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2 Saison et lieux de pêche et de chasse

Dans le document Asa Koma (Page 182-185)

L’endroit où la pêche a pris place et la saison durant laquelle elle a eu lieu dépendent de la topographie locale, des changements des niveaux d’eau du lac et de l’oued et des comportements des poissons. Tous ces facteurs déterminent l’accessibilité des populations de poissons qui peuvent être exploités par différentes méthodes de pêche. Selon les données paléohydrologiques mentionnées précédemment, le niveau moyen du lac était plus haut durant l’occupation

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du site qu’aujourd’hui et l’oued bordant le site était en eau une partie de l’année. Les changements saisonniers ont pu se produire dans les niveaux du lac à cause des varia- tions locales des précipitations et, particulièrement, des crues plus fortes de la rivière Awash. Actuellement il y a dans cette région d’Afrique deux saisons des pluies : une en avril-mai et une autre en octobre-novembre (Laurent et Laurent 2002). Cependant, le débit de la rivière Awash est au plus haut en août et septembre, en raison des fortes pluies dans les hauts plateaux éthiopiens (Guinand 1999). En conséquence, l’inondation actuelle du lac Abhé se situe principalement en septembre et octobre, provoquant la formation de grandes plaines d’inondation. Les oueds sont également inondés et peuvent être localement peu profonds. À partir de novembre-décembre, le niveau de l’eau descend et des mares locales résiduelles se forment. Il est difficile de reconstruire l’extension exacte des zones inondables à l’époque de l’occupation du site et de déterminer avec précision l’emplacement des mares résiduelles, mais il est concevable que le site était entouré de façon saisonnière par les inondations comme le suggère la forte présence des coquilles de Melanoides tuberculata. Quand les eaux se retiraient, les mares résiduelles ont pu se former entre le site et le lac, et peut-être également le long ou dans l’oued. Le comportement des tilapia et des Clarias pendant la fraie est bien documenté et les données modernes montrent à quelle période les poissons sont les plus vulnérables pour la prédation par l’homme (Burton et Boltt 1975; Burton 1979). Cela se situe au début des inondations quand les premiers

Clarias et plus tard les tilapia migrent vers la plaine d’inonda-

tion pour la ponte. Les Clarias sont très facilement capturés dans les premiers jours de la ponte, quand ils frayent dans des zones marginales et très peu profondes, tandis que les tilapia sont des reproducteurs répétitifs qui peuvent être exploités sur une plus grande période.

Une seconde période de l’année pendant laquelle les tilapia et les poissons-chats sont facilement accessibles en grand nombre est celle où se forment les mares résiduelles. L’analyse d’un grand nombre de sites préhistoriques le long du Nil en Égypte a montré que les deux saisons d’exploitation de ces espèces peuvent être attestées par des restes de poissons (Van Neer 1994, 2004). L’analyse des tailles reconstituées est, dans ce cas, primordiale puisque la taille moyenne des poissons capturés au début des inondations est plus grande que celle des animaux pris dans les mares résiduelles. Ceci résulte du fait que les adultes quittent la plaine inondée plus tôt que les juvéniles, qui, par conséquent, ont plus de chance de se voir piéger dans les mares résiduelles (Van Neer 1986; Gautier et Van Neer 1989). La saison d’exploitation des tilapia à la fin de la saison d’inondation dans la vallée du Nil égyptien a été confirmée par l’analyse des cernes de croissance (Van Neer et al. 1993). Dans le cas d’Asa Koma, l’analyse de croissance n’a pas encore été menée bien que de très nombreux otolithes soient disponibles. Pour l’instant, la reconstruction des anciennes pratiques de pêche peut donc être uniquement fondée sur les données biologiques des espèces concernées, la reconstruction de la taille des spécimens archéologiques et les analogies avec l’ichtyofaune d’autres sites archéologiques.

Les restes de Clarias proviennent tous d’individus de taille moyenne ou très grande : les tailles varient entre 30-40 cm LT et 110-120 cm LT (chapitre 5, 1re partie, fig. 9). La distri-

bution des tailles est bimodale mais correspond peut-être à un effet dû à la faiblesse de l’échantillon. Il est tentant de considérer le groupe des individus les plus petits comme des animaux ayant été capturés dans les mares résiduelles et le groupe des plus grands comme des poissons capturés dans la fraie au début de l’inondation. En matière de capacité reproductive cependant, les deux classes sont sexuellement matures (Burton 1979). Bien qu’il soit possible que les petits individus aient été pêchés dans les mares résiduelles, on ne peut pas exclure qu’ils aient également été capturés au début de l’inondation. Les poissons plus grands de 80 cm LT représentent dans tous les cas des individus capturés pen- dant la fraie car ces grands poissons ne sont que rarement piégés dans les mares résiduelles.

