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E VIDENCE DES STATUTS VAINQUEUR VAINCU

B. D EVANT LES TRIBUNAUX ALLEMANDS

2. En zones française et britannique

144. Dans ces deux secteurs, les juridictions répressives allemandes ont pu user de la compétence dérogatoire de l’article 3 §1 (d) de la loi n° 10, mais le bilan de la répression menée sur ce fondement est clairement « en demi-teinte ». La suppression de cette faculté dès le début des années 1950 dans le but d’étendre leur ressort à l’ensemble des infractions nazies laissait espérer une hausse du nombre de condamnations. Il n’en a rien été. Revenons sur ces deux périodes successives pour en comprendre les tenants et aboutissants, avant d’en donner notre lecture.

145. Par le recours à la clause de l’article 3 §1 (d), les autorités françaises638 puis

britanniques639 ont habilitées les tribunaux ordinaires à se saisir des faits qualifiables

crimes contre l’humanité au sens que donne le Conseil de Contrôle Allié à cette incrimination, commis par des nationaux allemands sur des nationaux allemands ou des apatrides. Mais dans le détail, une différence de démarche entre les deux occupants mérite d’emblée d’être soulignée. En effet, hormis les restrictions tenant à la nationalité des victimes et des auteurs, la France n’a jamais posé aucune restriction à la compétence matérielle des cours germaniques. La Grande-Bretagne, quant à elle, a procédé par étapes, fixant une compétence initialement limitée pour l’élargir progressivement. Dans un premier temps, le décret du 10 septembre 1946 précité640 a précisé que sont du ressort de

ces cours les infractions relevant du crime contre l’humanité commises par des gardiens, des membres de la Gestapo, des S.S. ou de la police, à l’encontre des prisonniers des camps de concentration, de travail forcé ou des prisons. Ensuite, deux autres décrets du 21

638 Voir l’ordonnance n° 173 du 23 septembre 1948 précitée.

639 Voir l’ordonnance n° 47 du gouvernement militaire britannique précitée.

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novembre 1946641 et du 20 décembre 1946642 ont étendu la compétence aux faits de

stérilisation ou autres interventions chirurgicales illégales effectuées pour des motifs d’ordre racial ou politique, ainsi qu’aux actes de persécution raciale sauf ceux perpétrés à l’encontre des Juifs. Cette dernière restriction a été levée par un décret du gouvernement militaire le 5 juillet 1947643. A partir de cette date, tous les faits visés dans l’article 3 §1 (d)

de la loi n° 10 sont susceptibles d’être jugés par les tribunaux internes644.

Le bilan de l’activité des cours allemandes sur le fondement de la loi n° 10, réalisé dès le début des années 1980 par des spécialistes du nazisme et de l’immédiat après-guerre, montre que les efforts en faveur de l’auto-épuration (Selbstreinigung) pénale sont plutôt importants645. Selon les statistiques, 5.228 personnes ont été condamnées, entre 1945 et

1950, à partir des plaintes émanant de la population646. Une dizaine de peines capitales et

158 peines de prison à perpétuité ont été prononcées647. Pourtant, ces chiffres semblent,

aux yeux de nombreuses personnes648, bien trop faibles.

641 Justiz-Mitteilungsblatt für Nordrhein-Westfalen, 1947, p. 4. 642 Ibidem, p. 5.

643 Zentral-Justizblatt für die Britische Zone, 1947, p. 43.

644 Notons que le gouvernement militaire britannique a voulu étendre de nouveau la compétence des

tribunaux allemands, cette fois aux crimes contre l’humanité commis à l’encontre des ressortissants des Nations-Unies, jugés non plus sur le fondement de la loi n° 10 mais sur celui du code criminel. σéanmoins, cette intention n’a fait l’objet que d’une lettre adressée au ministre de la Justice du Land de Rhénanie-Nord-Westphalie. σon publiée, elle est restée nulle d’effet. Voir sur le sujet, Henri MEYROWITZ, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., p. 118.

