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L'intégration des minorités ethniques et des régions montagneuses du nord du Laos : le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015

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L’intégration des minorités ethniques et des

régions montagneuses du nord du Laos :

Le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015

Mémoire

Vincent Rolland

Maitrise en sciences géographiques

Maitre en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

Québec, Canada

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L’intégration des minorités ethniques et des

régions montagneuses du nord du Laos :

Le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015

Mémoire

Vincent Rolland

Sous la direction de :

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Résumé

Depuis le début des années 1980, les changements politico-économiques organisés par l’État laotien ont remodelé le visage du pays. Ces changements œuvrent tant pour une plus grande intégration aux marchés économiques internationaux qu’à la construction nationale du pays. Les conséquences de ces transformations sont notamment visibles dans le paysage rural et montagnard, comme dans l’évolution des moyens de subsistance et des modes de vie des populations ethniques minoritaires. Le développement récent des plantations agro-commerciales contribue, entre autres, à réorganiser la géographie socioéconomique des provinces du nord du pays, dont celle de la province de Luang Namtha. Comment les populations locales s’adaptent-elles à ces transformations rapides ? Quels changements cela implique-t-il ? Cette recherche, qui emploie une approche multiscalaire, aide à comprendre les rouages de l’intégration et de l’adaptation locale aux systèmes nationaux et internationaux.

MOTS-CLES : Laos, intégration, monde rural, minorités ethniques, moyens de subsistance, adaptation.

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Abstract

Since the beginning of the 1980s, the political and economic changes undertaken by the Laotian State have reshaped the face of the country. These changes work to foster greater integration into international markets and to further develop the country. The results of these transformations are noticeable in rural and mountainous landscape and have influenced the evolution of the ethnic minorities’ livelihoods and lifestyles. The recent development of agro-commercial plantations has contributed to reorganize the socio-economical geography of the northern Laotian provinces, including Luang Namtha. How do local populations adapt to these quick transformations? What changes do these changes involve? This research, which utilizes a multiscalar approach, helps to better understand the inner workings of this integration and the local adaptation process into the national and international systems.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vi

Liste des figures ... vii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... xi

Introduction générale ... 1

a. Les prémices de la construction du Laos ... 3

b. Cadre théorique et conceptuel ... 6

c. Plan de travail ... 12

Chapitre 1 : État de la construction du Laos ... 13

1.1 Caractéristiques géographiques et héritage historique d’un pays pluriethnique ... 13

1.1.1 Le Laos et l’Asie du Sud-Est continentale ... 13

1.1.2 Tournants politiques : du royaume féodal au communisme libéral ... 17

1.1.3 De la majorité aux minorités : un pays pluriethnique ... 19

1.2 La modernisation nationale et le développement des régions rurales ... 23

1.2.1 Un développement sous perfusion ... 24

1.2.2 The Poverty Reduction Plan ... 29

1.2.3 De nomades à paysans : la sédentarisation des populations ... 33

1.2.4 La prise en charge des forêts ... 38

Chapitre 2 : Insertion nationale et provinciale dans le système sud-est asiatique . 43 2.1 Le Laos au cœur d’un réseau international et transnational ... 43

2.1.1 L’intégration régionale, des enjeux économiques… ... 43

2.1.2 … mais aussi géopolitiques ... 50

2.1.3 La sous-région du Grand Mékong ... 53

2.2 Quelle place pour les régions montagneuses nord laotiennes ? ... 57

2.2.1 La province de Luang Namtha dans son ensemble montagneux ... 58

2.2.2 Une région carrefour convoitée ... 61

Chapitre 3 : L’intégration des régions montagneuses et de la province de Luang Namtha aux nouveaux systèmes territoriaux et économiques... 70

3.1 Considérations méthodologiques ... 70

3.1.1 Choix du terrain et populations à l’étude ... 70

3.1.2 Cueillette des données et méthodes d’analyse ... 71

3.2 Changer l’utilisation du sol, les pratiques, et l’information ... 73

3.2.1 Le développement des cultures commerciales ... 73

3.2.2 Vulgarisation agricole et apprentissage de nouvelles techniques ... 78

3.2.3 Transition et dépendance aux moyens de subsistance ... 84

3.3 La modernité, espoirs et promesses d’un avenir meilleur ... 85

(6)

3.5 L’accès aux soins ... 92

Chapitre 4 : Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha – quels impacts sur le budget-temps ? ... 97

4.1 Dynamique des systèmes territoriaux et adaptation locale suivant les époques ... 98

4.1.1 La vassalité birmano-siamoise (1780-1893) ... 98

4.1.2 Le protectorat français (1893-1945) ... 100

4.1.3 Les guerres d’Indochine (1946-1975) ... 103

4.1.4 Les débuts du régime communiste (1975-1995) ... 105

4.2 La détermination du budget-temps ... 109

4.2.1 La perception du temps : considérations culturelles et ethniques ... 109

4.2.2 Analyse des calendriers de la province de Luang Namtha ... 110

Chapitre 5 : Processus d’intégration et d’adaptation – Des éléments qui éclosent de la recherche ... 123

5.1 L’intégration, un processus qui comporte plusieurs facettes ... 123

5.2 L’adaptation, oui, mais de quelle manière ? ... 126

Conclusion ... 130

Bibliographie ... 134

(7)

Liste des tableaux

Tableau 1.1 : Évolution et part des IDE, de l’APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de dollars ÉU et en pourcentage) ... 27 Tableau 1.2 : Taux de pauvreté au Laos, selon différentes régions, de 1992-1993 à 2012-2013 (en pourcentages) ... 31 Tableau 1.3 : Inégalités au Laos, de 1992-1993 à 2012-2013 (mesurées à l’aide du Coefficient de Gini) ... 31 Tableau 1.4 : Disponibilités alimentaires au Laos, 1961-2011 ... 34 Tableau 2.1 : Population urbaine dans les provinces au nord du Laos, 1995-2005 (en nombre d’habitants et en pourcentage de la population totale) ... 66 Tableau 3.1 : Investissements agro-industriels à Luang Namtha de 2001 à 2015... 74 Tableau 3.2 : Intégration et répartition de l’utilisation du sol dans les districts de Nalae et de Sing, 2015 (selon les entretiens) ... 78 Tableau 3.3 : Chiffres sur le secteur de l’éducation dans la province de Luang Namtha, en 2014 ... 90 Tableau 4.1 : Récapitulatif des relations entre les populations montagnardes et les systèmes territoriaux, suivant les périodes, de 1780 à 2015 ... 108 Tableau 4.2 : Principaux contrastes entre le régime global (Occidental) et les régimes locaux (Non occidental)... 109

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Liste des figures

Figure I : La Province de Luang Namtha dans le massif Sud-Est asiatique (Zomia) ... 2 Figure 1.1 : Le Laos : administration et hydrographie ... 16 Figure 1.2 : Les trois sœurs Lao – Billet de 1000 kip (version émise de 1992 à 2008) . 22 Figure 1.3 : Évolution des IDÉ et des APD rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en millions de $ÉU) ... 28 Figure 1.4 : Évolution de la part des IDÉ, des APD, des importations et des exportations rapportés au PIB du Laos, 1995-2014 (en pourcentages) ... 28 Figure 2.1 : Projets d’installations hydroélectriques dans le bassin du Mékong en 2010

... 48 Figure 2.2 : Anciens et récents réseaux transfrontaliers et transnationaux en Asie du Sud-Est continentale ... 56 Figure 2.3 : La province de Luang Namtha ... 59 Figure 2.4 : Poste frontière de Mohan-Boten, district de Namtha, juin 2015 ... 62 Figure 3.1 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Nalae, 1995-2015 ... 76 Figure 3.2 : Évolution du nombre de personnes pratiquant une nouvelle culture dans le district de Sing, 1995-2015 ... 76 Figure 3.3 : Récolte du latex dans une plantation d’hévéa à Nalae – Juin 2015 ... 79 Figure 3.4 : Utilisation d’intrants chimiques sur une parcelle à Muang Sing – Juin 2015

