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E VIDENCE DES STATUTS VAINQUEUR VAINCU

§ 1 F ORCER L ’ OUBLI DES CRIMES VICHYSTES

B. U N MOYEN : L ’ AMNISTIE , « OUBLI DISSIMULATION »

42. Le recours à l’amnistie dès la fin de la guerre est significatif. En tant que mesure d’ « oubli juridique » selon les termes mêmes du droit187, « l’amnistie peut singulièrement

modifier la perception de l’Occupation, notamment par les silences qu’elle impose sur les peines prononcées »188. L’objectif philosophique et politique d’une telle mesure tient à la

possibilité d’une « réconciliation des communautés historiques entre elles et avec elles- mêmes »189. En décidant d’oublier les peines et les criminels, les autorités publiques en

profitent pour demander l’oubli des troubles graves qu’a subis la nation.

Les enjeux d’une telle démarche d’amnésie collective, « institutionnelle »190, à la

Libération, sont forts : « l’oubli est décrété au nom de la paix civile »191. Ce combat

idéologique constitue par conséquent l’une des étapes essentielles de la tentative de liquidation des séquelles de la période vichyste.

186 Expression de Johann MICHEL, Gouverner les mémoires, Les politiques mémorielles en France, op. cit., p. 180. Au sens que l’auteur donne à cette locution, c’est une entreprise active et volontaire, voire concertée, d’oubli, directement imputable aux acteurs publics chargés d’élaborer et de transmettre la mémoire officielle. Ainsi, « les pouvoirs publics (…) assument et revendiquent clairement la nécessité de l’oubli. (…) Il s’agit d’user d’instruments publics pour commander l’oubli. Il y a bien, paradoxalement, dans le commandement d’oubli une reconnaissance que quelque chose s’est passé. Mais en raison des menaces que ce passé fait peser sur la cohésion nationale actuelle, les autorités publiques demandent (ou commandent) désormais de ne plus s’en souvenir » (p. 181).

187 Etymologiquement, le terme amnistie vient du latin « amnestia », terme emprunté au grec ancien

ἀ η ία, et signifie « le fait de ne pas se souvenir », soit par extension, l’oubli, le pardon. Il s’agit de la mesure qui « ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux (ces faits étant réputés avoir été licites, mais non ne pas avoir eu lieu) » (Cf. Vocabulaire juridique Cornu). Claude LOMBOIS l’a définie comme « l’opportunité des poursuites aux mains du

législateur » (Droit pénal général, Hachette, 1994, p. 39), identifiant ainsi son objet : « c’est – au stade du jugement comme au stade de l’exécution des peines – le droit de poursuite de l’autorité publique qui est atteint par une loi d’amnistie plus que les faits auxquels cette loi se rapporte ». Cf. Emmanuel DREYER, Droit pénal général, 2ème éd. Lexisnexis Litec, Coll. Manuel, 2012, p. 982.

188 Henry ROUSSO,Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., p. 66. A cet égard, Paul RICŒUR

parle de « mémoire empêchée » (Histoire et Vérité, Ed. du Seuil, 2001, p. 82). Il désigne l’entreprise qui tend vers une mémoire apaisée face à une « blessure de l’amour propre national » (p. 96).

189 Johann MICHEL « Définitions et premières distinctions de la mémoire », in Johann MICHEL (sous la dir.), Mémoires et histoires. Des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, Rennes, Ed. Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 15.

190 Paul RICOEUR, Le Juste, op. cit., p. 205.

43. Les milieux intellectuels sont assez rapidement agités par des polémiques autour du sort réservé à leurs collègues ayant mis leur plume au service du Reich, oscillant entre ferme condamnation et appel au pardon192.

Au-delà, « la bataille de l’amnistie »193 est une véritable querelle politique qui mobilise

tous les partis, « un enjeu de société grave, car au carrefour de la loi, de la morale et du souvenir »194. Les politiciens de la droite française désirent être « [lavés] de l’hypothèque

de la collaboration ou du pétainisme »195. Imposer l’amnistie des crimes commis sous le

gouvernement de Vichy, c’est donc essayer d’assainir un passé peu glorieux en mettant un terme définitif et irréversible à cette période. Cela traduit à la fois un processus de refoulement mais encore de « voilement »196 véritable de la mémoire, afin de redorer le

blason d’un parti politique affaibli par le conflit. Par ricochet, c’est aussi un défi pour la gauche, notamment pour le parti communiste qui se saisit prestement de la problématique.