Quand on regarde la reconstruction des tailles de tilapia (chapitre 5, 1re partie, fig. 8), il est surprenant de voir que les

individus de moins de 15 cm LT sont complètement absents. Il est malheureux qu’aucune donnée sur la croissance des populations modernes de tilapia du lac Abhé ne soit dis- ponible, particulièrement parce que la réduction de taille peut être la conséquence de conditions défavorables. Les données de la croissance de populations d’autres bassins d’eau douce sont cependant informatives. Actuellement, les populations d’Oreochromis niloticus du bassin du Tchad atteignent une taille maximale de 10-11 cm LT à la fin de leur premier séjour dans la plaine d’inondation dans laquelle ils sont nés (Blache 1964). C’est seulement à la fin de la saison suivante que les tailles atteignent entre 12 et 25 cm LT. Bien que la taille des tilapia de plusieurs groupes d’âge soit inconnue au lac Abhé, il est clair que les plus jeunes poissons n’étaient pas exploités par les occupants d’Asa Koma. Puisque les sédiments ont été tamisés sur une maille de 0,5 mm, les procédures d’échantillonnage ne sont pas responsables de ce manque. De plus l’état de conservation du matériel est excellent et, selon notre expérience, des tilapia plus petits auraient été conservés s’ils avaient été capturés et préparés sur le site. Afin de définir le lieu de capture des tilapia, il est crucial d’établir si les individus présents étaient sexuellement matures ou non. L’exploitation au début de l’inondation se concentre principalement sur des individus reproducteurs alors que les mares résiduelles contiennent beaucoup de tilapia immatures. La taille à laquelle la maturité sexuelle est atteinte chez Oreochromis

niloticus est très variable (Froese et Pauly 2003). Puisque

les tilapia du lac Abhé n’ont pas atteint de grandes tailles quand ils vivaient dans un environnement hostile, il est concevable qu’ils aient également atteint leur maturité sexuelle quand ils étaient plus petits. Aujourd’hui la maturité sexuelle est atteinte à partir de 10-12 cm LT dans les petits réservoirs au Burkina-Faso (Baijot et Moreau 1997). Encore plus informatives sont les données décrites par Trewavas (1983 : 168) pour Oreochromis niloticus filoa, une sous-espèce vivant dans les sources chaudes du bassin de la rivière Awash en Éthiopie : des mâles matures ont été observés avec une taille de seulement 9-12 cm LT et même des femelles de 6,5 cm LT ont été observées avec des œufs. À partir de ces

La faune d’Asa Koma : élevage, pêche et chasse dans la plaine du Gobaad

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données il apparaît qu’aucun spécimen immature n’ait été exploité à Asa Koma. Cela veut dire que la pêche a dû avoir lieu au début des inondations quand les reproducteurs sont abondants dans les zones marginales des plaines inondées. À la différence des Clarias, les tilapia ne présentent pas un pic saisonnier net pour la fraie et par conséquent ces repro- ducteurs répétitifs ont pu être accessibles pendant une plus longue période de temps. Cependant on ne peut pas exclure que la pêche des tilapia a également continué plus tard dans l’année, lorsque les mares résiduelles étaient formées. La taille de ces anciens bassins d’eau est inconnue mais en plus des juvéniles, ils ont pu aussi contenir des individus plus grands. Cela a particulièrement pu être vrai quand les mares étaient plutôt grandes et donc contenaient de l’eau pendant une longue période. Il est même envisageable que quelques points d’eau soient demeurés jusqu’à la saison d’inondation suivante. Dans tous les cas, il est clair que ce sont principalement les plus grands individus qui étaient visés et que la pêche a dû principalement être pratiquée au début des inondations. Les conditions devaient alors être particulièrement favorables pour l’exploitation intensive de la plaine d’inondation pendant ou juste après la seconde saison des pluies.

Dans le cas de l’exploitation des ressources terrestres, nous avons vu précédemment que dans la plaine du Gobaad se développait de la savane semi-aride mais aussi près des points d’eau de la savane arborée. S’il semble donc que ces deux milieux naturels aient été exploités, ils ne l’ont pas été de la même manière. En effet la majorité des espèces chas- sées provient de la savane semi-aride, milieu qui devait se développer aux abords immédiats du site. La savane humide qu’affectionne le guib harnaché devait — quant à elle — être plus dispersée et peut-être plus lointaine. Il est possible en effet que l’oued Dagadlé n’ait pas maintenu un débit suffisant pour permettre à une forêt riveraine de survivre tout au long de l’année. Elle se trouvait en conséquence peut-être plus loin, sur les hauteurs ou à proximité du lac. Les occu- pants d’Asa Koma auraient alors privilégié une chasse de proximité mais auraient chassé, peut-être à l’occasion de leur déplacement vers le lac, quelques guibs pour leur masse et donc leur apport alimentaire plus conséquent.

L’estimation de la saison d’occupation du site à partir des espèces terrestres est beaucoup plus complexe que par les poissons en raison notamment de la faible quantité de restes notamment dentaires qui sont généralement utilisés dans la reconstitution des âges d’abattage.

