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Chapitre 1 : État de la construction du Laos

1.1 Caractéristiques géographiques et héritage historique d’un pays

1.1.2 Tournants politiques : du royaume féodal au communisme libéral

La situation territoriale et politique de la RDPL s’explique par un enchaînement d’évènements qui, à partir du 17ème siècle, ont eu un impact déterminant sur le pays.

Ancien carrefour caravanier du commerce de la soie (Reid, 1999 : 127) et royaume du « Million d’éléphants », le Lan Xang (Weightman, 2011) a été divisé en 1690 en trois royaumes – Louangphrabang, Vientiane et Champassak – en raison de guerres de succession (Dommen, 1995 : 9). Sachant tirer profit de ces discordes, le royaume de Siam poursuit pendant toute cette période son expansion territoriale au détriment des Lao. Deux siècles auparavant, les Siamois avaient déjà fermé aux Lao l’accès au delta du Mékong en prenant le contrôle d’Angkor et d’une partie de l’empire khmer – à savoir l’actuel Cambodge (Taylor, 1992 : 163). La « marche vers le sud » et la « tendance quasi généralisée dans la péninsule [d’une] progression méridionale des

capitales vers les basses plaines et les deltas » (De Koninck, 2012 : 281) fut ainsi

arrêtée pour les Lao, confinés depuis à l’intérieur de la région continentale. En 1778, les Siamois prennent le contrôle de Vientiane et annexent les plaines fluviales de la rive droite du Mékong, amputant le principal support matériel rizicole, nécessaire au développement des Lao. De son côté, le royaume de Luang Phrabang privilégie la neutralité plutôt que le conflit face à l’envahisseur (Dommen, 1995 : 10). Avec la perte de ses territoires et un rapport de force déséquilibré face aux Siamois, les Lao ne pourront plus rivaliser, ni rattraper leur retard (Taillard, 1989 : 22-23). Il faudra attendre l’arrivée des coloniaux français au 19ème siècle pour que l’unité du royaume soit

partiellement restaurée. Le passé du pays explique donc que : « le Laos soit aujourd’hui

le pays le plus montagneux de la péninsule, [sans accès à la mer, et] soit désaxé par rapport au Mékong. Sa largueur atteint 500 km dans le Nord mais se réduit à 150 km à la hauteur de Thakhek dans le Centre, ce qui accentue les effets de l’étirement méridien et rend plus difficile l’intégration territoriale » (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 12).

Après avoir été plus de cinquante ans sous protectorat français (1893-1945), le Laos traverse trente années de guerres civiles, déchiré entre les régimes communistes et libéraux. Ces guerres laissent le pays dans un état économiquement et humainement accablant (Barbier, 1975 ; Devan, 1994). Outre un taux d’inflation supérieur à 100% en 1975 (Chanda, 1982 : 117), les bombardements américains durant la guerre du Vietnam ont forcé le déplacement de quelque 730 000 personnes au Laos – le quart de la population de 1973 – et engendré la mort de plus de 200 000 autres (Devillers et al,

2016). Par ailleurs, entre 1963 et 1975, près de 414 000 personnes ont aussi fui à l’étranger (ibid, 2016). Durant ces années de guerre, le pays s’est replié sur lui-même et est demeuré en marge, malgré l’aide internationale (Phraxayavong, 2009). À la suite de l’abdication du Roi Savang Vatthana et de l’arrivée au pouvoir du Pathet Lao (« le pays lao ») en 1975, le gouvernement communiste se retrouve aux commandes de l’un des dix pays les plus pauvres au monde (Pholsena, 2011 : 68-70). C’est dans ces conditions que la RDPL débute sa difficile construction nationale.