... 79 Figure 3.5 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Nalae, 1995-2015 ... 80 Figure 3.6 : Évolution du nombre de personnes adoptant de nouvelles techniques agricoles dans le district de Sing, 1995-2015 ... 81 Figure 3.7 : Boutique de revente d’intrants chimiques agricoles à Muang Sing – Juin 2015 ... 83 Figure 3.8 : Panneau d’entrée du centre technique agricole de Ban Van – Juillet 2015 83 Figure 3.9 : Récolte de champignons vendue sur le bord de la route à Nalae – Mai 2015

... 85 Figure 3.10 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 32 participants dans le district de Nalae, 1995-2015 ... 87 Figure 3.11 : Total cumulé des biens de consommation acquis par 28 participants dans le district de Sing, 1995-2015 ... 88

(9)

Figure 3.12 : Total cumulé tous confondus des biens de consommation acquis par les 60 participants dans les districts de Nalae et de Sing, 1995-2015 ... 88 Figure 3.13 : Répartition des hôpitaux et des postes de soins dans la province de Luang Namtha en 2014 ... 94 Figure 3.14 : Hôpital provincial de Luang Namtha – Juillet 2015 ... 96 Figure 4.1 : Auguste Pavie (debout au centre) et Pierre Lefèvre-Pontalis (à sa droite) en 1893 avec des interprètes cambodgien entrainés à l’École Coloniale ... 103 Figure 4.2 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#1) ... 114 Figure 4.3 : Calendrier du budget-temps des populations ethniques montagnardes de la province de Luang Namtha (#2) ... 117 Figure 4.4 : Culture du riz inondé dans la plaine de Muang Sing – Juin 2015 ... 118 Figure 4.5 : Culture du riz pluvial dans les collines de Muang Sing – Juin 2015 ... 118 Figure 4.6 : Terrain de pétanque dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015

... 119 Figure 4.7 : Aperçu d’une plantation de bananes, district de Sing – Juin 2015 ... 119 Figure 4.8 : Une antenne-relais de télécommunication à Luang Namtha – Juillet 2015

... 122 Figure 4.9 : Une vache attachée à une antenne de réception dans le village de Ban Van, district de Nalae – Juillet 2015 ... 122 Figure 5.1 : Territorialisations emboîtées et concurrentielles ... 126 Figure 5.2 : Délimitation d’une propriété dans le village de Mom, district de Sing – Juin 2015 ... 129

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Liste des abréviations

APD Aide Publique au Développement

ASEAN Association of Southeast Asian Nations (Association des nations de

l’Asie du Sud-Est) ASE Asie du Sud-Est AusAID Australian AID

BAD Banque Asiatique de Développement (Asian Development Bank) CRSH Conseil de recherche en sciences humaines du Canada

DoF Department of Forestry (RDP Lao)

DoM Department of Mining (RDP Lao)

FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food

and Agriculture Organization of the United Nations)

FMI Fonds Monétaire International

GMS Greater Mekong Subregion (Sous-Région du Grand Mékong)

GoL Government of Laos (RDP Lao)

GRL Gouvernement Royal Lao

GTZ Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit

ICEM International Centre for Environmental Management

IDE Investissement Direct Étranger

IRMA Intégration des Régions Montagneuses d’Asie IWGIA International Work Group for Indigenous Affairs

JICA Japan International Cooperation Agency

LCB Lao Coffee Board

LFAP Land and Forest Allocation Program

LFNC Lao Front for National Construction

LNTA Luang Namtha

MDGs Objectifs du Millénaire pour le Développement (Millenium Development

Goals)

MW Mégawatt

NGPES National Growth and Poverty Eradication Strategy

NME Nouveaux Mécanismes Économiques

NSEC North-South Economic Corridor (Corridor Économique Nord-Sud)

NT2 Nam Theun 2

NTFPs Non-Timber Forest Products (Produits Forestiers Non Ligneux)

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NZE Nouvelle Zone Économique

OECD Organisation for Economic Co-operation and Development

OING Organisation internationale non gouvernementale

OMC Organisation mondiale du commerce (World Trade Organization) OMS Organisation mondiale de la Santé

ONU Organisation des Nations Unies PBM Phu Bia Mining

PENH Projet d’écotourisme Nam Ha PIB Produit Intérieur Brut

PRC People’s Republic of China (République populaire de Chine) RDPL République démocratique populaire lao

RFD Royal Forestry Department

SWC Swiss Agency for Development and Cooperation

TRP Tropical Rainforest Programme

UICN Union Internationale pour la Conservation de la Nature

UNDP Programme des Nations Unies pour le développement (United Nations

Development Programme)

UNEP Programme des Nations Unies pour l’environnement (United Nations

Environment Programme)

UNFPA Fonds des Nations Unies pour la population (United Nations Population

Fund)

UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’enfance (United Nations Children’s

Fund)

UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) URSS Union des républiques socialistes soviétiques

UXO Unexploded Ordnance

WCS Wildlife Conservation Society

WFP Programme Alimentaire Mondial (World Food Programme) WWF World Wildlife Fund

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Remerciements

À cet instant où je rédige ces quelques dernières lignes, aboutissement d’un travail de plus de deux ans et demi, je prends le temps de me retourner et réalise avec émotion le parcours académique qu’il m’a été possible d’accomplir. Ce parcours, je le dois d’abord à mes parents et à leur appui inconditionnel, tant sur le plan moral que financier. Tous les mots du monde ne sauraient suffire pour vous remercier et vous dire à quel point je vous aime.

Je ne saurais également trop remercier mon directeur d’étude, le professeur Steve Déry, pour m’avoir offert l’opportunité de progresser dans mon cursus universitaire et pris sous son aile dès mes premiers jours au Québec. Sa bienveillance était d’autant plus appréciée qu’avant même d’aborder un projet portant sur la capacité d’adaptation des populations montagnardes en Asie du Sud-Est, j’ai dû mettre en pratique ma propre adaptation dans une région du monde que je ne connaissais pas. Dans ma position d’étudiant, je puis témoigner de ses remarquables compétences, de son parfait encadrement, de sa permanente disponibilité, de ses encouragements constants, de la qualité de ses conseils et de son professionnalisme exemplaire quant à la réussite de mes études supérieures. Ses heures consacrées à la lecture, la relecture, la correction et l’évaluation de mes travaux sont aussi d’autant plus redevables qu’elles constituent, comme l’a si bien formulé Romain Vanhooren dans son propre mémoire, il y a quelques années : « un véritable rempart contre l’erreur et l’imprécision ». Je désire par ailleurs remercier les autres évaluateurs de ce mémoire : les professeurs Jean Michaud et Matthew Hatvany.

Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude au Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada pour avoir intégralement financé, via les projets du professeur Déry, mes deux années de recherche de même que mon séjour de dix semaines au Laos et, sans quoi, rien n’aurait pu se matérialiser. Ce soutien financier m’a permis de vivre une expérience humainement et culturellement unique, une expérience dont je me souviendrai toute ma vie. Ma plus profonde gratitude s’adresse aussi à la Chaire en développement international de l’Université Laval pour m’avoir honoré du premier prix de l’édition 2016 du concours de photographies, pour le cliché réalisé à Muang Sing en juin 2015 (cf. Figure 4.4).

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Je dois aussi de nombreux remerciements à toutes les personnes sur le terrain qui, par leur aide et leur collaboration, m’ont permis de mener à bien ce projet. Avant tout, un grand merci à mon collègue et traducteur, Chansouk Vanpheangphan, pour son dynamisme et sa bonne humeur ; aux professeurs Saithong Phommavong et Somkhith Bouridam, pour leur encadrement ; à Karen McAllister, pour ses précieux commentaires ; à tous les fonctionnaires (Khonekeo Bannavong, Soupheang Silorvang, Vidadeth Khiosomphone, Saichay Leuangsavath, Bountham Inthapasert, Singthong Phakhounseang, Sounthone Unthala et Virason Dainhansa) pour les informations gracieusement partagées et le temps accordé ; puis à Karen et Andrej, propriétaires du

Bamboo Lounge Training Restaurant, pour leurs pizzas au feu de bois si réconfortantes

après ces dures journées de terrain.