645 Sur ce point, Martin BROSZAT, « Siegerjustiz oder strafrechtliche « Selbstreinigung ». Aspekte der Vergangenheitsbewältigung der deutschen Justiz währebd der Besatzungszeit 1945-1949 », Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, 1981, pp. 477-544.

646 Adalbert RÜCKERL, NS-Verbrechen vor Gericht - Versuch einer Vergangenheitsbewältigung, op. cit., p. 121. D’après Ingo MÜLLER, « ces plaintes concernaient surtout des malfaiteurs du milieu social des victimes que ces dernières continuaient de rencontrer : le responsable de la section locale de la N.S.D.A.P., le voisin coupable de délation, le kapo du camp, un codétenu qui avait persécuté ses camarades ». Cf. « Comment les allemands ont-ils jugé les crimes du nazisme ? », in Jean-Paul JEAN et Denis SALAS (sous la dir.), Barbie, Touvier, Papon – Des procès pour la mémoire, Ed. Autrement, Coll. Mémoires, 2002, p. 81.

647 Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., annexe 11, p. 96.

648 Autant aux yeux des victimes, de leurs familles que de certains auteurs. Voir Martin BROSZAT, « Siegerjustiz oder strafrechtliche « Selbstreinigung ». Aspekte der Vergangenheitsbewältigung der deutschen Justiz währebd der Besatzungszeit 1945-1949 », op. cit.

146. Avec la création de la R.F.A. en 1949, la loi n° 10 et les textes propres à chaque zone voient leur autorité considérablement décliner. En effet, le Conseil de Contrôle Allié649 adopte un nouveau texte dit « loi n° 13 »650 qui intègre dans les attributions des

juridictions internes les crimes de guerre commis contre des ressortissants alliés. Tous les tribunaux ordinaires de l’Allemagne de l’ouest sont dorénavant autorisés à recourir aux incriminations du code pénal, pour initier de nouvelles poursuites, au-delà des seuls crimes contre l’humanité commis contre des Allemands ou des apatrides651. Par conséquent, bien

qu’elle reste en vigueur, la loi n° 10 perd de son efficience dans les secteurs français et britannique. Dans les années 1950-1951, le ministère de la justice de la R.F.A. recense encore près de 730 cas jugés sur son fondement. Mais rapidement, les gouvernements militaires ne voient plus l’utilité de la compétence spéciale ménagée par l’article 3 §1 (d). Ils suppriment donc sans tarder cette possibilité652. Il en est de même pour le haut

commandement américain qui abroge la loi de juin 1946, devenue désuète653. Par

conséquent, les exactions non encore définitivement jugées ne sont plus répréhensibles que sur le fondement du droit commun.

649 Devenu « Haute Commission Alliée » (ou encore « Haute Commission pour l'Allemagne occupée »)

depuis le départ des représentants soviétiques. Cette autorité a été créée le 21 septembre 1949 pour règlementer et superviser le développement de l’ancienne trizone, devenue la R.F.A.

650 Loi du 25 novembre 1949, entrée en vigueur le 1er janvier 1950 (Journal officiel de la Haute Commission

Alliée en Allemagne, 1950, p. 54).

651 Ce texte vient en réalité légitimer la pratique mise en place auparavant par les juridictions pour

contourner la lourdeur du système de la loi n° 10. En effet, les juges allemands ont très vite pris l’habitude de recourir à des infractions de droit commun tels les coups et blessures, pour sanctionner commis à l’encontre de non-allemands. Ce subterfuge a aussi permis aux juridictions allemandes de se saisir de faits qualifiables crimes de guerre commis contre des militaires alliés. Cela explique en partie pourquoi la majorité des condamnations de la période post-conflictuelle s’est faite sur le fondement du code criminel. Voir Henri MEYROWITZ,La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., p. 245.

