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Chapitre 2. Un parcours de recherche à l’écoute des paroissiens et de la Parole de Dieu

1. Aperçu d’ensemble de la méthodologie

La méthode socio-littéraire utilisée est très proche de l’analyse narrative ; pour cette re- cherche, je suis ici le modèle développé par l’exégète Guy Bonneau99. Elle consiste à étu-

dier les textes choisis, le contexte narratif, la structure et l’intrigue si possible, et d’articuler cette lecture à une approche sociologique du milieu et de l’époque. J’ai eu recours à cette même méthode tant pour l’analyse des résultats des ateliers bibliques que pour l’analyse des textes eux-mêmes. Il ne s’agissait pas pour moi de donner des cours aux paroissiens, mais bien d’être en mesure d’analyser et de comprendre les réflexions des participants aux études bibliques faites en ateliers.

Cette méthode permet de comprendre les personnes, leur vécu, les relations entre elles et avec la terre, leur manière de réfléchir, de discuter, de raconter leur ressenti sur les textes. Il s’agissait d’inciter les paroissiens à réfléchir sur leur rapport à la terre en s’inspirant

99 Il présente et justifie cette méthode dans son ouvrage intitulé Stratégies rédactionnelles et fonctions com-

munautaires de l’Évangile de Marc, Paris, Éditions J. Gabalda, 2001, p. 17-59. Voir également Guy Bonneau, Saint Marc. Nouvelles lectures (coll. Cahiers Évangile n° 117), Paris, Cerf, 2001, p. 6-32. Je traite de cette méthode au point 2 du présent chapitre.

d’exemples bibliques, dans le cadre de réflexions individuelles et d’échanges partagés, pour dégager quelques perspectives de développement dans un contexte de pauvreté massive. Pour mener ces ateliers d’études bibliques, j’ai suivi la procédure du focus group100 qui

consiste à laisser chaque participant parler de ses expériences en dialogue avec les textes bibliques. La question des terres paroissiales étant au centre des préoccupations, il m’a semblé judicieux de convoquer plus de femmes que d’hommes en raison de leur caractère majoritaire dans la paroisse et de leur travail de la terre comme unique source de revenu. Il s’agissait d’abord de lire individuellement les textes, et d’écrire ce que l’on en pense en ayant en arrière-plan son propre problème de la terre. Ensuite, chacun pouvait prendre la parole. Mon rôle était de coordonner les débats, tout en recentrant les choses pour éviter des digressions. Les échanges ont fait jaillir des perspectives utiles à la question des terres pa- roissiales.

Cette procédure du focus group a été utilisée de manière similaire par le Père Carlos Mes- ters dans les ateliers bibliques au sein des communautés pauvres d’Amérique du Sud101.

Elle implique de lire la Bible ensemble, à partir de notre contexte de vie, et d’essayer de l’actualiser. Cette lecture du texte biblique permet déjà une cohabitation, une acceptation de l’autre, une reconnaissance de l’autre dans sa réflexion, un partage mutuel et une mise en commun des points de vue. Cette dynamique populaire n’écarte personne, mais permet qu’ensemble, les paroissiens puissent se comprendre et admettre la différence des points de vue. Le théologien congolais Fidèle Mabundu, de son côté, a aussi traité des lectures popu- laires en citant les différentes approches ou méthodes exégétiques qui peuvent être utilisées dans ce contexte102.

Au plan méthodologique, j’ai ainsi combiné la lecture populaire de la Bible pratiquée par Mesters avec la méthode exégétique socio-littéraire présentée par Bonneau. Lors de la lec-

100 On traduit généralement l’expression anglaise focus group par « groupe de discussion ». L’expression

focus group a toutefois un sens procédural spécifique, appuyé par une vaste littérature, qui fait que je l’emploierai ici telle quelle.

101 Voir ainsi Carlos Mesters et Francisco Orofino, « Amérique Latine. Sur la lecture populaire de la Bible »,

trois parties, http://www.alterinfos.org/spip.php? article2049, http://www.alterinfos.org/spip.php?article2242 et http://www. alter infos.org/spip.php? article2243, mis en ligne par Dial, jeudi 1er mai, 2008.

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ture populaire de la Bible, les participants lisent le récit dans le contexte socioculturel de l’époque, s’identifient aux différents personnages du récit et comprennent, actualisent ou interprètent le récit par rapport à leur vécu socioculturel quotidien. La méthode socio- littéraire, telle que présentée par Guy Bonneau, permet de mettre en lumière la construction narrative d’un récit, son milieu de vie, l’articulation auteur-milieu de vie, le texte, son con- texte, sa structure, les personnages et leurs points de vue, le lien entre la communauté (va- leurs, us et coutumes) et leur identité et la lecture rapprochée des textes. Pour un animateur d’atelier biblique, la méthode socio-littéraire permet de prendre du recul pour observer et comprendre la réaction des participants. Elle peut également servir à l’analyse et à l’interprétation des réactions et réflexions (verbatim) qui se dégagent de ces ateliers bi- bliques. Appliquée aux textes bibliques eux-mêmes, elle en féconde la compréhension et l’actualisation.

Pour les ateliers bibliques, j’ai retenu trois textes de l’Ancien Testament et quatre textes du Nouveau Testament : Dt 8,1-20, Dt 26, Dt 28,1-20, Matthieu 13,1-50, Luc 16,1-13, Actes 2,42-47 et Actes 4,32-37. Les raisons qui ont motivé ce choix sont les suivantes :

– Deutéronome 8 invite le peuple hébreu à observer les commandements de Yahvé avant l’entrée en terre promise. Il traite de tout ce qui est nécessaire pour continuer à bénéficier d’une terre riche, d’où les remerciements sous forme de dîmes et de pré- misses.

– Le chapitre 26 éclaire notre position en parlant d’une confession de foi et de profes- sion d’obéissance. C’est un chapitre essentiellement liturgique et rituel qui peut nous faire comprendre la destinée des choses de la terre.

– La terre peut être objet de bénédiction, mais aussi de malédiction. D’où l’intérêt d’étudier le chapitre 28 du Deutéronome.

– Matthieu 13 poursuit dans la voie des bénédictions et des malédictions ayant trait à la terre. Il introduit la perspective du règne de Dieu et de la venue du Fils de l’homme.

– Les textes de Luc 16,1-13 met l’accent sur la gestion des biens.

– Actes 4,32-37 porte sur le partage et l’éthique des biens de la terre.

En définitive, ces textes ont été choisis pour susciter des réflexions collectives sur le rap- port des paroissiens à la terre. Ils ont permis aux participants de réfléchir dans un cadre d’échange, de partage mutuel. Ceux-ci ont pu dire ce qu’ils pensent de leur vécu sur la question des terres et ce qu’ils entrevoient comme perspectives pour l’amélioration de leurs conditions de vie.

Six rencontres d’ateliers bibliques ont été organisées pour la réalisation de l’étude.

Dans les sections qui suivent, je préciserai d’abord ce que j’entends par la procédure du focus group, puis j’examinerai sa mise en œuvre dans la lecture populaire de la Bible selon Carlos Mesters, Yves Saoût et Fidèle Mabundu. J’expliquerai ensuite la méthode socio- littéraire en détail avec les points précis que j’aurai à étudier, ainsi que sa pertinence par rapport aux auteurs cités ci-dessus. Enfin, j’exposerai le travail de préparation et le dérou- lement de l’enquête103.