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La vision biblique de la terre : une réflexion menée au sein de la paroisse réformée de Mbouo-Ngwinké au Cameroun

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La vision biblique de la terre

Une réflexion menée au sein de la paroisse réformée

de Mbouo-Ngwinké au Cameroun

Thèse

Jean Lesort Louck Talom

Doctorat en théologie pratique

Docteur en théologie pratique (D.Th.P.)

Québec, Canada

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iii

Résumé

Cette recherche porte sur le problème des terres de la paroisse réformée de Mbouo-Ngwinké au Cameroun. Cette paroisse s’étend sur plusieurs hectares. Ses membres sont en majeure partie des femmes issues de foyers polygames dont la seule source de revenu est la petite agriculture provenant du travail rudimentaire de la terre. La terre de nos jours consti-tue pour la plupart des Églises une richesse ; tel n’est pas le cas de cette paroisse, qui est très pauvre. Il s’agit ici de comprendre avec les paroissiens comment une paroisse nantie de terres peut être si pauvre.

Dans une perspective de théologie pratique, le but de cette recherche est de voir comment les paroissiens réfléchissent au rapport à leur terre dans une perspective de foi, et quelles voies de développement ils entrevoient. Pour conduire cette recherche, j’ai utilisé la mé-thode d’analyse socio-littéraire de textes bibliques. C’est une mémé-thode qui combine analyse narrative et analyse sociologique. Cette méthode a été expérimentée tant sur les verbatim recueillis auprès de quelques paroissiens dans le cadre d’ateliers bibliques, que sur les textes bibliques eux-mêmes. Une corrélation critique a ensuite été opérée entre ces deux analyses.

Au terme de la recherche, la terre est apparue comme un don de Dieu, le fruit d’une grâce. Cette grâce mérite en retour des gestes de reconnaissance, d’action de grâce. Elle peut être conservée si les commandements de Dieu sont observés ; mais elle peut également faire défaut si l’être humain n’est pas fidèle. La terre est donc à la fois un lieu de bénédiction et de malédiction, dépendamment de la liberté de l’homme. L’homme est cependant libre de bien gérer les fruits de la terre. C’est la raison pour laquelle une éthique de gestion et une éthique de vie communautaire sont indispensables pour la paroisse. Il s’ensuit un appel à la communion fraternelle et à l’égalité entre les paroissiens, hommes et femmes sans distinc-tion.

Tout au long de la recherche, la terre a été identifiée à la communauté chrétienne elle-même. Des pistes de développement ont été explorées. Il appartient maintenant aux parois-siens de les expérimenter sous la conduite du Seigneur.

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Table des matières

Résumé ... iii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

1. Une trajectoire de vie ... 2

2. Une paroisse ancrée dans ses terres ... 4

3. Revue de la littérature ... 6

3.1 Les études bibliques sur la terre ... 6

3.2 Les études bibliques sur la terre au Cameroun ... 9

3.3 Les populations rurales camerounaises et la terre ... 11

3.4 Les recherches sur le développement des terres ... 12

4. Question de recherche et structure de la thèse ... 15

Chapitre 1. L’Église Évangélique du Cameroun et l’enjeu de la terre ... 17

1. Le pays bamiléké de l’Ouest Cameroun ... 18

1.1 Le peuple bamiléké ... 18

1.2 Organisation du peuple bamiléké ... 19

1.3 Le mariage et la famille ... 20

1.4 La place de la femme dans la société bamiléké ... 22

1.5 Les terres au cœur de l’économie ... 24

1.6 L’émigration ... 25

2. L’Église Évangélique du Cameroun et la paroisse de Mbouo-Ngwinke ... 26

3. Un regard sur l’Église comme organisation ... 35

Chapitre 2. Un parcours de recherche à l’écoute des paroissiens et de la Parole de Dieu ... 39

1. Aperçu d’ensemble de la méthodologie ... 39

2. Le focus group ... 42

3. La lecture populaire de la Bible ... 44

3.1 Carlos Mesters ... 45

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3.3 Fidèle Mabundu... 48

3.4 Bilan ... 50

4. La méthode socio-littéraire ... 50

4.1 Dimensions sociologiques en analyse socio-littéraire ... 51

4.2 Quelques indices socio-anthropologiques utilisés en analyse socio-littéraire ... 53

4.3 Analyse narrative... 55

4.4 Mise en œuvre ... 56

5. Pertinence de la méthode d’analyse socio-littéraire... 58

6. Procédures et déroulement de l’enquête ... 58

Chapitre 3. La terre, une passion des paroissiens ... 63

1. Présentation du schéma simplifié d’analyse ... 63

2. Présentation des résultats de l’analyse : compte rendu de l’analyse et discussion des principaux thèmes retenus ... 63

2.1 La terre est un don de Dieu ... 64

2.2 La terre, image de Dieu ... 66

2.3 La terre, enjeu de promotion de la femme ... 69

2.4 La terre, objet de préservation, d’interpellation au respect d’autrui et de la Parole 70 2.5 La terre, objet de production et de vie ... 71

2.6 La terre, ses enjeux de rendement et de probité ... 73

2.7 La terre, objet de reconnaissance ... 73

2.8 La terre, objet de respect et de savoir-faire ... 75

2.9 La terre, objet de malversations ... 77

2.10 La terre, vie en abondance... 78

Chapitre 4. Terre promise, terre donnée ... 80

1. La terre, don de Dieu et objet de respect de la loi. Étude de Dt 8,1-20 ... 80

1.1 Texte choisi ... 80

1.2 Contexte narratif ... 81

1.3 Essai de lecture ... 84

2. La terre, grâce de Dieu et invitation à la reconnaissance. Étude de Dt 26... 92

2.1 Texte choisi ... 92

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2.3 Essai de lecture ... 96

3. La terre, objet de bénédiction et de malédiction. Étude de Dt 28,1-20... 101

3.1 Texte choisi ... 101

3.2 Contexte narratif ... 103

3.3 Essai de lecture ... 103

Chapitre 5. Terre de salut, terre d’action de grâce... 110

1. La terre, lieu de vie et signe du Royaume de Dieu. Étude de Matthieu 13,1-50 ... 110

1.1 Texte choisi ... 110

1.2 Contexte narratif ... 112

1.3 Essai de lecture ... 115

2. La terre, lieu et objet de bonne gestion. Étude de Luc 16,1-13 ... 128

2.1 Texte choisi ... 128

2.2 Contexte narratif ... 129

2.3 Essai de lecture ... 131

3. La terre, objet de communion fraternelle et de modèle pour l’Église. Étude de Ac 2,42-47 et 4,32-37 ... 135

3.1 Textes choisis ... 135

3.2 Contexte narratif ... 136

3.3 Essai de lecture ... 137

Chapitre 6. Le sens de la terre selon les paroissiens et les textes bibliques ... 145

1. La corrélation critique en général ... 145

2. La corrélation critique chez Edward Schillebeeckx... 150

3. Points de convergence entre les thèmes des participants et mon étude des textes bibliques ... 152 3.1 Deutéronome 8 ... 152 3.2 Deutéronome 26 ... 154 3.3 Dt 28 ... 155 3.4 Matthieu 13 ... 155 3.5 Luc 16 ... 156 3.6 Actes 2,42-47 et Actes 4,32-37 ... 157

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vii

4.1 Distanciation entre l’exégèse et les verbatim ... 158

4.2 Distanciation entre les verbatim et l’exégèse ... 158

5. Interprétation théologique d’ensemble ... 160

5.1 La terre et la grâce de Dieu ... 160

5.2 La terre entre don, responsabilité et acceptation ... 161

5.3 La terre libératrice par l’évangile libérateur ... 167

5.4 La terre, signe précurseur du Royaume ... 167

5.5 La terre et l’enjeu de la communion fraternelle en Église ... 168

5.6 La terre comme vecteur de l’éthique de l’argent et de la lutte contre l’injustice économique ... 170

5.7 La terre, vecteur de l’éthique de l’environnement ... 171

Conclusion ... 173

1. Pistes de réflexion ... 173

1.1 La gestion des terres ... 174

1.2 Des projets de développement... 174

1.3 Des groupes de collectivités rurales ... 174

1.4 Un partenariat Nord-Sud ... 174

1.5 Création d’une mutuelle sociale paroissiale à partir des tontines existantes... 175

1.6 La gestion administrative de la paroisse ... 175

1.7 Au niveau synodal ou de la direction de l’Église-mère ... 175

1.8 Au niveau des institutions de formation pastorale ... 176

1.9 L’encouragement des valeurs spirituelles ... 176

2. Résistances au changement ... 177

2.1 Au niveau de la direction de l’Église-mère ... 178

2.2 Au niveau paroissial ... 178 3. Bilan d’ensemble ... 179 3.1 Les connaissances ... 180 3.2 Les habiletés ... 180 3.3 Les attitudes... 180 Bibliographie ... xi