Finalement, des remerciements s’imposent à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à ce mémoire et enrichi ma vie ces dernières années, au Canada et en France. À mon amie et collègue Joany Désaulniers, pour avoir partagé avec moi ce dur labeur qui est aussi le sien ; à mes colocataires, Olivier, Jean-Baptiste et Annick, pour votre simple présence ; à Kévin, pour ton aide sur ArcMap ; à tous mes amis de l’Université Laval, pour nos bons souvenirs d’étudiants ; et à mes amis proches, pourtant si loin physiquement, qui n’avez jamais cessé de croire en moi.

À vous tous, MERCI de m’avoir accompagné durant cette période de ma vie. Je vous en suis profondément reconnaissant.

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Introduction générale

Cette étude a pour cadre général l’Asie du Sud-Est continentale, et de façon plus spécifique, la province de Luang Namtha, située dans les régions montagneuses du nord-ouest du Laos. Elle s’intéresse aux minorités ethniques vivant dans cette province, et concerne des groupes dans le pays et du massif Sud-Est asiatique, vaste étendue de hautes terres présente dans l’ensemble des pays continentaux de la région : Birmanie, Cambodge, Chine, Laos, Thaïlande, Vietnam (Figure I). Ce territoire, qualifié plus récemment sous le nom de Zomia1 (van Schendel, 2002), s’étend sur quelque 2,5 millions de kilomètres carrés, et abrite des populations qui sont minoritaires dans chacun de leurs pays respectifs (McKinnon et Michaud, 2000 : 5-7 ; Michaud, 2006 : 2-5). Ces populations, estimées en 2008 à quelque 100 millions d’individus (Michaud et Forsyth, 2011 : 3), parlent des centaines de langues issues de cinq familles linguistiques et sont d’une variété ethnique impressionnante (Michaud, 2006 : 1).

1 Dérivé de zomi, un terme qui désigne les « highlanders in a number of Chin-Mizo-Kuki languages spoken in

Burma, India, and Bangladesh. Linguistics classify these languages as belonging to the very large family of Tibeto-Burman languages spoken all over Zomia » (van Schendel, 2002 : 653).

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Source : Scott, James C. (2009) The Art of Not Being Governed, p.17. (Adaptation par V. Rolland)

Figure I : La Province de Luang Namtha dans le massif Sud-Est asiatique (Zomia)

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a. Les prémices de la construction du Laos

Les changements politico-économiques opérés par l’État laotien durant les dernières décennies ont remodelé le visage désormais plus moderne du pays. Malgré son statut de pays le plus pauvre d’Asie du Sud-Est et des conditions jugées défavorables – telles qu’une situation enclavée et une succession de guerres durant la deuxième moitié du 20ème siècle (Devan, 1994) – le Laos parvient à opérer une métamorphose progressive jusqu’à aujourd’hui. Cette métamorphose va à l’encontre du pessimisme des perspectives de développement des nations les plus pauvres du monde. Deux éléments contextuels avantagent le Laos durant les années 1980-1990 : d’une part, sa proximité géographique à d’autres réformes à succès, telles que celles vécues au Vietnam ou en Chine et, d’autre part, l’absence de conflits majeurs (Bird et Hill, 2010 : 119). Tandis que le Laos se présente comme un pays ancien, à la fois par la somme de ses cultures et de ses traditions, sa construction en tant que tel est récente. Ce caractère récent s’observe aussi bien d’un point de vue temporel que spatial. Chronologiquement, sa construction débute en avril 1953, au moment de sa relative indépendance à l’intérieur de l’Union française. Mais ce n’est qu’en 1975 que le gouvernement actuel obtiendra un contrôle total sur son territoire (De Koninck, 2012 : 88-89). C’est aussi à partir de cette date que la construction du pays, sur le plan territorial, commence réellement. Désormais réunifié en 1975, le Laos sera rapidement soumis à une succession de mesures visant à administrer le territoire. Parmi ces mesures, l’une d’elle consiste à intégrer les régions montagneuses en marge du territoire national, comme la province de Luang Namtha, située au nord-ouest. Jusqu’alors, ces régions avaient été plus négligées par les autorités politiques, car elles étaient plus difficiles d’accès et à contrôler. Dorénavant, elles font l’objet d’un intérêt plus accentué (Baird, 2011), bien qu’elles aient déjà été convoitées durant l’occupation coloniale française, notamment sur les plans agricole et minier (Picard, 1947 : 58-77). Ce changement d’intérêt s’explique du fait qu’en Asie du Sud-Est, comme dans l’ensemble du monde décolonisé, l’enjeu primordial demeure la constitution puis la préservation d’une unité nationale, à partir des cadres créés par la colonisation. Il s’agit donc pour ces nouveaux États, comme au Vietnam (Déry, 1999), de s’approprier et de consolider leur territoire afin d’y apporter une cohésion nationale (Cot, 1962 : 4-5). Les populations vivant dans ces régions montagneuses sont ainsi depuis des siècles restées relativement isolées, mises à l’écart par la force ou de leur propre chef par les sociétés et les pouvoirs

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centraux installés dans les plaines (Michaud, 2000 ; Scott, 2009). Dans le cas du Laos, la superficie de ces régions « marginales » est considérable puisqu’elle concerne la « quasi-totalité du Laos au-dessus de la vallée du Mékong » (Michaud, 2006 : 5), à savoir : le Plateau du Yunnan au nord – qui comprend les frontières avec la Thaïlande, la Birmanie et la Chine – plus la Chaine Annamitique à l’est jusqu’au Plateau des Bolovens au sud – qui fait frontière avec le Vietnam.

Aux échelles nationales des pays d’Asie du Sud-Est, le monde rural, et plus particulièrement les périphéries montagneuses, font l’objet d’une attention particulière des gouvernements, notamment socialistes – Chine, Laos, Vietnam. Considéré à tort comme étant marginalisé, « where socio-economic change is slow and people are poor

and resistant to change » (McGee, 2011 : xii), le monde rural est également vu dans

cette période post-deuxième guerre d’Indochine comme le lieu où se concentre principalement les tensions, hors de portée des pouvoirs centraux (De Koninck, 2011 : 47). Dans un contexte de globalisation de l’Asie du Sud-Est, de modernisation et d’apparition de nouveaux États modernes, l’absence de contrôle détermine des actions. Des politiques interventionnistes sont alors mises en places, permettant à la fois aux États : (i) d’assoir leur légitimité sur leur territoire et de contrôler l’ensemble de la population (Déry, 2008 : 73 ; Déry, 2014 : 306) ; (ii) de favoriser une transition agraire (De Koninck et Rousseau, 2012). Au Laos, après quelques années de politiques procommunistes et de collectivisation des terres, qui n’auront pour conséquence que de davantage désarticuler le pays (Baird, 2011 : 22-23), l’État laotien fait preuve de souplesse et permet, au début des années 1980, la réapparition d’une économie de marché (Taillard, 1983). À partir des années 1990, l’État s’appuie sur des stratégies de développement rural, grâce à une aide financière internationale, en investissant dans les infrastructures publiques. Une série de programmes et de réformes sont mis en place et ont de larges répercussions les années suivantes. La transformation des pratiques agricoles, le développement des conditions d’accès aux soins et à l’éducation, et la réduction de la pauvreté rurale, constituent des exemples visant à l’intégration des minorités ethniques dans les systèmes agricoles et sociaux nationaux, et par découlement, celle des régions montagneuses. L’intégration est un processus qui se déroule dans un temps donné, processus qui induit des changements chez les populations touchées. Elle peut être déclenchée de l’intérieur ou de l’extérieur selon les cas. À tous les coups, ces changements déclenchent un processus concomitant