44. Les premiers termes de la discussion sont donnés par l’offensive parlementaire menée dès 1948 par les démocrates-chrétiens du Mouvement Républicain Populaire et les membres du Rassemblement du Peuple Français, en écho aux déclarations du Général de Gaulle. Surtout, le 24 octobre 1950, à la suite de propositions de lois déposées entre autres par Georges Bidault, Edmond Michelet et Louis Rollin, s’ouvre une grande discussion à la Chambre. Les arguments soulevés par les partisans de l’amnistie sont de plusieurs ordres : la réconciliation nationale – avec pour exemples particuliers l’Italie et l’Allemagne déjà engagées sur cette voie197 –, la réparation des injustices de l’Epuration198, le caractère

192 On se souvient du débat entre Albert CAMUS, prônant dans la revue Combat l’exercice nécessaire de la justice humaine à leur encontre, et François MAURIAC qui préconisait dans Le Figaro le pardon et l’oubli pour ces écrivains « égarés ». De même, quelques années plus tard, Jean PAULHAN exprimera sa désapprobation avec la politique d’épuration menée par le Comité national des écrivains et adressera une « Lettre aux directeurs de la Résistance », (Ed. de Minuit, 1952, 54p.), leur reprochant d’avoir condamné sans juger.

193 Ibidem. 194 Idem.

195 Idem, pp. 66-67.

196 Johann MICHEL « Définitions et premières distinctions de la mémoire », in Johann MICHEL (sous la dir.), Mémoires et histoires. Des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, op. cit., p. 15.

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politique de certains délits commis sous l’Occupation ou, tout simplement, la clémence. A l’inverse, les communistes invoquent, à l’appui de leur hostilité à la mesure, les risques de renaissance de mouvements fascistes et néo-fascistes et la nature électoraliste d’une telle entreprise. Ils pointent également les dangers d’une conjonction entre le réarmement de l’Allemagne et l’absolution des collaborateurs. Quant aux socialistes, ils adoptent une position médiane, étant favorables au principe de l’amnistie mais opposés à toute manifestation de réhabilitation199. Compte tenu de sa place minoritaire au Parlement, la

gauche ne parvient pas à bloquer le vote d’une première loi le 5 janvier 1951200, au

bénéfice des auteurs condamnés à une peine de dégradation nationale201 ou

d’emprisonnement inférieure à quinze ans. Large dans son principe, cette amnistie de plein droit ne concerne cependant ni les crimes les plus graves202, ni les décisions de la Haute

Cour.203

Forte de cette première « prouesse », la droite va par la suite pousser à l’adoption d’autres lois qui vont encore plus loin dans l’oubli juridique. Le second débat est initié dès juillet 1952, portant sur une mesure d’amnistie totale et ayant pour maître-mot l’union sacrée contre les communistes soviétiques, danger extérieur qui prend le relais de l’ennemi

198 Ici, sont envisagées les exactions arbitraires commises hors cadre juridique par vengeance et règlement

de comptes, mais aussi les sentences prononcées dans le cadre des procès de l’Epuration, sur lesquelles nous reviendrons dans le prochain chapitre (Cf. infra §§90-96).

199 Présentation des arguments, Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., p. 67.

200 Loi n° 51-18 portant amnistie, instituant un régime de libération anticipée, limitant les effets de la

dégradation nationale et réprimant les activités antinationales (JORF, 6 janvier 1951, p. 260), adoptée en seconde lecture par 327 voix contre 263.

201 Peine définie dans l’ordonnance du 26 août 1944 (JO (Alger), Ordonnances et Décrets, 28 août 1944, p. 767), remplacée par l’ordonnance du 26 décembre 1944 (JO (Alger), Ordonnances et Décrets, 27 décembre 1944, p. 2076), en répression du crime d’indignité nationale qui consiste à avoir, postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'unité de la nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci.

202 Sauf l’hypothèse envisagée à l’article 3 d’une amnistie de plein droit des auteurs de crimes de guerre ennemis de moins de vingt-un ans condamnés à une peine privative de liberté de maximum cinq ans.