Ainsi pour les bovidés sauvages, nous avons utilisé les données sur les éruptions et usures dentaires de Schaller (1972). Il semble que, sur les deux gazelles évaluées par le NMI, l’une soit sub-adulte et l’autre adulte, et que le cas des guibs harnachés soit similaire, avec un sub-adulte et deux adultes.

L’âge des canidés a été estimé à partir des stades d’épi- physation du chien (Barone 1954), aucun référentiel relatif au chacal n’ayant été trouvé. Parmi les six individus présents, l’un est âgé d’environ six mois, un autre entre neuf et douze mois et les derniers semblent tous adultes. Parmi ceux-ci, l’examen des usures dentaires ne paraît pas montrer la présence d’individus très âgés.

Au final, l’estimation des âges des bovidés n’est pas assez précise pour être interprétable. De plus, les chacals peuvent mettre bas durant la saison sèche ou humide selon les espèces (Estes 1991). Or, comme nous n’avons pu détermi- ner spécifiquement le chacal d’Asa Koma, la présence d’un jeune d’environ six mois ne donne donc aucune indication.

3 Méthodes de pêche et de chasse

La reconstitution des anciennes méthodes de pêche est généralement entravée par le manque de preuve matérielle des équipements utilisés. En conséquence, les hypothèses doivent souvent s’appuyer sur les données biologiques du poisson exploité et sur des parallèles ethnographiques, combinés avec les informations provenant de la reconsti- tution des tailles des poissons (Van Neer 1994, 2004). Dans le cas d’Asa Koma, quelques poids de filets ont été trouvés, mais le type exact de filet et la façon dont ils étaient utilisés demeurent inconnus. Les sennes ont pu être très efficaces dans les zones peu profondes de la plaine d’inondation ou des mares résiduelles. Une explication possible pour l’absence de petits poissons pourrait être la grande taille des mailles des filets. Les filets flottants installés dans les parties profondes de la plaine d’inondation ou même directement dans le lac représentent une autre méthode possible mais, dans ce cas, des embarcations auraient été nécessaires. Aucun outil de travail du bois n’a été trouvé sur le site qui pourrait indiquer la fabrication de barques, bien que l’utilisation de radeaux ne puisse pas être exclue. Étant donné l’accès relativement facile des poissons dans les parties peu profondes du bassin, on peut supposer que ces lieux de pêche ont été privilégiés. Il est difficile de savoir quel autre type d’équipement a pu être utilisé pour la pêche. L’industrie microlithique a pu servir à produire des armes de jet pour la capture de tilapia et plus probablement pour les poissons-chats. Plusieurs autres méthodes ont pu être utilisées pour lesquelles les chances de trouver des preuves matérielles sont très faibles voire inexistantes. Celles-ci incluent la collecte manuelle, l’utilisation d’armes de jet ou de frappes en bois, ou d’autres dispositifs en matière périssable tels que les paniers ou nasses (von Brandt 1984). Dans les mares résiduelles, des plantes ichtyotoxiques ou la désoxygénation de l’eau par l’agitation de la boue a pu être efficace pour la capture des tilapia mais pas pour les Clarias qui ont des organes respiratoires accessoires et qui sont résistants au poison des plantes.

Le manque de petits tilapia est surprenant, particuliè- rement puisque l’exploitation des mares résiduelles permet généralement la capture d’une grande quantité de ces poissons. Sur le site du Paléolithique supérieur de Makhadma dans le Haute-Égypte, la pêche aux tilapia se passait principa- lement dans les mares résiduelles et les poissons de moins de 15 cm LT sont très abondants (Van Neer et al. 2000). On ne sait donc pas si l’absence des petits tilapia à Asa Koma était un choix délibéré ou s’il s’agit d’un phénomène dû au manque de matériel adéquat (taille de maille des filets, nasse, paniers,…) ou à la difficulté d’accès des mares résiduelles (trop grandes et trop profondes ?). Peut-être les petits tilapia

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n’étaient pas visés en raison du manque de rendement ou parce que le traitement (cf. infra) nécessitait des animaux d’une taille plus ou moins standard ? Une autre explication pourrait être que les petits individus ont été préparés et consommés dans un autre endroit. Cependant l’examen rapide des échantillons autres que celui présenté ici, montre que ce type de poissons n’était présent à aucun endroit de la surface fouillée qui totalise 48 m2.

Dans le cas des mammifères, très peu de données per- mettent de reconstituer les techniques de capture. Toutefois, la présence d’une armature bien standardisée qui semble constituer l’objectif quasi exclusif du débitage (Gouraud dans Gutherz et al. 1996, Diaz, ce vol.), atteste de l’utilisation d’armes de jets pour la chasse des gros mammifères tels que le chacal ou les bovidés sauvages. Dans le cas des plus petits animaux comme le lièvre ou le dik-dik, des systèmes de piégeage en matériau périssable ont pu être utilisés même si nous n’en avons aucune trace archéologique.

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