(18)

d’adaptation de la part des populations. Pour les montagnes du Laos, la capacité à s’adapter est d’autant plus mise à l’épreuve que l’intrusion de ces nouvelles politiques mise en œuvre dans le contexte local est rapide et brutale. En effet, sur une échelle de temps relativement réduite, les minorités ethniques sont : relocalisées vers les plaines, contraintes d’assimiler de nouvelles connaissances (agricoles ou autres), confrontées à l’apprentissage du fonctionnement de nouveaux systèmes d’ordres nationaux et internationaux, et exposées à de nouveaux enjeux. Ces changements influencent grandement le quotidien des populations montagnardes (Rigg, 2006a) ainsi que leur vision du monde extérieur (Ovesen, 2004). Dès lors, il est intéressant de se demander : Comment les minorités ethniques des régions montagneuses, en particulier celles de la province de Luang Namtha, se sont-elles adaptées aux projets de modernisation et de développement économique menés par l’État laotien ? Se sont-elles davantage retrouvées marginalisées par les projets nationaux et internationaux ? Désirent-elles même réellement être intégrées à ces projets ? Car pour Scott, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Zomia constituait une « zone-refuge », un « bastion géographique », où les populations cherchant à fuir l’expansion de l’État se sont dirigées, ne souhaitant ni être gouvernées, ni être assimilées : « hill peoples are best understood as runaway,

fugitive, maroon communities who have, over the course of two millennia, been fleeing the oppressions of state-making projects in the valleys » (2009 : 9). Dès lors, de quelle

manière les États prévoient-ils composer avec ces populations ethniques ?

La rapide modernisation du Laos orchestrée par l’État a progressivement permis l’intégration des régions montagneuses périphériques. Malgré la distance et la difficulté d’accès à ces régions, les pouvoirs centraux sont parvenus à appliquer des politiques spécifiques. Pour autant, ces politiques auxquelles les populations sont contraintes d’adhérer se sont révélées souvent inappropriées face aux réalités de la vie rurale. L’hypothèse générale suppose que le processus d’intégration des régions montagneuses du Laos crée des conditions qui modulent le rythme et la capacité d’adaptation des populations locales aux transformations socioéconomiques et politiques qui les affectent, ce qui devient un facteur de différentiation socioéconomique. Ceux qui n’y parviennent pas se retrouvent marginalisés par la société.

Dans cette veine, l’objectif général de la recherche est justement de contribuer à la vérification de l’hypothèse selon laquelle l’aptitude à maitriser en un temps restreint des outils et des connaissances relatifs aux nouveaux systèmes nationaux et

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internationaux facilitera le processus d’adaptation. Pour y parvenir, trois objectifs spécifiques sont visés. Premièrement, il s’agit de dresser un portrait des différentes interventions locales, nationales et internationales qui contribuent à intégrer les régions montagneuses du Laos, en utilisant une étude de cas dans la province de Luang Namtha. Deuxièmement, à l’échelle locale, il s’agira de tracer le portrait et de pondérer les facteurs qui contribuent à modifier la vitesse du processus d’intégration et celle de l’adaptation à ce même processus, en s’attardant aux outils de l’État dont la vulgarisation agricole2, l’éducation et la santé. Troisièmement, à l’échelle du foyer, il s’agira d’analyser les calendriers de travail et de présenter un portrait du budget-temps, de la province de Luang Namtha, utilisé pour arriver à maitriser l’énergie et l’information utiles dans les nouveaux systèmes territoriaux. Ce dernier objectif s’intéresse plus particulièrement à l’agriculture et à l’économie domestique, distinguant les genres et les groupes ethniques lorsque possible. Avant de répondre en détail à chacun de ces objectifs, il est avant tout nécessaire d’éclaircir certains concepts.

b. Cadre théorique et conceptuel

« Un concept n’a pas de définition en soi, c’est un instrument d’intelligibilité » (Schnapper, 2007 : 20) Cette étude s’articule sur trois niveaux géographiques principaux, constituant de la même sorte les concepts fondamentaux de la recherche. Tel que mentionné précédemment, l’intégration est un processus qui demande du temps. Dans ce processus, l’État est un acteur central du changement. Il contribue directement ou indirectement à l’intégration de ses régions périphériques au territoire national afin de consolider la légitimité de son pouvoir face au concert des nations (Déry, 2008 : 73). Pourquoi l’État motive-t-il l’intégration ? Comment parvient-il à mobiliser les savoirs et les compétences nécessaires à l’intégration des populations ? De quelle manière influence-t-il le rythme ou le degré du changement ? Et dans la même optique, quel est le rôle joué par certains « filtres » comme l’éducation ou la santé pour améliorer la capacité individuelle ou collective ? Des réponses à ces questions permettront de mieux comprendre, quel que soit son action ou son inaction, comment l’État, en tant que filtre, contribue à articuler le processus d’intégration. L’adaptation des minorités ethniques

2 Beaucoup moins importante au Laos qu’au Vietnam, la vulgarisation agricole est tout de même gardée ici dans

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aux transformations socioéconomiques de ce processus sont, d’un point de vue local, un phénomène qui demande du temps. Quelle est donc la capacité des populations à s’adapter au processus rapide de modernisation ? Dans quelle mesure seront-elles aptes à effectuer cette transition par leurs propres moyens ? Et si ce n’est pas le cas, d’où viennent les savoirs mobilisés pour l’adaptation et quelle est leur durée d’acquisition ? Comment leur est-il possible de s’adapter à un nouveau système ayant des caractéristiques qui leur sont au départ inconnues ? Qu’est-ce qui va leur permettre d’appréhender rapidement et efficacement ces changements ? Ou encore, quels facteurs contribuent à faire varier d’un individu, femme ou homme, et d’une communauté à l’autre, la durée de l’adaptation à un changement socioéconomique ? L’objectif est donc de contribuer à fournir des éléments de réponse à ces questions en examinant quelles sont les relations entre ces trois variables, au travers d’une étude de cas dans la province de Luang Namtha.

Au sens le plus strict, l’intégration peut être considérée comme « l’action

d’incorporer un élément dans un autre », terme qui se différencie de l’assimilation, qui

de son côté « renvoie à l’idée de rendre semblable » (Begag, 2003 : 5). Le concept d’intégration fait d’abord résonner à Durkheim (1893) et à sa théorie du « vouloir-vivre ensemble » dans les sociétés industrialisées, des sociétés qui ont une division du travail social forte. Malgré tout, l’objet de son travail n’incluait pas les notions d’espace ou de

territoire telles que conçues en géographie, mais davantage l’espace du point de vue de

la morphologie sociale. Durkheim ne s’intéressait pas à un espace géographique dans son ensemble mais plutôt aux éléments de l’espace géographique qui lui semblaient pertinents, à savoir : la densité dynamique et morale, le progrès technologique, et le volume des sociétés, qui contribuent à l’élaboration de sa théorie (Rhein, 2002 : 196). Aujourd’hui, l’intégration vue de cette manière est un concept qui s’est actualisé et décliné dans de nombreuses disciplines, comme en sociologie et en économie.

L’intégration spatiale – celle des frontières et des régions périphériques – est un processus qui a été étudié à plusieurs échelles, comme le rappelle Déry (2010a) : en Chine (Lattimore, 1940 ; Perkins, 1969), en Europe (Duby, 1973), aux États-Unis (Turner, 1963), et en Asie du Sud-Est (Pelzer, 1945 ; De Koninck, 1981 ; Hirsch, 1990). Selon Brunet, l’intégration, au sens géographique, se définit comme un « rassemblement d’éléments dans une unité nouvelle, ou incorporation d’un élément à

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l’intermédiaire d’un chef-lieu, […] un espace mal intégré est un espace dont les liens fonctionnent mal » (Brunet et al, 2009 : 281). Lévy et Lussault illustrent davantage ce

phénomène et parlent de « l’intégration d’une réalité A dans une réalité B lorsque A fait

clairement partie de B mais que B a été modifié par l’entrée de A » (2013 : 561). Au

Laos, ce processus d’intégration s’observe par l’incorporation des régions périphériques montagneuses dans un système national existant, en construction, pour qu’elles développent des relations et créent des liens avec l’appareil central.

