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E VIDENCE DES STATUTS VAINQUEUR VAINCU

B. L ES ENNEMIS ETRANGERS : L ’ ORDONNANCE DU 28 AOUT 1944

97. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’histoire des procès menés à l’encontre des ennemis étrangers – pour la plupart des Allemands – soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre en France ou contre des Français au cours du conflit, a longtemps été négligée, de part et d’autre du Rhin. Mises à part les instances emblématiques et surmédiatisées comme celle qui s’est tenue à Bordeaux relativement au massacre

431 On a noté que les tribunaux militaires « ordinaires » étaient globalement plus indulgents que les cours de

justice créées en 1944, parce qu’ils prenaient en considération la bonne foi de l’individu déféré devant eux.

432 Les condamnations les plus rigoureuses ont été prononcées au cours de l’été 1944, ce qui s’explique par le fait que dans l’esprit des hommes de la Résistance, l’épuration devait être très brève.

433 « Ces hommes sont sur la place publique. Leurs écrits sont connus de tous. Il suffit de les produire.

Telles sont les consignes d’instruction rapides données aux parquets ». Cf. Denis SALAS, présentation du texte introductif de l’ouvrage de l’Association française pour l’histoire de la justice, La Justice de l’épuration. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, op. cit. ν voir également les explications d’Alfred GROSSER, au sujet de l’affaire Brasillach, Le crime et la Mémoire, Flammarion, 1989, pp. 160-161. 434 JO (Alger), Ordonnances et Décrets, 30 août 1944, p. 780.

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d’τradour-sur-Glane435, peu nombreux sont les écrits qui tracent un panorama explicatif

complet de ces procédures et de leurs fondements436. En réalité, les chercheurs français

étaient bien trop occupés à « démêler » l’histoire douloureuse de Vichy et de ses suites au cours de l’Epuration, pour pouvoir s’intéresser à un autre domaine. Quant à l’historiographie germanique, elle s’est prioritairement attachée à éclairer le processus de dénazification enclenché par les Alliés en Allemagne. Pourtant, avec le recul, on constate que la question de la répression des crimes de guerre a joué un rôle déterminant dans la construction et les relations du « tandem franco-allemand ». Revenons donc sur les textes applicables en France et la jurisprudence y afférente.

98. Dès 1942, sous l’impulsion de juristes comme René Cassin et d’hommes politiques de sensibilité démocrate-chrétienne comme François de Menthon, la France réclame le droit de juger les crimes de guerre commis par des personnes de nationalité étrangère sur son territoire. Le G.P.R.F. instaure, en juin 1944, une commission chargée notamment de la préparation des textes sur la prévention et la répression des crimes de guerre par les tribunaux internes. Ses travaux aboutissent à la promulgation, le 28 août 1944 depuis Alger, d’une ordonnance sur la répression des crimes de guerre commis par les ennemis437,

435 Déjà étudiée à propos de l’amnistie, §§45-48.

436 Cela explique que notre étude se fonde en grande partie sur les travaux de Claudia MOISEL, dont la thèse de doctorat Frankreich und die deutschen Kriegsverbrecher. Die strafrechtliche Verfolgung der Kriegs – und NS –Verbrechen und die deutsh-französischen Beziehungen seit dem Zweiten Weltkrieg, soutenue en 2001 à la Ruhr-Universität de Bochum (Göttingen, Wallstein Verlag, 2004, 287p.), fait figure de référence sur la question. Son article « Les procès pour crimes de guerre allemands en France après la Seconde Guerre mondiale », paru au Bulletin de l'Institut d'histoire du temps présent n° 80,

2002, pp. 90-101, et disponible [en ligne] sur

http://www.ihtp.C.N.R.S..fr/spip.php%3Farticle353&lang=fr.html (consulté le 6 février 2014), en reprend les grandes lignes, de façon très synthétique et pédagogique. Relevons également les articles d’Adolphe TOUFFAIT, « Crimes de guerre et recherche des crimes de guerre », Recueil de droit pénal, 1945, pp. 5-11 ; et Pierre BOISSIER, « La répression des petits crimes de guerre », R.I.D.P., 1948, pp. 293-309.

