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I. LES OBJECTIFS POLITIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

I.II INSTAURER L’ÉTAT MINIMAL

Le démantèlement de l’État-assistance, justifié par la nécessité d’assainir les finances publiques, avait pour objectif entre autres, de mettre sur pied l’État minimal. Se voulant différent et l’opposé de l’État-assistance, l’État minimal aurait comme vocation principale de servir et de promouvoir exclusivement les intérêts du marché. Autrement dit, l’État minimal avait pour finalité principale de créer les conditions favorables à la liberté

91Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après? Dans Sénégal : Trajectoires d’un État,

d’entreprise. Cet État, contrairement à l’État assistance, n’avait pas dans ses objectifs à court et moyen terme, une quelconque intention d’être au service des populations. Ainsi Abdou Diouf de soutenir:

Promouvoir le progrès, c’est d’abord, réaliser le plan à moyen terme de redressement économique et financier qui a pour but de donner de nouveaux ressorts à notre économie. Les perspectives de l’économie mondiale, au soir de ce second millénaire, restent aux yeux des esprits les plus avisés, toujours sombre. Il est certain que les efforts de la récession continueront de mettre à rude épreuve les pays industrialisés et encore davantage notre fragile tiers monde. C’est dire que nous aurons devant nous des années difficiles, mais je réaffirme notre volonté tenace de progresser, quoi qu’il advienne, pour nous arracher à cette situation dramatique92.

À travers donc son Sursaut national, cette « cette doctrine aux contours mal définis, cette restructuration idéologique qui mettait en veilleuse la négritude,»93, Abdou Diouf annonçait son intention de rompre avec des pratiques veilles de deux décennies, et acquises durant l’époque coloniale. En invoquant la nécessité de mettre en œuvre le PALMT (Plan d’Ajustement Économique et Financier àLong et Moyen Terme) qui allait s’échelonner sur sept années, c’est-à-dire de 1985 à 1992 et qui contenait des mesures plus drastiques en ce sens que les mesures prises dans le PREF (Plan de Redressement Économique et Financier) avaient été jugées par les bailleurs de fonds, le président Abdou Diouf annonçait son intention d’aller plus en profondeur dans les réformes demandées par ses créditeurs. « La mise en œuvre du PREF n’avait pas été jugée satisfaisante par les bailleurs de fonds, notamment dans sa dimension structurelle »94.

Les objectifs du PALM étaient de deux types, se situant à deux niveaux, conjoncturel et structurel. Au niveau conjoncturel, il s’agissait de redresser les finances publiques en priorité pour la période 1985/88, c’est-à-dire au cours des trois premières années. Pour cela, il était prévu les mesures suivantes : réduire le rythme de croissance de 2,5% par an à 1%, la part des salaires dans les

92Diouf, Abdou, Le sursaut national avec Abdou Diouf, Publication du parti socialiste. Dakar, NIS, 1981, pp

89-90

93Diop, Momar Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans Sénégal :

Trajectoires d’un État, Paris : Éditions Karthala, 1992, p 19

94Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

dépenses courantes devant être ramenée de 52% à 49% ; réduire le rythme de consommation des ménages de 4,3% à 2,5% ; porter le déficit extérieur à 1,4% du PIB en 1992 contre 18% en 1981 et 10,2% en 1983; porter la part de l’épargne dans le PIB à 10,4% en 1989 et à 13,7% en 1992 (elle était de 4,7% en 1981) ; porter le taux d’autofinancement intérieur à 67,4% en 1989 et à 89,7% en 1992 (il était de -9,3% en 1981); à la fin du PALM, l’État ne devait plus contracter d’emprunts extérieurs au titre de l’aide budgétaire. Au niveau structurel, les objectifs étaient ainsi fixés : consolider les bases de la croissance économique dans l’agriculture, l’industrie, le commerce; promouvoir l’emploi; restructurer le service parapublic; améliorer la programmation des investissements publics par la réorganisation du système de planification qui devrait accorder la priorité aux projets rentables; préserver les bases de la croissance à long terme par le développement du potentiel humain; réduire le taux de croissance démographique de 3% à 2,8%. Les mesures prises pour réaliser les objectifs du PALM se présentaient comme suit : Nouvelle Politique Agricole, Nouvelle Politique Industrielle, restructuration du secteur parapublic, redressement des finances publiques95.

En annonçant ainsi la nécessité de mettre en pratique « le plan à moyen terme de redressement économique et financier » qu’il jugeait comme la solution appropriée pour donner de « nouveaux ressorts à l’économie », en invoquant également un contexte mondial aux prises avec des difficultés qui obligeaient des reconsidérations même pour les pays nantis, et en annonçant aux populations que les années à venir allaient être difficiles, Abdou Diouf les préparaient aux trois nouvelles politiques que son gouvernement entendait mettre en pratique à savoir : la Nouvelle Politique Agricole Ŕ la Nouvelle Politique

Industrielle et celle de la restructuration du secteur public et parapublic comme l’illustre

cette assertion :

Je ne crois pas au miracle qui apporterait une solution universelle à nos problèmes; s’il y a miracle, il est le fruit de nos ambitions, de nos efforts persévérants, méthodiques. Seuls comptent, pour aller de l’avant, la volonté qui fait surmonter les obstacles, l’esprit de méthode et d’organisation qui permet de trouver des solutions rationnelles aux problèmes et, enfin, le sens de la rigueur et de l’austérité qui arme, moralement et civiquement, et incite au dépassement perpétuel. C’est, plus que jamais, le moment de rompre avec le laxisme, le goût de la facilité et de la futilité, la mentalité d’assisté et le mythe de l’État- providence. À cet effet, il convient d’opérer une conversion dans notre

95Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions Bretton-Woods, Paris,

philosophie sociale pour consacrer le travail et non l’affairisme, le sens des responsabilités et non le ponce-pilatisme, l’effort personnel et collectif et non le recours systématique à l’État. Une démarche nouvelle s’impose qui fera place à l’esprit d’initiative, au sens de la rigueur, de l’abnégation. À chacun et chacune, il est demandé d’accroître la contribution personnelle qu’il apporte aux efforts de l’État pour lutter contre la récession et le sous-développement. Il s’agit, plus précisément, de s’accorder avec les impératifs de la conjoncture et, ce faisant, de se surpasser dans le travail quotidien96.

