• Aucun résultat trouvé

I. LES OBJECTIFS POLITIQUES DU PROGRAMME DES AJUSTEMENTS STRUCTURELS

I.I. METTRE UN TERME À LA MISSION SOCIALE DE L’ÉTAT

Concrètement, il s’agissait de procéder au démantèlement de l’État-assistance par rapport à sa mission sociale, entendue comme cet État qui protège, sécurise et assiste à la fois ses ressortissants et ses entreprises tant publiques que privées. Il est aussi un État qui, par l’entremise de son gouvernement, intervient pour porter assistance matérielle et financière aux populations et à leurs initiatives économiques. Nous parlons de mission sociale pour faire ressortir la perception que les populations africaines en général et la population sénégalaise en particulier avaient de l’État au lendemain des indépendances, de cet État qui au sortir de la tutelle coloniale Ŕ il est important de le mentionner Ŕ a voulu jouer et a joué un rôle de premier plan dans la prise en charge de la demande sociale. Sous l’égide du FMI (Fonds Monétaire International) et de la BM (Banque mondiale), l’ajustement structurel, comme politique économique a vu le jour au Sénégal au début des années 1980.

Présenté par les autorités gouvernementales comme nécessaire et incontournable, le PAS qui se voulait un remède pour l’économie sénégalaise qui était agonisante, s’était singularisé par la rigidité de ses conditions tant au plan social qu’économique. Au plan social, il légitime de présumer que ce qui était demandé aux autorités gouvernementales par les créditeurs (FMI Ŕ Banque mondiale) n’était donc rien d’autre que de rompre avec cette habitude née après l’indépendance, et qui consistait à apporter un soutien aux populations d’abord et à l’individu ensuite. Il est doncimportant de retenir quec’est par rapport à ce

contexte qu’il faut situer et comprendre le discours qui portait sur le désengagement de

l’État et dont la finalité était de préparer les populations aux mesures de ruptures

qu’exigeait le programme des ajustements structurels. Il est toutefois important de mentionner que ce soutien des autorités politiques gouvernementales à l’endroit des populations était attendu par les masses rurales et urbaines, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, cette attente a été favorisée par la perception que les dites masses avaient de celui ou de ceux qui détenaient le pouvoir pendant et durant l’époque coloniale. En effet, dans ce contexte de domination où les initiatives et volontés des populations indigènes étaient pratiquement interdites, la dépendance des populations à l’endroit du colon relevait d’une

double évidence. Pour les populations d’abord qui, privées de tout leur droit pour agir, attendaient tout de l’État colonial, et ensuite pour les autorités coloniales qui, en privant les populations de leurs droits, devaient tout faire pour elles.

La mise en place de la gestion coloniale, dans les pays d’administration directe, a eu deux phases, dont les logiques ont structuré les trajectoires du politique, le tissu social et les relations entre les populations et l’État colonial. La première séquence est bornée par la période entre la fin de la première guerre mondiale et la première moitié des années 20. Le pouvoir colonial a très tôt acquis l’idée que les sujets ne pouvaient qu’être dirigés par la médiation de chefs indigènes. La position auxiliaire des chefs a une incidence dans les relations entre l’État et les populations et sur la nature de la réception du pouvoir colonial et de sa symbolique. Ainsi dans l’exemple des pays wolof où l’arachide s’est développée, les chefs choisis par l’administration coloniale étaient détenteurs d’une certaine légitimité politique ou sociale. Mais, le canton sous leur autorité était souvent plus étendu que leur terroir de légitimité. La chefferie est définie de manière très claire par le Gouverneur Van Vollenhoven dans une circulaire administrative de 1917 : les chefs n’ont aucun pouvoir propre d’aucune espèce

car il n’y en a qu’une; seul le commandant de cercle commande. Le chef indigène n’est qu’un instrument, un auxiliaire de transmission. L’autoritarisme