437 Cette ordonnance du 28 août 1944 a été complétée par la loi n° 48-1416 du 15 septembre 1948 qui était

destinée à aligner le droit national sur le droit international relatif à la déclaration de criminalité des organisations hitlériennes (précitée notes n° 207 et 208). Cette loi établissait une discrimination d’importance entre les étrangers et les Français. D’une part, il proclamait la responsabilité collective de tous les individus étrangers ayant appartenu à une formation déclarée criminelle par le TMI, lorsqu’un crime de guerre était imputable à cette formation. D’autre part, la répression des Français n’était envisagée qu’en cas de preuve d’une implication personnelle dans un crime de guerre ou un crime connexe. Le droit interne ne pouvait se satisfaire de telles prescriptions, contraires à la fois au principe

socle législatif des procédures engagées à la Libération. Elle fixe la compétence des tribunaux militaires pour poursuivre et juger les criminels de guerre présumés, civils ou militaires, dès lors que les faits ont été commis à l’encontre des citoyens français, soit en France, soit en dehors des frontières. L’article 1er alinéa 1 montre toute la spécificité de

cette règlementation et dispose :

« Sont poursuivis devant les tribunaux militaires français et jugés conformément aux lois françaises en vigueur et aux dispositions de la présente ordonnance, les nationaux ennemis ou agents non français au service de l'administration ou des intérêts ennemis, coupables de crimes ou de délits commis depuis l'ouverture des hostilités soit en France ou dans un territoire relevant de l'autorité de la France, soit à l'encontre d'un national ou d'un protégé français, d'un militaire servant ou ayant servi sous le drapeau français, d'un apatride résidant sur le territoire français avant le 17 juin 1940 ou d'un réfugié sur un territoire français, soit au préjudice des biens de toutes les personnes physiques visées ci-dessus et de toutes les personnes morales françaises, lorsque ces infractions, même accomplies à l'occasion ou sous le prétexte de l'état de guerre, ne sont pas justifiées par les lois et coutumes de la guerre. »

Ainsi, la répression ne concerne que les criminels étrangers et prend base dans les codes pénal et de justice militaire en vigueur avant la guerre438.

99. Ce renvoi au droit commun n’est pas anodin, du point de vue de la théorie juridique : « le crime de guerre n’est pas considéré comme une violation du droit d’égalité devant la loi et à la non-rétroactivité du droit pénal incriminateur. Henri DONNEDIEU DE

VABRES a même parlé à cet égard de « génocide légal » (formule reprise par Michel DANTI-JUAN, « Réflexions contemporaines sur le procès des auteurs du massacre d’τradour-sur-Glane », in Jean COCHARD (sous la dir.), Armée, guerre et droit pénal, Actes de la Journée d’études du 19 mai 1984, Travaux de l’Institut de Sciences Criminelles de Poitiers, vol. 5, Cujas, 1986, p. 29). C’est pourquoi la loi de 1948 a été abrogée le 30 janvier 1953 (évoquée supra §46), en plein procès d’τradour. Reste que la discrimination instaurée entre les nationaux étrangers et les Français demeure applicable : les premiers sont justiciables de l’ordonnance du 28 août 1944, les seconds ne peuvent être condamnés que sur le fondement du Code pénal. Pour des extraits de ces différents textes, voir annexe n° IV, sur cd.

438 La conception selon laquelle le crime de guerre est essentiellement une infraction de droit commun

procède d’une certaine tradition doctrinale, initiée par les thèses d’Achille MORIN dès le début des années 1870 (Les lois relatives à la guerre selon le droit des gens moderne, le droit public et le droit criminel des pays civilisés, Tome II, Marchal et Billard, 1872, p. 456). Pour une présentation de ces théories et quelques applications en jurisprudence, Adolphe TOUFFAIT et Jacques-Bernard HERZOG, « Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », in La Chambre Criminelle et sa jurisprudence – Recueil d’études en hommage à la mémoire de Maurice Patin, Cujas, 1965, pp. 695-704.

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international, mais comme une violation du droit pénal interne par un ennemi »439. Peut-on

en déduire que ce texte méconnaît les engagements internationaux de la France ? Auteurs et juges s’accordent à répondre par la négative : « si on compare [la définition] aux termes du jugement de Nuremberg, dont il résulte que les lois de la guerre se sont progressivement dégagés de coutumes issues de la doctrine des juristes et de la jurisprudence des tribunaux, la conclusion s’impose ! La qualification interne des crimes de guerre [ne contredit] aucun des principes du droit international »440. Quant à l’absence

de justification par les lois et coutumes de la guerre, elle reste, comme l’a expliqué Maurice Patin, une condition essentielle de l’accusation441. Toutefois, on remarque que le

droit international n’est intégré à l’incrimination que par la technique du fait justificatif, affectant l’élément injuste de l’infraction442.