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2. Perspectives bibliques et théologiques ... xii

3. Méthodologie et repères théoriques ... xix

Annexe 1. Verbatim des séances d’ateliers bibliques sur la terre ... xxii

Annexe 2. Analyse socio-littéraire des verbatim des ateliers bibliques ... xxxvii Annexe 3. Fiches techniques ... lxxxvi Annexe 4. Lettres d’invitation ... lxxxviii

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Liste des abréviations

Ac : Actes

A.T : Ancien Testament

CEVAA : Communauté Évangélique d’action apostolique Coll. : Collection

Dan : Daniel

DEA : Diplôme d’études approfondies Dt : Deutéronome

DTHP : Doctorat en théologie pratique EEC : Église Évangélique du Cameroun Ex : Exode

Ez : Ézéchiel

FEMEC : Fédération des Églises et Missions Évangéliques du Cameroun Gn : Genèse Jer : Jérémie Jg : Juges Jn : Jean Lc : Luc Mc : Marc Mt : Matthieu Nb : Nombres N.T : Nouveau Testament

ONG : Organisation non gouvernementale

SMEP : Société des Missions Évangéliques de Paris TOB : Traduction Œcuménique de la Bible

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Remerciements

Au terme de ce parcours académique qui s’achève, il me revient de remercier chaleureuse-ment tous les professeurs de la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’université Laval qui nous ont accompagné tout au long de ces quatre années d’études. Mes remerciements vont très cordialement aux professeurs Robert Mager et Guy Bonneau qui ont dirigé ce travail et m’ont amené à découvrir la théologie pratique et l’exégèse socio-littéraire. Quelle richesse d’avoir en même temps travaillé sur deux grandes disciplines ! Merci de tout cœur.

Merci à tous nos deux accompagnateurs : les professeurs Yves Guérette et Céline Roussin pour leurs conseils.

Un grand merci à tous les professeurs qui ont accepté de faire partie du jury : les profes-seurs Guy Jobin, Jacques Racine et Yvan Mathieu.

Que dire de l’Université Laval en général pour les différentes bourses qui nous ont été ac-cordées chaque année ! Merci infiniment.

Je ne saurai oublier l’Église Protestante Unie de Belgique qui m’a accueilli au sein de son corps pastoral et m’a permis de faire ces études.

À mon Église d’origine, l’Église Évangélique du Cameroun qui m’a fait découvrir la pas-sion de la théologie, je dis grandement merci.

À mon épouse et enfants qui m’ont soutenu lors de mes absences et confinements, je leur adresse ma profonde reconnaissance.

À mes défunts parents Pierre, Anne-Félicitée et frères, Ariste Magloire, Emmanuel, Saul qui nous ont quittés à fleur d’âge, je leur dédie ce travail.

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Introduction

Que devient la terre de nos ancêtres ? Où va cette terre ? Que dirons-nous au Seigneur, lors-qu’il nous interrogera sur ce que nous avons fait de la terre de Mbouo ? Si le missionnaire français Paul Dieterlé se réveillait dans sa tombe et venait à Mbouo, que dirait-il de la terre missionnaire qu’il a difficilement obtenue du chef du village ? Voilà autant d’interrogations que certains paroissiens m’ont posées sur la question des terres de la paroisse.

Mon travail concerne les réalités de la terre, et principalement, la question d’une vaste terre de paroisse située dans la région des Grass Fields au Cameroun, en pays bamiléké. Mon étude porte ainsi sur la paroisse protestante réformée de Mbouo-Ngwinké, qui fait partie de l’Église Évangélique du Cameroun1. Cette paroisse, habitée et exploitée par diverses

per-sonnes et institutions, se trouve malheureusement dans un état de précarité extrême. Mon travail s’inscrit dans ce contexte ecclésial rural de pauvreté.

L’objectif général de cette recherche consiste à voir quelles perspectives pourront se déga-ger d’une série d’échanges entre des paroissiens sur leur vécu de la terre, dans des condi-tions de vie marquées par la misère collective. Pour atteindre ce but, des ateliers bibliques ont été organisés avec la participation des paroissiens.

Je vise quatre objectifs spécifiques. Il s’agit, de prime abord, de mieux comprendre le para-doxe que représentent la richesse de la terre et la pauvreté du milieu, dans la mesure où la paroisse qui possède la terre est de plus en plus pauvre. Ensuite, il faudrait savoir s’il existe un lien entre les conditions de vie des fidèles de la paroisse et celles des pasteurs qui y ser-vent, la plupart de ceux-ci demandent rapidement leur mutation vers les grandes villes. Dans un troisième temps, je vérifierai dans quelle mesure une vision biblique de la terre peut amener les paroissiens à comprendre leur situation sociale vécue. Enfin, je verrai si cette même vision biblique peut laisser entrevoir des pistes de développement.

Cette recherche semble s’apparenter à une étude de théologie biblique sur le thème de la terre. Cependant, je propose cette étude non pas dans ce contexte exégétique, mais plutôt

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dans la perspective de la théologie pratique. Je pars d’un vécu social de terre paroissiale qui, selon moi, pose problème. Je voudrai ensuite l’analyser avec la participation de parois-siens à travers la pratique de séances de partage biblique.

Il aurait pu être possible de procéder autrement, mais le contexte local de corruption et de malversation interdisait une approche plus directe qui aurait pu mettre en difficulté les par-ticipants. En procédant par des séances de partage biblique, il m’a été possible d’aborder les enjeux de la terre, mais indirectement, et dans un contexte sécuritaire où les paroissiens pouvaient aborder ces enjeux dans une perspective de foi.

Pasteur de cette Église, je suis particulièrement soucieux de son avenir et je trouve impor-tant d’exposer brièvement les motivations et le parcours qui marquent ma posture d’intervenant chercheur.

1. Une trajectoire de vie

Originaire de l’Ouest Cameroun, natif du village Bandjoun, j’ai vécu la plus grande partie de ma vie dans ces lieux. Né de parents et de grands-parents agriculteurs, j’ai été fortement marqué par la situation dans laquelle vivent les populations et les chrétiens de cette zone rurale des Grass Fields, également appelée pays bamiléké, où la terre est la seule ressource vitale.

La culture religieuse reçue de mes parents, mon éducation au collège secondaire mission-naire, l’éducation universitaire reçue par la suite à Yaoundé ainsi que mon retour comme enseignant au sein du même collège secondaire, m’ont permis d’intégrer pleinement le con-texte agricole du village et de ma paroisse. Mes études de théologie, mon stage à l’Institut œcuménique de Bossey en Suisse et mon retour comme pasteur proposant et pasteur titu-laire dans cette paroisse, m’ont confronté aux difficultés liées aux terres, à leur gestion, à la vie agricole et saisonnière.

Les conflits vécus par mes collègues et frères en Christ, les paroissiens, en ce qui a trait au vécu du pasteur, à son manque de traitement salarial, aux conditions de misère et aux

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mal-3

versations relatives aux terres de l’Église m’ont aussi interpellé. J’ai pensé que mon enga-gement comme chercheur dans l’examen de ces difficultés pourrait nous être bénéfique. Enfin, en Belgique, étudiant en DEA de théologie à Louvain, j’ai été paroissien dans une petite communauté située dans une zone de pauvres agriculteurs, dont les parents ont jadis travaillé dans le charbonnage. Cette région extrêmement pauvre m'a incité à reconsidérer la pauvreté de mon village Bandjoun au Cameroun. Par la suite, je fus appelé à servir comme pasteur dans une autre communauté à quelques centaines de kilomètres de là, dans une autre zone anciennement charbonnière où la pauvreté règne jusqu’à nos jours.

