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E VIDENCE DES STATUTS VAINQUEUR VAINCU

A. L’ HARMONISATION DES INCRIMINATIONS

122. Entrée en vigueur postérieurement au Statut de Nuremberg551, la loi n° 10 en

reprend assez logiquement les dispositions. Ainsi, l’appartenance à un groupement criminel ou à une organisation déclarée criminelle par le Tribunal militaire international devient une infraction punissable (article 2 §1 (d)). De même, ce texte porte pénalisation des trois types de crimes visés à l’article 6 du Statut, dont les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, bien que certaines dissemblances soient notables552.

123. Très classiquement, les crimes de guerre sont définis à l’article 2 §1 (b) comme « les atrocités ou délits553 commis contre des personnes ou des biens, constituant des

550 Du moins, c’est l’interprétation doctrinale qui a été donnée de l’article 2 §5, ce dernier disposant : « Dans aucun procès ou aucune poursuite pour un des crimes précités, l’accusé n’aura le droit d’invoquer le bénéfice d’une prescription accomplie durant la période du 30 janvier 1933 au 1er juillet

1945. De même, il ne sera pas admis que fasse obstacle, tant au procès qu’à la peine, une immunité, grâce ou amnistie accordée sous le régime nazi ». En ce sens, Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, Bern, Peter Lang, Coll. Contacts, 1998, p. 48. Cette position partagée par la doctrine allemande, voir Max GÜDE, « Die Anwendung des KRG 10 durch die deutschen gerichte », DRZ, 1947, p. 116.

551 Mais antérieurement au jugement du TMI.

552 Hors de notre champ d’investigation, nous n’étudierons pas en détails le crime contre la paix. σotons qu’il est défini par l’article 2 §1 (a) comme le fait de déclencher des invasions contre d’autres pays et des guerres d’agression, en violation des lois et traités internationaux. Cela inclut, comme dans le Statut de Nuremberg, « la direction, la préparation, le déclenchement et la poursuite d’une guerre d’agression ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, et la participation à un plan concerté ou un complot en vue de l’accomplissement de l’un quelconque de ces actes ». Aux termes de l’article 2 §2 in fine, seules peuvent voir leur responsabilité engagée sur ce fondement « les personnes ayant occupé une haute situation politique, civile ou militaire (y compris dans le grand état-major) en Allemagne ou dans le pays de l’un de ses alliés, cobelligérants ou satellites, ou dans la vie financière, industrielle ou économique de l’un de ces pays ».

553 « Offenses » en anglais, donc les délits sont ici à interpréter au sens d’infractions, et non dans une acception technique française du terme.

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infractions aux lois et coutumes de la guerre ». Suit une liste non-exhaustive554 de

comportements entrant dans le champ de cette qualification μ l’assassinat, les sévices ou la déportation – aux fins de travail forcé ou pour toute autre raison – de la population d’un territoire occupé ν l’assassinat ou les mauvais traitements infligés à des prisonniers de guerre ou au personnel embarqué ν l’exécution d’otages ; le pillage des biens publics ou privés ; la destruction sans motif de villes ou villages ; les dévastations que ne justifient pas les nécessités militaires. La proximité avec l’article 6b est indéniable. La définition générale de cette catégorie d’infractions est analogue555 et l’énumération donnée,

identique.

124. Le crime contre l’humanité556 fait l’objet de l’article 2 §1 (c) qui vise « les

atrocités et délits comprenant sans y être limités, le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, l’emprisonnement, la torture, le viol ou tous autres actes inhumains commis contre une population civile, et les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ». Peu importe que lesdits crimes aient ou non constitué une violation de la loi nationale du pays où ils ont été perpétrés557. On le voit, la méthode

utilisée est la même que dans la disposition précédente : une définition globale, puis des illustrations. En revanche, les différences de rédaction avec l’article 6c sont flagrantes.

D’abord, la série des exemples est allongée. Sont ajoutés la torture, l’emprisonnement et le viol, absents de l’Accord de Londres. Assurément, ces exactions pouvaient tomber sous le coup des « actes inhumains », notion générique permettant, d’une façon détournée, de

554 L’article dit « incluant mais sans être limité à ». Une expression similaire est présente dans l’article 6b du Statut de Nuremberg : « ces violations comprennent, sans y être limitées, (…) ».