100. Seuls les tribunaux militaires sont habilités à juger les accusés (article 5) et leur composition mérite d’être soulignée. Comme pour les juridictions d’exception de l’Epuration, la Résistance y est très présente puisque seuls les militaires ayant combattu dans les F.F.I. ou dans une autre organisation similaire peuvent acquérir la qualité de juges militaires443. La doctrine n’a pas manqué de relever la difficulté posée par cette règle, bien

entendue liée au contexte politique, au regard du droit international tel qu’il est repris en

439 Claudia MOISEL, « Les procès pour crimes de guerre allemands en France après la Seconde Guerre mondiale », op. cit.

440 Citant plusieurs arrêts rendus entre 1946 et 1950 par la Cour de cassation, voir Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG, « Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », op. cit., p. 699.

441 Maurice PATIN, « Chronique de jurisprudence sur l’application de l’ordonnance du 28 août 1944 », R.S.C., 1951, p. 353.

442 Cette question est alors englobée dans celle, plus large, de la culpabilité. Par conséquent, la jurisprudence

a estimé que l’arrêt de renvoi doit spécifier que les infractions commises à l’occasion ou sous le prétexte de la guerre ne sont pas justifiées par les lois et coutumes de la guerre (Cass. crim., 31 mars 1949, Bull. crim., n° 128, p. 203) mais qu’il est inutile de poser aux juges une question distincte à ce propos (Cass. crim., 24 juillet 1946, Bull. crim., n° 170, p. 254 ; Cass. crim., 8 janvier 1947, Bull. crim., n° 11, p. 15).

443 « La répression des atrocités allemandes sera l’œuvre des hommes qui ont négligé toutes les menaces et surmonté tous les dangers pour se dresser contre le joug de l’Allemagne ». Cf. « Comment se fera la répression des crimes de guerre », Bulletin hebdomadaire d’informations judiciaires, 4 mai 1945.

droit français444. En effet, l’article 63 de la Convention de Genève sur le traitement des

prisonniers de guerre445 stipule :

« Un jugement ne pourra être prononcé à la charge d'un prisonnier de guerre que par les mêmes tribunaux et suivant la même procédure qu'à l'égard des personnes appartenant aux forces armées de la Puissance détentrice. »

Cette garantie juridictionnelle trouve un prolongement en droit français dans l’ancien article 10 du Code de justice militaire, énonçant que les tribunaux appelés à juger les prisonniers de guerre doivent être composés comme pour le jugement des soldats français, par assimilation de grade. Partant, si rien ne s’oppose à la poursuite des criminels de guerre, civils ou militaires, qui ne sont pas prisonniers, l’article 5 de l’ordonnance de 1944 et l’article 10 du Code de la justice militaire semblent bien inconciliables. Il est revenu à la jurisprudence la charge de trancher ce débat.

101. Dans un premier temps, elle s’est montrée plus qu’hésitante. Les tribunaux militaires de cassation avaient tendance à faire prévaloir le Code de la justice militaire sur l’ordonnance446 alors que, simultanément, la Cour de cassation rendait des arrêts en sens

inverse. Celle-ci mettait en avant que les accusés étaient jugés en temps que criminels et non en tant que prisonniers de guerre, d’où la seule application de l’article 5 de l’ordonnance de 1944447. Une partie de la doctrine en a déduit, un peu hâtivement, que la

Cour consacrait ici une incompatibilité entre le statut de criminel et celui de prisonnier de guerre. Pour ces auteurs, la règle posée à l’article 10 du Code de justice militaire serait « étrangère » aux criminels de guerre, indignes d’un traitement impliquant un hommage

444 Voir sur le sujet les remarques d’Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG, « Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », op. cit., pp. 688-695.

445 Convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, signée à Genève le 12 août 1949, Actes

de la Conférence diplomatique de Genève de 1949, vol. 1, Berne, Département Politique Fédéral, p. 243.

446 Pour des explications détaillées, Michel DE JUGLART, Répertoire méthodique de la jurisprudence militaire – Cour de cassation et tribunaux militaires de cassation, Sirey, 1946, p. 256.

