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4. Présentation des résultats

4.1. Mécanismes gouvernementaux en faveur de l'établissement durable des populations

4.1.3. Zones de transition et de normalisation

Si l’on s’en tient à cette partie de l’accord, la Réforme rurale intégrale, on peut affirmer que le gouvernement fait preuve d’une réelle volonté d’améliorer les conditions de vie des populations rurales à travers des processus et mécanismes de développement rural. Cependant, plus dans les faits, les Colombiens concernés, et notamment les anciens membres des FARC sont témoins de la faille qui existe dans la mise en place de ces plans d’action (Le Monde, 2018). Et ce, notamment depuis que le nouveau Président Duque, conservateur, a été élu en 2018. En effet, dans la mise en application des accords, un des points principaux à réaliser était le cessez-le-feu bilatéral et définitif ainsi que le désarmement progressif de la guérilla. Les anciens membres des FARC ont de ce fait été regroupés dans des zones et camps de normalisation et de transition pour que ce désarmement ainsi que leur réintégration et sécurité se fassent sous l’œil avisé de l’armée et des Nations unies (Figure 17). L’objectif de ces regroupements était de « garantir le cessez-le-feu bilatéral définitif et les hostilités, ainsi que le dépôt des armes pour entamer le processus de préparation à la réintégration dans la vie civile des FARC-ep tant dans les aspects économiques, politiques et sociaux, selon leurs intérêts » (Corredor Garcia, 2017).

La différence entre les vingt ZVTN25 et les six PTN26 est simplement une question de

taille de campement. Les ZVTN se composent de plusieurs campements de différentes tailles dans une « vereda27 », tandis que les PTN ne font l’objet que d’un seul campement (Figure

17) (ministère de la Santé, 2017).

Leur regroupement s’est fait de telle sorte :

Figure 17 Zones et camps de transition et de normalisation temporaires

Source : El Espectador28, 2016

La mise en place de ces campements a été définie par le gouvernement et les FARC durant les accords sous la supervision des Nations unies. Ils ont été établis en fonction des territoires où les combattants des FARC se trouvaient avant la signature des accords (Figure 17). Ces zones sont toutes accessibles par la terre ou par les fleuves, cependant, la grande majorité des territoires ont des problèmes de connectivité, de mobilité et de structure des services sociaux. Certaines n’ont pas accès à l’eau potable ou à l’énergie et elles se situent également là où se trouvent des économies nationales (mines d’extraction de ressources) et des économies illicites (cannabis, coca) (Corredor Garcia, 2017 ; Tuiran, 2018, 2019).

En plus de cela, plusieurs médias sont allés à la rencontre des FARC dans des ZVTN ou des PTN, et affirment que les milieux de vie de ces démobilisés ne sont pas « dignes » (Dos Santos, 2017). En effet, les camps sont faits à partir de bâches en plastique et de planches de bois ou de tôles. On ne peut que s’imaginer la chaleur à l’intérieur de ces abris et la vulnérabilité en temps d’averses. Aussi, dans leurs espaces « personnels » les anciens combattants n’ont qu’un lit fait de contreplaqué, et juste assez de place pour y laisser leurs petits nombres d’effets personnels. Les sanitaires sont mixtes, et en mauvaises conditions, l’unique point de lavage, là où sont lavés vêtements et vaisselle, ne consiste qu’en un bac fait

de bois recouvert d’une bâche et rempli d’eau (idem). De ce fait, à défaut de bénéficier des 10% du PIB national dans l’effort de la mise en place des accords, les guérilleros organisent eux-mêmes leur espace de vie de manière précaire en créant de petits potagers ou des terrains de football (Dos Santos, 2017 ; Tuiran, 2018, 29019 ; Benrabaa, Nabli, 2016). Normalement, l’investissement qui était supposé être fait par le gouvernement devait notamment inclure des services essentiels : connectivité, système d’assainissement, eau potable..., chose qui n’est pas (idem). Ajoutons également que certaines de ces ZVTN ou PTN se situent dans des « veredas » où les paramilitaires, narcotrafiquants ou autres guérillas se trouvent, et ceux-ci se voient donc encerclés par ces derniers. Certains anciens membres des FARC ont même été assassinés (AFP, 2018).

Comme vu plus tôt, le fait que la guérilla des FARC, qui était la plus importante et donc qui contrôlait la majorité des territoires où les cultures illicites se trouvaient, ait déposé les armes et se soit regroupée dans les ZVTN et les PTN a en quelque sorte permis aux autres groupes illégaux avides de pouvoir de s’emparer par force ou corruption de la gestion des collectivités locales. De ce fait, certains locaux sont encore à cette heure victimes de déplacements forcés, ou de violence, et la précarité dans les milieux ruraux augmente, tout comme en périphérie urbaine, vers où ces citoyens migrent (Figures 18, 19 et 20). Comme le démontrent les figures suivantes, les périphéries des centres urbains, qui font l’objet d’expansion rapide ont des airs de bidonvilles.