652 Par l’ordonnance n° 234 du haut commissaire allié britannique et l’arrêté n° 171 du haut commissaire allié français en date du 31 août 1951 (Journal officiel de la Haute Commission Alliée en Allemagne, 1951, p. 1137). Les sentences rendues conformément au texte abrogé et passées en force de chose jugée sont maintenues et demeurent exécutoires.

653 Cette information est donnée par Henri MEYROWITZ, qui ne fournit cependant pas d’indication sur la date de l’abrogation (Cf. La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., p. 125).

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On aurait pu s’attendre à une augmentation des jugements rendus par les cours germaniques désormais libres de sanctionner n’importe quel acte susceptible d’une qualification ordinaire654, éventuellement assimilable à un crime de guerre ou à un crime

contre l’humanité. Pourtant, c’est le phénomène inverse que l’on observe. A compter de 1952, alors que les poursuites se multiplient – notamment relatives aux camps de concentration et aux exécutions massives à l’est –, les condamnations sont en nette diminution : 191 en 1952, 123 en 1953, puis entre 20 et 45 les années suivantes655.

S’agissant des peines infligées, elles demeurent d’une intensité restreinte.

147. Est-ce à dire que les procès menés en zone britannique et française par les tribunaux répressifs allemands après-guerre ont manqué de sérieux ? L’appréciation portée a posteriori est particulièrement polémique et suscite des opinions très tranchées. Beaucoup fustigent un laxisme et une indulgence marqués. A notre sens, l’interprétation à donner mérite plus de nuances et de précaution. Certes, le bilan répressif est mitigé et cela n’a rien d’excusable, mais on peut y apporter quelques justifications objectives. Reprenons donc les deux périodes précédemment étudiées.

148. Ceux qui critiquent la justice rendue dans les premières années post-conflit arguent de deux raisons principales : la majorité des condamnations ont été de moindre importance, basées sur les incriminations du droit pénal commun plutôt que sur celle de crime contre l’humanité ; le taux de classements sans suite est fort, notamment en matière de crimes d’euthanasie656.

654 Pour une présentation des qualifications de droit commun utilisables, voir Adalbert RÜCKERL, NS- Verbrechen vor Gericht - Versuch einer Vergangenheitsbewältigung, op. cit., p. 125. Les plus sévèrement réprimées : emprisonnement perpétuel pour les infractions de Mord (assassinat §211 StGB) et Totschlag in besonders schwerem Fall (homicide involontaire particulièrement grave §212 al. 2) ν emprisonnement d’une durée de quinze ans pour les infractions de Totschlag (homicide involontaire §212 al. 1), Körperverletzung mit Todesfolge (voies de fait ayant entrainé la mort §226), Freiheitsberaubung mit Todesfolge (privation de liberté ayant entrainé la mort §239 al. 3), einfacher und schwerer Raub (vol simple et qualifié (§§ 249-250).

655 Statistiques générales données par Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., p. 99.

656 Voir Martin BROSZAT, « Siegerjustiz oder strafrechtliche « Selbstreinigung ». Aspekte der Vergangenheitsbewältigung der deutschen Justiz währebd der Besatzungszeit 1945-1949 », op. cit.

Mais il faut bien reconnaître que des poursuites pénales systématiques n’étaient pas envisageables à cette époque, et ce, malgré la faculté offerte par l’article 3 §1 (d) de la loi n° 10. Les juges allemands ont dû faire face à des obstacles conséquents. D’une part, des difficultés logistiques sont nées de la guerre et de ses suites : destructions des locaux, effectifs réduits du fait de l’épuration administive au sein des différents corps de l’Etat, recensement de la population inexistant, fausses identités, moyens de communication rudimentaires, finances désastreuses, etc. A cela s’ajoutent les entraves à l’échange des pièces de procédures et au transfert de personnes – témoins, victimes ou suspects – d’une zone d’occupation à l’autre. Cela explique aussi bien la lenteur des procédures que le nombre limité de celles qui ont pu aboutir. D’autre part, la compétence des juridictions pour les crimes les plus graves est très restreinte. Elles ne peuvent intervenir qu’en cas de crimes contre l’humanité commis à l’égard d’Allemands ou de personnes sans nationalité, ou pour poursuivre des infractions de droit commun. En clair, « le meurtre des Juifs européens et la plupart des crimes commis dans les camps de concentration, ainsi que les crimes de guerre, [restent] (…) en dehors de l’autorité judiciaire des Allemands »657.