colonial et le centralisme administratif leur laissa peu de possibilités pour légitimer leur propre autorité et de gagner la confiance de leurs administrés84. Ensuite, cette perception quant au rôle social de l’État a perduré après 1960 (date à laquelle le Sénégal a obtenu son indépendance) et a été renforcée entre autres par le taux d’analphabétisme des populations autant rurales qu’urbaines. Elle était la même que celle que les populations colonisées avaient à l’endroit de la tutelle coloniale. Ce soutien du gouvernement à l’endroit des populations rurales et urbaines Ŕ il est important de le mentionner Ŕ était non seulement socialement attendu, et peut être même exigé, mais il était aussi politiquement utile et efficace. Au plan politique, ce soutien des autorités politiques gouvernementales était un gage de légitimité de leur action autant sociale que politique, en ce sens que cette action se voulait et s’est voulue conforme avec les préoccupations ou ambitions politiques des précurseurs de l’indépendance :

84 Diouf, Mamadou, Le clientélisme, la « technocratie » et après ? Dans Sénégal : Trajectoires d’un état,

De 1960 à nos jours, l’État a été au Sénégal un important thème de débat politique. Sur cette question, les positions idéologiques des dirigeants sénégalais ont considérablement évolué. Elles seront d’abord le support d’une politique d’intervention massive de l’État dans l’activité économique, option favorisée par les pressions nationalistes des indépendances et par la volonté d’asseoir et de consolider la base matérielle du pouvoir politique. Cette démarche dont Léopold Sédar Senghor sera le théoricien à travers sa doctrine du socialisme africain, conduira progressivement la bureaucratie d’État à rechercher des responsabilités de plus en plus importantes dans la stratégie du développement. Pendant cette phase, qui va de l’indépendance à la fin des années 1970, le personnel politique a trouvé en Léopold S. Senghor son intellectuel et a exprimé à travers lui sa volonté de faire de l’État, l’agent du rattrapage des nations occidentales. Cette volonté s’est traduite par une extension croissante du service public et parapublic car, pour des raisons historiques et structurelles (liées à la domination du tissu industriel sénégalais par des entreprises implantées pendant la colonisation et contrôlant les circuits de distribution, et à l’absence d’une accumulation interne pouvant générer la bourgeoisie), il n’y avait pas une classe capable de se substituer à l’État comme agent central du développement85.

Cette perception du rôle social de l’État était également présente chez certains des intellectuels. Légitimée d’abord par un corps social habitué à voir l’État assister les populations, cette perception a été renforcée par la conviction auprès de certains intellectuels, notamment de gauche, qui trouvaient juste et légitime que l’État assiste les populations. C’est donc cette intervention envers le social entendue comme la société que le programme des ajustements, dans ses objectifs politiques, a cherché à supprimer. Elle était à l’origine du mal, c’est à dire de la très mauvaise santé de l’économie selon les bailleurs de fonds (F.M.I & Banque mondiale). Elle était la cible à abattre, et il revenait aux autorités gouvernementales la délicate tâche de la faire. « Conçu au moment des indépendances comme une machine efficace pour stimuler la croissance économique, l’État apparait aujourd’hui, à travers les publications de la classe dirigeante et des bailleurs de fonds, comme un appareil monstrueux et parasitaire. Accusé de mal gérer les ressources publiques, de mal investir, il a de nos jours mauvaise presse »86 comme en témoignent ces propos de l’auteur, alors ministre du plan et de la coopération sous Abdou Diouf :

85 Diop, Momar Coumba, Diouf, Mamadou, Le Sénégal sous Abdou Diouf, Paris, Éditions Karthala, 1990, pp

7-8

86 Diop, Momar Coumba, Du « socialisme » au « libéralisme » : les légitimités de l’État dans Sénégal :

Une des formes qu’a revêtue l’expansion du secteur public a été la multiplication des organismes paraétatiques. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que ces organismes, pour la plupart des entreprises publiques, ont déçu au regard de l’espoir dont ils étaient porteurs au moment de leur création. On espérait que les entreprises d’État seraient le fer de lance de la modernisation et de l’innovation technologique et qu’elles secréteraient une épargne publique qui pourrait relancer l’investissement et la croissance économique. Il n’en fut rien, car elles ont été victimes d’une gestion négligente dont une part seulement leur incombe, l’autre partie ayant pour origine les orientations confuses dont elles étaient l’objet. Les causes de cet état de fait sont multiples, mais le résultat est unique : les entreprises publiques, au lieu de contribuer à l’épargne publique, ont surtout opéré des ponctions sur le budget et fait peser une charge supplémentaire sur les consommateurs87.

