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Chapitre 2 : Insertion nationale et provinciale dans le système sud-est asiatique

2.1.3 La sous-région du Grand Mékong

Promue dès 1992 par la Banque asiatique de développement (BAD), la sous- région du Grand Mékong (GMS) est un projet d’intégration transnationale des pays d’Asie du Sud-Est continentale, et plus spécifiquement des quatre pays riverains du bassin inférieur du Mékong, de la Birmanie et des deux provinces chinoises du Guangxi et du Yunnan. Ce projet vient en complément de l’ASEAN et vise à rassembler aujourd’hui plus de 326 millions d’habitants21 dans un espace intégré par le marché,

comme en témoigne Mitsuo Sato, ancien président de la BAD : « le Mékong n’est plus

un facteur de division mais un trait d’union, symbole d’un nouvel esprit de

coopération »22 (Taillard, 2004 : 380). Cette vision stratégique de la BAD, fondée sur

une logique d’intégration régionale et de dynamisme transnational, cherche à relancer les échanges commerciaux dans la péninsule – interrompus après plusieurs décennies de guerres et de rivalités politiques – et sortir des pays comme le Laos de leur « isolement » économique et géographique (ibid, 2004 : 381). L’opportunité de placer le Laos au centre d’un tel réseau lui permettrait, d’une part, d’avoir un meilleur accès aux marchés internationaux via les ports et, d’autre part, de devenir un axe principal d’échanges plutôt qu’une simple zone de transit secondaire (Pholsena et Banomyong, 2004 : 143-144) ; comme le décrit Sisouphanthong « from land-locked to land-linked

status » (2014 : 177). Malgré tout, cette représentation dichotomique (centre versus

périphérie) partagée par le gouvernement laotien et divers organismes internationaux reste à nuancer. Car, dans une perspective plus historique, le Laos se situe depuis

21BAD (2016) « Greater Mekong Subregion (GMS) », disponible en ligne : http://adb.org/countries/gms/overview. 22Allocution de Mitsuo Sato en 1992 lors de sa présentation sur la vision stratégique d’intégration de l’ASE

plusieurs siècles au cœur de réseaux de transports et d’échanges transfrontaliers, comme l’exposent Pholsena et Banomyong :

Les caravaniers yunnanais empruntèrent les routes de commerce à l’est du Tibet, sillonnant l’Assam, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le nord du Viêt Nam (Tonkin), jusqu’aux provinces chinoises du Sichuan, de Guizhou et du Guangxi. Deux routes principales reliaient, en particulier, le sud du Yunnan au nord de la Thaïlande : la route birmane, à l’ouest, de Keng Tung à la province de Chiang Rai, et la route orientale qui, de la province de Phongsaly, descendait vers l’ouest, traversant [Luang Namtha,] Luang Prabang et le Mékong pour arriver à Chiang Khong, près de l’actuelle frontière septentrionale de la Thaïlande (Pholsena et Banomyong, 2004 : 144)23.

De ces réseaux commerciaux transfrontaliers ont par la suite émergé des espaces d’échanges plus localisés, comme le tristement célèbre Triangle d’or, situé au point de rencontre des frontières de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande. Comme l’explique Bruneau, l’émergence du Triangle d’or est le résultat de l’alliance entre les producteurs d’opium hmong et les commerçants caravaniers hui dans le trafic clandestin de drogues. Dès lors, si l’on considère ces réseaux de trafics d’opium, alors « le Triangle d’or est [déjà] l’amorce d’un espace transfrontalier » (Bruneau, 2006 : 240). Aujourd’hui, sous l’égide de la GMS, le Triangle d’or a été surnommé le Quadrilatère d’or – intégrant désormais la province du Yunnan – dans une perspective économique légale, promouvant la coopération bilatérale et l’élaboration de projets d’exportation des ressources – l’opium et son commerce ayant été majoritairement éliminés (Dwyer, 2014 : 382). Comme ailleurs en Asie du Sud-Est continentale, ces zones de coopération économiques transfrontalières, sous-espaces d’intégration à l’intérieur de la GMS, se sont progressivement complexifiées à partir de 2002 avec l’ajout d’un nouvel outil par la BAD, à savoir, les corridors économiques (Rimmer, 2004). Ces corridors économiques adoptent différentes formes – corridors de transport, d’urbanisation ou de développement – selon les stratégies employées, et servent avant tout d’outils de planification et d’intégration régionale, visant aussi bien à attirer les projets d’investissements qu’à renforcer les processus de croissance économique (Fau, 2014 : 12-17). Selon Tertrais, trois principaux corridors économiques peuvent être identifiés au sein de la GMS (Figure 2.2) : un corridor « nord-sud » partant de Kunming (Yunnan) et