555 Il y a eu simplement ajout de la mention « les atrocités ou délits commis contre des personnes ou des

biens », certainement par souci de clarification.

556 Henri MEYROWITZ consacre la deuxième partie de son ouvrage à cette infraction, et particulièrement le Titre I à l’incrimination elle-même et à l’interprétation que la jurisprudence en a faite (Cf. La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., pp. 215- 360). Pour une synthèse, voir Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., p. 57 et suivantes.

557 Principe de non-considération de la lex loci, qui permet d’écarter la loi nazie en vigueur au moment des faits, en tant que loi du lieu de commission des infractions et loi nationale des infracteurs.

les réprimer. Mais les nommer expressément manifeste la volonté du Conseil de Contrôle de les stigmatiser comme étant intolérables. Au-delà de l’aspect symbolique, c’est un pas non négligeable vers une répression efficace et généralisée de ces conduites et un choix particulièrement précurseur s’agissant des atteintes sexuelles558.

Par ailleurs, la référence à la période des hostilités559 a disparu, de même que la mention

« lorsque ces crimes ou persécutions (…) ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ». Concrètement, cela signifie qu’il est possible de retenir un crime contre l’humanité en dehors de tout rapport avec un autre crime, de guerre ou contre la paix. Cela n’est pas illogique puisque ces restrictions servent, dans le Statut de Nuremberg, à cerner la compétence juridictionnelle560. Dans la

mesure où l’article 2 §5 a déjà fixé la portée temporelle de la loi n° 10, ces limitations deviennent inutiles561. De plus, le Conseil de Contrôle Allié agit en tant que législateur en

Allemagne, détenteur de l’autorité suprême, et non pas comme un simple occupant. Son droit de punir n’est donc pas inhérent à la guerre mais plutôt à la lutte contre l’appareil totalitaire du IIIème Reich, au processus de dénazification et à la restauration d’un régime

démocratique. Par conséquent, l’élément essentiel du crime contre l’humanité n’est plus, comme à Nuremberg, son rattachement au conflit armé562 mais réside « dans son lien de

558 Le viol n’intègrera officiellement la définition internationale du crime contre l’humanité qu’à la faveur de la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc (notamment les affaires TPIR, 2 octobre 1998, affaire Akayesu et TPIY, 10 décembre 1998, affaire Furundzija). Cette jurisprudence a ensuite été reprise dans les versions actualisées des statuts de ces deux juridictions et dans celui de la Cour pénale internationale.

559 Rappelons que l’article 6c n’envisage que les actes commis « avant ou pendant la guerre ».

560 Cet élément de compétence est toutefois devenu, par la suite, un véritable élément de l’incrimination dans la définition retenue par la Commission du droit international des Nations-Unies dans les principes de Nuremberg. Voir Henri MEYROWITZ, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., pp. 224-225.

561 Au demeurant, cela confirme la position doctrinale selon laquelle « la guerre n’est pas du tout la condition sine qua non des crimes contre l’humanité, mais n’a été que l’occasion de les reconnaître et de les juger en les liant aux autres crimes qui devaient être déférés à la juridiction militaire internationale issue de la guerre ». En d’autres termes, la liaison avec la guerre dans le Statut de σuremberg n’a répondu qu’à des considérations « d’opportunité juridictionnelle ». Cf. Jean GRAVEN, « Les crimes contre l’humanité », R.C.A.D.I., 1950, vol. 1, p. 544.

562 Ce qui avait inspiré à Henri DONNEDIEU DE VABRES son célèbre « le crime contre l’humanité est entré par la petite porte » (Cf. supra §107).

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connexité avec le régime national-socialiste, avec son système de terreur et de tyrannie, ayant comme corollaire l’absolue impuissance des victimes à se défendre »563.

125. La définition des infractions est ainsi fixée pour l’ensemble du territoire et le châtiment des criminels « de la guerre » s’en trouve nécessairement facilité. C’est également une garantie d’égalité des accusés devant la justice et le gage d’un procès équitable, sans considération pour le tribunal compétent au regard de l’article 3 de la loi.