C’est ainsi que mon vécu rural, ma vie universitaire, ma tâche d’enseignant au secondaire, mon parcours d’étudiant en théologie à Yaoundé, mes différents stages œcuméniques à Genève, à Bafoussam et à Mbouo-Ngwinké, mes études de DEA à Louvain et, depuis lors, l’accompagnement de la communauté protestante du Borinage en Belgique, constituent des étapes marquantes de ma vie et balisent la cartographie de mon expérience. Cette cartogra-phie m’a conduit à réfléchir aux problèmes des terres de ma région natale, seule ressource vitale et matérielle de l’homme rural de l’Ouest Cameroun et de mon village en particulier. Dans cette région bamiléké, on ne peut pas parler de vie, de bien-être ou de santé sans par-ler des terres cultivables, seule richesse que Dieu a donnée à ce peuple. Telle est l’idée qui me pousse à agir comme intervenant.

Par ailleurs, je dirais que le milieu de vie rural joue un rôle essentiel pour moi en tant qu’intervenant. Ayant grandi et œuvré dans une zone nantie de terres agricoles, je suis amené à comprendre le sens de la terre, à analyser le contexte socioculturel bamiléké, à examiner le contexte d’implantation des Églises protestantes dans les Grass Fields par les missionnaires blancs. Je m'intéresse tout particulièrement au rapport de la communauté paroissiale à la terre, et en particulier au phénomène de distribution ou de vente des terres paroissiales. Ceci pourrait me permettre de comprendre ce qui pose problème dans la pa-roisse. Il s’agit aussi de voir si le contexte socioculturel n’a pas une incidence sur la gestion des terres paroissiales.

Ces événements vécus me percutent, m’engagent dans des réflexions et cheminements qui me déplacent intérieurement, me sollicitent dans ce que je porte comme héritage, dans ce

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que je perçois de ma propre identité et, souvent, risquent de me renvoyer dans mes retran-chements.

Au cours de l’exercice de mon ministère pastoral, j’ai vécu des situations conflictuelles. Je me suis demandé si tout au long de ce ministère dans mon Église, je serais confronté à ce genre de choses. Un cas frappant s’est déroulé dans ma dernière paroisse où les fidèles, le pasteur en titre et moi-même (je n’étais que le vicaire) avons vécu un grave problème de discorde entre les paroissiens sur une question de gestion des terres. Un grand conflit entre la famille pastorale (dont je suis membre avec mon collègue pasteur, chef de la paroisse, nos enfants et nos épouses) et l’assemblée chrétienne représentée par le conseil d’anciens (ou presbytéral) en a résulté.

Mon identité professionnelle est concernée. Je suis interpellé en tant que pasteur au sujet des problèmes des terres de la communauté. Je suis interpellé en tant que théologien prati-cien sur la bonne marche d’une paroisse, sa gestion saine ainsi que les bonnes relations entre les fidèles et leur pasteur. Je suis interpellé en tant que pasteur et intervenant par l’enjeu de la gestion des conflits. Je suis interpellé quant aux rapports entre la terre, l’Église, l’argent et l’Évangile.

Je me considère comme un catalyseur, un simple instrument que Dieu peut utiliser à travers ce travail pour permettre aux paroissiens de comprendre leur situation et d’esquisser des pistes de solution grâce à l’Évangile. Mes expériences de vie me permettent de bien com-prendre le phénomène socioculturel, de saisir le vécu des paroissiens, et de laisser Dieu me guider au service de mon Église et de mon village. En d’autres termes, les expériences de vie que j’ai vécues, même les plus désastreuses, ont été, tant pour moi que pour ma pa-roisse, un tremplin salutaire dans l’accomplissement de ma mission pastorale.

2. Une paroisse ancrée dans ses terres

Les terres constituent l’unique source de revenu de la paroisse rurale de Mbouo-Ngwinké. La paroisse de Mbouo est nantie de terres qui devraient normalement constituer sa richesse, mais qui, malheureusement, engendrent de la pauvreté et des conflits tant dans la paroisse qu’à l’Église-mère. C’est ce paradoxe de la richesse en terres et de la pauvreté de la

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pa-5

roisse, qui constitue un problème majeur de la communauté paroissiale. À ce problème cen-tral se lient plusieurs facteurs tels que l’exode rural des pasteurs, la simonie et bien d’autres maux.

Il faut noter que toute la région est essentiellement agricole. La terre à cultiver constitue le seul moyen sur lequel les gens misent pour survivre sur tous les plans, à savoir la santé, l’éducation, la nutrition et toute forme d’amélioration de leurs conditions de vie. L’année où les conditions météorologiques et climatiques ne sont pas propices, c’est la catastrophe à tous les niveaux: famine, manque des moyens financiers pour la santé, pour l’éducation des enfants, etc. Bref, c'est une année difficile pour tous. Il y a ainsi une interaction étroite entre la terre et les paroissiens dans un contexte de pauvreté généralisée et collective.

Le sujet de la terre est donc au centre des réalités quotidiennes et existentielles du villa-geois. Cette question des terres dans un contexte de précarité et de misère constitue le prin-cipal problème de la communauté paroissiale. Les membres de cette paroisse sont prati-quement tous des paysans, et majoritairement des femmes qui ne peuvent pas supporter le poids financier de leur paroisse. Beaucoup d’hommes ne sont pas engagés dans la paroisse parce qu’ils considèrent certaines lois de l’Église comme contraires aux coutumes ances-trales de la région.

Ce qui me pose problème, c’est donc cette possession collective des terres dans un contexte généralisé de misère. Cette situation de précarité engendre un problème secondaire: la communauté paysanne est confrontée chaque année à plusieurs départs et arrivées des pas-teurs pour des questions financières. Dans la structure ecclésiale du lieu, le pasteur est le chef de paroisse qui coordonne les activités et demeure la cheville ouvrière. Dès qu’un nouveau pasteur arrive, la donne change. Il faut du temps aux paroissiens pour s’adapter à son nouveau projet de vie paroissial. Un ancien d’Église déclarait lors d’une assemblée synodale que chaque pasteur qui arrive dans une paroisse sort son Église de sa poche. Chaque année, en ma qualité d’élite du village, les paroissiens me posent la question du devenir de cette communauté paroissiale.

Dans le cadre de ma recherche, je veux voir comment les paroissiens, dans leur contexte de misère, réfléchissent eux-mêmes par rapport à leur terre. C’est la raison pour laquelle, en

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tant que chercheur, je suis tenté d’amener les chrétiens et chrétiennes paroissiens à prendre conscience, à réfléchir collectivement dans un cadre d’échange et de partage sur leur rap-port à la terre à travers des ateliers d’études bibliques et, si possible, à en tirer des perspec-tives de développement.

Il faut voir si d'autres auteurs se sont préoccupés de situations analogues. Qu’en est-il donc de la littérature à ce propos ?

3. Revue de la littérature

La littérature existante se distribue autour de quatre axes principaux: les études bibliques sur la terre en général, celles qui portent sur la terre au Cameroun, celles qui étudient les rapports entre la population rurale camerounaise et la terre, et enfin les recherches sur le développement des terres.

3.1 Les études bibliques sur la terre

La distribution équitable des ressources de la terre n’est-elle pas une forme de prescription biblique? Telle est l’interrogation du théologien Bertrand Rollin2 sur les pauvres en rapport

avec les biens de la terre. Le don de la terre est un signe de la grâce de Dieu et de la volonté de Dieu pour l’épanouissement de l’homme. Celui-ci doit travailler et vivre de la terre, dont il ne peut se distancier ou se séparer. Dieu n’aime pas la pauvreté. L’auteur cite des textes tant de l’Ancien Testament que du Nouveau Testament3.

Un des aspects importants de cette étude est la notion de partage. De telles perspectives ont permis aux premières communautés chrétiennes de rassembler leurs biens pour le dévelop-pement de l’Église4. Ceci dit, même si Rollin examine quelques textes bibliques relatifs au

lien entre la terre et la pauvreté, la terre n’est pas au centre de son étude.

2 B. Rollin, L’appel évangélique à la pauvreté, Paris, Cerf, 1985, p. 18-23. 3 Ibid., p. 23-24.

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La théologienne Geneviève Pochat5 a emboité le pas à B. Rollin dans l’aspect du

mona-chisme dans l’Église, bien que B. Rollin n'ait qu'effleuré cette question. Elle part d’une étude sur François de Sales. L’auteure raconte que François de Sales invite les nantis à plus de bienveillance envers les démunis6. La précarité financière et le manque de foi sont

indis-sociables. Yahvé est miséricordieux et voit tout ce qui se passe ; seul lui, par son attitude bienveillante, pourra récompenser l’homme. La théologie de la grâce d’obédience de Saint Paul, à connotation de Saint Augustin par ailleurs, se trouve tant dans le vocabulaire que dans la démarche et la conception des choses de François7.