149. Pour la seconde période, les critiques sont acerbes et s’articulent autour de l’idée d’une « impunité juridiquement organisée », d’une « mauvaise volonté » des gouvernants et des magistrats, produisant l’effet d’une « amnistie générale » et aboutissant à un « échec massif » de la justice allemande658. D’aucuns pointent l’article 16 de la Grundgesetz

disposant qu’aucun allemand ne peut être extradé vers un autre Etat, ce qui restreint l’effectivité des procédures potentiellement engagées à l’étranger. Il est vrai que cela est choquant lorsqu’on envisage les poursuites par contumace exercées par les tribunaux militaires français. Les condamnations in absentia ne sont pas définitives mais les juridictions allemandes n’ont pas le droit de rejuger une affaire traitée par une juridiction du gouvernement militaire659, y compris par contumace660. Et si l’extradition des accusés

657 Norbert FREI, « Le retour du droit en Allemagne. La justice et l’histoire contemporaine après l’Holocauste – Un bilan provisoire », op. cit., p. 66.

658 Voir Ingo MÜLLER, « Comment les allemands ont-ils jugé les crimes du nazisme ? », op. cit., p. 81 et 87.

659 Et ce, en vertu du « Contrat de transition » du 26 mai 1952 (Gesetz über die vorläufige Ausübung der

Staatsgewalt im südwestdeutschen Bundesland, Gesetzblatt Baden-Württemberg n° 2, 1952, pp. 3-6), signé entre la R.F.A. et les trois forces d’occupation de l’ouest.

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soudainement réapparus est impossible, ils jouissent alors d’une immunité de fait hautement blâmable.

Cependant, l’article 16 ne suffit pas à expliquer le faible taux de condamnations. Remarquons d’abord que la suppression de la faculté dérogatoire de la loi n° 10 en 1951 coïncide avec les prémisses de la Guerre froide. Un nouvel ennemi a été trouvé vers lequel toutes les attentions se tournent ; les plaintes se font de plus en plus rares. Par ailleurs, les juridictions doivent composer avec les contraintes du droit pénal commun. Ne peuvent être réprimés que les délits commis sous le régime nazi et en connexion avec ce régime non frappés de la prescription extinctive661. Les procédures ne couvrent donc que les

infractions les plus graves, c’est-à-dire, dans les faits, uniquement les crimes commis par des militaires ou des civils allemands, à l’intérieur ou en dehors du territoire de l’Allemagne, à l’encontre de nationaux allemands ou autres, civils ou militaires662. De plus,

les tribunaux sont dans l’interdiction de se saisir des affaires qui non seulement ont été déjà jugées mais encore sont en cours d’instruction devant les juridictions d’occupation663, ce

qui limite considérablement leur champ d’action. Enfin et de manière traditionnelle, ils ne peuvent agir que dans les strictes limites du ressort territorial de leur parquet664.

150. En conclusion, les juridictions internes ne bénéficient pas des conditions optimales permettant la poursuite massive et efficiente des auteurs des crimes les plus horribles. Face aux restrictions observées, aussi bien matérielles que légales, la répression mise en œuvre

660 C’est la posture adoptée par la Cour fédérale allemande selon Ingo MÜLLER, « Comment les allemands ont-ils jugé les crimes du nazisme ? », op. cit., p. 82.

661 A l’époque, en Allemagne, le délai de prescription de l’action publique est de vingt ans pour les crimes que la loi punit de travaux forcés à perpétuité (sanction maximale depuis l’abolition de la peine de mort par la Loi Fondamentale de la R.F.A.) et quinze ans pour les crimes punis d’une peine privative de liberté de plus de dix ans (§67 StGB).

