• Aucun résultat trouvé

E VIDENCE DES STATUTS VAINQUEUR VAINCU

A. D EVANT LES TRIBUNAUX MILITAIRES ALLIES

2. En zone française

137. Plus petite des trois zones occidentales d’occupation, la zone française est celle qui a vu le plus grand nombre de jugements de criminels de guerre (2.107) mais aussi, assez paradoxalement, le plus petit nombre de condamnations à mort (104)610. Plusieurs éléments

permettent en réalité d’éclaircir cette contradiction. D’un côté, la quantité importante de jugements se déduit de la masse des procédures ouvertes611 dans le secteur, qui s’explique

principalement par des données « géographiques ». Si aucun des anciens camps d’extermination tristement connus ne se trouve dans le secteur français, il y a en revanche plusieurs camps de transit – notamment Neue Bremm et Hinzert – et de travail612, dans

lesquels les conditions de vie ont été également déplorables. De plus, certains verdicts rendus par les tribunaux d’occupation français portent sur des crimes commis hors zone613.

D’un autre côté, le faible taux de condamnations à la peine capitale doit être analysé au

608 Notamment pour le meurtre de militaires de l’armée de l’air américaine dans le « procès Rüsselsheim ». Cf. Idem.

609 Déjà évoquée, références note n° 453.

610 Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., p. 64.

611 D’après Yveline PENDARIES, entre mai 1946 et novembre 1948, la plus haute juridiction de première instance du secteur français, le Tribunal de Rastatt, a eu à statuer sur 256 procédures, réglant le sort de 724 inculpés. 90 peines de mort ont été prononcées, 38 peines de travaux forcés à perpétuité et 115 acquittements. Voir les statistiques générales fournies données par l’auteur, Ibidem, p. 141.

612 En particulier tous les camps de travail de Wurtemberg.

613 Crimes commis en zone britannique μ affaire de l’usine de Weserhütte, procès du camp de Porta ; en zone américaine : procès du camp de Leonberg ; en zone soviétique : procès du camp de Ravensbrück.

168

regard des fondements juridiques appliqués par les tribunaux et sur lesquels il nous faut apporter ici plus de précisions.

138. Les juridictions françaises d’occupation ont d’abord fonctionné sur la base des dispositions générales de l’ordonnance n° 2 du S.H.A.E.F. Néanmoins, le commandant en chef français en Allemagne a rapidement adopté deux textes spéciaux, l’ordonnance n° 20614et l’ordonnance n° 36615, pour préciser leur organisation et leur compétence.

Aux termes du premier de ces textes, trois types de juridictions de premier degré sont établis, en fonction du quantum maximum de peine qu’elles peuvent infliger μ les tribunaux sommaires, intermédiaires et le Tribunal général situé dans la ville de Rastatt616. Plus haute

autorité en zone française, ce dernier est compétent pour l’ensemble du secteur. De plus, est créé un tribunal dit « supérieur », siégeant comme juridiction d’appel de l’ensemble de ces cours. Quant à leur compétence, ces juridictions sont déclarées aptes à juger « tous crimes de guerre tels qu’ils sont définis par les accords internationaux en vigueur entre les puissances occupantes quand les auteurs de ces crimes, commis postérieurement au 1er septembre 1939, sont des ressortissants ennemis ou agents non français au service de l’ennemi, et lorsque ces crimes ont été perpétrés hors de France ou des territoires relevant de la France à l’époque à laquelle ils ont été commis ». Leur compétence est donc relativement restreinte puisque seuls les crimes de guerre – pour autant qu’ils aient été commis hors du territoire de la République française – sont de leur ressort.

Avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 36 en février 1946, leur autorité est étendue au-delà des seules violations des lois et coutumes de la guerre. Les tribunaux d’occupation sont chargés de l’application de la loi n° 10. Désormais, l’ensemble des crimes prévus et définis dans cette norme sont justiciables d’être déférés devant eux617.

614 Ordonnance n° 20 en date du 25 novembre 1945 précitée.

615 Ordonnance relative à la répression des crimes de guerre, contre la paix et l’humanité et de l’association à des associations criminelles, en date du 25 février 1946, expliquée par Henri MEYROWITZ, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l’humanité et de l’appartenance à une organisation criminelle, en application de la loi n° 10 du Conseil de Contrôle Allié, op. cit., pp. 77-78.

616 A une douzaine de kilomètres de Baden-Baden.

617 Art. 1er : « Les tribunaux du gouvernement militaire de la zone française d’occupation en Allemagne

Reste qu’en pratique, seul le Tribunal général est apte à prononcer la peine capitale, sanction prévue par le Conseil de Contrôle Allié parmi les mesures afflictives fixées dans l’article 2 §3 de sa norme618. Partant, la juridiction de Rastatt détient le monopole du

jugement des individus sur le fondement de l’ordonnance n° 36 et, de fait, de la loi n° 10. Rien de surprenant à ce que les condamnations à mort soient, en quantité, moins nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer.

139. La plupart des instances en zone française mettent en cause des individus soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre619. Rien que devant le Tribunal général,

près de 560 criminels de ce type comparaissent au cours de 150 instances. Parmi elles, on compte une vingtaine de procès d’envergure, soit qu’ils réunissent un grand nombre d’inculpés ou concernent une personnalité allemande importante620, soit que les peines

prononcées soient particulièrement sévères621.

personnes coupables de crimes de guerre, contre la paix et contre l’humanité, pour juger les crimes énumérés par ladite loi. »

618 Art. 2 §3 de la loi n° 10 : « Toute personne reconnue coupable d’un des crimes précités peut, après avoir été reconnue coupable, être frappée de la peine que le tribunal estimera juste. Ce châtiment peut comprendre une ou plusieurs des formes suivantes : a) mort, b) emprisonnement à perpétuité ou pour une durée déterminée, avec ou sans travaux forcés, c) amende et emprisonnement, avec ou sans travaux forcés, en cas de non-paiement de l’amende, d) confiscation des biens mal acquis, e) restitution des biens mal acquis, f) privation de certains ou de tous les droits civiques. Tous les biens confisqués ou dont la restitution est prescrite par le tribunal seront remis au Conseil de Contrôle pour l’Allemagne qui en règlera l’attribution. »

619 Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., p. 141 et suivantes.

620 Le plus retentissant est le procès du magnat de l’acier Herman Röechling et consorts, jugés sur le fondement de l’ordonnance n° 36 et de la loi n° 10. Il s’agit d’ailleurs de la seule procédure de ce type dont le jugement est intégralement publié (voir Notes documentaires et études n° 976, La Documentation Française, 12 août 1948 ; voir également la traduction anglaise disponible in Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law N° 10, op. cit., p. 1097 et suivantes).

621 Sur les 35 accusés du camp de σeue Bremm, 14 ont fait l’objet d’une condamnation à mort par le Tribunal général. De même, sur les 141 accusés des camps de Wurtemberg, 50 ont été sanctionnés de la peine capitale. Pour une présentation de l’ensemble des peines prononcées, Yveline PENDARIES, Les procès de Rastatt (1946-1954) – Le jugement des crimes de guerre en zone française d’occupation en Allemagne, op. cit., annexe 11, p. 316.

170