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Chapitre 3. La terre, une passion des paroissiens

2. Présentation des résultats de l’analyse : compte rendu de l’analyse et discussion des

2.2 La terre, image de Dieu

La terre est identifiée à la fois à Dieu et à l’homme. L’homme est en relation avec sa terre puisqu’elle est don de Dieu et qu’il est en relation avec Lui. L’homme ne doit donc pas s’amuser avec elle. Il doit la protéger et la conserver jalousement. C’est la raison pour la- quelle l’homme est identifié à sa terre, il est la terre même. Cette impression est partagée par la plupart des participants et relève aussi de la culture, des us et coutumes bamiléké. L’idée dominante est le lien entre la terre et Dieu, qui s’explique par la proximité existant entre Dieu et l’homme. Dieu écoute les doléances de l’homme puisqu’il est sur la terre et qu’Il (Dieu) est la terre. « Jésus interpelle chacun de nous, chacun a sa terre, terre fertile. Chacun de nous est une terre et chacun devrait se poser la question et se dire quelle espèce de terre suis-je ?» (Participant L, 3e séance)

Dans la culture bamiléké, on appelle Dieu « la terre », « Si » : « Au commencement était la terre et la terre était Dieu (dans la plupart des dialectes de l’Ouest Cameroun, le même mot, “Si”, désigne Dieu et la surface terrestre. Dieu résidait dans la terre et en constituait

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l’élément mâle et le principe actif 167». « Si » indique donc à la fois Dieu et le sol, la terre,

la matière cultivable. Le rapport est très étroit entre Dieu, l’homme et la terre. La terre est le lieu où chacun sera inhumé. Il en est sorti et il y retournera. Simon David Yana écrit : « Le nom des Bamiléké est le résultat de plusieurs déformations. En langue Dschang (sous- groupe de l’ethnie bamiléké), le nom origine de ce groupe serait “Mbaliku”, qui signi- fie “les originaires et les sortants d’un trou de terre (sacré)”. Il n’est devenu bamiléké qu’à la suite des difficultés de prononciation des colonisateurs Allemands d’abord, Français en- suite168. »

Je note ici l’analogie entre la culture bamiléké et la culture juive. L’homme est confronté à un choix : soit il obéit à Dieu et il a toutes les bénédictions, soit il lui désobéit et il reçoit tous les malheurs. En cas de bénédictions, l’homme ne doit pas oublier de remercier le Sei- gneur par des actions de grâce qui se traduiront, par exemple, chez les Bamiléké, par l’organisation de grandes fêtes populaires où amis et connaissances sont invités à festoyer, sans négliger les rites : offrir quelques miettes de repas sur les crânes des ancêtres. « Il faut récolter et penser à dire merci au Seigneur. » (Participant L, 4e séance)

L’obéissance à Dieu est non seulement l’obéissance à tous les commandements, mais sur- tout le respect de la terre. La terre doit être respectée selon la loi de Dieu, Dieu étant lui- même la terre. Afin de bénéficier des grâces, l’homme bamiléké doit respecter Dieu, res- pecter tout ce qui touche de manière directe ou indirecte à Dieu lui-même : la terre, l’homme, la femme, bref tout ce qui a trait à l’être humain et à son environnement. Dans le cas contraire, il faudrait s’attendre à des malédictions, à l’ingratitude de la terre, à une stéri- lité familiale, bref à un mauvais sort dû à la cassure des relations avec le dieu de la terre, qui est le dieu des ancêtres169. Cette conception est très répandue dans la culture bamiléké ;

lorsqu’il y a un événement malheureux comme un accident de la route, un décès, un échec quelconque, on ne pense qu’à la malédiction et aux rites de purification. On fait alors appel

167 Léon Kamga, « Journal Menola, La genèse du monde selon les Bamiléké : La femme, dépositaire exclusif

de l’art sacré de la création », http://www.menola.info/index.php?option=com_content&view=article&id= 681&Itemid=277 (consulté le 19 juin 2015).