Figure 19 Maison dans un bidonville proche de Cucuta (Norte de Santander, près de la frontière vénézuélienne

Crédit photo : Estelle Pereira, 2019

Figure 20 Banlieue précaire en périphérie de Ciudad Bolivar (Bogota)

Crédit photo : Raul Arbodela, 2018

Aussi, il a été constaté une augmentation de 31% de la production de coca entre 2016 et 2017 à l’échelle nationale (Blayo, 2019). Les autres groupes armés illégaux se sont emparés des territoires anciennement contrôlés par les FARC, ou se sont alliés avec les narcotrafiquants mexicains très actifs dans la région sud notamment (idem). Ainsi, et d’après Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS29, il y a eu une augmentation de 6,7% des

homicides par rapport à 2017, qui sont liés de près ou de loin à la guerre des gangs pour le contrôle des plantations de cultures illicites (Dans : Blayo, 2019 : 1). Cependant, ce chiffre s’explique également par les assassinats des agriculteurs qui ont récupéré leurs terres suite aux accords de paix signés en 2016 (ibid).

D’après l’ONU, 107 défenseurs des droits de l’homme ont également été assassinés au pays en 2019 malgré le programme national de protection mis en place par le gouvernement pour lutter contre cette violence. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, il y aurait eu dix morts seulement dans les treize premiers jours de janvier 2020, et la majorité des meurtres ont lieu dans les zones rurales (ONU, 2020 : 1 ; Tuiran, 2019). Aussi, 98% de ces meurtres ont lieu dans des municipalités où l’économie illicite y est dominante, et 86% ont lieu dans des municipalités où le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale. Plus de la moitié de ces meurtres ont lieu dans les quatre provinces les plus impactées par la violence (Antioquia, Cauca, Arauca et Caquetà), cependant, des homicides ont été enregistrés dans vingt-cinq provinces colombiennes (Benrabaa, 2020 ; ONU, 2020). Ces assassinats ciblent notamment les défenseurs des droits de l’homme qui défendent les intérêts des groupes ethniques communautaires généralement marginalisés, ainsi que ceux qui ont à cœur le développement rural : les Afrocolombiens et les Autochtones, ainsi que les petits paysans (ONU, 2020). Cependant, les guérilleros démobilisés ainsi que leurs familles sont également visés par ces homicides, par vengeance, par d’autres groupes armés illégaux ou encore par des dissidents qui cherchent à leur faire reprendre les armes (Detoeuf, 2017 ; Trejos, 2019 ; Giraldo, 2018).

Figure 21 Criminalité et économie parallèle en Colombie

On remarque que le « clan du golfe30 » est présent dans la quasi-totalité du pays, et

notamment dans la zone à l’étude (Figure 21). Le clan du golfe est un des cartels de la drogue en Colombie impliqués dans le conflit armé interne. Avant de se tourner vers le narcotrafic, les membres du clan du golfe étaient des paramilitaires de droite (AFP, 2019). La présence de ce clan de narcotrafiquants ne fait donc qu’accentuer la vulnérabilité des populations locales, étant donné que celles-ci sont souvent témoins ou victimes d’affrontements violents entre ce groupe armé et d’autres guérillas par exemple, ce qui implique une nouvelle fois des déplacements de population. En novembre 2019, plus de 2800 civils, majoritairement autochtones et Afro-Colombiens ont dû fuir leurs communautés dans le nord-ouest du pays et ont fait face à une crise humanitaire et à une situation sécuritaire très précaire (AFP, 2019). On remarque également que dans le nord-est du pays, là où sont localisés les membres du clan du golfe, des assassinats d’anciens combattants des FARC-ep ou de leaders sociaux et défenseurs des droits humains ont lieu. Concernant les leaders sociaux, sept ont été assassinés dans le département de l’Atlantico (où se situe la ville de Barranquilla), onze dans le département de Magdalena, neuf dans le département de La Guajira, onze dans le département du César, et onze dans le département du Norte de Santander entre 2016 et 2019. Concernant les vétérans des FARC-ep, un a été assassiné dans le département de l’Atlantico, et dix dans le département du Norte de Santander, là où ont été implantés une ZVTN et un PTN (Figure 21). Cela renforce également le sentiment d’insécurité des anciens combattants des FARC-ep, étant donné qu’ils devraient être plus soutenus et protégés par le gouvernement supposé être sur place, pour surveiller les campements temporaires.

4.2. Intérêt et implication citoyenne dans le processus de gouvernance