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Xavier Gutherz et Luc Laporte

Dans le document Asa Koma (Page 166-170)

Un aperçu des caractéristiques morphologiques du matériel de broyage d’Asa Koma a été publié en 1996 sous la plume de Sylvie Amblard (Amblard dans Gutherz et al. 1996) à partir de l’examen d’un échantillon représentatif de molettes et de meules. Nous ne reviendrons pas sur la description de ce matériel si abondant sur le site. Toutefois, afin de compléter ces informations dans le cadre de la présente monographie, nous avons fait figurer ici deux planches correspondant au relevé graphique de fragments de meules récoltés sur le site à la surface du sol ou dans les sédiments fouillés.

La présence de très nombreux fragments de meules jonchant la surface du sol a été l’un des indices qui a attiré l’attention des premiers chercheurs sur ce site. De très nombreux fragments sont issus également des niveaux fouillés au cours des campagnes menées en 1986, 1988, 1989 puis 1994 et 1996. Ils proviennent alors de tous les niveaux archéologiques, y compris ceux de la base des dépôts et ils y sont fréquemment trouvés en réemploi, au milieu de blocs de basalte non travaillés, aussi bien pour la confection de foyers que dans le comblement des fosses sépulcrales. De nombreuses molettes leur sont également associées. En revanche aucune meule entière n’a été — à notre connais- sance — recueillie à ce jour sur le site (fig. 1).

La question a bien vite été posée de la raison d’être sur la butte d’Asa Koma d’une telle abondance. Nous allons

revoir ici les diverses hypothèses qui ont pu être avancées sans pour autant pouvoir trancher. Il semble donc que des analyses spécifiques seraient utiles. Elles restent à réaliser. D’après les fragments observés, les meules appartiennent à au moins trois types différents. Certaines sont de simples meules plates. D’autres présentent une cuvette de broyage nettement plus prononcée (fig. 2 et 3). Elles sont alors aména- gées dans des blocs de basalte plus volumineux et d’ailleurs souvent mal dégrossis. La surface polie remonte parfois sur les bords de la cuvette où a été aménagée une surface parfaitement plane. D’autres enfin, devaient présenter deux cuvettes aménagées sur des faces opposées. Cette descrip- tion très sommaire mériterait cependant d’être affinée et précisée. La plupart de ces objets ont été réalisés dans un basalte vacuolaire qui au premier regard ne semblait pas correspondre au faciès éruptif qui caractérise le volcan d’Asa Koma. Il était évidemment important de pouvoir confirmer que la la matière première dont ils sont issus ne pouvait pas avoir été récupérée sur la butte volcanique d’Asa Koma elle-même. Cela a été fait très récemment lors du passage sur le site de notre collègue Laurent Bruxelles, géomorphologue à l’INRAP. Selon ses observations les faciès exploités sont situés pour les gîtes les plus proches à environ 2 km de distance en direction des premiers contreforts du flanc nord du graben du Gobaad.

La première hypothèse qui vient à l’esprit est celle de l’utilisation des meules pour le broyage des végétaux (graines, fruits, tubercules, racines, tiges ou feuilles). Si l’on a, à l’origine des définitions du Néolithique, traditionnellement associé le matériel de broyage à l’agriculture céréalière, on sait, depuis fort longtemps maintenant, que des plantes spontanées ont pu également être broyées et que le binôme exclusif céréaliculture néolithique/meule dormante ne tient plus la route. Dans le désert égyptien, sur le site du Wadi Kubbaniya la démonstration a été faite par Wendorf et Schild d’une utilisation très ancienne de matériel de broyage pour écraser des tubercules de souchet (Cyperus rotondus), plante qui pousse rapidement et en abondance sur les rives encore humides du Nil après les crues. La nécessité de broyer ces tubercules est sans doute liée à la réduction de leur toxi- cité. La même pratique a été révélée sur le même site pour réduire la texture fibreuse et indigeste du scirpe (Scirpus Fig. 1 —

Accumulation de meules fragmentées et de broyeurs résultant

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Xavier Gutherz et Luc Laporte

0 30 cm

Fig. 2 —

Échantillon de meules. Dessins en plan et en coupe.(DAO. Y. Thouvenot).

Fig. 3 —

Échantillon de meules. Dessins en plan et en coupe.(DAO. Y. Thouvenot).

À propos du matériel de broyage d’Asa Koma

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maritimus) (Wendorf et Schild, 1976, 1989). Le matériel de

boroyage utilisé au Wadi Kubbania date d’environ 19 000 ans selon la chronologie du site.

