annuel de 6%.

- Extension du champ d’application et augmentation du taux du timbre douanier (institué en 1991) sur les marchandises importées : le taux varie entre 6% et 12% - Augmentation du prix du carburant : 4,5% sur l’essence170.

169 Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, pp 168

Au regard de ses mesures, qui se sont voulues une réponse pour apaiser l’insatisfaction des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI-Banque mondiale), il est légitime de soutenir que le gouvernement avait encore manqué d’empathie envers les populations qui étaient déjà assez éprouvées par les politiques d’austérité. En effet, du PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) au PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme), les populations avaient fait les frais de certaines mesures et politiques qui ont été très affligeantes au plan social. En effet, de l’augmentation des denrées dites de premières nécessités depuis 1981, en passant par les licenciements massifs occasionnés par les politiques du PALMT, les populations avaient fait face, dans l’impuissance certes, aux difficultés qui étaient engendrées par la rigueur et le caractère austères des mesures qui étaient issues du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Dit autrement, les masses rurales et urbaines avaient enduré les contraintes avec une relative passivité, dans laquelle coexistait une certaine tension qui oscillait entre contestation et résignation.

Le Plan d’Urgence ainsi conçu se réduit en un ensemble de mesures fiscales, dont le seul objectif est la réduction du déficit budgétaire. Il est profondément déflationniste : il pénalise aussi bien la demande intérieure des ménages qui soutient l’activité économique, que les entreprises. C’est pour cela qu’il a fait l’objet d’un rejet massif des syndicats. Ce qui a donné lieu à une grève générale totalement suivie (opération villes mortes) le 2 septembre 1993, à six journées de grève partielles au mois d’octobre, et à tout un programme de grèves du zèle en novembre. La mission du FMI venue à Dakar n’a pas admis le Plan d’Urgence tel quel, reconnaissant qu’il ne comportait aucune mesure de relance économique. En réalité, ce plan ne se distingue des programmes d’ajustement antérieurs que par son champ plus réduit, étant confiné à des mesures budgétaires. Pour ce qui est de son impact économique et social, il n’est agi de rien d’autre que d’une opération de clonage de la médecine FMI171. Se sentant acculées par ces mesures d’urgence, les populations, autant urbaines que rurales, fatiguées par le caractère accumulé et continue des réformes qui continuaient à aggraver leur mal vivre, avaient opposé un non catégorique au Plan d’urgence. Les syndicats unanimement, y compris la CNTS (Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal), avaient fait un front commun pour parler d’une même voix afin de s’opposer au caractère

171,Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

anti social de ces mesures. Les travailleurs également, secteur public et privé confondus, syndiqués comme non syndiqués, avaient fait un front commun, pour dénoncer le caractère asocial de ces mesures.

Le Plan d’urgence avait donc rejeté unanimement par les populations et les syndicats, qui l’avaient perçu et reçu comme « la goutte de trop dans le vase ». Le social était de nouveau, encore affligé par les politiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels). Ces mesures qui n’avaient reçu, ni l’assentiment et encore moins le soutien des créditeurs ou bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale), traduisaient de façon fort éloquente, que le pays était dirigé par des technocrates. Ces mesures non cautionnées par les bailleurs de fonds, en l’occurrence, le FMI et la Banque mondiale, donnaient un crédit fort pertinent sur cet empressement des autorités gouvernementales dénoncé par le PNUD, beaucoup plus préoccupées par les décaissements, que par un examen sérieux et approfondi des réformes qui leur était proposées par les créditeurs ou bailleurs de fond (FMI Ŕ Banque mondiale). Ce Plan d’urgence, en se proposant de réduire le salaire déjà insuffisant du travailleur sénégalais, mal rémunéré pour être plus précis, allait encore aggraver la dure condition dans laquelle se trouvaient déjà les populations depuis la mise en place du PAS.

A ce Plan d’urgence qui avait réduit le pouvoir de dépenser des populations, devait s’y ajouter la Dévaluation du franc CFA de 1994 qui allait également affecter et de moitié, le pouvoir d’achat de toute la société. En effet, en affaiblissant la monnaie locale, cette dévaluation qui était encore une demande des créditeurs ou des bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale), avait sérieusement affecté la qualité de vie des populations. « La dévaluation du franc CFA (1994) a provoqué un véritable retournement dans les relations entre la Banque mondiale et le Sénégal. En effet, dans le courant de la même année, le gouvernement a initié des réformes structurelles se traduisant, entre autres, par l’adoption d’un appareil législatif et réglementaire en vue d’accélérer la libéralisation de l’économie »172.

172 Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

Par son incidence directe sur les produits et services, cette Dévaluation du franc CFA avait rendu certains produits de consommation, hors de la portée des masses citadines et rurales. Les denrées dites de premières nécessités (riz-huile-sucre) devaient voir leur prix se doubler, alors que le salaire était réduit de moitié, affectant ainsi le panier de marché de tous les ménages. Le mal vivre des populations s’était ainsi amplifié, pour atteindre une dimension à la fois alarmante et inquiétante comme en témoignait la multiplication de la vente de nourriture dans presque tous les quartiers pour servir de rempart à ceux et celles qui n’étaient plus capables de se payer le luxe de prendre chez soi les trois repas (petit déjeuner Ŕ diner Ŕ souper).

