• Aucun résultat trouvé

II. LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

II.III AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE DE L’INDIVIDU

La finalité de l’économie est d’être au service de l’individu et de la communauté : nous partons de cette prémisse pour soutenir que la finalité recherchée par les initiateurs du PAS (Programme d’Ajustement Structurel) était d’améliorer la qualité de vie de l’individu d’abord et de la société ensuite. En effet, même si la thérapie préconisée pour corriger le déficit et relancer la croissance a été dure pour les populations, et en dépit du technicisme et de l’économisme du PAS (Programme des Ajustements structurels), il n’est pas juste de soutenir que le désir d’améliorer la qualité de vie à la fois de l’individu et de la société n’était pas présent chez les initiateurs du consensus de Washington. Autrement dit, même s’il est permis de soutenir que les monétaristes sont par vocation insensibles au social et à ses composantes, le professionnalisme et la compétence dont ils se réclament les empêchent, du moins les condamnent à ne pas être indifférents à la finalité de leur thérapie qui ultimement devrait permettre à l’individu et à la société de mieux vivre. Dans l’esprit des penseurs du PAS et de ses coachs (FMI & Banque mondiale), il était clair que la mise en place des réformes exigées auprès des prestataires de leurs services en l’occurrence (les gouvernements locaux), et éventuellement de leurs respects allait dans le long terme permettre aux individus, c’est-à-dire aux populations de mieux vivre comme en attestent ses propos du prix Nobel d’économie:

Ce qui me paraissait stupéfiant, c’est que chez beaucoup de hauts dirigeants du FMI et de la Banque mondiale, ceux qui prenaient les décisions cruciales, il n’y avait pas le moindre doute sur le bien-fondé de ces politiques. Des doutes, il y en avait, certes chez les gouvernants des pays en développement. Cependant, beaucoup craignaient tant de risquer de perdre les financements du FMI, et avec eux bien d’autres fonds, qu’ils les exprimaient avec la plus grande prudence Ŕ quand ils le faisaient Ŕ et seulement en privé. Mais, si personne ne se réjouissait des souffrances qui accompagnaient souvent les plans du Fonds monétaire international, à l’intérieur de l’institution on postulait simplement que c’était l’une des expériences douloureuses par où un pays doit nécessairement passer pour devenir une économie de marché prospère, et que les mesures du FMI allaient en fin de compte alléger les épreuves que ce pays aurait à affronter à long terme124.

Toutefois, il est important de préciser que c’est l’individu et non la société qui était au centre de la préoccupation des tenants de la doctrine du laissez-faire néolibéral, et c’est à cet individu que s’adressaient les initiateurs du PAS (Programme des Ajustements Structurels). En fait, c’est en sa qualité d’être rationnel, calculateur et égoïste entre autres, doté de cette capacité de faire face au marché et à ses exigences, qui a amené les monétaristes et leurs alliés à miser sur lui. Comme tel, l’individu pour les tenants du

marché néolibéral, s’oppose à la société pensée et jugée émotive, par conséquent

irrationnelle. Ainsi, la société, comme agrégat d’individus, était exclue dans leur approche pour solutionner les dysfonctionnements qui pourraient résulter du marché. C’est donc à cet individu, apatride dans leur logique, que les « fondamentalistes du marché »125promettaient d’améliorer la qualité de vie.

Il convient toutefois de faire remarquer que malgré la noblesse de leur intention et des solutions préconisées pour relancer l’économie et sa pleine croissance, les bailleurs de fonds ou les créditeurs (FMI et Banque mondiale) n’avaient pas pu atteindre cet objectif en ce sens que les politiques d’austérité avaient non seulement entrainé une baisse considérable du pouvoir d’achat des populations, mais avaient aussi favorisé l’émergence d’une nouvelle catégorie de pauvres suite à la politique de dégraissage de la fonction publique. À ce niveau, il est important de préciser que malgré les sommes versées aux

124 Stiglitz, Joseph E, La grande désillusion, Paris : Fayard, 2002, p 23

déflatés dans le cadre de la politique dite des départs volontaires, cet argent avait permis de régler des problèmes ponctuels et ne pouvaient en aucun cas servir de fonds de commerce ou de départ pour la création d’une quelconque activité lucrative. Il est aussi important de prendre en considération la notion de famille élargie, propre aux sociétés africaines et d’imaginer les conséquences d’un licenciement sur l’ensemble des personnes qui dépendaient ou qui comptaient sur un revenu qui était loin de couvrir les besoins de bases (nourriture Ŕ logement Ŕ habillement) de la famille immédiate ou nucléaire.