À Asa Koma l’absence dans les sédiments finement tamisés au cours de la fouille, de toute semence de céréale ou de baie susceptible d’avoir été broyée, pose problème. Mais on ne peut toutefois écarter totalement l’hypothèse d’un broyage, mais sans doute occasionnel puisque dans les déterminations de restes carbonisés de plantes il a été signalé

quelques caryopses de Poacée, des fragments de glumelles de Poacés type Panicoïde (Paniceae ou Andropogonae) minéralisés, représentant environ 10 caryopses, ainsi qu’une graine de Chénopo- diacée. Ces vestiges concordent avec la présence de phytolithes de Poacées dans les cendres (Sordoillet, ce vol.), d’autre part (Newton, ce vol. chapitre 5, p. X).

Si ce n’est pour broyer du grain quelle est donc la raison d’être de ces meules retrouvées en si grand nombre sur le site ? Même en tenant compte de la mauvaise conservation générale des semences de céréales dans les milieux arides, on peut tout de même s’étonner de ne pas en avoir trouvé un seul fragment carbonisé alors que les restes de combustion sont très présents sur le site et que le tamisage systématique avec une maille à 2 mm est suffisant pour retenir de petits éléments. Cela nous conduirait ici à développer les arguments archéologiques qui laissent à penser que l’agriculture est apparue tardivement dans la Corne de l’Afrique. On renverra à ce propos à d’autres travaux (Gutherz 2013).

Face à la quantité considérable d’ossements de poissons recueillis, l’hypothèse de la confection d’une farine de poisson a également été mise en avant. Toutefois, Wim van Neer, ichtyologue, fait remarquer que, dans ces conditions, les arêtes et vertèbres devraient être totalement écrasées. Or ce n’est pas ce qu’il observe dans les échantillons qui lui sont parvenus.

Si l’on revient à l’hypothèse d’une utilisation pour broyer des plantes, qui apparaît, malgré l’absence d’indices, comme des plus envisageables, on doit alors penser à la transfor- mation de végétaux spontanés cueillis dans les environs du site ou dans une aire plus large impossible à déterminer.

Enfin, une dernière hypothèse a pu être formulée dans le rapport de la mission de 1994. Pour la soutenir, il fallait de toute façon effectuer quelques vérifications complémen- taires. On est en effet surpris de retrouver tant de meules fracturées, dont les fragments sont souvent mal dégrossis, et par l’absence d’exemplaires intacts, y compris dans les niveaux archéologiques. Tous ces fragments ne pouvaient-ils être assimilés à des déchets de fabrication ? Pour conforter cette hypothèse, il aurait toutefois fallu s’assurer de la pré- sence de plusieurs stades d’ébauche pour un même produit manufacturé, identifier les outils, retrouver les autres types de déchets de fabrication, éventuellement localiser les affleurements utilisés s’ils n’ont pas été épuisés, et avant tout peut-être, s’assurer précisément que la lithologie de ces basaltes était bien compatible avec le volcanisme de la butte d’Asa Koma. Or, ce dernier point a été réglé lors de la visite sur le site de notre collègue Laurent Bruxelles en 2014. Le matériau basaltique n’a pas été prélevé sur le vol- can d’Asa Koma (cf. supra). Il resterait donc à localiser le ou les points de prélèvement et de préformatage des meules, mais la tâche se révèle des plus laborieuses et incertaines, face à l’extension considérable du grand glacis basaltique pleistocène où ce ou ces gîtes se trouvent.

Bibliographie

Gutherz X., Joussaume R., Amblard S. et Mohamed Ahmed G., 1996 : « Le site d’Asa Koma (République de Djibouti) et les premiers producteurs dans la Corne de l’Afrique », Journal des Africanistes, 66 (1-2), p. 255-297.

Wendorf F. and Schild R., 1976 : « The Use of Ground Grain during the Late Paleolithic of the Lower Nile Valley, Egypt » dans J.R. Harlan, J.M. De Wet and A.B.L Stemler (ed.), Origins of African Plant Domestication, The Hague, Mouton, p. 269-288. Wendorf F., Schild R. and Close A.E. (ed.), 1989 : « The Prehistory of the Wadi Kubbaniya : vol, II :Stratigraphy, Paleoeconomy and Environment ; vol. III : Late Paleolithic Archaeology », Dallas.

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Chapitre 5 — Première partie

Dans le document Asa Koma (Page 166-170)