Par ailleurs, au-delà de la notion d’espace, l’intégration renvoie également à un aspect

humain. Tel que précisé dans l’Encyclopédie Larousse (2016), l’intégration est une

« fusion d’un territoire ou d’une minorité dans l’ensemble national »3. Schnapper soutient cette idée en parlant d’intégration « des populations régionales ou des

marginaux [caractérisée par] la relation des individus ou d’un sous-système à un système plus large » (2007 : 68-69). Au Laos, les politiques d’intégration, à savoir les

dispositions prises par l’État pour faire appliquer sa volonté politique, visent notamment les populations ethniques minoritaires issues des régions montagneuses. La finalité de ces politiques, pour les populations montagnardes, pourraient consister en une participation « à la société globale par l’activité professionnelle, l’apprentissage des

normes de consommation matérielle, l’adoption de comportements familiaux et culturels, les échanges avec les autres [et] la participation aux institutions communes »

(ibid, 2007 : 69). Bien qu’intégration et assimilation soient des concepts initialement différents, l’intégration humaine pourrait être pourtant, dans le contexte laotien, synonyme d’assimilation des populations minoritaires à une population majoritaire, par l’abandon progressif de l’identité des premières. Néanmoins, cette intégration est un processus délicat pour l’État laotien, en particulier lorsque les populations ethniques minoritaires désirent perpétuer leurs traditions ancestrales et souhaitent préserver leurs valeurs culturelles et religieuses.

L’adaptation est un concept qui revient dans le vocabulaire de différentes disciplines et qui s’articule parfois d’une théorie à une autre, au sein d’une même discipline. Il s’agit donc d’un concept à la fois élastique et polysémique (Taché, 2003 : 16). L’appartenance du concept d’adaptation peut d’abord être attribuée aux sciences naturelles, en particulier au corpus de la biologie (Head, 2010), dont les travaux de

3

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Darwin qui portent sur les théories de l’évolution des espèces (Tremblay, 1992 : 6). L’adaptation pourrait alors être considérée comme « le processus par lequel […] un

système complexe [un organisme vivant] passe d’un niveau d’organisation à un autre niveau d’organisation, différent du précédent » (Taché, 2003 : 13), définition qu’on

pourrait compléter par un « advancement of reproductive chances » (Santangelo, 2000 : 8).

Après le 19ème siècle, l’adaptation se voit graduellement introduite dans les sciences humaines (anthropologie, psychologie, sociologie, etc.), lesquelles utilisent ce concept pour décrire les relations changeantes entre un individu et son environnement, « une

série de réajustements au moyen desquels l’individu tente de maintenir un équilibre »

(Tremblay, 1992 : 2). On parle dès lors d’adaptation humaine. Avec l’étude des êtres humains, qui appartiennent à une grande variété d’environnements, Haines souligne que les anthropologues ont divisé « the way people live into five major kinds of

adaptation », à savoir : foraging, horticulture, agriculture, pastoralism, et industrialism

(2005 : 18). Ces cinq manières de vivre (way of living), sont particulièrement pertinentes quant à l’évolution des modes de vie ruraux au Laos. En effet, dans les cadre des politiques d’intégration de l’État, les populations ethniques minoritaires doivent transformer leurs modes de vie et passer directement du foraging/hunting and gathering à celui d’agriculture, qui suppose « [to] further develop the domestication of plants,

usually specializing in a few crops that respond well to more intensive agriculture »

(ibid, 2005 : 19). Dans ce contexte, l’adaptation humaine pourrait se résumer à des changements dans un monde en perpétuel mouvement, une adaptation qui « n’implique

pas un état statique dans lequel l’individu se moule une fois pour toutes au monde qui l’entoure [mais où] la personne “adaptée” change avec les exigences de la vie, qui changent avec le temps » (Tremblay, 1992 : 1). Cette adaptation requiert aussi pour les

populations montagnardes d’apprendre de nouveaux langages, au sens propre et figuré (langue, monnaie, commerce, etc.), « comme il est indispensable de mobiliser de

nouvelles énergies [cf. concept de travail] » (Déry, 2010a : 6.4). Selon Head (2010), les

géographes disposent de quatre options pour étudier les phénomènes d’adaptation (cultural ecology) : « cultures et climat, pratiques quotidiennes, espace-temps à

plusieurs niveaux, nouvelle écologie et relations au-delà-des-humains (more-than-human) » (Déry, 2010a : 6.2). La présente étude s’intéresse aux deuxième et troisième

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La marginalisation se définit de son côté comme étant le processus qui contribue, volontairement ou non, à augmenter le degré de marginalité. La marginalisation peut être considérée comme le résultat d’une non-adaptation, d’un « [non-] ajustement d’un

organisme à son environnement » (Brunet et al, 2009 : 18). Malgré tout, qu’est-ce que

cela signifie d’être marginal ou d’être adapté ? Qu’est-ce qui différencie une personne marginale d’une personne adaptée ? Est-on nécessairement adapté si on se conforme aux attentes des autres ? Quatre études s’accordent pour affirmer l’importance de la prise en compte d’échelles et de systèmes dans la compréhension de la marginalité. Les processus d’intégration ayant parfois des effets marginalisant, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, l’approche d’une analyse systémique multi-niveaux peut contribuer à mieux définir ce concept (Déry et al, 2012). Par exemple, l’étude de Déry (2010a) a démontré que « the globalization, integration and commoditization processes have all

contributed to diminish the power of local people even in the sub-systems close to them » (Déry et al, 2012 : 10). De ce fait, il serait intéressant non pas de se demander

qu’est-ce qui engendre la marginalité, mais plutôt comment se déroulent les processus d’intégration ?

La modernisation est un concept incontournable en sciences sociales, politiques et économiques. Celui-ci fait référence à une étape particulière des transformations d’une société traditionnelle à une autre, plus moderne (Kosmicki et Pieńkowski, 2013 : 116). Après la Deuxième Guerre mondiale, le niveau d’accomplissement des pays de l’Europe de l’Ouest, tant sur les plans politique, économique et culturel, est qualifié de modernisation. Parallèlement, ce même niveau d’accomplissement aux États-Unis d’Amérique est qualifié d’Occidentalisation. Modernisation et Occidentalisation sont dès lors utilisées de façon interchangeable pour désigner le processus visant à introduire une idéologie capitaliste dans les pays africains et asiatiques, dans le but de prévenir les insurrections communistes (Abid, 2004 : 591). Black décrit les phases de la modernisation comme « (i) the challenge of modernity to traditional society, (ii) the

consolidation of modernising leadership as traditional leaders decline in significance, (iii) the transformation of economy and society from rural and agrarian to urban and industrial, and (iv) the integration of society » (Black, 1966 : 223). Malgré tout, Rigg

rappelle dans le cas du Laos que : « Living conditions in rural areas have remained

largely unchanged for several generations […] particularly in the case of ethnic minorities » (2005 : 19). Selon Wehling (1991), trois processus de modernisation

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peuvent être distingués : la modernisation évolutionnaire (dominante au 20ème siècle et basée sur l’idée de progrès), la modernisation technocratique, et la modernisation réfléchie (aussi appelée modernisation écologique). Au Laos, la modernisation tient davantage de l’évolutionnaire, car elle est synonyme de progrès, ou à tout le moins est présentée comme telle, mais on y trouve aussi des soubresauts de modernisation réfléchie, alors que le Laos utilise officiellement les principes du développement durable.