Il y a lieu donc de mentionner que l’individu comme entité, et partie intégrante de la société n’avait pas connu une amélioration de sa qualité de vie. Renvoyé à lui-même par en gouvernement censé lui apporter soutien et assistance, et privé de supports adéquats pour vivre décemment, le citoyen devait et allait innover pour se prendre en charge tel que voulu et souhaité par le gouvernement et ses créditeurs (FMI & Banque mondiale), avec comme seule, unique et légitime préoccupation : la survie. Et cette quête de survie allait se faire et s’était fait le plus souvent, ou la plupart du temps pour ne pas dire toujours, en marge de l’État et de ses circuits officiels. Du marchand ambulant aux vendeurs réguliers ou occasionnels, du chauffeur des transports en commun et son apprenti, des cars rapides aux

clandos (parce qu’opérant dans une clandestinité connue et reconnue des autorités), des taximan ou des mobylettes taxi, en somme le secteur informel dans son ensemble allait et

fonctionnait selon des critères qui échappaient aux contrôleurs de l’État.

En vérité, il s’en était résulté un nouveau type de citoyen sénégalais, façonné certes par les épreuves issues, voire engendrées par la rigueur du PAS (Programme des Ajustements structurels), mais débrouillard et qui allait fonctionner en marge des circuits étatiques pour assurer sa survie. La débrouillardise ou l’esprit gorgolou allait prendre une dimension et une proportion certes importante mais qui était également inquiétante en ce sens qu’elle avait favorisé en même temps la création et l’émergence d’un certain incivisme ou selon les termes de Gilles Gagné, ce « recul du devoir civique et de l’impôt »126 avec tout ce que pouvait comporter comme conséquences préjudiciables pour un pays dont l’économie était

126 Gagné, Gilles « Essai sur la situation politique du Québec » dans Société La suite du monde : 27, 2007, p

fortement affaiblie et qui devait, et doit compter sur ses fils, ses ressortissants, sa jeunesse quelles que soient l’ampleur et la générosité du support ou de l’assistance technique internationale pour assurer son développement.

Le défaut ou une carence de patriotisme était certes latent, mais en gestation chez ces populations qui n’avaient plus rien à attendre des autorités gouvernementales. En effet, le gouvernement avait choisi de mettre un terme à toute politique ou programme de nature ou à caractère social, au prétexte d’incontournables réformes économiques qui n’avaient pas empêcher par exemple aux autorités gouvernementales en premier plan, et à la classe politique majoritaire dans son ensemble de maintenir un train de vie qui faisait contraste avec les politiques d’austérité préconisées et demandées par les principaux créditeurs ou bailleurs de fonds, en l’occurrence, le FMI et la Banque mondiale comme en témoignent ces propos :

Il est significatif que le gaspillage effréné de l’État africain soit passé sous silence par les économistes de l’ajustement. Ainsi peut-on lire sous la plume de l’un d’eux, membre du FMI «… à défaut de comprimer les autres dépenses courantes, les autorités seront peut-être amenées à réduire les subventions à la consommation ainsi que les transferts aux entreprises publiques » (Calamitsis 1985 : 18). Pourquoi les `` autres dépenses `` ne peuvent-elles pas être réduites ? Quelles sont au fait, ces `` autres dépenses ``? Elles ne sont pas désignées, mais on peut les saisir par élimination : ce sont tous les postes de dépenses budgétaires à caractère non social et improductives : armée, police, prestige (avions présidentiels, parcs automobiles, réceptions, voyages, pléthore de ministères et autres institutions inutiles pour placer des amis politiques…). Et ce sont ces dépenses qui sont appelées `` dépenses de souveraineté `` et considérées comme intouchables, alors qu’au seul plan de l’analyse de la conjoncture dans le court terme, elles sont une source puissante d’importations, donc de déficit des paiements extérieurs. Ce propos reflète en même temps l’option antisociale en vigueur au FMI127.