Cette mauvaise presse de l’État Ŕ il est important de le souligner Ŕ était en vérité une critique et une remise en cause de son interventionnisme tant au plan social qu’économique. Cette critique qui venait de la part de son mandataire en chef, en l’occurrence le gouvernement, trouvait sa justification dans le programme des ajustements structurels qui exigeait pour sa réussite et son efficacité le retrait de l’État non seulement de la sphère sociale, mais également et surtout économique. Le discours portant sur le

désengagement de l’État allait ainsi prendre une place importante dans le discours officiel

gouvernemental. Ce discours avait pour objectif non seulement de justifier et de légitimer les nouvelles politiques, mais également et surtout de rompre avec ce devoir d’assistance auquel les populations s’étaient habituées.

Ne plus rien attendre de l’État pour le paysan, par exemple pour ce qui est des semences, s’offrir et se trouver du travail par soi-même dans un cadre et un contexte marqué par le clientélisme politique, mettre le travailleur à la solde du patronat, diminuer le nombre des employés de la fonction publique et ne plus faire de recrutement, bref renvoyer le citoyen sénégalais à lui-même : tels étaient le contenu de la nouvelle orientation des nouvelles politiques que le gouvernement entendait adopter à l’endroit des populations rurales et urbaines.

87 Kane, Cheikh Hamidou « La nouvelle planification du développement économique et social »

Le désengagement de l’État qui constituait l’une des charpentes de la « nouvelle politique économique » s’était accentué avec notamment la privatisation de plusieurs entreprises à partir de novembre 1995. Les conséquences générales de cette politique étaient une libéralisation des marchés nationaux, la réduction de la participation de l’État aux activités économiques et une nette priorité aux politiques budgétaires88.

Présenter l’intervention de l’État comme un mal dans sa noble et légitime tâche de porter assistance aux populations, paraissait ainsi justifié pour un gouvernement soit dit en passant

socialiste. Le mal selon ses tenants (FMI - Banque Mondiale Ŕ Gouvernement), n’était pas

dans la gestion des autorités gouvernementales, mais plutôt dans le fait que l’État s’activait à prendre en charge la demande sociale sans en avoir les moyens. Cette demande sociale Ŕ il est important de le souligner Ŕ n’était pas dans la sécurité du revenu et encore moins la garantie d’un emploi. Elle était dans ce droit, légitime des populations d’avoir la possibilité d’aller à l’école ou d’y envoyer leurs enfants, de recevoir les soins de santé appropriés par la mise en place des services compétents. Il était de la responsabilité du gouvernement et de tout gouvernement d’ailleurs, de créer les conditions pour qu’un tel droit puisse se matérialiser.

Cette demande sociale était aussi dans ce droit des populations de pouvoir se soigner dans une région ou le paludisme, pour ne citer que ce fléau, faisait des victimes.Cette demande sociale était également dans ce droit pour les diplômés de l’université, d’avoir la possibilité de trouver auprès des autorités gouvernementales d’abord et administratives ensuite, le support nécessaire pour pouvoir être actif. Cette demande sociale était également dans ce

droit pour les masses paysannes d’avoir la possibilité de recevoir un support et une

assistance concrète des autorités gouvernementales pour assurer une bonne production, et cela dans un contexte où le climat et les conditions climatiques, se voulaient des obstacles pour le travail et le rendement paysan.