Enfin, la modernisation, engagée par la transition agraire dans la plupart des pays sud-est asiatiques, induit un lien intime avec le phénomène de mondialisation qui se caractérise par une libéralisation des échanges, des flux de capitaux, et la contraction de l’espace-temps grâce aux nouveaux moyens de communications (Boniface, 2015 : 178). Cette transition agraire, largement étudiée sur le plan académique, a « fait l’objet de

nombreuses interprétations selon les lieux, les points de vue disciplinaires, et les échelles auxquelles on se place. [Elle] renvoie à des transformations majeures dans l’agriculture et/ou de son rôle dans la société qui bouleversent les relations des hommes à leur milieu » (Castella, 2007 : 9). Concrètement, elle s’illustre par l’évolution

d’une société organisée et structurée autour de l’agriculture vers une société plus urbanisée, orientée vers les services et l’économie de marché (De Koninck, 2004a : 286). Ceci rejoint l’idée de la troisième phase de la modernisation décrite par Black (1966). L’agriculture perd ainsi sa fonction motrice dans les dynamiques territoriales (Rigg, 2006a), même si le part des produits agricoles destinés aux marchés économiques vient à augmenter.

Finalement, pour ce qui a trait au concept de travail, il s’agit de s’intéresser en particulier aux liens avec le territoire et le temps. Notre vision du travail se base essentiellement sur la vision définie par Raffestin et Bresso (1979) dans leur livre « Travail, espace, pouvoir ». Selon eux, le travail se définit comme « une combinaison

d’énergie et d’information, [un] couple […] complexe, puisque les deux éléments de cet ensemble sont distincts mais non dissociables », un couple forgé grâce à l’action

conjointe du cerveau et de la main (ibid, 1979 : 8-10). Autrement dit, dans cette recherche, il s’agit par exemple des efforts mis en œuvre par un individu pour maitriser les outils et les connaissances relatifs aux nouveaux systèmes nationaux et internationaux auxquels il doit participer. L’étude du budget-temps peut permettre de mieux comprendre comment se transforme cet investissement d’énergie et

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d’information, de ce travail, qui devient « l'enjeu d'une compétition, d'une lutte [et d’une adaptation] qui, au cours du temps, a pris des allures implacables » (ibid, 1979 : 11).

c. Plan de travail

Dans les premier et deuxième chapitres, l’objectif est de dresser un portrait des différentes interventions qui contribuent à l’intégration des régions montagneuses et de leurs populations. Tandis que le premier chapitre (État de la construction du Laos) s’intéresse à l’évolution géo-historico-ethnique du pays et aux politiques interventionnistes à l’échelle nationale ; le deuxième (Insertion nationale et provinciale

dans le système sud-est asiatique) se penche sur les processus

internationaux/transnationaux, puis provinciaux, qui participent à l’intégration de ces régions. L’intérêt de ces deux chapitres contextuels réside notamment dans leur approche spatiotemporelle et multiniveaux. Le troisième chapitre (L’intégration des

régions montagneuses et de la province de Luang Namtha aux nouveaux systèmes territoriaux et économiques) présente les résultats des enquêtes de terrain suivant quatre

grands thèmes et permet de mettre en lumière les facteurs qui contribuent à l’intégration des populations locales et leur adaptation à ce même processus. Le quatrième chapitre (Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha – Des impacts sur

l’utilisation du temps ?) propose, d’une part, une rétrospective de l’évolution des

rapports entre les pouvoirs des plaines et les populations montagnardes et analyse, d’autre part, dans la continuité des résultats des enquêtes de terrain, les calendriers de travail des paysans de la province de Luang Namtha. Finalement, le cinquième chapitre (Processus d’intégration et d’adaptation – Des éléments qui éclosent de la recherche) contribue à faire la synthèse de cette étude et met en lumière des aspects importants des processus d’intégration et d’adaptation.

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Chapitre 1 : État de la construction du Laos

1.1 Caractéristiques géographiques et héritage historique d’un pays pluriethnique

La construction du Laos s’explique suivant trois aspects intrinsèquement liés, à savoir : le géographique, l’historique et le démographique, dont un volet ethnique en particulier. Par ailleurs, s’intéresser à cette construction nécessite de prendre en compte plusieurs échelles d’analyse, qui varient de l’international au national.

1.1.1 Le Laos et l’Asie du Sud-Est continentale

La République démocratique populaire lao (RDPL), Laos, ou Sathalanalat

Paxathipatai Paxaxon Lao (Figure 1.1), est le seul pays enclavé de l’Asie du Sud-Est. Il

partage ses frontières avec cinq pays : au nord avec la République populaire de Chine, à l’est avec la République socialiste du Vietnam, au sud avec le Cambodge, à l’ouest avec la Thaïlande, et au nord-ouest avec la Birmanie. Avec une superficie de territoire de 236!800 kilomètres carrés, modestement plus que l’île de Grande-Bretagne (229 848

kilomètres carrés), le Laos est constitué principalement d’un relief montagneux. Le point culminant du pays est le Phou Bia (2 817 mètres), situé dans la chaîne Annamitique (Xai Phou Luang), au nord-est de la province de Vientiane. Ce territoire montagneux et accidenté est tel que seulement 4 à 6% des terres sont considérées comme arables (ADB et UNEP, 2004 : 17 ; Banque mondiale, 2016). Plus de 56% du territoire sont constitués de pentes supérieures à 35% (Pholsena, 2011 : 17) et seulement 10% de l’espace national se trouvent en dessous des 180 mètres d’altitude (Kislenko, 2009 : 1). Cette caractéristique offre ainsi aux populations plus de défis que d’opportunités sur le plan agricole. Au centre et au sud, là où les pentes sont moins raides, et les sols plus fertiles et moins acides, la culture du riz inondé devient plus adaptée. Au nord, avec une élévation moyenne de 500 mètres, la topographie du terrain est majoritairement escarpée, avec des vallées fluviales étroites, et un potentiel agricole faible en raison de l’acidité des sols. Beaucoup ont recours à l’agriculture itinérante pour survivre. Mais, selon certains, la forte dépendance de cette culture extensive à la distribution des pluies, dû au manque de maitrise de l’eau – à l’inverse de la riziculture irriguée –, peut représenter un risque pour les populations rurales (Trébuil et Hossain, 2000 : 283).

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Dans cette géographie, le fleuve Mékong, « grande artère indochinoise » (De Koninck, 2012 : 287), est un symbole incontournable du Laos. S’étirant sur plus de 4 350 kilomètres, avec un bassin versant de 795 000 kilomètres carrés et un débit annuel moyen de 14 700 mètres cubes par seconde à l’embouchure, il s’agit de loin du plus grand fleuve d’Asie du Sud-Est (ibid, 2012 : 38). Il forme le « principal ensemble

géographique de la zone [et] joue un rôle central depuis longtemps puisqu’il coïncidait déjà avec les contours de l’ancien empire d’Angkor » (Tertrais, 2014 : 48). Son axe met

en relation l’ensemble des pays de la région continentale, mais constitue aussi une source de tensions par le potentiel économique et l’immense ressource qu’il représente, et dont plus de 60 millions d’individus dépendaient au début des années 2000 (ADB et UNEP, 2004 : 38). Sur la façade ouest du Laos, le Mékong fait office de frontière avec la Thaïlande. Environ 80% du territoire du pays se trouvent à l’intérieur des limites du bassin hydrographique du Mékong et près de 34% du bassin inférieur de ce fleuve relève de la souveraineté laotienne. Bien que le fleuve sillonne le territoire laotien sur quelque 1 900 kilomètres, il n’aide pas à le désenclaver en raison des nombreux rapides qui empêchent sa navigation à partir de la mer (De Koninck, 2012 : 289).

S’agissant du couvert végétal du pays, d’après Taillard et Sisouphanthong, la couverture forestière peut être décrite de deux manières : d’une part, les types de forêts varient selon l’éventail pluviométrique ; d’autre part, les aires de déforestation varient selon les régions du pays. Avec des précipitations annuelles moyennes supérieures à 2 200 millimètres, poussent dans les provinces de Vientiane, Borikhamxai et Khammouan – au Centre – de Champassak, Attapeu et Xekong – au Sud – des forêts sempervirentes ou mixtes, et dans les provinces de Bokeo et Luang Namtha – au Nord-Ouest – des forêts décidues. Dans les provinces où les précipitations sont plus faibles, comme à Houaphan et Phongsali – au Nord-Est – des forêts sèches et des savanes arborées occupent le territoire (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 20-21).

