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Chapitre 3 : L’intégration des régions montagneuses et de la province de Luang

3.2 Changer l’utilisation du sol, les pratiques, et l’information

3.2.2 Vulgarisation agricole et apprentissage de nouvelles techniques

Avec l’arrivée des cultures commerciales, les populations ont été amenées à adopter de nouvelles techniques agricoles. Ces cultures requièrent chacune des techniques de production spécifiques que les utilisateurs doivent assimiler. Ces techniques vont de la manipulation d’outillages divers, tels que le couteau et la tasse pour l’hévéa (Figure 3.3), à l’utilisation d’intrants chimiques agricoles, comme les engrais et les pesticides (Figure 3.4). Selon les types de plantations, de contrats, et d’investisseurs, ces techniques peuvent être, soit transmises par l’État et les compagnies privées, soit acquises via le cercle social proche – famille et voisins.

Nombre de foyers Surface agricole totale (en hectares) Moyenne par foyer (en hectares) Surface plantations (en hectares) Moyenne par foyer (en hectares) Proportion par foyer des terres

dédiées aux plantations

Nalae 32 103,2 3,22 73,5 2,3 71,4%

Sing 28 100,4 3,58 68,8 2,45 68,4%

Figure 3.3 : Récolte du latex dans une plantation d’hévéa à Nalae – Juin 2015

Pour reprendre l’exemple de l’hévéa, à partir d’une analyse de nos entrevues, il a été possible de distinguer deux principaux scénarios. Dans le premier, une compagnie – toujours d’origine chinoise – vient jusqu’aux villages et propose, aux personnes le souhaitant, de les aider à démarrer une plantation. En contrepartie d’adhérer à un contrat de revente exclusive de la production, les villageois reçoivent une formation – allant de trois à sept jours – et apprennent les techniques essentielles au fonctionnement de leur plantation. Par ailleurs, selon les cas, la compagnie peut fournir les plants et les outils dont ils ont besoin. Ici, les techniques et les connaissances sont uniquement transmises par les compagnies privées. Ce scénario était notamment valable dans 94% des interviews à Nalae. Dans le deuxième scénario, les villageois prennent l’initiative de démarrer une plantation. Ils doivent alors acheter les plants et les outils par leurs propres moyens. Le prix des plants varie, selon le contexte économique, de 0,20$ÉU à 1,80$ÉU par unité. Une plantation est constituée d’environ 500 plants par hectare. L’investissement d’une famille peut dès lors s’avérer conséquent. Pour une plantation de deux hectares (la moyenne des familles interviewées se chiffre à 2,3 hectares), cela signifie 1 000 plants à se procurer, soit un investissement pouvant varier de 200$ÉU à 1.800$ÉU. L’assimilation des connaissances et des techniques se fait ensuite grâce à la famille, ou auprès des voisins, qui ont déjà acquis ces connaissances. Du fait qu’aucun contrat n’est signé, la production pourra être revendue à une compagnie privée ou à un intermédiaire. Ce deuxième scénario était quant à lui valable dans 100% des interviews à Sing. À partir de 1995, la transformation et l’ajout des nouvelles techniques agricoles varient selon le district de Nalae (Figure 3.5) ou celui de Sing (Figure 3.6).

Figure 3.5 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques

agricoles dans le district de Nalae, 1995-2015 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Autres Intrants Engrais Pesticides Outillages N=32

