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3 Comparaisons et voies de recherche

Dans le document Asa Koma (Page 162-164)

3.1 Comparaisons avec les sites néolithiques de la

région

3.1.1 Synthèse des connaissances actuelles dans la Corne de l’Afrique et au-delà de la mer Rouge

Les recherches concernant les sites néolithiques se sont accentuées ces 15 dernières années, grâce à la mise en place de nouveaux programmes de recherche et de nouvelles pros- pections aux abords de la mer Rouge ; la Corne de l’Afrique d’une part et les côtes de l’Arabie du Sud et du Yémen d’autre part. La situation géographique de la République de Djibouti et les récentes études faites par L. Khalidi sur les échanges d’obsidienne à travers la mer Rouge, nous ont encouragée à examiner ce secteur.

L. Khalidi constate dans la Tihâma, au Yémen,une région de plaine côtière le long de la Mer Rouge, durant l’Holocène récent, une industrie sensiblement identique à celle que nous étudions :

Geometric microliths and pièces esquillées respectively, are found in association with large amounts of obsidian waste and debitage […]. The shape of the microliths was not predetermined in the pre- paration of the blank as they would have been with the micro-burin technique, but their geometric shape was most probably determined according to the existing form of the chosen sharp-edged flake or bladelet. […] the lack of evidence for a micro-burin technique, the occurrence of relatively small cores and the high percentage of small flake and bladelet point to an opportunistic or ‘expedient’ technology. This is further backed by the presence of a bipolar technique on anvil. (Khalidi, 2006, p. 143)

L. Khalidi évoque une domination perceptible de cette tendance :

The abundance and widespread occurrence of obsidian geometric microliths and pièces esquillées, on ceramic sites of the Tihamah coastal plain indicate that these types dominated in the late prehis- toric period » (op. cit.). L. Khalidi conclue : « the presence of obsidian and the way it was manipulated on the Tihâma coast establish the presence of cross- Red Sea contact between the Tihâma end the Horn of Africa coast. (op. cit.)

De même, l’étude technologique de l’assemblage lithique de Al-Midamman (Tihâma), un ramassage de surface de maté- riel lithique en obsidienne taillée a démontré la présence de microlithes géométriques (segments de cercles et trapèzes) associés à une forte proportion de pièces esquillées sur éclats ou peut-être même sur nucléus, ainsi qu’une tendance à la production d’éclats de petite taille et de nombreux éclats retouchés. Ces éclats retouchés sont interprétés comme des outils sans morphologie particulière. Aucun indice de la technique du micro-burin n’est attesté pour la confection des microlithes qui sont réalisés sur des supports variés. Les supports employés pour les pièces esquillées sont souvent des éclats bruts de débitage issus de la percussion directe mais aussi fort probablement issus de la percussion bipo- laire sur enclume. Aucune trace macroscopique d’usure ne révèle une fonction agricole de ces microlithes. R. Crassard, travaillant également sur la question, penche vers leur uti- lisation comme éléments d’armes et/ou des outils de travail du cuir. La petite taille des pièces esquillées et la présence

de bâtonnets implique selon lui l’utilisation possible comme des cales, afin de diviser du bois (Crassard, 2005).

Le site d’Asa Koma se trouvant à la frontière éthiopienne, un grand nombre d’exemples ont également été empruntés à ce pays. Les prospections récentes effectuées par F. Briois et B. Midant-Reynes dans la région du Mänz en Éthiopie, ont révélé une industrie en obsidienne sur les sites de Gawlu 1 et

Meshalä Maryam 2, tout à fait comparable à celle d’Asa Koma :

« Les outils se distinguent par une proportion très élevée de pièces esquillées, dont la plupart sont en obsidienne » ; « La particularité essentielle, […] tient à la présence de segments de cercle à dos abattu ». (Briois et Midant-Reynes, 2006). L’interprétation faite par les auteurs tend vers une production par percussion posée sur enclume, expliquant la présence de nombreuses pièces esquillées. La mise en évidence de cette association « pièces esquillées et segments de cercle » sur plusieurs sites de la Corne de l’Afrique est intéressante à observer. Il est néanmoins difficile d’établir une comparaison d’ordre chrono-culturel étant donné l’absence de séquences stratigraphiques.

Quelques années auparavant, S.A. Brandt a étudié l’industrie lithique du Lac Besaka, dans la partie centrale de l’Éthiopie, à 200 km à l’est d’Addis Abeba. Les niveaux inférieurs ont livré de nombreux restes de poissons alors que les niveaux supérieurs n’en contenaient pas mais ont en revanche livré les fragments d’une dent de bovidé supposée appartenir à un bœuf domestique. La composition des assemblages lithiques diffère entre le niveau inférieur surtout riche en segments et le niveau supérieur riche en grattoirs (Brandt, 1980). Selon cet auteur, ce constat est l’illustration concrète du passage d’une économie de pêche à une économie fondée sur le pastoralisme. Les grattoirs sont des outils connus pour leur usage dans le raclage des peaux de bovins. L’horizon supérieur serait daté de 1500 BC (Clark, 1988).

