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Chapitre 3. La terre, une passion des paroissiens

2. Présentation des résultats de l’analyse : compte rendu de l’analyse et discussion des

2.1 La terre est un don de Dieu

Le premier aspect qui se dégage de l’analyse est que la terre et ses prémices sont un don de Dieu. Tous les participants aux séances d’études bibliques s’accordent sur ce point de vue en lien avec deux textes bibliques : Gn 2 et Lv 25,23163.

Par rapport à la terre, Dieu nous donne la terre. Est-ce que nous sommes la terre ? Cette terre, c’est aussi nous. Nous devons l’améliorer, la cultiver ; c’est tout ce que l’homme travaille sur lui pour sortir quelque chose de bien. Au ni- veau symbolique, je pose la question. Nous sommes la terre, nous devons la travailler pour sortir de bons fruits. C’était pour faire ce lien avec la terre. Dieu a fait errer le peuple pendant quarante ans. Si on n’obéit pas sur la terre, la terre va être fatale. Tout vient par la terre. Le pâturage, le bétail c’est la terre. La terre est quelque chose de fondamental, qu’on ne peut pas éviter et c’est Dieu qui nous la donne mais il faut savoir la garder. (Participant E, 2e séance)

Ce don terrestre marque la bienveillance de Dieu. Ceci veut dire que la terre n’appartient pas à l’homme. Il ne peut pas se l’approprier comme s’il en était le créateur. Ce don im- plique la soumission à Dieu qui offre la terre sans condition aucune, sans achat, sans ran- çon. Cette idée est en phase avec la société bamiléké où c’est Dieu – c’est-à-dire le dieu des ancêtres – qui possède les terres ; le chef du village, représentant ou jouant le rôle d’inter- médiaire, est le garant terrestre de l’obéissance à Dieu. Le christianisme rejoint sur ce point la religion traditionnelle bamiléké, à savoir l’animisme. Claude Tardits écrit :

M. Delarozière affirme le « caractère divin » du chef qui est « le représentant des ancêtres mythiques…, le détenteur des totems de la tribu avec lesquels il se confond… »; M. Kamé, qui est bamiléké, est plus prudent : « le chef, écrit-il, est un personnage quasi divin. À ce titre, sa personne est sacrée et inviolable » […] Les fo ont des pouvoirs fort importants qui, indépendamment de leur fon- dement, ont un aspect spécifiquement économique. Ils répartissent les terres de la chefferie qui sont considérées comme propriété collective des habitants. Il existe […] différentes catégories de biens : les terres réservées au fo, celles oc- cupées par les habitants et, éventuellement, les terres vacantes dont il peut dis- poser pour l’établissement des nouvelles générations164.

163 Voir l’analyse séance par séance en Annexe 2.

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D’autre part, l’homme peut être rassuré sur le caractère bon de tout don de Dieu. Toute terre est bonne et peut porter de bons fruits. C’est l’homme qui doit en profiter : les parois- siens doivent profiter de ce don pour favoriser le développement de la paroisse.

Ces paroissiens sont aussi considérés comme des récoltes. Plusieurs participants établissent un lien entre les chrétiens, la terre et les récoltes. La terre étant un don de Dieu, les parois- siens, qui sont des personnes créées par Dieu, sont aussi des dons.

Si Dieu donne la terre, Dieu donne aussi des hommes qui doivent travailler la terre. La terre est faite pour être habitée par les hommes. Ceux-ci, créatures et images de Dieu, sont aussi des dons de Dieu. Celui-ci donne, par exemple, la pluie, le soleil et détermine les saisons de pluie et de sécheresse ; tout cela définit les conditions climatiques indispensables à la cul- ture de la terre165. Ceci est aussi une conception culturelle bamiléké qui dit que Dieu donne

des dons, des choses, et donne aussi des hommes qui doivent bénéficier, profiter ou manger de ses fruits.

Discutant des textes bibliques à l’étude, les paroissiens de la communauté traitent d’eux- mêmes et de leur situation commune. D’où la première dimension sociologique : le sous- développement de la paroisse. On comprend qu’on se trouve dans un cadre purement rural. Sur ce point, il y a une identification nette du contexte social du texte biblique au contexte social de la paroisse. Les participants souhaitent voir s’améliorer la situation précaire de leur communauté.

Cette amélioration dépend en dernière instance de Dieu de qui vient tout don : don d’amélioration, don de bonheur comme de malheur. C’est aussi une coutume bamiléké (Ouest Cameroun) de voir en Dieu celui qui offre tout à l’homme et auquel il faut rendre grâce par des rites. Le rite d’action de grâce est aussi un rite coutumier où le chef de village est considéré comme le « prêtre traditionnel ».

M. Hurault relève avec pertinence que les villageois n’adressent aucune prière et ne font aucun sacrifice au chef ou à ses ancêtres. Il semblerait donc plus con- forme à ce que l’on sait des civilisations africaines de le considérer comme un

médiateur entre les hommes et ses ancêtres divinisés, qualité qu’il devrait vrai- semblablement à cette part de force, de ke, qu’il reçoit et qui lui confère, dans l’esprit de la population, des pouvoirs de caractère surnaturel. C’est aux con- ceptions religieuses qu’il faut associer les pouvoirs qui lui seraient attribués de faire tomber la pluie, les droits aux prémices et, d’une façon générale, toutes les pratiques destinées à assurer la régularité des cycles agricoles. […]. Le chef bé- néficie traditionnellement de prestations en nature. Il reçoit une part des récoltes faites par les femmes; d’importantes quantités de produits viviers et d’huile de palme, un grand nombre de chèvres lui sont remis comme droits d’entrée dans les sociétés coutumières166.

Cet exemple traduit une analogie entre l’imaginaire religieux biblique et les coutumes an- cestrales de l’Ouest Cameroun. Restant toujours dans cette conception traditionnelle, une autre conception actualisée émanant de cette notion de don de Dieu est celle de l’image de Dieu.