Dans le même ordre d’idées, le bibliste Fritz Lienhard8 pense que ceux qui vivent des

res-sources de la terre et qui sont mieux nantis devraient, par esprit de solidarité, penser aux autres. Lienhard veut réfléchir à la responsabilité des propriétaires terriens riches. Il se base sur les chapitres 8 et 26 du Deutéronome qui abordent les notions de don et de partage9. Il

prend l’exemple de Jésus dans le Nouveau Testament, qui a assumé la pauvreté en vivant lui-même comme un pauvre. En somme, Fritz Lienhard développe une réflexion sur le don ; ma recherche approfondira cette notion dans le cadre spécifique du rapport à la terre. L’exégète Carlos Mesters effleure la notion de la terre dans une étude du livre de Ruth10. La

terre est indissociable de la vie du peuple hébreu. Elle mérite une assurance, une précau-tion, voire même une caution. Mesters estime que le fait d’avoir la terre est à la base des difficultés du peuple hébreu. Tout tourne autour de la terre, que ce soit dans les ménages ou dans les lieux cultuels. Bref, la terre est au centre de la culture juive avec tous les corol-laires sur la loi et l’éthique (achat, vente, héritage, etc.).

5 Geneviève Pochat, François de Sales et la pauvreté, Paris, SOS, 1988, p. 31-32. 6Ibid., p. 31-32.

7Ibid., p. 100-101.

8 F. Lienhard, De la pauvreté au service en Christ, Paris, Cerf, 2000, p. 9-13. 9 Ibid., p. 70-72.

10 Carlos Mesters, Ruth. L’amour engendre la justice (coll. Connaître la Bible n° 34), Bruxelles, Lumen vitae,

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Alain Marchadour11, bibliste, fait une lecture biblique et historique de la question de la

terre. La terre a une connotation géographique tout en étant le fruit d’une grâce12. La terre

est liée aussi en la personne du Christ. Il s'agit donc d'une lecture typographique13. Ce qui

est encore très important dans la lecture de l’auteur, c’est le déplacement qu’il fait par rap-port à la conception de la terre : elle est aussi un autre lieu de culture, de cohabitation, de tolérance.

Le théologien Jacques Blandenier14 prolonge la réflexion biblique en référant à de grandes

figures historiques comme les Pères de l’Église, les réformateurs et autres. Les Pères de l’Église, à l’instar de Tertullien et Justin Martyr par exemple, ont appelé les riches proprié-taires terriens à être compatissants envers les pauvres15. À l’époque de la Réforme, Luther

insista sur l’éthique et l’usage des deniers du culte. Zwingly fit une exégèse du thème de l’argent. Bucer insista sur les charismes et ministères, tandis que Calvin mit en jeu une théologie de la prédestination et de la Grâce16. En ce qui concerne les mouvements de

ré-veil, Blandenier cite Henry Dunant qui fit de grandes œuvres et collectes en faveur des dé-laissés. Les mouvements piétistes, moraves et méthodistes insistèrent sur le caractère évan-gélique tout en accentuant leur homilétique sur l’amour du prochain. On peut également citer Jean-Frédéric Oberlin qui mit en valeur l’agriculture17. Pour sortir de la crise de la

pauvreté, l'auteur propose le retour à une actualisation de l’évangile. Il met davantage l’accent sur la pauvreté que sur la terre même s’il y fait quelques références. C’est à ce ni-veau qu’il se démarque de Marchadour et de Lienhard qui se sont focalisés sur la terre et les fruits de la terre.

11 A. Marchadour et David Neuhaus, La terre, la Bible et l’histoire : « Vers le pays que je te ferai voir »,

Pa-ris, Bayard, 2006.

12 Ibid., p. 23-27. 13 Ibid., p. 89.

14 Jacques Blandenier, Les pauvres avec nous : la lutte contre la pauvreté selon la Bible et dans l’histoire de

l’Église, Valence, Éditions LLb, 2006, p. 3.

15 Ibid., p. 92-93. 16 Ibid., p. 106-112. 17 Ibid., p.114-117.

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9

Le théologien Dominique Lang porte le même souci du développement des zones rurales nanties de terres18. Il estime que l’Église a aussi un grand rôle à jouer sur ce plan, et non

seulement les gouvernements. Les théologiens doivent aider l’État à travers l’enseignement biblique sur la terre. La culture chrétienne est très liée au contexte rural, qui était le lieu d’action de l’homme dans la Bible. Les paraboles font toujours référence au monde agri-cole. L’auteur cherche non seulement à comprendre cette gratuité de la terre, mais il inter-pelle aussi l’homme quant à sa compréhension de cette gratuité. Il s’ensuit une éthique éco-logique, où jouent les notions de paix, de justice, d’entraide et d’équité par rapport à la terre19.

En somme, dans cette catégorie de documents relatifs aux études bibliques sur la terre, dif-férents auteurs considèrent que la terre est un don de Dieu, qui nécessite l’effort de l’homme pour son épanouissement. La liberté de l'homme et ses obligations envers Dieu demeurent l’objet central des recherches de ces auteurs.

3.2 Les études bibliques sur la terre au Cameroun

« L’homme et la terre20 » est le sujet qui a fortement préoccupé le père Yves Saoût lors de

son séjour comme missionnaire au Cameroun durant les années 1980. Dans le cadre de séances d’études bibliques, Saoût procédait à une lecture attentive de la Bible soucieuse d’éviter une contextualisation hâtive21. Très frappé par l’attachement de l’Africain à sa

terre, particulièrement en contexte camerounais, Saoût a prêté une attention particulière aux questions d’écologie, de développement et d’accaparation de la terre. Ce faisant, il faisait suite aux écrits du théologien dominicain français Vincent Cosmao, sur le devoir de l’Église face au sous-développement des pays du Tiers-Monde. Pour ce dernier, l’Église, dans sa dimension éthique, devrait aider le monde à se transfigurer22. Saoût déplore le fait

que la terre et les fruits de la terre n’apparaissent pas dans la confession de foi ; c’est pour

18 Dominique Lang, L’Église et la question écologique, Paris, Arsis, 2008, p. 12-14. 19 Ibid., p. 152 et suiv.

20 Y.-Saoût, Dialogue avec la terre, Paris, Edition de l’Atelier, 1994, p. 10.

21 F. Mabundu Masamba, Lire la Bible en milieu populaire, Paris, Karthala, 2003, p. 137. 22 V. Cosmao, Changer le monde, Paris, Cerf, 1980, p. 96-106.

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lui une omission23. L’homme et la terre sont indissociables car ils font tous deux partie des

œuvres que Dieu a créées. Saoût tenait à établir les fondements bibliques de l’homme face à sa terre et à soutenir la prise de position des chrétiens face à certaines dérives sociales, poli-tiques, économiques ou éthiques concernant la terre en tant que matière, sol, État ou pays. Il insistait sur l’amour du « Ressuscité24 » pour cette terre que Dieu donne aux humains. C’est

dans cette perspective qu’il privilégiait le Nouveau Testament pour nous faire découvrir un « Jésus dans la création25».

À propos du même rapport entre l’écologie et la Bible, Albert Hari retrace les différentes interjections, réclamations et interpellations concernant des faits et des rapports sociaux dans la Bible26. Il invite à s’attarder sur les éléments de la nature tels que la terre et ses

composantes, par exemple l’homme, les plantes, l’eau, le ciel. Chacun de ces éléments est souvent altéré dans notre monde actuel. Ainsi, Hari cite le Cameroun parmi les pays qui en font une exploitation abusive. Interpellé, le chrétien doit faire entendre sa voix.

L’écologie étant un mot de la fin du 19e siècle, il ne se trouve évidemment pas dans la

Bible. Néanmoins, dans la Bible, on peut trouver diverses allusions ou interpellations rela-tives aux éléments de la nature. Hari propose une lecture de la Bible à partir des faits vécus, en vue de trouver une réponse selon le Seigneur. Il en va de même pour tous les peuples en détresse, en guerre ou en état de pauvreté qui pourront, à travers des passages bibliques, découvrir des pistes d’ouverture pour leur situation. L’auteur indique le risque d'une lecture littérale de la Bible où cette dernière deviendrait la clé qui ouvrirait toutes les portes et of-frirait toutes les solutions possibles. La lecture de la Bible, sous cet aspect écologique, doit s’ouvrir à la critique27.