662 Henri MEYROWITZ, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., pp. 125-126.

663 Et ce, en vertu du « Contrat de transition » du 26 mai 1952 (Gesetz über die vorläufige Ausübung der

Staatsgewalt im südwestdeutschen Bundesland, Gesetzblatt Baden-Württemberg n° 2, 1952, pp. 3-6), signé entre la R.F.A. et les trois forces d’occupation de l’ouest.

664 Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., p. 99.

n’apparaît ni médiocre ni satisfaisante. τn ne peut que regretter la complexité de l’ « engrenage juridictionnel », conduisant inéluctablement à un manque de lisibilité des condamnations rendues. Surtout, l’amertume demeure face à la « mollesse » qui entoure la sanction des crimes nazis à caractère raciste, qu’elle soit exercée par les Alliés ou par les cours nationales, sur le fondement de la loi n° 10 ou de textes propres à chaque zone d’occupation. Au terme de notre analyse de la justice prononcée en Allemagne de l’ouest après-guerre, nous partageons donc la pensée de σorbert Frei lorsqu’il écrit μ « deux éléments se dégagent : d’une part, le règlement de compte avec le nazisme était d’abord et avant tout un projet des Alliés et non pas des Allemands, et d’autre part, l’Holocauste (…) n’était pas au centre des efforts de châtiment »665.

C

ONCLUSION DU CHAPITRE

II

151. Comment juger l’ensemble des crimes « de la guerre » ? Telle est donc la question que se sont posés hommes politiques et tribunaux à la sortie du conflit.

Matériellement, cela est impossible. Le contentieux est immense, une partie des délinquants est en fuite, les preuves sont difficiles à rapporter, les infrastructures ont été détruites. Politiquement, est-ce vraiment une priorité ? A Nuremberg, trois catégories d’infractions commises par les plus hauts responsables nazis ont été mises en évidence : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Tous ont été le fondement de poursuites et de condamnations par le Tribunal international quadripartite. On aurait pu penser – et beaucoup l’espéraient – que dans les Etats, on travaillerait sur ce modèle. C’était sans compter les contingences politiques et l’urgence de la situation qui ont poussé les juridictions internes à faire un tri dans ce contentieux de masse.

665 Norbert FREI, « Le retour du droit en Allemagne. La justice et l’histoire contemporaine après l’Holocauste – Un bilan provisoire », op. cit., p. 61.

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152. Le conflit a pris fin mais il est toujours omniprésent et conditionne les choix opérés, y compris juridictionnels. Ce constat s’impose dans les deux pays, bien que le statut de vainqueur/vaincu engendre certaines différences notables. La France n’a aucun scrupule à ignorer les crimes racistes, ne prenant pas la peine d’adopter les outils nécessaires à leur poursuite. Concentrée sur l’armistice de 1940, la collaboration et la Résistance, elle est incapable d’enrayer la violence qui se déchaîne dès la Libération et les procédures judiciaires intentées sont peu adéquates. L’Allemagne, elle, soumise à la pression alliée et internationale, n’occulte aucune catégorie d’infractions mais les traite avec une très grande inégalité. Les crimes contre l’humanité sont intégrés dans la compétence des juridictions et abordés tant par les tribunaux d’occupation que par les tribunaux internes, mais d’une façon très marginale et avec une certaine clémence dont s’offusquent les commentateurs.

Ainsi, plus que la répression des crimes « de la guerre », on assiste à une focalisation plus ou moins évidente de la pénalisation sur les crimes « de guerre » et assimilés, c’est-à- dire sur les exactions dont ont été victimes les soldats et autres combattants du régime nazi : « Buchenwald recouvre Auschwitz »666.

666 Annette WIEVIOKA, « Shoah : les étapes de la mémoire en France », in Pascal BLANCHARD et Isabelle VEYRAT-MASSON (sous la dir.), Les guerres de mémoire. La France et son histoire, Ed. La Découverte, 2008, p. 109.