Figure 3.6 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques

agricoles dans le district de Sing, 1995-2015

L’apprentissage des nouvelles techniques s’est faite de paire avec l’apparition des nouvelles cultures. Ainsi, lorsque l’hévéa et le bancoulier ont été adoptés à Nalae, respectivement au cours des années 2006-2008 puis 2012-2015, les populations montagnardes se sont adaptées, en particulier ce qui à trait à la manipulation d’outillages distincts. Ce développement concomitant s’est également produit à Sing avec l’hévéa, les bananeraies et la canne à sucre. Toutefois, l’utilisation d’intrants chimiques agricoles est nettement plus importante dans le district de Sing depuis le début des années 2000. Les enquêtes n’ont pas permis d’en connaître la raison exacte mais peut-être est-ce simplement la proximité avec la frontière chinoise qui contribue à la présence d’un nombre plus élevé de boutiques qui vendent ces produits (Figure 3.7). Avec la durée et de l’entrainement, 79% des participants se disent pleinement confiants d’utiliser ces nouvelles techniques. À l’inverse, 21% confient parfois rencontrer des problèmes comme : réparer des outils en panne ou utiliser correctement des intrants chimiques agricoles. Suite à l’utilisation de ces intrants, parfois hautement toxiques, des problèmes de santé peuvent également survenir car « these farmers, who are typically

not able to read instructions and warnings, spray dangerous chemicals without proper protective gear » (Kammerer, 2000 : 49).

Par comparaison à l’implication « massive et volontariste » (Ducourtieux et al, 2004b : 210) de l’État laotien dans ses politiques de réformes foncières au cours des années 1990, l’implication de l’État dans la vulgarisation agricole au profit des populations de Luang Namtha semble nettement plus faible. En effet, peu de personnes ont confié avoir reçu une aide quelconque de l’État : 5 sur 60 au total. Parmi ces villageois, certains

0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Autres Intrants Engrais Pesticides Outillages N=28 Enquêtes mai-juillet 2015

disent avoir participé à des rencontres, organisées par le bureau provincial de l’agriculture. Celles-ci visaient à apprendre certaines techniques d’utilisation des intrants chimiques agricoles et d’autres techniques concernant l’irrigation des parcelles agricoles. Par ailleurs, sur les 15 villages enquêtés, un seul était équipé d’un centre technique agricole (Figure 3.8), permettant aux populations des alentours d’apprendre de nouvelles techniques agricoles/d’élevage à partir d’images et de textes. En dépit des nombreux projets conduits dans la province, en partenariat avec des organismes internationaux – Australian AID (AusAID), Japan International Cooperation Agency (JICA), Swiss Agency for Development and Cooperation (SDC), Programme Alimentaire Mondial (WFP) etc. – l’État paraît, suite aux entretiens avec les villageois, davantage tenir un rôle de superviseur que d’exécutant auprès des populations. L’État se charge de mettre en place des politiques et de les faire appliquer par les bureaux provinciaux mais s’implique directement peu sur le terrain. Ce rôle revient principalement aux organismes internationaux et aux investisseurs privés. Malgré tout, dans le cas de concessions agricoles – contrats de type « 1+4 » – en particulier dans le district de Sing, « there is also limited technology transfer to local villagers […],

particularly if the laborers are employed from China. When asked whether villagers are given training on [plantations], a senior company manager confided, “Not really. We have to reserve something. We’ll teach them when we think the time is right” » (Shi,

2008 : 31-32). Ainsi, dans son rôle de superviseur, le gouvernement central doit faire face à certains défis quant à l’application de ses politiques agricoles à l’échelle des provinces et au respect des accords passés avec les investisseurs étrangers.

L’adaptation aux cultures commerciales et l’acquisition de nouvelles connaissances ont progressivement changé les relations sociales entre les populations montagnardes et le territoire. D’une part, la signature des contrats d’hévéa à Nalae avec les compagnies chinoises ou le transfert de gestion des terres pour les bananeraies à Sing constituent des exemples substantiels. D’autre part, durant les vingt dernières années, le « triangle homme-travail-territoire » (Raffestin et Bresso, 1979 : 81) s’est assurément transformé avec l’arrivée des innovations technologiques agricoles. Toutefois, le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale nécessite du temps, pendant lequel les populations montagnardes continuent de dépendre des ressources forestières et rizicoles.

Figure 3.7 : Boutique de revente d’intrants chimiques agricoles à Muang Sing – Juin

2015