203 σotons qu’outre cette amnistie de plein droit, le texte prévoit, dans son chapitre 2, l’amnistie par mesure individuelle de certains condamnés, tels que les incorporés de force punis pour leur engagement dans une formation armée allemande à condition qu’aucun crime de guerre ne puisse leur être personnellement imputé, les mineurs de moins de vingt et un ans qui ne relèvent pas du régime de l’article 3 ou qui n’ont pas encore été condamnés soit contradictoirement, soit par contumace, ou encore les grands invalides et grands mutilés de guerre.

allemand204. Les controverses sont nombreuses tant l’argumentaire développé choque les

socialistes et communistes par l’amalgame qui est fait entre les communards de juillet 1880 et les collaborateurs205. Au surplus, des confusions pour le moins gênantes sont

entretenues par les propositions de lois qui demandent l’amnistie conjointe des collaborateurs et des délits de grève commis en 1947-48206. Après une année de

pourparlers et l’examen de plusieurs centaines d’amendements, la seconde loi d’amnistie est finalement votée le 6 août 1953207. Son article 1er montre toute l’ambivalence de son

adoption en ce qu’il tente de justifier le texte :

« (…) C’est dans la fidélité à l’esprit de la Résistance que [la République française] entend que soit aujourd’hui dispensée la clémence. L’amnistie n’est pas une réhabilitation ni une revanche, pas plus qu’elle n’est une critique contre ceux qui, au nom de la nation, eurent la lourde tâche de juger et de punir. »

Malgré de fortes oppositions idéologiques, l’amnistie ainsi prévue permet la libération de tous ceux qui restaient en prison, hormis les auteurs des crimes les plus sérieux. C’est la fin officielle de l’Epuration et les peines qui seront par la suite prononcées ne seront plus que symboliques208. C’est aussi une victoire politique retentissante pour la droite mais qui

n’empêche pas que s’expriment de façon récurrente les rancœurs.

45. En effet, « la justice amnistiante n’a pas le pouvoir de calmer les réminiscences de l’Occupation, particulièrement nombreuses au début des années 1950 »209. L’illustration la

204 « (…) Devant la montée des périls, l’union entre tous les Français est plus que jamais souhaitable. Que demain la patrie soit en danger, elle n’aura pas trop de tous ses enfants pour la défendre. » Cf. Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., p. 68.

205 « Quel manque de tact lorsque, citant largement Victor Hugo, vous avez voulu assimiler les combattants

de la Commune aux collaborateurs de 1940-1944 ! Les combattants de la Commune – je ne veux pas parler de leurs desseins sociaux, de leurs tentatives économiques – furent ceux qui, jusqu’au mur des Fédérés, ont voulu lutter contre l’adversaire auquel vous vous êtes rendus en 1940. » Cf. Ibidem.

206 Mouvements de grèves syndicales initiés fin avril 1947 à la régie du groupe Renault et amplifiés dès

septembre 1947 par la dénonciation du plan Marshall par le Kominform. Il y aurait eu près de trois millions de grévistes. Voir à ce sujet Rémi KAUFFER, « Cheminots, mineurs, métallos... : Les grèves insurrectionnelles de 1947 », Historia n° 733, janvier 2008, p. 32 et suivantes.

207 Loi n°53-681 portant amnistie (JORF, 7 août 1953, p. 6942), votée par 394 voix contre 212.

208 Sur ce point, voir les statistiques présentées par Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., p. 70.

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plus exemplaire est très certainement à rechercher dans les affrontements nés de l’amnistie des « Malgré-Nous » d’τradour-sur-Glane. Rappelons les termes de l’affaire210.

Le 12 janvier 1953, devant le tribunal miliaire de Bordeaux, s’ouvre un procès attendu, celui de vingt et un membres de la division Das Reich, qui doivent répondre du massacre emblématique de 642 habitants du petit village d’τradour, en Haute-Vienne. A part deux accusés, tous sont de « simples » exécutants. Spécificité de cette procédure, quatorze sont français, originaires d’Alsace ν douze d’entre eux ont été enrôlés de force211 dans la Waffen

S.S. et la plupart a déserté pour rejoindre les F.F.I. ou les F.F.L. Ils sont présentés à la justice en vertu de la loi, rétroactive, du 15 septembre 1948212, connue pour fixer les

fondements d’une « responsabilité collective » des auteurs étrangers de crimes de guerre213.214. « Ce procès [va révéler] une crise politique et mémorielle dans la société