De même, l’abri sous-roche de Moche Borago (Wolayta, Éthiopie) livre une importante séquence d’occupation holo- cène (3300-2787 B.C.E./371-94 B.C.E.) dans laquelle l’outillage en obsidienne est principalement composé de segments de cercle. Cette industrie peu diversifiée semble être orientée vers une activité de chasse. De plus, la détermination des restes fauniques souligne le caractère non domestique des bovinés. L’absence de matériel de broyage et de plantes cultivées dans cet horizon renforce l’hypothèse d’un abri occupé par des chasseurs- cueilleurs (Gutherz et al., 2002 ; Lesur et al., 2007).

On peut donc considérer cet ensemble de sites comme représentatifs d’une diversité sans doute liée à une adap- tation à l’environnement et à ses ressources au cours d’une période durant laquelle se perpétue une économie fondée sur la chasse, la cueillette et la pêche, alors qu’apparaissent par endroits les premiers indices de la présence d’animaux domestiques.

3.1.2 Perception d’une culture à travers un type d’outillage

La production d’un outillage spécialisé destiné à la pêche semble constituer l’objectif d’un débitage très abondant sur le site d’Asa Koma. On est en présence d’une communauté de chasseurs-cueilleurs et pêcheurs qui possède également un petit cheptel domestique. Comme l’a souligné X. Gutherz : 

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Amélie Diaz

La présence d’une abondante production céramique et celle du matériel de broyage ne constituent pas des indices de pratiques agricoles

ou plus loin :

Pour le moment, malgré la maigreur des indices, il semble que l’émergence de l’économie de production dans les régions de la Corne de l’Afrique concerne en premier lieu le pastoralisme. Aucune trace de plante domestique n’apparaît clairement dans les sites archéologiques avant le milieu du Ier millénaire avant notre

ère. (Gutherz, 2008, p. 147)

Les précisions apportées par M. Honegger lors de son étude sur les « segments de cercle dans les industries holocènes de Nubie », offrent l’opportunité de dégager des tendances sur la fonction des microlithes géométriques (Honegger, 2008), en fonction de plusieurs critères, que d’autres auteurs ont également soulignés : le contexte de découverte ; c’est-à- dire la fonction du site, l’investissement technique pour la réalisation de ces industries, les dimensions des pièces ainsi que les différentes traces d’emmanchements identifiées sur les industries. En rendant compte de ces diverses combinai- sons possibles, plusieurs perspectives ont pu êtres suggérés. La Corne de l’Afrique fournit une importante régularité d’industries microlithiques géométriques, puisque l’utili- sation continue de ce type d’outil concerne l’ensemble du LSA. (Brandt, 1986 ; Joussaume, 2009 ; Lesur et al., 2009).

Le soin apporté à la finition de ces segments de cercle, associés à d’autres outils comme les bi-pointes, pouvant servir d’armatures comme pointes de trait et/ou éléments de rétention, sont autant d’éléments en faveur d’une produc- tion spécialisée pour cette activité de pêche. De plus, si l’on admet que les occupants du site d’Asa Koma ne partiquaient pas l’agriculture, il reste pour comprendre l’abondance des segments à évoquer les hypothèses d’utilisation plus traditionnellement admises (cf. supra) la chasse de petits gibiers et la pêche.

Il reste néanmoins un point à souligner qui est l’étonnante profusion de la pièce esquillée au sein de cet assemblage. Comme dans bien d’autres sites (Khalidi, 2006), les pièces esquillées se retrouvent associées à cette économie. Au Néo- lithique, le travail de l’os, du bois animal et végétal, connaît un succès avec la diversification des outils, en particulier emmanchés pour des activités spécialisées. Il ne reste que des preuves indirectes, mais il est absolument certain que les occupants d’Asa Koma ont travaillé les matières végé- tales qui les entouraient pour la fabrication de nombreux objets comme des arcs, des flèches, des fouennes, ainsi que des harpons.

Conclusion

Cette étude illustre un site de plus dans lequel la pré- sence de microlithes géométriques et de pièces esquillées est associée à la technique de débitage sur enclume. Ce phénomène qui est également perceptible dans d’autres régions du monde (Guyodo et Marchand, 2005 ; Tixier, 1963), exprime les similitudes qui existent entre différentes industries produites pour des activités de chasse ou de pêche. Au Late Stone Age, les productions lithiques résultent

de deux modes opératoires : une exploitation organisée du débitage et une exploitation plus expédiente. Pourtant, l’objectif reste commun : la confection d’outils de plus en plus variés. Cette variabilité de l’outillage lithique est une caractéristique commune à de nombreux assemblages de la Corne de l’Afrique. D’une façon générale, sur le site d’Asa Koma, quelle que soit la méthode et la technique de débi- tage utilisées, l’intention de la production reste la même, la sélection du support s’effectuant parmi les produits du débitage. L’existence de pareils schémas opératoires à Asa Koma illustre la difficulté à attribuer une activité et son outil- lage spécialisé à un groupe culturel. Cette mise en évidence, bien que d’autres sites révèlent des procédés similaires, ne permet pas la définition d’une entité culturelle régionale. Finalement, l’approche techno-économique de l’assemblage lithique d’Asa Koma a permis de supposer, au moins pour ce site et ces activités, une fonctionnalité possible des pièces esquillées pour le travail du bois et des segments de cercle pour l’armement des instruments de chasse et de pêche. Une confrontation des résultats tracéologiques effectués sur ces éléments devra ou non autoriser le maintien de ces hypothèses fonctionnelles, afin de contribuer à la définition des cultures de l’Holocène récent dans la Corne de l’Afrique.

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Le site néolithique d’Asa Koma : approche typo-technologique de l’industrie lithique

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