En 1986, plus de 68% du territoire du Laos étaient couverts par les forêts (McKinnon et McKinnon, 1986 : 118). Mais en 1992, elles ne couvraient plus que 47% du pays selon certaines estimations (McKinnon, 1997 : 109). Outre l’évident souci de disponibilité et de durabilité des ressources forestières, on note des débats dans leurs définitions et leurs quantifications. Les déboisements réalisés par l’agriculture itinérante entrainent des transformations visuelles importantes dans le paysage. Mais l’État interprète cette pratique comme de la déforestation à long terme (Hyakumura et Inoue, 2006).

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L’apparition de bambouseraies et de recrus forestiers en sont les principales caractéristiques. Vanhooren explique que la notion de forêt n’est pas perçue par tous de la même manière, et les données qui y sont associées ne s’équivalent donc pas (Vanhooren, 2006 : 53-54). Par exemple, le International Centre for Environmental Management estime que « 80 percent of Lao is forested but more than half of this area

is extremely degraded and does not constitute forest cover » (ICEM, 2003 : 38). Il est

ainsi difficile de savoir exactement combien il reste de couvert forestier ; mais tous s’accordent à dire que son recul est incontestable jusqu’aux années 1990 (TRP, 2000 ; Lagerqvist, 2006 ; Hodgdon, 2006), comme dans le reste de l’Asie du Sud-Est continentale (Déry et Vanhooren, 2011). De la même manière, on observe un déclin de la biodiversité et des produits forestiers non ligneux (Duckworth et al, 1999 ; Nooren et Claridge, 2001 ; WCS et WWF, 2007).

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1.1.2 Tournants politiques : du royaume féodal au communisme libéral

La situation territoriale et politique de la RDPL s’explique par un enchaînement d’évènements qui, à partir du 17ème siècle, ont eu un impact déterminant sur le pays.

Ancien carrefour caravanier du commerce de la soie (Reid, 1999 : 127) et royaume du « Million d’éléphants », le Lan Xang (Weightman, 2011) a été divisé en 1690 en trois royaumes – Louangphrabang, Vientiane et Champassak – en raison de guerres de succession (Dommen, 1995 : 9). Sachant tirer profit de ces discordes, le royaume de Siam poursuit pendant toute cette période son expansion territoriale au détriment des Lao. Deux siècles auparavant, les Siamois avaient déjà fermé aux Lao l’accès au delta du Mékong en prenant le contrôle d’Angkor et d’une partie de l’empire khmer – à savoir l’actuel Cambodge (Taylor, 1992 : 163). La « marche vers le sud » et la « tendance quasi généralisée dans la péninsule [d’une] progression méridionale des

capitales vers les basses plaines et les deltas » (De Koninck, 2012 : 281) fut ainsi

arrêtée pour les Lao, confinés depuis à l’intérieur de la région continentale. En 1778, les Siamois prennent le contrôle de Vientiane et annexent les plaines fluviales de la rive droite du Mékong, amputant le principal support matériel rizicole, nécessaire au développement des Lao. De son côté, le royaume de Luang Phrabang privilégie la neutralité plutôt que le conflit face à l’envahisseur (Dommen, 1995 : 10). Avec la perte de ses territoires et un rapport de force déséquilibré face aux Siamois, les Lao ne pourront plus rivaliser, ni rattraper leur retard (Taillard, 1989 : 22-23). Il faudra attendre l’arrivée des coloniaux français au 19ème siècle pour que l’unité du royaume soit

partiellement restaurée. Le passé du pays explique donc que : « le Laos soit aujourd’hui

le pays le plus montagneux de la péninsule, [sans accès à la mer, et] soit désaxé par rapport au Mékong. Sa largueur atteint 500 km dans le Nord mais se réduit à 150 km à la hauteur de Thakhek dans le Centre, ce qui accentue les effets de l’étirement méridien et rend plus difficile l’intégration territoriale » (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 12).

Après avoir été plus de cinquante ans sous protectorat français (1893-1945), le Laos traverse trente années de guerres civiles, déchiré entre les régimes communistes et libéraux. Ces guerres laissent le pays dans un état économiquement et humainement accablant (Barbier, 1975 ; Devan, 1994). Outre un taux d’inflation supérieur à 100% en 1975 (Chanda, 1982 : 117), les bombardements américains durant la guerre du Vietnam ont forcé le déplacement de quelque 730 000 personnes au Laos – le quart de la population de 1973 – et engendré la mort de plus de 200 000 autres (Devillers et al,

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2016). Par ailleurs, entre 1963 et 1975, près de 414 000 personnes ont aussi fui à l’étranger (ibid, 2016). Durant ces années de guerre, le pays s’est replié sur lui-même et est demeuré en marge, malgré l’aide internationale (Phraxayavong, 2009). À la suite de l’abdication du Roi Savang Vatthana et de l’arrivée au pouvoir du Pathet Lao (« le pays lao ») en 1975, le gouvernement communiste se retrouve aux commandes de l’un des dix pays les plus pauvres au monde (Pholsena, 2011 : 68-70). C’est dans ces conditions que la RDPL débute sa difficile construction nationale.

À partir de 1975, l’État laotien s’efforce de répondre aux priorités du pays : assurer d’une part la sécurité alimentaire (Fullbrook, 2010 : 7) d’une population dont le taux de croissance est alors estimé à environ 2% par année (Banque mondiale, 2016), et remédier d’autre part à un endettement chronique (Fry, 2008 : 786). Par ailleurs, les processus de réunification territoriale et de transition politique s’accompagnent rapidement d’une fermeture temporaire de la frontière thaïlandaise et d’un arrêt brutal de l’aide économique américaine. Les États-Unis avaient injecté entre 1955 et 1975 environ 50 millions de dollars par an (Evans, 1988 : 8), soit près de 875 millions de dollars en vingt ans (Phraxayavong, 2009 : 104). Face aux difficultés économiques rencontrées, et étant donnée l’orientation idéologique du nouveau régime, la collectivisation des terres et des biens (Bouté et Pholsena, 2012) apparaît comme la seule solution pour surmonter la crise. Par ces changements politiques et économiques, le régime cherche autant à restructurer la société en profondeur qu’à effacer son héritage historique, encore symboliquement ancré dans l’ancienne monarchie (Pholsena, 2011). Mais cette première phase de gestion socialiste du système économique menée par les autorités n’aura pour conséquence que d’aggraver un bilan d’ores et déjà désastreux, ne permettant pas par la suite d’aboutir aux objectifs espérés (Devillers et al, 2016). L’échec de la collectivisation est alors essentiellement causé par une économie nationale fractionnée, décrite par Kaysone Phomvihane, président de l’époque de la RPDL, comme une combinaison de « central economy and local economies » (Heenan et Lamontagne, 2001 : 147). De plus, la structure méridienne du pays ne privilégie pas une gestion territoriale centralisée (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 13). Ainsi, après dix années de politiques procommunistes, les autorités laotiennes adoptent des réformes de grande envergure (Bourdet, 1992a), dans un climat où l’éventuelle chute du bloc soviétique, marquant la fin de la Guerre froide (Brown, 1993), invite le pays dans une nouvelle ère économique basée sur le modèle néo-capitaliste (Devan, 1994). En 1986, le