À partir de 1975, l’État laotien s’efforce de répondre aux priorités du pays : assurer d’une part la sécurité alimentaire (Fullbrook, 2010 : 7) d’une population dont le taux de croissance est alors estimé à environ 2% par année (Banque mondiale, 2016), et remédier d’autre part à un endettement chronique (Fry, 2008 : 786). Par ailleurs, les processus de réunification territoriale et de transition politique s’accompagnent rapidement d’une fermeture temporaire de la frontière thaïlandaise et d’un arrêt brutal de l’aide économique américaine. Les États-Unis avaient injecté entre 1955 et 1975 environ 50 millions de dollars par an (Evans, 1988 : 8), soit près de 875 millions de dollars en vingt ans (Phraxayavong, 2009 : 104). Face aux difficultés économiques rencontrées, et étant donnée l’orientation idéologique du nouveau régime, la collectivisation des terres et des biens (Bouté et Pholsena, 2012) apparaît comme la seule solution pour surmonter la crise. Par ces changements politiques et économiques, le régime cherche autant à restructurer la société en profondeur qu’à effacer son héritage historique, encore symboliquement ancré dans l’ancienne monarchie (Pholsena, 2011). Mais cette première phase de gestion socialiste du système économique menée par les autorités n’aura pour conséquence que d’aggraver un bilan d’ores et déjà désastreux, ne permettant pas par la suite d’aboutir aux objectifs espérés (Devillers et al, 2016). L’échec de la collectivisation est alors essentiellement causé par une économie nationale fractionnée, décrite par Kaysone Phomvihane, président de l’époque de la RPDL, comme une combinaison de « central economy and local economies » (Heenan et Lamontagne, 2001 : 147). De plus, la structure méridienne du pays ne privilégie pas une gestion territoriale centralisée (Taillard et Sisouphanthong, 2000 : 13). Ainsi, après dix années de politiques procommunistes, les autorités laotiennes adoptent des réformes de grande envergure (Bourdet, 1992a), dans un climat où l’éventuelle chute du bloc soviétique, marquant la fin de la Guerre froide (Brown, 1993), invite le pays dans une nouvelle ère économique basée sur le modèle néo-capitaliste (Devan, 1994). En 1986, le

IVème congrès du Parti communiste marque le début de la transition du pays vers une économie de marché encadrée et ouverte au commerce international, connue sous le nom de chin thanakaan mai (« new thinking »), ou Nouveau Mécanisme Économique (NME). Le Laos emprunte finalement la voie du développement économique (Rigg, 1995a). Cette réforme ne se manifeste pas de manière isolée puisque, la même année, le gouvernement vietnamien lance sa politique du Doi Moi, ou politique du renouveau (Pholsena et Banomyong, 2006 : 26). Mais, comme en Chine et au Vietnam, la libéralisation économique au Laos ne s’est pas accompagnée par « an equivalent

political liberalization and democratization », car le Parti communiste maintient le

monopole de son pouvoir politique (Fry, 2008 : 788), ce que Stuart-Fox décrit aussi comme une « perestroïka without glasnost » (1991 : 5). Cette libéralisation économique, très étudiée sur le plan académique (Bourdet, 1992b ; St John, 2006 ; Rigg, 2009 ; Baird, 2011), passe notamment par l’augmentation de l’autonomie financière et administrative des autorités provinciales, la suppression des subventions et du contrôle étatique sur la plupart des biens et services, l’adoption d’un taux de change officiel lié aux marchés, et la libéralisation des régulations sur les échanges extérieurs et les investissements étrangers (Bird et Hill, 2010 : 119). Comme décrites par Kaysone Phomvihane, les réformes du NME permettront de passer de « economic operations

which are based on wishful thinking and administrative orders from top levels » à un « socialist economic accounting ». Ce nouveau système fait ainsi appel à l’autogestion

et à la responsabilité des entreprises nationales comme étrangères (St-John, 2006 : 181). Entre 1989 et 1992, le PIB hausse en moyenne de 7% par année, l’inflation passe de 76% à approximativement 7%, et le taux de change se stabilise sur les marchés (Devan, 1994 : 45-46). En somme, l’économie laotienne connait à partir des années 1990 de bonnes performances qui favorisent le développement du pays (Pholsena, 2011 : 129), et cela, malgré la crise financière et économique de 1997, car le pays n’était encore que très peu branché sur le marché mondial. L’arrivée au pouvoir du nouveau régime et les enjeux économiques de l’époque ont mené le Laos à subir de profondes transformations, également visibles dans la classification ethnique de la population du pays.