88 Diop, Momar-Coumba, « Réformes économiques et recompositions sociales » dans La construction de

Il convient de ne pas perdre de vue qu’au Sénégal comme dans les autres pays africains, la croissance économique est surtout tributaire de facteurs exogènes, sans rapport avec les mesures de politiques économiques, ceci compte tenu de la structure extravertie de l’économie. Ici, la croissance économique se maintient à un niveau satisfaisant, tant que la pluviométrie est bonne et que les cours de l’arachide et des phosphates ne se détériorent pas trop89.

Cette demande sociale, pour les entreprises publiques ou à vocation publique, était dans ce

droit de s’attendre à des subventions pour mieux servir les populations. Pour faire bref,

cette demande sociale était dans ce droit non seulement légitime, mais normale entre autres, d’attendre des autorités gouvernementales de créer les conditions favorables à l’épanouissement de l’individu et de la société. Dans cette attente légitime entre autres où le social justifiait l’orientation des politiques comme en était le cas sous Senghor, il fallait même soutenir l’initiative privée en ce sens que son succès ne pouvait en aucun cas être préjudiciable à l’économie nationale et aux populations. En parlant donc de

désengagement de l’État pour justifier et mettre en pratique des politiques conditionnées

par des impératifs économiques, il est légitime de soutenir que ce discours annonçait certes la fin d’un certain rapport entre l’État et les populations, mais aussi en proposait un autre qui consistait fondamentalement à renvoyer la société (l’individu et sa communauté) à elle- même.

Concrètement, cela signifiait la fin des subventions, et de certaines pratiques à caractère social, mais aussi la naissance d’un nouveau type de rapport entre l’État et ses ressortissants. Le redressement des finances publiques devenait dans pareil contexte un rouleau compresseur qui allait tout absorber lors de son passage. « Le recrutement dans la fonction publique était bloqué, et les départs à la retraite ne pouvaient faire l’objet de remplacements, lesquels n’étaient dorénavant possibles qu’en cas de décès ou de démission »90. Les populations autant rurales qu’urbaines étaient à la fois ébranlées et éprouvées par la rigueur des politiques d’austérité combinée à la baisse considérable de leur pouvoir d’achat consécutive entre autres à la Dévaluation du Franc CFA en 1994 qui était

89 Diouf, Makhtar, L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des Institutions Bretton-Woods, Paris,

L’Harmattan, 2002, p 145

demandée par les principaux bailleurs de fonds, en l’occurrence le FMI et la Banque mondiale.

La politique libérale mise en œuvre en diminuant les sinécures et les dépenses de légitimation, en concentrant les ressources à la Présidence de la République, favorisait l’émergence d’une nouvelle configuration politique tout en provoquant en même temps les crises les plus violentes qui avaient secoué l’État. En effet, dans les nouvelles politiques, le désengagement de l’État au profit du secteur privé n’était pas seulement en jeu. Plusieurs facteurs étaient des indices de la clôture définitive du compromis postcolonial sur lequel s’était édifié le système politique sénégalais. L’épuisement du compromis mettait en évidence le problème de répartition de revenus et de pouvoirs entre les groupes sociaux. Problème dévoilé aujourd’hui par les politiques de dégraissage de la fonction publique réduisant à néant la classe des fonctionnaires, qui fut le principal élément de la stabilisation sociale91.

Par la brutalité des mesures (suppression de 6000 emplois au niveau de la fonction publique, allégement du Code du travail), la perception des populations quant au rôle social de l’État, jadis fondée sur cette attente de voir l’État leur apporter secours et assistance, allait disparaître. Contraint par la logique du redressement des finances publiques, exigée et demandée par les bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale), l’État était appelé à agir autrement. Dit autrement, il s’était donné une nouvelle vocation à savoir : être au service du marché. C’est par rapport à cette logique qu’il faudrait comprendre et situer le discours sur l’efficacité de l’État minimal via le slogan moins d’État, mieux d’État dont la finalité recherchée était sa mise en place, mais aussi celle de l’économie de marché.