Hari et Saoût sont sur la même longueur d’onde tant à propos de la protection de l’écosystè-me qu'à celui du danger qu'une lecture littérale et fondal’écosystè-mentaliste de la Bible représente. Ils se différencient cependant par leurs approches.

23 Y. Saoût, Dialogue avec la terre, p. 29-30. 24 Ibid., p. 28.

25 Ibid., p. 127.

26 A. Hari, L’écologie et la Bible, Paris, Atelier/Ouvrière, 1995, p. 13-19. 27 Ibid., p. 30-31.

(21)

11

En somme, dans cette catégorie de documents relatifs aux études bibliques sur la terre au Cameroun, ces divers auteurs ont discuté des allusions bibliques à la terre tout en touchant aux problèmes écologiques du Cameroun.

3.3 Les populations rurales camerounaises et la terre

Dieudonné Takouo écrit sur le contexte social du Cameroun rural. Il note que dans les vil-lages, les enfants ne vont pas tous à l’école. Les femmes et les enfants sont considérés comme des esclaves, de la main d’œuvre pour la famille et pour une agriculture de subsis-tance28. On assiste ainsi à un exode rural pour certains, qui pensent que l’avenir pourrait

être meilleur en ville qu’à la campagne29. En définitive, l’auteur décrit le contexte vécu par

les familles villageoises vivant de la petite agriculture. Il ne met cependant pas l’accent sur l’élément central qu’est la terre.

Les géographes Alain Karsenty et Jérôme Marie s’intéressent à la terre du Cameroun, à sa pauvreté rurale, ainsi qu’au caractère rudimentaire de ses méthodes d’agriculture30. Ils

es-timent que les us et rites ancestraux constituent de grands freins au développement à cause d'un certain accaparement des terres. Karsenty et Marie relèvent aussi le problème de l’immatriculation des terres en Afrique et particulièrement dans les anciennes colonies françaises comme le Cameroun. Depuis la période coloniale, les terres appartiennent à l’État. Les terres qui n’ont pas été immatriculées et à propos desquelles il n'a pas été prouvé qu’elles appartiennent à un tiers, relèvent de la propriété de l’État. Il y a donc un véritable problème d’accès à la terre.

Les forêts et les zones inoccupées au Cameroun appartiennent à l’État camerounais31. Mais

il s’ensuit un problème de délimitation de la forêt appartenant aux villageois et de celle

28 Dieudonné Takouo, « Pauvreté et changements démographiques à Yemessoa (Cameroun) », dans F.

Gen-dreau (dir.), Crises, pauvreté et changements démographiques dans les pays du Sud, Paris, Éditions Estem, 1998, p. 241-243.

29 Ibid, p. 245.

30 M. Adésir et al., « Espace partagé et partage des ressources dans le Kotiya (Delta central du Niger, Mali) »

dans Georges Rossi, Philippe Lavigne Delville et Didier Narbeburu, Sociétés rurales et environnement, Ges-tion des ressources et dynamiques locales au Sud, Paris, Karthala/ Regards / GRET, 1998, p. 53-55.

31 Alain Karsenty et Jérôme Marie, « Les tentatives de mise en ordre de l’espace forestier en Afrique

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environne-appartenant à l’État. On constate une déforestation accrue ces derniers temps. L’État qui exploite la forêt s’avère incapable de suivre les choses32. En général, le problème de

déve-loppement rural est un cas sérieux car il interpelle à la fois les collectivités rurales et l’État ; chacune des parties a un très grand rôle à jouer.

La socio-anthropologue Lisbet Holtedah décrit le mode de vie des populations du Nord Cameroun où l’accès à l’éducation est très compliqué pour les femmes qui doivent travail-ler la terre33. L’auteure détaille le bas niveau de vie des populations vivant des produits de

la terre, que ce soit au Nord ou à l’Ouest du Cameroun. Elle expose le contexte de misère camerounais sans proposer de pistes pour une sortie de cette crise ou une prise de cons-cience par les villageois. En général, comme le souligne le sociologue et théologien Jean Marc Ela34, tout est rudimentaire et traditionnel en ce qui concerne la culture de la terre au

Cameroun.

3.4 Les recherches sur le développement des terres

Jean-Marc Ela met l’accent sur les recherches universitaires relatives au développement de l’Afrique35. En ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie des populations, il

es-time qu’il faudrait promouvoir l’éducation dans les cités rurales et ne pas privilégier une caste dans les cités urbaines. Ce sont les villages possesseurs des terres qui souffrent le plus de précarité, et de tous les maux en Afrique. Pour lui, la promotion de l’instruction et la maîtrise des outils de gestion des fruits de la terre sont capitales pour tenter d’y éradiquer la pauvreté36.

ment, Gestion des ressources et dynamiques locales au Sud, Paris, Karthala/ Regards / GRET, 1998, p. 162-163.

32 Ibid., p. 171.

33 Lisbet Holtedahl, « Magie, amour et études supérieures : les difficultés de la promotion féminine » dans

Lisbet Holtedahl et al. (dir), Le pouvoir du savoir de l’Arctique aux tropiques, Paris, Karthala, 1999, p. 46-48.

34 J.-M. Ela, « Le rôle du savoir dans le développement. Agriculteurs et éleveurs au Nord-Cameroun » dans

Lisbet Holtedahl et al. (dir), Le pouvoir du savoir de l’Arctique aux tropiques, Paris, Karthala, 1999, p. 434.

35 J.-M. Ela, Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement, Paris, L’Harmattan,

2001, p. 27.

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13

Jean-Pierre Chauveau, Philippe Lavigne Delville37 et leurs collaborateurs touchent du doigt

le cas concret du Cameroun sur la question des terres. Ces terres appartiennent à l’État de-puis les règlements de la période coloniale. Pour être titulaire, une autorisation doit être adressée à l’État par le biais du responsable civil de la circonscription administrative. Du côté traditionnel, les terres appartiennent au chef traditionnel qui, selon les règles coutu-mières, est le garant des ancêtres. Ce qui se traduit par plusieurs vecteurs en jeu dans l’explication de la propriété foncière en Afrique comme les chefs de famille ou de village, l’administrateur civil ou les soi-disant propriétaires terriens. En définitive, l’auteur montre la complexité d’un développement rural (il se concentre sur le cas de Yaoundé) tout en es-quissant des pistes critiques.

Très touché par la situation économique de l’Afrique et de son Cameroun natal en particu-lier, Jean-Marc Ela s’intéresse, d'une part, au manque d’accès des Africains à des études qui pourraient ensuite favoriser le développement économique38. D’autre part, le régime

poli-tique en place ne favorise pas le développement des terres. L’auteur cite le cas d’une entre-prise productrice de bananes au Cameroun qui, après sa nationalisation, a mis en déroute tous les paysans en les invitant à vendre leurs terres39. Bien qu’il fasse des allusions aux

propriétaires terriens, l’auteur explore plus largement le cadre économique, moral et intel-lectuel de l’Afrique et du Cameroun.

Marcel Launay40, théologien et historien, se penche sur le cas de l’Église de France qui

autrefois était essentiellement composée de paysans et qui aujourd’hui souffre d’une crise aigüe de vocation. La présence de la religion dans les campagnes donna un élan à la prospé-rité, tant agricole qu’intellectuelle, et à la formation de l’élite intellectuelle. C’est entre autres la terre qui décède depuis un certain temps, entrainant ipso facto le décès de l’Église. Une part de responsabilité revient à cet exode rural massif des chrétiens et à la négligence de l’Église de contribuer au développement des campagnes rurales qui étaient jadis, avant

37 Jean-Pierre Chauveau et Philippe Lavigne Delville, « Quelles politiques foncières intermédiaires en Afrique

rurale francophone » dans Marc Levy (dir.), Comment réduire la pauvreté et inégalités, Pour une méthodolo-gie des politiques publiques, Paris, Karthala, 2002, p. 211-228.

38 J.-M. Ela, L’Afrique à l’ère du savoir : science, société et pouvoir, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 192. 39 J.-M. Ela, Travail et entreprise en Afrique, Paris, Karthala, 2006, p. 120-121.

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1905, très croyantes et pratiquantes. Ce qui est très frappant dans ce cas européen, c’est l’interpellation de l’Église de France au sujet des zones rurales.

Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo se penchent sur l’intervention des gouvernements et des ONG dans le contexte vécu des agriculteurs. Ils comparent les pays en voie de développe-ment, et constatent que la précarité en zone rurale est très accentuée parce que les pauvres n’ont pas la possibilité d’améliorer leurs terres. Ces terres sont moins appréciées au point de vue du rendement et par conséquent, les agriculteurs sont obligés de les abandonner pour aller travailler chez les riches propriétaires fermiers. D’où la nécessité d’aider ces petits agriculteurs pauvres afin qu’ils entreprennent de petits projets rentables41.

C’est dans ce cadre d’entraide que des chercheurs africains et camerounais se sont lancés dans la création d’une université évangélique dont le but est d’inculquer d’autres valeurs dans l’enseignement. Jean-Blaise Kenmogne, recteur de l’Université Évangélique du Ca-meroun, fait remarquer qu’avant les indépendances de nombreux pays africains, l’urgence s’était fait sentir de former de jeunes intellectuels capables de prendre en main le dévelop-pement de leur pays. Mais après plusieurs décennies, il faut constater que nombre d’entre eux se sont emparés des fonds publics pour leurs intérêts personnels. L’auteur cite des pays africains et particulièrement le Cameroun, dont il est originaire. Il cite Eboussi Boulaga et Achille Mbembe qui décrivent la situation désastreuse du Cameroun pour ce qui est des dilapideurs de fonds publics42. Selon l’auteur, il faudrait revoir la formation des peuples

africains. Il faudrait une nouvelle donne, une nouvelle manière de former l’élite africaine dans une optique de « développement durable43 ».

Le théologien Kä Mana44 propose également de redéfinir le sens de l’éducation ou de la

pensée de l’Africain, pour le sortir de sa léthargie. Il faudrait refondre la pensée de l’homme africain, exorciser les mauvaises intentions et pensées afin d’assainir les situations

41 Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo, Repenser la pauvreté, Paris, Seuil, 2012, p. 294-295.

42 J.-B. Kenmogne, Pour une révolution de l’école par la révolution de l’intelligence, Bandjoun, Presses de

l’Université Évangélique du Cameroun, 2012, p. 18-21.

43 Ibid., p. 26.

44 Kä Mana, Eduquer l’imaginaire africain. Le devoir d’aujourd’hui et les enjeux d’avenir, Bandjoun, Presses

de l’Université Évangélique du Cameroun, Cahiers de l’Université Evangélique du Cameroun n° 4, 2012, p. 29.

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15

existantes45. Kä Mana cite également Eboussi Boulaga et Achille Mbembe selon lesquels il

faut combattre les fléaux qui minent l'Afrique et le Cameroun en particulier, notamment la corruption et l’individualisme, pour redéfinir la pensée africaine par la voie d’autres modes d’éducation46. Pour Kä Mana, il faut tout d’abord être conscient de la situation dans

la-quelle se trouve l’Afrique et vouloir un changement afin de déterminer les méthodes à utili-ser pour obtenir ce changement47. Pour ce faire, il faut s’attaquer non seulement à la misère

matérielle, mais aussi et surtout à la pauvreté intellectuelle.

Selon Moukoko Priso, mathématicien et professeur, le changement doit s’opérer dans un cadre bien défini avec des bases solides. Il faut des instruments de changement pour un développement sûr et intégré. Ceci ne passera que par des universités efficaces ayant à cœur ces problèmes de développement48.

Eugène Fonssi, communicateur, prend d’abord acte de la situation de sous-développement, de corruption et d’individualisme qui pourrit le Cameroun et l’Afrique en général. Un souci de changement est une deuxième étape. En troisième lieu viennent les moyens de change-ment. Telles sont les voies que doivent suivre les universités dans leur recherche d'une édu-cation suivie en milieu africain49.

En définitive, pour tous les auteurs explorés dans cette catégorie, la recherche universitaire sur le développement doit être valorisée en Afrique.

4. Question de recherche et structure de la thèse

Avant de présenter ma question de recherche, j’aimerais rappeler l’objet de ma recherche : le paradoxe que constitue à la fois la pauvreté de la paroisse de Mbouo-Ngwinké et la ri-chesse de son patrimoine de terres. Quant à ma question de recherche proprement dite, la

45 Ibid., p. 29. 46 Ibid., p. 48-49. 47 Ibid., p. 60-61.

48 Moukoko Priso, Innovation et dynamisation pédagogiques. L’expérience de l’Université Évangélique du

Cameroun, Bandjoun, Presses de l’Université Évangélique du Cameroun, Cahiers de l’Université Évangélique du Cameroun n° 2, 2012, p. 47-48.

49 Eugène Fonssi, L’université autrement, Bandjoun, Presses de l’Université Évangélique du Cameroun,

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voici : quelles prises de conscience et quelles perspectives se dégagent d’une réflexion col-lective sur le rapport à la terre, en dialogue avec des textes bibliques ? Cet objet et cette question de recherche seront les deux grands axes que je garderai en vue durant toute la rédaction de ce travail.

La thèse s’articulera entièrement autour de cette question de la terre. Le premier chapitre présentera la paroisse où s’effectue ma recherche. Le deuxième chapitre sera consacré à la méthode de recherche. Le troisième chapitre présentera les résultats de l’enquête effectuée sur le terrain. Aux chapitres quatre et cinq, je procéderai à l’analyse des mêmes textes bi-bliques qui ont fait l’objet des ateliers sur le terrain. Au chapitre six, je corrélerai de ma-nière critique mes analyses bibliques et les résultats de l’enquête. Je conclurai en ressortant les grandes idées de l’ensemble du parcours de la recherche tout en dégageant des pistes d’ouverture à proposer aux paroissiens en ce qui a trait à la terre.

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17

Chapitre 1. L’Église Évangélique du Cameroun et l’enjeu de la terre

Il s’agit dans ce chapitre de décrire la situation des terres de l’Église Évangélique du Came-roun et de la paroisse de Mbouo-Ngwinké, mon terrain d’intervention. Pour cette présenta-tion, je réfère essentiellement aux ouvrages de missiologie, d’anthropologie et de sociologie de Jaap van Slageren, Médard Fotso, Simon David Yana, Louis-Marie Ongoum, Jean-Paul Messina et Claude Tardits, qui font preuve de bonnes connaissances sur les populations du Cameroun.

Beaucoup de personnes de l’Église s’interrogent sur le devenir de la terre léguée par les missionnaires à la jeune Église issue des missions européennes. Le déclin subi ces dernières décennies par les stations missionnaires – c'est-à-dire les terres des paroisses issues des missions – laissent la plupart des chrétiens perplexes. Pour certaines personnes, il faudrait faire un inventaire clair de ces stations missionnaires. Pour d’autres, il faudrait redéfinir clairement le sens de ces terres en revenant à l’histoire des dons effectués par les mission-naires. J’appartiens à cette catégorie de personnes ; je pense qu’il faudrait relire l’histoire de l’Église Évangélique du Cameroun, comprendre la situation des terres de la paroisse en comprenant le contexte socioculturel du Cameroun, du pays bamiléké de l’Ouest-Cameroun et enfin des paroissiens de Mbouo-Ngwinké. Dans les lignes qui suivent, je présenterai la société du pays bamiléké de l’Ouest-Cameroun, l’Église Évangélique du Cameroun en gé-néral et la paroisse de Mbouo-Ngwinké en particulier.

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1. Le pays bamiléké de l’Ouest Cameroun

1.1 Le peuple bamiléké50

Le Cameroun fait partie des pays de l’Afrique centrale. Il est entouré des pays suivants : le Tchad, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, le Nigéria, la Guinée équatoriale. C’est un pays très varié sur le plan naturel. Il possède plus de deux cents tribus51.