Du sandwich peu nutritif, au petit bol de riz que l’on pouvait prendre dans beaucoup de coin de rue, la paupérisation des populations avait amené la disparition du social et de la socialité, entendus comme ces valeurs de partage et d’entraide qui étaient ancré dans la

Téranga ou l’hospitalité sénégalaise. La paupérisation l’avait en effet profondément

fragilisé, en ce sens que la quête de survie pour les masses rurales citadines, et ce souci des nantis de préserver leur train de vie, avait amené les sénégalais à user du prétexte de la conjoncture ou des temps difficile pour se passer du social, auquel ils étaient pourtant ils attachés. Il est légitime de soutenir que la Dévaluation du franc CFA comme mesure économique, avait engendré une dégradation assez sévère des conditions de vie des populations en raison de son impact direct sur le pouvoir d’achat extrêmement faible et limité des ménages

Le Sénégal est confronté à l’aggravation de la pauvreté. Une partie importante de la population n’a pas accès à une eau de bonne qualité, à la santé, à l’éducation et vit dans des conditions précaires. 44% des ménages sont alimentés par des puits (68% des ruraux et 13% des urbains). L’eau courante privée, dont on peut s’interroger sur la qualité, reste un privilège urbain. 77% des ménages n’ont pas accès à l’électricité. La lampe à pétrole est le premier mode d’éclairage pour 80% de ménages ruraux et 30% de ménages urbains… Malgré la publication d’indicateurs de performance relative à la croissance économique, la dévaluation du franc CFA a entraîné une plus grande insécurité, en particulier au sein de la classe moyenne en raison de la baisse du pouvoir d’achat urbain. Parallèlement, les groupes dits vulnérables éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder aux services sociaux de base. Le Gouvernement lui-même et ses principaux bailleurs de fonds le reconnaissent.

C’est ce qui explique, après l’admission du Sénégal à l’initiative HIPC (Heavily

Indebted Poor Countries Initiative), l’élaboration du Document cadre relatif à

la stratégie de lutte contre la pauvreté173.

Ce mal vivre des populations, consécutif en grande partie aux politiques du PAS (Programme des Ajustements Structurels) avait commencé à plonger le pays dans une certaine tension sociale depuis 1988, c’est à dire au moment de l’application du PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier à Long et Moyen Terme) qui avait débuté en 1985 et avait pris fin en 1992. Trois ans donc après sa mise en application, une certaine crise sociale, latente certes, mais manifeste, était perceptible dans les agissements des populations. Elle avait pour indicateurs la grève, les manifestions de rue, les marches de protestation. Elle avait coïncidé avec l’année du second mandat du président Abdou Diouf, et dans un contexte où les politiques qui étaient mises en place, devaient normalement lui porter préjudice, socialement et politiquement parlant. C’est curieusement dans ce contexte que le parti socialiste et son candidat ont été réélus, lors des élections présidentielles et législatives de février 1988.

Elle fut aussi une année banche pour l’enseignement secondaire et supérieur en raison d’une série de mouvement de grève. Les élèves et les étudiants refusaient de prendre une trêve et, cela malgré les nombreux appels du gouvernement pour sauver l’année scolaire. C’était également l’année de la « jeunesse malsaine » pour reprendre les propos du candidat Diouf, qui était pris au dépourvu par des jeunes certes politisés, voire instrumentalisés, mais qui avaient choisi d’exprimer violement leur mécontentement pour désapprouver des politiques qui étaient sans issue pour leur avenir. C’était aussi l’année où les leaders de l’opposition avaient été qualifiés de « bandits de grand chemin » par le candidat Abdou Diouf qui était également dépourvu devant la récupération politique que les leaders de l’opposition avait fait de ses mesures impopulaires. C’était enfin l’année où beaucoup de leaders de l’opposition avaient été arrêté et emprisonné.

173 Diop, Momar Coumba, « réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

Mais comme dans beaucoup de pays du tiers monde soumis à des programmes d’ajustement structurel, les populations, au Sénégal, tout au moins dans les centres urbains, ne restent pas longtemps passives face à cette détérioration sans précédent de leur pouvoir d’achat. À la suite des élections controversées de février 1988, et en plein état d’urgence, des manifestations populaires animées par les partis politiques d’opposition ont eu lieu à Dakar; comme la fameuse marche des femmes dans le centre-ville, pour protester contre la vie chère. Le gouvernement est alors obligé de faire des concessions dans le courant du mois de mai. Dans un discours radiotélévisé, le Chef de l’État annonce des mesures d’apaisement social : baisse des prix des denrées suivantes : le riz, de 160 ($ 0.53) à 130 Fr ($ 0.43), soit une baisse de 18.75% : le sucre, de 375 Fr le kilo ($ 1.25) à 330 Fr ($ 1.13), soit 12%; l’huile d’arachide de 500 Fr le litre ($ 1.66) à 380 Fr (1.260, soit 24%174.

Cette tension était aussi présente durant l’année 1993 qui fut une année électorale et où encore curieusement, les populations avaient reporté Abdou Diouf au pouvoir pour une troisième fois consécutive. Cette tension était difficile à étouffer parce que inhérente au PAS (Programme des Ajustements Structurels). Cela pour dire que, lorsque le mal vivre des populations est intimement lié à la mise en place des politiques censées améliorer leur conditions de vie Ŕ et tel fut le cas avec le PAS Ŕ c’est parce qu’il y a un problème au niveau de la gestion. Ce problème avait trouvé dans la contestation pacifique ou violente, un moyen pour se faire entendre auprès des autorités gouvernementales.