168 S. D. Yana, À la recherche des modèles culturels…, p. 29. 169 F. Mutombo Mukendi, La Théologie politique africaine…, p. 89.

aux grands-parents défunts par le moyen d’un culte ancestral, par exemple. « Poursuivant l’analyse des liens de parenté, [M. Hurault] constate que ceux-ci s’expriment sur le plan cultuel dans la pratique des sacrifices aux crânes ancestraux et la transmission des crânes d’héritier en héritier170. » C’est aussi une manière de penser et d’agir dans la coutume bami-

léké.

Le fait de négliger ou de brader la terre est signe de malédiction. D’où la nécessité de la protéger et de l’utiliser à bon escient pour ne pas être maudit. Ceci rejoint l’éthique biblique du respect ou de l’obéissance à la Parole de Dieu afin de bénéficier des bénédictions. La notion d’alliance entre Dieu et son peuple est évoquée par ce lien entre les couples obéis- sance/désobéissance et bonheur/malheur. Pour les habitants de l’Ouest-Cameroun, Dieu et la terre sont ainsi des réalités proches.

Le Dt 28 promet des bénédictions comme tu le dis. Le texte dit que si on obéit, tout ce que l’on va entreprendre va réussir. La ville va être bénie. La ville c’est qui ? C’est notre village. C’est notre paroisse. C’est nous-mêmes. Le texte dit que les fruits du sol seront abondants. Tout ce que nous cultivons, que ce soit les patates, le maïs, le haricot vont donner une grande production. Aujourd’hui, si nos terres ne donnent rien, ça veut dire que nous sommes en partie respon- sables. C’est que nous ne savons même pas cultiver. Nous avons trahi ce que nos ancêtres ont fait et c’est ça la malédiction. Pour moi, il faut revenir comme nos grands-parents qui ont fondé la paroisse. C’étaient des gens pieux, qui pas- saient leur temps à réfléchir pour le bon fonctionnement de l’Église et tout réus- sissait. Je me rappelle que mon grand-père nous racontait qu’à la période des missionnaires, ces derniers leur donnaient des portions de terres de la paroisse qu’ils cultivaient et venaient donner la dîme. Aujourd’hui, on n’en donne même plus, on fait la fête des récoltes, mais combien donnent la vraie proportion de leurs avoirs à savoir la dixième part, très peu. Moi aussi compris. Je pense que nous trompons Dieu. Le Dt 26 est clair à ce sujet. Nous trompons Dieu et nous attendons que nos terres soient bénies. Ce qui ne peut pas l’être ; on ne trompe pas Dieu qui sait tout et surtout que c’est lui qui nous donne. Je pense que nous avons d’abord à nous confesser ; nous avons à demander pardon à Dieu avant de faire n’importe quoi. Je pense qu’une vraie confession publique de nos pa- roissiens est importante pour demander à Dieu de chasser tous les démons qui sont en nous et qui nous empêchent de nous aimer d’abord les uns les autres, puis de nous développer, de fructifier nos terres et notre paroisse. Si nous ne faisons pas cela, nous serons toujours pauvres. Notre paroisse sera toujours pauvre. (Participant E, 6e séance)

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Par ailleurs, le rapprochement Dieu-terre ou homme-terre marque aussi cette vie d’amitié, d’amour et de partage mutuel, c’est-à-dire de communion fraternelle qui devrait exister entre les paroissiens. Le clivage homme-femme ne devrait pas exister, ni le clivage homme- homme. Tous sont précieux comme des perles devant le Seigneur. Dans le Royaume, il n’y a pas des juifs et des grecs, c'est-à-dire des places pour riches et pauvres. Tous sont égaux devant le Seigneur. C’est donc une interpellation aux chrétiens de Mbouo-Ngwinké de vivre ensemble dans la communion fraternelle et surtout d’obéir à la parole de Dieu. Le Royaume appartient à tous sans exception. La terre appartient à tous sans exception. Ceci soulève la question du statut de la femme dans la société bamiléké et dans la paroisse en particulier.