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IVème congrès du Parti communiste marque le début de la transition du pays vers une économie de marché encadrée et ouverte au commerce international, connue sous le nom de chin thanakaan mai (« new thinking »), ou Nouveau Mécanisme Économique (NME). Le Laos emprunte finalement la voie du développement économique (Rigg, 1995a). Cette réforme ne se manifeste pas de manière isolée puisque, la même année, le gouvernement vietnamien lance sa politique du Doi Moi, ou politique du renouveau (Pholsena et Banomyong, 2006 : 26). Mais, comme en Chine et au Vietnam, la libéralisation économique au Laos ne s’est pas accompagnée par « an equivalent

political liberalization and democratization », car le Parti communiste maintient le

monopole de son pouvoir politique (Fry, 2008 : 788), ce que Stuart-Fox décrit aussi comme une « perestroïka without glasnost » (1991 : 5). Cette libéralisation économique, très étudiée sur le plan académique (Bourdet, 1992b ; St John, 2006 ; Rigg, 2009 ; Baird, 2011), passe notamment par l’augmentation de l’autonomie financière et administrative des autorités provinciales, la suppression des subventions et du contrôle étatique sur la plupart des biens et services, l’adoption d’un taux de change officiel lié aux marchés, et la libéralisation des régulations sur les échanges extérieurs et les investissements étrangers (Bird et Hill, 2010 : 119). Comme décrites par Kaysone Phomvihane, les réformes du NME permettront de passer de « economic operations

which are based on wishful thinking and administrative orders from top levels » à un « socialist economic accounting ». Ce nouveau système fait ainsi appel à l’autogestion

et à la responsabilité des entreprises nationales comme étrangères (St-John, 2006 : 181). Entre 1989 et 1992, le PIB hausse en moyenne de 7% par année, l’inflation passe de 76% à approximativement 7%, et le taux de change se stabilise sur les marchés (Devan, 1994 : 45-46). En somme, l’économie laotienne connait à partir des années 1990 de bonnes performances qui favorisent le développement du pays (Pholsena, 2011 : 129), et cela, malgré la crise financière et économique de 1997, car le pays n’était encore que très peu branché sur le marché mondial. L’arrivée au pouvoir du nouveau régime et les enjeux économiques de l’époque ont mené le Laos à subir de profondes transformations, également visibles dans la classification ethnique de la population du pays.

1.1.3 De la majorité aux minorités : un pays pluriethnique

Avec une population évaluée en 2014 à 6 689 300 individus et une densité moyenne de 29 habitants par kilomètre carré (Banque mondiale, 2016), le Laos

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représente un « véritable creux démographique dans la péninsule indochinoise » (De Koninck, 2012 : 280). On peut dire ainsi, par comparaison, que la population totale du Laos est équivalente à la population d’une préfecture chinoise4. Le premier tiers de la

population se concentre dans la vallée du Mékong, principalement dans quatre villes : Vientiane, Luang Prabang, Savannakhet et Pakse (Kislenko, 2009 : 5). Un autre tiers vit le long de rivières comme la Nam Ou, la Set Don et la Nam Seuang (Evans, 2002 : 20-24). Mais ce faible poids démographique n’exclut pas pour autant une grande diversité ethnolinguistique et culturelle, décrite par Ovesen comme « the outcome of historical

migrations and colonization over centuries » (2004 : 215). La question du nombre de

groupes ethniques (sonphao en laotien) présents au Laos a été fréquemment débattue, depuis plusieurs décennies.

Au cours des années 1950, après l’indépendance du gouvernement royal lao (GRL) en 1953, la classification de la population s’est construite selon trois grandes catégories géo-ethniques ayant pour référence l’altitude de l’habitat : Lao Loum, Lao Theung, Lao Soung, respectivement, les Lao qui vivent dans les plaines, sur les pentes des montagnes, et sur les cimes des montagnes (Pholsena, 2009 : 65). Cette tri-classification en « Lao » – d’ordre politique plutôt que culturelle – avait alors pour but de souligner que tous les groupes ethniques du Laos étaient premièrement des Laotiens, ce qui signifie des citoyens du Laos (Michaud, 2006 : 135). L’initiative de cette classification résulte principalement du fait qu’à cette époque « there is developing awareness in the

government of its responsibilities toward the hill people » (Osborn, 1967 : 270). En

1975, lorsque la RDPL est proclamée, le gouvernement doit faire face à des situations complexes et souvent périlleuses pour l’avenir du pays. Soucieux de préserver son unité territoriale et d’éviter une implosion sociale face aux divisions ethniques, le gouvernement prône l’unité du peuple (Ireson et Ireson, 1991 : 926) avec des discours sur l’égalité entre les ethnies et la reconnaissance d’une diversité (Pholsena, 2009 : 67). Mais, conformément aux valeurs idéologiques du régime, cette unité se traduit aussi par la création du New Socialist Man, la référence identitaire à laquelle la population doit se conformer (Doré, 1982 ; Daviau, 2011). Ainsi, l’identité Lao-Tai est activement promue comme la norme culturelle qui permettra d’unifier les différentes ethnies de la nation –

sonsaat en laotien (Michaud, 2009 : 33). Dans ses écrits sur le problème national et

4 Pour reprendre une comparaison pédagogique faite par Jean Michaud, anthropologue à l’Université Laval, qui

compare la population du Laos à celle d’une province vietnamienne et celle du Vietnam à une province chinoise ; donc, celle du Laos à une préfecture chinoise.

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ethnique, le président Phomvihane (1981) reprend les fondements staliniens de la nation (нация/natsiya en russe), définie comme : « a historically evolved, stable community of

people, language, territory, economic life, and psychological make-up manifested in a community of culture » (Staline, 1936 : 5-8). Se basant sur ces cinq caractéristiques, la

stratégie de l’État laotien consiste donc, d’une part, à unifier sa population, mais également, d’autre part, à la contrôler : « Lénine lui-même affirmait qu’une période

‘d’égalité nationale’ et de ‘floraison des nations’ était nécessaire afin de dissiper les antagonismes et les haines entre les communautés. […] La concession accordée aux identités nationales et ethniques n’était en somme qu’une étape vers l’assimilation que Lénine jugeait progressive et inéluctable » (Pholsena, 2009 : 67-68). La question

ethnique, en particulier celle attachée aux ethnies minoritaires, fait donc l’objet de constructions idéologiques nationales (Formoso, 2006) et cette logique d’assimilation est également à l’œuvre en Chine (Keyes, 2002 ; Tapp, 2002) et au Vietnam (Michaud, 2000 ; Pelley, 2002).

Au début des années 1980, le gouvernement laotien s’attèle à une nouvelle organisation de la diversité et abandonne la tri-classification, jugée par Phomvihane comme devenue inadéquate. En plus de répondre à des impératifs politiques et idéologiques, le recensement du gouvernement a pour objectif d’échapper à un émiettement de la population et de restreindre la liste des noms, établie au cours des années 1960 à quelque 200 (Pholsena, 2009 : 69), puis ramenée à 68 en 1972 (Goudineau, 2000 : 22). Pour le recensement de 1995, 47 groupes sont retenus.Mais en 2005, le Lao Front for National Construction (LFNC) réajuste la liste et recense 49 groupes, dont plus de 160 sous-groupes ethniques (GoL, 2006a : 3 ; McAllister, 2013 : 169). L’Assemblée nationale reconnaîtra officiellement cette liste en novembre 2008. Cette décision se base sur deux piliers staliniens, la langue et la culture, plus la prise en compte des origines historiques des groupes de peuplement (Allen, 2006 : 316-317). La tri-classification en « Lao » n’est donc plus utilisée aujourd’hui, mais demeure en tant que symbole, sous l’apparence des trois sœurs Lao, comme sur les billets de banque de 1000 kips (Figure 1.2). Ces 49 groupes (Erni, 2014 : 305) se répartissent dans cinq familles ethnolinguistiques5 : les Lao-Tai – ou Tai-Kadai – (66,2% de la population

5 Le gouvernement laotien (GoL) présente pour sa part une classification en quatre grandes familles

ethnolinguistiques, classification à laquelle se fie l’ONU (UNDP) : Lao-Tai (64,9%), Mon-Khmer (23,5%), Hmong-Mien (8,7%), et Sino-Tibétains (GoL et UNDP, 2009 : 42). Compte tenu de l’évolution démographique du pays, en particulier dans le nord et dans la province de Luang Namtha, il convient plutôt de s’aligner sur la classification de Michaud que sur celle du gouvernement laotien.

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