Le peuple52 bamiléké, quant à lui, appartient à la population des Grass Fields de l’Ouest

Cameroun. « Les Bamiléké qui occupent un territoire d’une superficie d’environ 5.536 km2,

actuelle province de l’Ouest du Cameroun, forment un ensemble de chefferies jouissant, à quelques variantes près, d’une civilisation commune53. » C’est une région montagneuse,

fertile, de haute densité. Il est fort probable que ce soit à l’origine un peuple immigré : l’anthropologue Claude Tardits écrit : « D’après les récits de caractère historique recueillis dans les chefferies, les Bamiléké auraient progressivement occupé cette région au cours du XVIIIe et du XIXe siècles, vraisemblablement chassés d’un habitat situé au nord ou au

nord-ouest54. »

Du fait que ce soit un peuple étranger provenant de plusieurs régions d’Afrique, cette ethnie est très diversifiée tant dans ses mœurs que dans ses langues parlées. C’est aussi ce qui ex-plique la multiplicité de chefferies traditionnelles de cette grande population. À ce propos, Claude Tardits écrit : « La société bamiléké, organisée en une multitude de “chefferies” a conservé, jusqu’à nos jours, des institutions apparemment solides et elle est un véritable conservatoire de quelques-unes des plus remarquables traditions d’organisation politique

50 Dans cette section, je suivrai essentiellement les indications données par Tardits et Yana dans leurs

ou-vrages respectifs : Claude Tardits, Contribution à l’étude des populations Bamiléké de l’ouest Cameroun, Paris, Editions Berger-Levraut, 1960 ; Simon David Yana, À la recherche des modèles culturels de la fécondi-té au Cameroun, une étude exploratoire auprès des Bamiléké et Bëti de la ville et de la campagne, Louvain-la-Neuve, UCL, Academia Erasme, 1995. L’ouvrage de Tardits sera le plus cité. Même s’il date de 1960, il demeure néanmoins l’ouvrage qui relate le plus en profondeur le contexte bamiléké. D’autre part, la situation culturelle relatée n’a pas évolué de façon substantielle depuis lors au plan des coutumes.

51 Médard Fotso et al., Cameroun. Enquête démographique et de santé 1998, Claverton, Maryland, Macro

International, 1999, p. 1-3.

52 Tout au long de ce travail, les termes « peuple », « tribu » et « ethnie » seront utilisés indifféremment pour

désigner les différents groupes ethniques formant la population du Cameroun.

53 David Yana, À la recherche des modèles culturels…, p. 29-30.

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19

que l’on puisse rencontrer dans les civilisations africaines55.» Ce peuple est caractérisé

au-jourd’hui par sa capacité de migration vers les villes et surtout par son nombre sans cesse croissant. J’ai personnellement constaté que les Bamiléké sont toujours prêts à partir vers de nouveaux horizons. Ce qui pourrait expliquer le fait qu’ils soient les plus expatriés de nos jours. J’explique ceci par le fait que de nos jours en Europe occidentale, les statistiques de plusieurs ambassades camerounaises démontrent un taux élevé de Bamiléké expatriés. Claude Tardits écrit : « La poussée démographique est, en effet, la donnée essentielle. Ses incidences sont toutes fois diversement appréciées : quelques-uns mettent l’accent sur la pénurie des terres, d’autres sur l’opposition des émigrés à la chefferie en cours de dégrada-tion, d’autres encore sur les difficultés de coexistence entre émigrés et autochtones et le sous-emploi dans les centres urbains56. »

L’appellation « bamiléké » n’a pas une origine simple ou unique. Certains pensent qu’elle désigne un peuple extirpé de la terre. À ce propos, Simon David Yana écrit : « Le nom des Bamiléké est le résultat de plusieurs déformations. En langue Dschang (sous-groupe de l’ethnie Bamiléké), le nom originel de ce groupe serait “Mbaliku”, qui signifie “les origi-naires et les sortants d’un trou de terre (sacré)”. Il n’est devenu “Bamiléké” qu’à la suite des difficultés de prononciation des colonisateurs Allemands d’abord, Français ensuite57. »

1.2 Organisation du peuple bamiléké

Ce peuple s’organise en groupes de personnes autour d’un leader de village appelé « chef supérieur ». Il s’agit donc d’un système de chefferie. Les concessions sont organisées par groupe sur un espace de terre cultivée où l’on peut apercevoir des maisons dirigées par un chef de famille autour duquel se regroupent des femmes et des enfants58. On est dans un

55 Ibid., p. 10.

56 C. Tardits, Contribution à l’étude des populations Bamiléké…, p. 10. 57 S. D. Yana, À la recherche des modèles culturels…, p. 29.

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système hiérarchique où les familles gravitent autour d’un chef de famille et où un chef de village dirige tous les chefs de famille59.

Le chef de village incarne les valeurs traditionnelles ancestrales. La culture ancestrale est animiste. Une pratique clé consiste à célébrer un culte des crânes. Le chef de village est le représentant des ancêtres ainsi que le propriétaire des terres du village. Ce chef de village invoque les ancêtres pour la fécondité des récoltes ; il est ainsi doué d’un certain pouvoir surnaturel. Claude Tardits écrit à ce sujet : « Le chef bénéficie traditionnellement de presta-tions en nature. Il reçoit une part des récoltes faites par les femmes ; d’importantes quanti-tés de produits vivriers […]. Le droit de répartir les terres, le pouvoir de disposer d’une main d’œuvre féminine, le bénéfice des prestations, les ressources qu’il tire des biens de la chefferie […] sont à la base de la puissance économique des chefs60. » Une autre

caractéris-tique de la chefferie est la capacité du chef de s’entourer de notables, une forme de mi-nistres qui l’aident à la gestion du village. C’est cette organisation qui permet une certaine union du peuple bamiléké rassemblé autour de son chef, qui est non seulement son garant mais aussi le communicateur ou l’intervenant auprès des ancêtres (au même titre que le lévite ou le prêtre dans l’A.T). C’est le nœud de la culture bamiléké.

1.3 Le mariage et la famille

Chaque famille étant composée d’un chef supervisant femmes et enfants, on peut en dé-duire que, dans la plupart des cas, le chef de famille est polygame. La polygamie constitue la marque d’une grande richesse qui se transmet puisque le père donne ses enfants filles en mariage à un homme qui, en règle générale, est également polygame. En retour, le gendre est tenu de verser une dot constituée notamment d’argent liquide mais surtout de dons en nature tels que l’huile. C’est la tradition ancestrale.

Ce qui est très frappant dans cette société hiérarchisée en ce qui concerne le mariage, c’est le respect de la notabilité. Le chef de famille ne donne ses enfants en mariage qu’à une autre famille de même rang social. C’est ainsi, par exemple, que les chefs de village ne

59 Ibid., p. 16. 60Ibid., p. 35.

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21

donneront leurs enfants qu’à d’autres chefs de village ou à des serviteurs de chefferie, dans le but de pérenniser la royauté61. En effet, le chef de village est considéré comme le roi du

village. J’entends souvent dire dans mon village que le chef du village Bandjoun est le roi des Bandjoun. Cette expression se retrouve aussi dans les discours des sous-préfets lors de l’intronisation des chefs de village dans leurs fonctions.

Chaque famille ainsi créée par les liens du mariage, reçoit des parcelles de terre du chef de famille. Ce sont ces terres, pour la plupart données par le père, qui constituent le principal héritage.

Lorsqu’une famille se fonde, il est d’usage que le nouvel époux établisse sa case et celle de sa femme à quelque distance de la résidence de son père. Chaque femme a sa case et le mari la sienne. Le jeune époux recevra de son père le droit d’exploiter quelques lots de terres qui font partie de l’ensemble des parcelles sur lesquelles sa famille paternelle exerce ses droits. Si celles-ci sont insuffisantes, il demandera au fo (ou au chef de quartier) des terres supplémen-taires. Les épouses auront chacune leur parcelle particulière. Elles sont chargées de nourrir la famille62.

Il est vrai que de nos jours, les positions ont évolué à ce sujet. Il y a les progressistes qui veulent changer la tradition et d’autres qui veulent la conserver par crainte de la malédic-tion des ancêtres. Ces derniers sont nombreux car le respect de la tradimalédic-tion ancestrale pré-vaut chez la plupart des Bamiléké.

Plus spécifiquement, c’est surtout à Bafou, mais aussi à Yaoundé, que se ren-contrent les jeunes qui expriment le plus le besoin de s’adapter à l’évolution (« il faut changer, on ne doit pas respecter les traditions de nos parents » ; « nous n’appartenons pas à la même génération, il faut vivre avec son temps »). Cela ne signifie cependant pas un abandon total de la tradition, car « dans la vie moderne et la tradition, il y a des points positifs et négatifs » reconnait un élève63.

Ce qui est plus à retenir et qui focalise l’attention de nos jours, c’est la dévaluation de la femme mariée. L.-M. Ongoum, spécialiste des littératures orales africaines, écrit à ce sujet :

61 Ibid., p. 20-22.

62 Ibid., p. 24-25. Le « fo » est l’appellation du roi en langue bamiléké. 63S. D. Yana, À la recherche des modèles culturels…, p. 218.