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Voir Andrew D.W. Forbes (1987) « The “Čīn-Hō” (Yunnanese Chinese) Caravan Trade with North Thailand during the Late Nineteenth and Early Twentieth Centuries » pour une discussion approfondie.

dont les branches s’orientent vers Hanoï, Bangkok et Rangoun ; un corridor « est- ouest » reliant la Mer Andaman à la Mer de Chine méridionale, du sud du Myanmar au centre du Vietnam en passant par la Thaïlande et le Laos ; et un corridor « sud » jumelant Bangkok et Ho Chi Minh-ville (Tertrais, 2014 : 49). Dans une vision d’ensemble, selon la BAD, la coopération dans le GMS aide les pays de la région, dont le Laos, à atteindre des objectifs concrets et durables. Jusqu’en 2022, huit priorités et initiatives sont inscrites dans le cadre stratégique de la GMS : (i) développer les corridors économiques, (ii) renforcer les réseaux de transports terrestres, (iii) offrir des énergies compétitives et durables, (iv) accroître les réseaux de communications et d’informations, (v) promouvoir le tourisme, (vi) soutenir l’agriculture durable, (vii) intensifier la protection environnementale, et (viii) soutenir le développement humain24.

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« Taking Action for Inclusive and Sustainable Development in the Greater Mekong Subregion », infographie en ligne de la Banque asiatique de développement, 08 septembre 2015.

Crédits : C. Taillard – UMR CASE

Figure 2.2 : Anciens et récents réseaux transfrontaliers et transnationaux en Asie du

L’intégration du Laos dans une économie régionale est à considérer tant avec des opportunités qu’avec des défis, comme le développe Sisouphanthong. Pour lui, d’un côté, le pays bénéficie d’un environnement politique stable, se situe dans un espace stratégique – au cœur de la GMS –, dispose d’abondantes ressources naturelles et profite d’accords de commerce préférentiels avec ses partenaires voisins du fait de son statut de PMA. Par ailleurs, son intégration récente à l’ASEAN, à la GMS, et d’autres structures internationales, a entrainé une augmentation des flux de capitaux étrangers, de nouvelles technologies et de savoir-faire. Enfin, la rapide croissance de la Chine et du Vietnam, en plus d’autres pays membres de l’ASEAN, occasionne une demande accrue en biens et services au Laos. De l’autre, certaines caractéristiques de l’économie laotienne demeurent des obstacles qui limitent les gains générés par l’intégration. Premièrement, la transition d’une agriculture de subsistance à une agriculture davantage industrielle crée des défis d’adaptation pour la main d’œuvre paysanne. Deuxièmement, la majorité des secteurs privés sont de taille réduite et ont une faible avance technologique, ce qui limite leur compétitivité à l’international et donc leurs bénéfices. Seul le secteur de l’exploitation des ressources naturelles permet d’absorber des bénéfices significatifs. Troisièmement, malgré certains progrès, beaucoup d’efforts restent à faire pour améliorer les infrastructures publiques, en particulier les réseaux de transports terrestres à l’échelle nationale, très couteux pour l’État laotien (Sisouphanthong, 2014 : 182-184). Face à ce constat, plusieurs échelles doivent être considérées afin d’optimiser les bénéfices de l’intégration et minimiser les pertes. Une analyse approfondie d’un cas dans les régions montagneuses nord laotiennes, en l’occurrence celui de la province de Luang Namtha, peut ainsi fournir matière à quelques réflexions complémentaires.