Il est par conséquent légitime de soutenir que les politiques préconisées n’avaient pu améliorer la qualité de vie des populations, bien au contraire. Dit autrement, les politiques de rupture issues du PAS (Programme des Ajustements Structurels) n’avaient pas permis à

127 Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

l’individu sénégalais en particulier et à la société sénégalaise en général de mieux vivre en ce sens qu’elles n’avaient pu répondre aux attentes dont elles étaient porteurs. La création d’emploi par exemple qui était attendue de la politique de privatisation n’avait pas eu lieu, et cette réalité alliée à celle des nouveaux sans emploi qui était générée par la politique de dégraissage de la fonction publique n’avaient fait que contribuer au mal vivre des populations qui étaient déjà éprouvées par les politiques asociales du gouvernement. Cette rupture entre le gouvernement et les populations rurale et urbaine qui était perceptible dans le discours officiel, avec les notions de désengagement de l’État, d’État minimal allait se concrétiser avec les trois nouvelles politiques (Nouvelle politique du secteur public et

parapublic Ŕ Nouvelle Politique Agricole Ŕ Nouvelle Politique Industrielle) qui allaient

marquer l’entrée de plain-pied du gouvernement ou son adhésion au néolibéralisme économique.

Si donc au plan social, il est pertinent de soutenir que le PAS a été un échec au regard des conséquences sociales de ses politiques sur les populations, il y a lieu de souligner qu’il a été reconnu - par les initiés de l’économie - que la thérapie des créditeurs ou des bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale a été bénéfique à l’économie sénégalaise en particulier et aux économies africaines en particulier. S’il est donc avéré que les indicateurs d’une relance de l’économie étaient clignotants ou commençaient à clignoter après 1995 pour le Sénégal, il convient par honnêteté d’esprit de s’accorder sur une relativité de cet échec en ce sens que la réplique des créditeurs pourrait se réfugier dans ce long terme, certes imprécis pour sa durée, mais quand même clair dans sa finalité, et qui est ultimement de permettre aux populations de mieux vivre après leur thérapie.

Pourtant il y a bien un sens à cet aphorisme de Keynes « à long terme nous sommes tous morts », un sens qui n’est pas celui que l’on veut bien lui donner habituellement. Pour le comprendre, il suffit de se rapporter à la totalité du texte incriminé. « Le long terme, écrit Keynes, est un guide trompeur pour les événements actuels. À long terme nous serons tous morts. Les économistes se donnent une tâche trop facile et trop inutile si, dans une période orageuse, ils se contentent de nous dire que lorsque la tempête est passée l’océan redevient calme » (Keynes, 1923, p. 65). La critique s’adressait à la théorie quantitative de la monnaie prédisant que seuls les prix nominaux seraient affectés à long terme par une création excessive de monnaie. Elle a une portée beaucoup plus

générale comme quelques-uns se sont plus à le souligner (Lerner, 1972; Vickrey, 1994; Colander, 1998). Le message qu’il faut entendre ici est que le court terme détermine ce que sera le long terme, que la demande courante façonne l’avenir, mais aussi qu’il n’y a pas à sacrifier l’emploi d’aujourd’hui à celui de demain, que le bonheur des générations présentes est le garant de celui des générations futures, qu’à moins de traiter les problèmes à court terme, le système économique ne survivra pas. Dès lors, il ne peut y avoir un bon usage et encore moins une nécessité des temps difficiles : ce sont des temps qu’il faut savoir réduire. Il n’y a pas à s’accommoder d’un chômage de masse car c’est la meilleure façon de le pérenniser et d’attenter au bien-être des générations suivantes. Il y a place pour une inflation modérée quand elle facilite les ajustements structurels ou, mieux encore, quand elle aide les ménages à revenu moyen à se constituer un patrimoine. Non seulement le futur s’ancre dans le présent, mais ni le bien-être à court terme, ni une réelle équité dans la répartition des revenus ne sauraient être sacrifiés à un long terme mythique128.