(32)

« Le mariage est un marché où la femme est le capital. Lorsqu’elle a des enfants, elle pro-duit des bénéfices, mais dans le cas contraire, son mari, l’investisseur, tourne à perte, re-couvrant tout juste le fonds investi : la femme64. »

La famille est constituée du père, des femmes et des enfants. La famille ne se limite pas seulement à une génération : elle est très élargie et prend une grande proportion.

Ses membres ne se connaissent pas toujours tous individuellement, mais chacun doit être au courant de l’existence des autres, afin de pouvoir remplir à l’occasion son devoir d’assistance à leur égard, ou bénéficier éventuellement de leur soutien […]. Puisqu’il peut arriver que les membres de la famille ne se connaissent pas tous, il faut que les aînés montrent leurs parents aux plus jeunes65.

Le rôle du père est d’accroitre la famille et d’engendrer des lignées ; c’est la raison pour laquelle la procréation est très développée dans la culture bamiléké.

1.4 La place de la femme dans la société bamiléké

La femme est perçue dans la culture bamiléké sous deux angles : l’angle primordial de la fécondité et l’angle négatif de l’exploitation.

1.4.1 L’angle de la fécondité

Le rôle de la femme est de procréer : une femme qui n’a pas d’enfant est malheureuse et n’a pas de place dans la société bamiléké.

La relation entre la fécondité et le statut de la femme en pays bamiléké est es-sentiellement liée au culte des ancêtres. Ainsi, en cas de stérilité définitive, la femme n’aura pas droit au sacrifice après sa mort; son crâne ne sera pas recueil-li, parce qu’on considère qu’elle a vécu pour rien. Dans la famille polygamique, la femme est d’autant plus valorisée aux yeux de son mari qu’elle est féconde, puisque les enfants sont indispensables à la visibilité, au prestige social du mari.

64 L.-M. Ongoum, « Poèmes de femmes bamiléké » dans Jean-Claude Barbier, Femmes du Cameroun, Mères

pacifiques, femmes rebelles, Paris, Karthala, 1985, p. 294.

(33)

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Ce sont donc les femmes qui sont responsables de la qualité de la succession du mari66.

La femme est considérée comme importante, car sans elle, il n’y a point de vie. Sans elle, la société bamiléké n’existerait pas, puisque c’est la femme qui fait les enfants, surtout des garçons qui pourront hériter de leur père pour devenir polygames à leur tour. La femme sur ce point est louable et on ne pourrait se passer d’elle. Son statut est primordial dans la cul-ture. « La fécondité opère ainsi en faveur du statut de la femme bamiléké par deux voies : tout d’abord en lui permettant d’entrer dans la cosmogonie, et ensuite en lui octroyant, dans une famille polygamique, un statut de privilégié lorsqu’un de ses fils devient héritier du chef de famille67. »

1.4.2 L’angle négatif de l’exploitation

La femme n’est affectée qu’à la procréation et au travail de la terre pour nourrir la famille. Elle n’a aucun droit de succession sur la terre. Elle est faite pour quitter le domicile paren-tal, pour fonder un foyer ailleurs et perdre ainsi ses origines paternelles.

La jeune fille est destinée au mariage. On lui inculque cette idée dès son plus bas âge et il tarde aux parents de voir arriver le jour où leur fille prendra un ma-ri. Le plus important des deux géniteurs est le père qui a sans doute hâte de tou-cher la dot. La mère attend que sa fille soit mûre physiquement et, surtout, mo-ralement, bien préparée à répondre à sa vocation d’épouse68 .

Il est clair que la culture bamiléké exploite la femme au profit de l’homme. La femme est considérée comme un objet qu’on doit utiliser pour arriver à ses fins (argent, sexe, etc.). L’enjeu de la procréation y joue un rôle central. « L’obsession des enfants pour les bamilé-ké, en dehors du besoin économique des bras pour la mise en valeur d’un sol souvent in-grat, est due à la nécessité religieuse de laisser une descendance, aussi nombreuse que

66Ibid., p. 38. 67Ibid.

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sible, pour perpétuer le souvenir dans le culte du crâne69. » Dans toute la société

camerou-naise, plus des trois quarts des ménages sont administrés, commandés par les hommes70.

1.5 Les terres au cœur de l’économie

Le pays bamiléké est une zone riche sur les plans de l’agriculture et de l’élevage. Les cul-tures vivrières sont faites par les femmes alors que les culcul-tures industrielles sont laissées aux hommes. Ce développement est hérité de la période coloniale allemande. Les Bamiléké profitent de la richesse de leur sol et de leurs terres pour accéder au commerce. Plusieurs ont migré vers les grandes villes pour développer le commerce sur la base des productions de la terre de l’Ouest-Cameroun. C’est ainsi que plusieurs églises à caractère ethnique ba-miléké se développèrent dans les métropoles urbaines.

Après le départ des Allemands en 1915, beaucoup d’anglophones iront peupler les quartiers de Douala […]. Puis le mouvement des jeunes écoliers et des adultes en quête de travail n’a cessé d’attirer les Bassa de la Sanaga-Maritime et de Babimbi, les Ewondo et les Béti venant de Yaoundé, les Boulou du Centre-Sud, les Bamoun et enfin les Bamiléké, qui représentent sûrement la plus grande partie des immigrants à Douala71.

Dans les villages, les terres appartiennent au chef ou à la chefferie toute entière. Ces terres sont gérées par les représentants du chef de village, à savoir les notables. Chaque notable gère les terres dans sa contrée en conformité avec l’avis du chef. C’est ainsi que les terres des concessions sont gérées et données à qui les veut, avec l’accord du chef de quartier et du chef de famille. Les principales exploitations des terres se pratiquent de manière très archaïque. Les mêmes terres sont remuées chaque année, ce qui occasionne par endroit un faible rendement. La terre permet tout de même de nourrir le peuple. Claude Tardits écrit : « Les travaux se font à la houe […]. La question de l’appauvrissement progressif de ces

69 Ibid, p. 292.

70 M. Fotso et al., Cameroun…, p. 15.

71 Jaap Van Slageren, « Œcuménisme local : le cas de Douala et Yaoundé » dans Jean-Paul Messina et Jaap

Van Slageren (dir.), Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, Paris, Editions Karthala et Editions Clé, 2005, p. 274-275.

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terres, dû aux rotations des cultures souvent trop rapprochées et à l’érosion qui s’accélère du fait du déboisement, devra retenir toute notre attention72. »

Les terres constituent l’objet de ressources et de revenus pour la population. C’est la raison pour laquelle, de nos jours, les querelles autour des terres sont nombreuses tant dans les familles que dans la population en général.

1.6 L’émigration

Les Bamiléké sont issus de l’immigration. Ils ont hérité de leurs aïeux un mode de vie axé sur le travail de la terre. S’ils déménagent en ville, ils y apportent l’esprit de solidarité in-culqué par leurs parents de même que l’esprit d’entreprise.

« La venue massive de Bamiléké à Douala, la faiblesse de leurs revenus les ont obligés à trouver des solutions aux problèmes de l’alimentation et du logement et adopter un mode vie compatible avec leurs ressources. L’adaptation à ce milieu […] s’est faite grâce à une organisation collective du mode de vie que l’on peut considérer comme la prolongation des liens de solidarité traditionnels73. »

En somme, la société bamiléké est une société à caractère hiérarchique, essentiellement basée sur les croyances traditionnelles ancestrales et placée sous la tutelle d’un chef de vil-lage. Celui-ci est le garant des terres et des coutumes ancestrales. Le pays bamiléké est composé de terres très riches et cultivables qui constituent le grenier du Cameroun. Des valeurs culturelles comme la solidarité entre les membres, l’aide et la fraternité ont permis aux Bamiléké de se démarquer sur divers plans, notamment économique et même acadé-mique. Ils émigrent en divers lieux où ils sont de vaillants tenants de leurs cultures. Il est bien vrai, tout n’est pas rose. Certains us et coutumes posent question, notamment le mépris des femmes, leur incapacité à hériter ou à accéder à la propriété foncière. Le statut des femmes jusqu’à nos jours dans la culture bamiléké mérite d’être revu.

72 C. Tardits, Contribution à l’étude des populations Bamiléké…, p. 10, 72-73. 73Ibid., p. 92.

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