210 Pour des présentations synthétiques, voir Michel DANTI-JUAN, « Réflexions contemporaines sur le procès des auteurs du massacre d’τradour-sur-Glane », in Jean COCHARD (sous la dir.), Armée, guerre et droit pénal, Actes de la Journée d’études du 19 mai 1984, Travaux de l’Institut de Sciences Criminelles de Poitiers, vol. 5, Cujas, 1986, pp. 27-35 ; Jean-Pierre RIOUX, « Le procès d’τradour »,

L’Histoire n° 64, février 1984, pp. 6-17 ; Pierre BARRAL, « L’affaire d’τradour, affrontement de deux

mémoires », in Alfred WAHL (sous la dir.), Mémoire de la Seconde Guerre mondiale, Actes du colloque de Metz des 6-8 octobre 1983, Metz, Centre de recherche histoire et civilisation de l'Europe occidentale, 1984, pp. 243-252.

211 L’histoire de l’Alsace a été marquée par une série d’annexions et de rattachements successifs à la France et à l’Allemagne. Les départements proches du Rhin et de la Moselle ont été annexés et occupés par les troupes d’Hitler dès 1940. L’Etat allemand s’y comportait en souverain et très vite, s’est mis en place un régime de contrainte μ assignation à résidence, obligation pour les jeunes d’entrer dans la Hitlerjugend (les jeunesses hitlériennes) et de dénoncer leurs parents manifestant des sentiments francophiles, astreinte au S.T.O, expulsion des récalcitrants, déportation et incarcération dans les camps de Schrimeck ou Struthoff. L’incorporation volontaire ayant été un échec pour le Reich, le 9 août 1942, Hitler, Wagner et Keitel décident de l’incorporation obligatoire des Alsaciens dans les armées allemandes. En sanction de toute tentative de rébellion patriote, les insoumis voient leurs familles déportées et risquent la peine de mort. Ils sont envoyés sur le front de l’est, où se trouvent déjà les membres de la Légion des Volontaires Français. Portant les armes allemandes, on les considère comme des traîtres, et ils subissent le sort des ennemis : 25.000 portés disparus en U.R.S.S., 30.000 blessés dont 10.000 grièvement. Une bonne partie des autres est internée dans le camp de Tambov, dans des conditions atroces. Ceux qui rentrent sains et saufs en France sont envoyés dans le Sud, pour combattre les mouvements de la Résistance. C’est ainsi que quatorze Alsaciens ont été placés dans les troupes de la division Das Reich, sous le commandant d’Adolf Diekmann et la direction du Général Lammerding.

212 Loi n° 48-1416 du 15 septembre 1948 modifiant et complétant l'ordonnance du 28 août 1944 relative à la

répression des crimes de guerre, JORF, 16 septembre 1948, p. 9138.

213 Ce texte permet en effet d’intégrer en droit français le délit d’appartenance défini dans le Statut du Tribunal de Nuremberg (Cf. infra §67 et suivants). Il proclame la responsabilité collective de tous les individus étrangers ayant appartenu à une formation déclarée criminelle par la juridiction interalliée, lorsqu’un crime de guerre est imputable à cette formation. Autrement dit, il instaure une présomption de culpabilité objective du fait de l’appartenance à un groupe considéré comme criminel par les Alliés. Voir sur le sujet Henri DONNEDIEU DE VABRES, « La loi du 15 septembre 1948 sur la répression des

française de l’époque, résultant de deux épisodes dramatiques »215. En réalité, depuis la fin

de la guerre, les autorités publiques ne se sont pas préoccupées – volontairement ? – de la question des incorporés de force et cette dernière ressurgit donc « par la petite porte » par le biais du procès de Bordeaux.

46. Dès le début, l’audience engendre de vives polémiques qui divisent le pays, sous l’impulsion des mouvements politiques suppléés par les médias. Les communistes, majoritaires en Limousin, refusent de faire une différence au sein du groupe des bourreaux d’τradour, tous coupables du même crime. Ils se font le relais des associations de victimes qui réclament justice. En face, la droite ainsi que les socialistes militent pour la clémence et soutiennent la grogne lorraine216. Ils invoquent le fait qu’à σuremberg, l’incorporation