447 Plusieurs arrêts dans cette veine : Cass. crim., 30 décembre 1948 ; Bull. crim., n° 310, p. 467 ; Cass.

crim. 25 mai 1949, Bull. crim., n° 187, p. 292 (R.S.C., 1950, p. 229, obs. HUGUENEY) ; Cass. crim., 16 février 1950, Bull. crim., n° 90, p. 58.

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rendu à l’armée ennemie, qui ne mériteraient que d’être jugés par un tribunal le plus « humblement » composé448. A l’inverse, d’autres ont estimé que la Cour avait simplement

fait preuve de « scrupule juridique »449 face à la question épineuse de l’application des

dispositions de Genève aux infractions commises par les prisonniers de guerre, non seulement pendant leur captivité, mais aussi avant leur capture.

Quelle que soit la raison d’une telle interprétation de la Chambre criminelle, elle a été désavouée par les Chambres réunies dans deux décisions du 26 juillet450 et 13 décembre

1950451. Elles ont en effet déclaré que l’article 63 de la Convention de Genève devait

s’appliquer « sans équivoque possible même lorsque les prisonniers comparaissaient pour des faits antérieurs à leur captivité ». L’affirmation est on ne peut plus explicite : il est illégitime d’appliquer un traitement différencié aux prisonniers de guerre qui sont aussi des criminels de guerre. Mais la clarté n’empêche pas la critique. D’aucuns452 ont remarqué

une contradiction avec le principe jurisprudentiel classique selon lequel la compétence ratione materiae est déterminée par la qualité du prévenu au jour de l’infraction et non à celui de la poursuite453.

Prenant acte de cette « injonction » des Chambres réunies, la Chambre criminelle a modifié son positionnement et repris cette solution. Toutefois, elle a cherché à en réduire considérablement la portée, en excluant tout recours au Code de justice militaire « lorsque les criminels de guerre déférés aux juridictions répressives ne présentaient pas la double

448 Avis de Louis HUGUENEY,dans ses observations précitées. Dans le même, Stefan GLASER a émis la thèse selon laquelle « le caractère du criminel de guerre primait et absorbait celui du prisonnier de guerre » (Cf. « La protection internationale des prisonniers de guerre et la responsabilité pour les crimes de guerre », R.D.P.C., 1951, p. 897 et suivantes ; « La convention de Genève et les criminels de guerre », R.D.P.C., 1952, p. 517).

449 Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG,« Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », op. cit., p. 591.

450 Chambres réunies, 26 juillet 1950, Bull., n° 218, p. 353 (J.C.P. éd. G., 1950, II, 5808, note BROUCHOT ; R.S.C., 1951, p. 110, obs. HUGUENEY ;R.S.C., 1953, p. 334, obs. HUGUENEY).

451 Chambres réunies, 13 décembre 1950, Bull., n° 284, p. 469.

452 En particulier Jean BROUCHOT, dans sa note parue à la R.S.C. en 1951 précitée.

453 Sur ce principe, voir notamment Pierre BOUZAT et Jean PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, Tome II, Dalloz, 1963, p. 898.

qualité de membre d’une formation militaire ennemie et de prisonnier de guerre »454. En

somme, elle a évité de placer les criminels de guerre, également prisonniers de guerre, sous les auspices du droit international lorsqu’ils n’étaient pas des militaires stricto sensu455.

Tout privilège juridictionnel a donc été écarté pour les « para-militaires »456. De plus, elle

n’a eu recours à la Convention que pour les prisonniers de guerre proprement dits, c’est-à- dire ceux qui ont été capturés par les forces armées alliées au cours des combats457.

Finalement, pour résumer et justifier son raisonnement, la haute juridiction a retenu que « loin de contenir des dispositions contraires aux engagements internationaux de la France, l’ordonnance du 28 août 1944 n’[a] fait que les mettre en application en les combinant avec les règles du droit français »458. Partant, son article 5 doit s’appliquer à

tous les auteurs, coauteurs ou complices, qu’ils soient prisonniers de guerre ou non, « sous la réserve des modifications résultant, éventuellement, en ce qui [concerne] les prisonniers de guerre, de leur grade, suivant les distinctions établies par l’article 10 du Code de justice militaire »459.