Il est légitime de penser que ce réquisitoire sévère du nouveau Président de la république à l’endroit des populations, et son appel à une citoyenneté patriotique étaient loin d’être gratuits en ce sens qu’il savait que les mesures qui allaient accompagner ces politiques pouvaient susciter une vive indignation auprès des populations rurales et urbaines. En exhortant les citoyens à rompre avec cette mentalité d’assisté qu’il condamnait entre autres pour récuser cette vérité construite autour de l’État-providence, et pour finir avec un appel à la John Fitzgerald Kennedy97 pour un nouveau type de sénégalais, Abdou Diouf annonçait et de façon expresse son intention de rompre avec les pratiques de la gestion économique de Senghor dont il fut Ŕ il est important de le rappeler Ŕ le premier ministre et « le successeur à la faveur d’une mesure constitutionnelle »98.

Le slogan du moins d’État, mieux d’État, utilisé dans le discours officiel gouvernemental allait servir comme outil de légitimation pour le nouveau rôle de l’État, tout en ayant pour but ou finalité de situer les nouvelles priorités du gouvernement. Ce slogan, clair dans son énoncé et dans sa formulation, annonçait non seulement la fin de l’interventionnisme gouvernemental dans la sphère sociale et publique, mais également et surtout la fin de l’État-assistance. Si le moins d’État renvoyait à la recherche d’une présupposée efficacité de l’intervention étatique, il demeurait clair dans l’esprit de ses tenants (gouvernement et bailleurs de fonds) qu’il fallait mettre un terme à toute demande sociale et pour les raisons suivantes : son rejet était non seulement une condition à remplir pour le redressement des

96 Diouf, Abdou, Le sursaut national avec Abdou Diouf, Publication du parti socialiste. Dakar, NIS, 1981, pp

90-91

97 « Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais demande toi ce que tu peux faire pour ton

pays » : Extrait du discours d’investiture du 20 janvier 1961 de John Fitzgerald Kennedy, président des États- Unis d’Amérique de 1961 à 1963. Nous sommes conscients du caractère allégorique de notre métaphore.

98 Diaw, Aminata, « La démocratie des lettrés » dans Sénégal : Trajectoires d’un État, Paris, Éditions

finances publiques, mais le mieux d’État ne pouvait être effectif qu’avec des objectifs centrés et orientés vers le marché, c’est-à-dire la liberté d’entreprise. Le mieux d’État signifiait par conséquent la mise en place de la législation ou réglementation appropriée pour assurer une effectivité du laissez-faire.

Ainsi, l’État minimal, contrairement à l’État assistance, avait pour tâche exclusive de servir le marché, mais aussi ses intérêts et cela au détriment des populations en général et de ses travailleurs ou salariés en particulier. Support du marché et de tout ce qui s’y rattache, orienté et uniquement préoccupé par l’activité économique, l’État minimal avait dans son viseur non seulement les syndicats, mais également la société entendue comme la communauté des individus. L’état minimal se voulait dans le fond un État de rupture par rapport aux légitimes attentes et doléances des populations, en ce sens qu’il entendait être au service exclusif de l’initiative économique, celle privée plus particulièrement. Comme tel, l’État minimal entendait servir les entreprises privées d’abord et les entreprises publiques ensuite que les autorités gouvernementales entendaient privatiser.

Dans l’esprit de ses tenants, en l’occurrence le gouvernement et les bailleurs de fonds, il fallait via de nouvelles réglementations fragiliser d’abord puis démanteler ensuite tout cadre susceptible de favoriser ou d’encourager des réseaux de solidarité. Concrètement, cela signifiait pour les autorités gouvernementales de renforcer les pouvoirs du patronat pour lui permettre de se soustraire sans difficulté aux objectifs de la contestation, arme par excellence du monde salarié et des syndicats.

Le Code du Travail en vigueur depuis 1961 allait faire l’objet de réaménagement : les missions de la Banque mondiale envoyées au Sénégal avaient estimé que la législation du travail du pays renfermait des dispositions trop protectionnistes pour les travailleurs, et étaient ainsi de nature à freiner le dynamisme des entreprises. Deux dispositions du code du Travail étaient visées, l’article 35 selon lequel le contrat de travail à durée limitée ne pouvait être renouvelé qu’une seule fois, et cette disposition visait à mettre les travailleurs à l’abri de la menace de non renouvellement, de leur permettre de revendiquer leur droit sans risque et de militer dans le syndicat de leur choix ; parce que pendant la période coloniale, un employeur pouvait à sa guise, utiliser en permanence de la main d’œuvre temporaire, pour des postes de

travail permanents. L’article 199, qui avait fait du service de la main d’œuvre un Service public, lui accordant le monopole de bureau de placement et d’emploi, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Une loi prise en juillet 1987 dans le cadre du PALM et de la NPI avait supprimé ces deux dispositions. Dorénavant, les employeurs pouvaient recourir sans limite au contrat de travail à durée temporaire, et le service de la main d’œuvre n’avait plus le monopole du placement des travailleurs99.