Le virage ambulatoire, parce que nécessaire et vital pour permettre aux populations de mieux vivre dans le long terme, discuté et expliqué aux populations, est de l’ordre du possible si et seulement si, il trouve un écho favorable auprès de ceux et celles qui décident ou peuvent décider par leur vote d’accorder leur confiance à tout gouvernement. C’est à ce niveau Ŕ nous soutenons Ŕ que réside la grande faille de cette thérapie, et cette faillite renseigne sur la nécessité dès à présent d’un dialogue démocratique avec les populations, ces censeurs de toute activité gouvernementale et dont la patience devant l’arbitraire de

toute politique n’est pas toujours acquise historiquement parlant. Dans trois pays Ŕ nous dit

l’économiste Makhtar Diouf Ŕ (Sénégal Ŕ Côte d’Ivoire Ŕ Ghana), « dans chacun de ces trois pays, dans des élections pour une fois transparentes, les populations ont renversé les régimes maitres - d’œuvre des politiques d’ajustement, bons élèves du FMI et de la BM, manifestant par la même occasion leur sanction à l’égard des institutions de Bretton- Woods »129.

128 Amendola, Mario. Gaffard, Jean-Luc, Capitalisme et Cohésion sociale, Paris : Economica, 2012, pp 11-12 129 Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris :

Au-delà de la querelle opposant les tenants de l’échec ou de la réussite du PAS (Programme des Ajustements Structurels), l’urgence requiert de se pencher pour le Sénégal en particulier et l’Afrique en général, sur les motifs originaux et non économiques de cette approche ou thérapie des bailleurs de fonds (FMI Ŕ Banque mondiale) issue du Consensus

de Washington. Ces motifs, au-delà du malaise économique ou de la mauvaise santé de

l’économie consécutive selon ses tenants, à un interventionnisme humaniste de l’État, étaient justifiés par des maux qui avaient pour noms : corruption Ŕ gabegie Ŕ administration pléthorique pour ne citer que ceux-là, et qui malheureusement sont des vertus pour la quasi- totalité des dirigeants en Afrique. Que ce qui a justifié cette approche ait pris naissance dans un endroit au système politique non démocratique oblige un questionnement, une interrogation ou une attitude critique faite de ce doute méthodique dont parle Weber avec comme seule et unique préoccupation de comprendre ce qui a été à l’origine de ces faits, ces faits dont le préjudice pour l’État et comparable à celui du cancer pour l’organisme humain.

La thérapie est à ce niveau, en ce sens que la non mise en place ou l’absence de mécanisme de contrôle de l’action de ceux et celles qui sont aux plus hautes commandes de l’État favorise ce vice, cette vertu du banditisme d’État qui fait légion en Afrique, et probablement ailleurs. Le FMI et la Banque mondiale ont bon dos, et les critiques dont elles font l’objet, malgré leur pertinence, semblent avoir oubliées que ces organisations sont tout sauf des philanthropies. Qu’elles aient été perçues ou pressenties comme un obstacle sérieux à la mise en place ou à l’avènement d’une véritable démocratie en Afrique, comme celle existant dans les grandes démocraties, en raison des conditionnalités qu’elles imposent aux pays prestataires, comporte des limites, et relève d’une certaine exagération, qui a usé d’une habile rhétorique et d’un discours fallacieux, à la limite nihiliste, qui a refusé et qui refuse d’ailleurs toujours de reconnaître que le mal africain est dans les politiques instaurées par les dirigeants. Pour exagérer, mais aussi pour simplifier, disons que ces institutions ont tout exigé, sauf l’opacité dans la gestion de la chose publique, et plus particulièrement dans les fonds publics. Cette opacité est pourtant ce qui caractérise ce nébuleux appelé « fonds politiques » ou « fonds spéciaux » (nous y reviendrons), mis à la disposition du Chef de l’État, et qui est la source principale de ces maux qui ont pour

noms : clientélisme Ŕ esprit partisan Ŕ gabegie Ŕ détournement des fonds publics ou enrichissement illicite, qui font que les populations sont reléguées, par les politiques, au second plan pour ce qui est de la gestion de l’État.

III. LA CONCRÉTISATION PAR LES POLITIQUES DU DÉSENGAGEMENT