102. En fin de compte, juger les crimes de guerre s’est révélé tout aussi complexe que juger les crimes de la collaboration. Et côté bilan officiel, l’amertume est aussi de mise. Plus de 20.000 actes juridiquement qualifiables crimes de guerre ont été recensés460.

454 Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG,« Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », op. cit., p. 693.

455 Cass. crim., 10 février 1955, Bull. crim., n° 96, p. 167, à propos d’individus prétendant être assimilés à des officiers généraux mais n’appartenant pas à l’armée allemande au moment des faits incriminés ; Cass. crim., 27 juillet 1954, Bull. crim., n° 278, p. 479, à l’égard de membres de la Gestapo, considérés comme relevant des autorités policières.

456 Expression de Louis HUGUENEY, « Chronique de droit pénal militaire », R.S.C., 1955, p. 347.

457 Par exemple, qualité non retenue pour un général de la Waffen S.S. fait prisonnier après la reddition de

l’Allemagne (Cass. crim., 24 mars 1953, Bull. crim., n° 117, p. 194).

458 Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG,« Les conflits entre le droit international pénal et la loi pénale interne dans la répression des crimes de guerre », op. cit., p. 694.

459 Ibidem, Adolphe TOUFFAIT et Jacques Bernard HERZOG citant deux décisions permettant cette interprétation : Cass. crim., 8 janvier 1947, précitée ; Cass. crim., 17 mars 1955, Bull. crim., n° 159, p. 281.

460 Henry ROUSSO, « L’épuration en France : une histoire inachevée », op. cit., p. 95. Mais l’auteur conteste la véracité de ce décompte, faute d’informations suffisantes.

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D’après le Service de recherche des criminels de guerre ennemis461, institué à la Libération

par le ministre de la Justice pour débusquer les criminels ennemis et centraliser les opérations en la matière462, près de 19.000 personnes ont fait l’objet d’un ordre d’informer

ou d’une citation directe. τr, plus de 16.000 ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu463.

Cela est symptomatique, selon Claudia Moisel, « de la nécessité de clore les dossiers, sachant que l’on ne connaîtra jamais la majorité des auteurs et que l’on n’ira pas chercher les contumax »464. Quant au nombre de jugements, il s’élève à 2.345, dont plus de

la moitié in absentia465. Le S.R.C.G.E. a aussi comptabilisé 377 acquittements pour 800

peines de mort466, 695 peines criminelles et 465 peines correctionnelles. Une cinquantaine

de personnes ont été exécutées à la suite de ces verdicts, entre 1944 et 1951467.

En réalité, beaucoup de ces condamnations ont été prononcées entre 1944 et 1947. A compter de 1947, désormais focalisés sur le début de la « Guerre Froide », les Américains et les Anglais, qui détiennent la plupart des criminels présumés, refusent de donner exécution aux demandes de livraison des suspects. L’ennemi n’est plus allemand mais russe, il n’est plus nécessaire de poursuivre la dénazification entreprise au lendemain de la

461 Ci-après S.R.C.G.E.

462 Ordonnance du 14 octobre 1944, JO (Alger), Ordonannces et Décrets, 15 octobre 1944, p. 952. Il

succède à la Commission intercommissariale des crimes de guerre, mise en place dès 1941 depuis Alger. Situé à Dijon, ce bureau temporaire est notamment chargé de préparer les instructions transmises par la suite aux tribunaux militaires. Les moyens qu’il possède sont très importants. Rattaché à la direction du cabinet du Garde des Sceaux, il dispose de délégations régionales qui travaillent avec les comités locaux de la Libération, les municipalités, la police, la gendarmerie et l’armée, ainsi qu’avec les commandants des camps où se trouvent les prisonniers de guerre allemands. Il est supprimé officiellement en 1948 et cesse de fonctionner l’année suivante.

463 Etat statistique relatif à la répression des crimes de guerre au 1er janvier 1956, Archives nationales,

BB 18/7222.

464 Claudia MOISEL, « Les procès pour crimes de guerre allemands en France après la Seconde Guerre mondiale », op. cit.

465 Parmi ces jugements in absentia, 956 auraient été prononcés à l’encontre d’Allemands. Ce chiffre a été publié par les autorités allemandes chargées de la réouverture des procédures contre les contumax, à partir d’une liste fournie par la justice militaire française, en 1965. Voir Adalbert RÜCKERL, Die