de force a été reconnue comme crime de guerre, selon les critères instaurés par le tribunal militaire interallié. Pour eux, les auteurs du drame d’τradour doivent être distingués en deux catégories, ceux qui ont choisi l’idéologie hitlérienne et ceux à qui on l’a imposée. Par ailleurs, l’instance en elle-même est affectée puisque de nombreux incidents de procédure – notamment des demandes de disjonction, toutes refusées par la cour – perturbent son déroulement. C’est pourquoi le législateur intervient le 30 janvier 1953217,

crimes de guerre μ l’inconciliabilité avec les règles impératives du jugement de σuremberg, des présomptions d’appartenance à une organisation criminelle et de la culpabilité objective et collective », Dalloz, 1950, pp. 521-532 ; du même auteur, « La loi du 15 septembre 1948 sur la répression des crimes de guerre : le problème de sa légitimité au regard des accords internationaux, du jugement de Nuremberg et de la constitution française », Dalloz, 1950, pp. 701-708 ; René TUNC, « La loi du 15 septembre 1948 sur la responsabilité « collective » des crimes de guerre [Affaire d’Ascq et d’τradour] », Revue administrative n° 31, 1953, pp. 60-61. σous aurons l’occasion de revenir sur les difficultés posées par cette loi par la suite (voir infra note n° 432).

214 Notons toutefois que le président du tribunal a refusé de se référer explicitement à ce texte, pour éviter

tout rapprochement qu’il estime malvenu entre la situation des Malgré-Nous et celle des autres accusés.

215 Compte-rendu de la conférence de Jean-Paul JEAN « L’Etat, les crimes, la mémoire, à travers les procès d’après-guerre », présentée à l’espace σoriac de Limoges, 22 novembre 2004, p. 19.

216 Parmi les associations alsaciennes, la plus engagée est certainement l’Association des Déserteurs, Evadés et Incorporés de Force qui estime que l’Alsace a déjà payé le prix fort de l’τccupation. Relevons les propos de Me André MOSER en ce sens : « Ces jeunes gens sont pour nous l’incarnation vivante de

notre tragédie. Nous avons peur de l’ouragan qui s’accumule sur notre plaine. C’est l’Alsace qui recevra le souffle de la condamnation ou le bouquet de l’espérance. Rappelez-vous que derrière les cris des 642 suppliciés limousins retentissent et retentiront éternellement les clameurs des milliers de suppliciés d’Alsace, morts pour une même cause » (cité par Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., pp. 73-74).

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en cours d’audience218, pour adopter une modification de la loi de 1948. Cette dernière est

littéralement vidée de sa substance : la responsabilité collective est écartée pour les Malgrès-Nous qui prouvent leur incorporation de force et leur non-participation au crime. Désormais, on procède par division : les réquisitoires et questions subsidiaires se font séparément, pour les Allemands en l’absence des Français et inversement. Autrement dit, la disjonction des cas allemands et français est décidée et devient exécutoire à compter du 3 février.

47. Le verdict rendu par le tribunal le 13 février n’apaise pas les tensions et laisse la France « en état de choc »219. Les deux gradés sont condamnés à mort, les autres prévenus

se voient infliger des peines de travaux forcés et d’emprisonnement.

Le Parlement se trouve de nouveau dans l’embarras face à la colère du Nord de la France. Le Président du Conseil René Mayer propose alors une mesure de grâce, qui ne satisfait pas l’Alsace. On réclame une réhabilitation ou une amnistie, c’est-à-dire une mesure législative de portée générale. Partant, dès le 18 février 1953, est mise en débat au Parlement une proposition qui aboutit au vote de la loi « portant amnistie en faveur des Français incorporés de force dans les formations ennemies », adoptée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Conseil de la République le 19 février220. Les Alsaciens

sont libérés dès le surlendemain.

Une très grande indignation secoue alors la population limousine, déjà insatisfaite par un jugement considéré trop généreux. Ce procès, « celui de l’obéissance, celui du libre arbitre, du refus de l’inacceptable et de son acceptation »221, n’a pas permis, à ses yeux, de

reconnaître et réparer le calvaire des morts et des survivants, puisqu’il n’a pas condamné tous les auteurs de la même manière. Avec l’amnistie, c’est un nouvel affront fait au village décimé d’τradour. Par réaction, les autorités rendent la Croix de Guerre et la

218 Ce qui pose évidemment un problème d’indépendance de la justice et de séparation des pouvoirs.

219 Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, op. cit., p. 74.