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Chapitre 4 : Transformations et adaptation des populations à Luang Namtha –

4.1 Dynamique des systèmes territoriaux et adaptation locale suivant les

4.1.4 Les débuts du régime communiste (1975-1995)

De 1975 à 1995 s’initiait une première phase de gestion du pays par le Pathet Lao. Dès les débuts du régime, le secteur agricole s’imposait comme une priorité, afin de garantir « the peaceful construction of the country » (Luther, 1983 : 40). Cette priorité répondait aussi à l’urgence d’assurer la sécurité alimentaire du pays, car l’aide financière américaine s’était brutalement interrompu et la Thaïlande avait imposé un embargo sur les exportations vers le Laos – alors que 70% des importations du Laos en provenaient (Pholsena, 2011 : 137). En 1976, deux mesures – qui satisfaisaient tant des raisons économiques qu’idéologiques – furent prises : d’une part, « l’établissement d’un

monopole étatique sur le commerce » et, d’autre part, « la mise en place des impôts agricoles », permettant, in fine, une mobilisation de la production et des populations

ainsi qu’une collectivisation des terres (Taillard, 1983 : 127). En 1978, cette collectivisation s’accélérait avec le lancement du « mouvement des coopératives » (ibid, 1983 : 130) et voyait germer en l’espace d’un an plus de 2800 coopératives (Stuart-Fox, 1980 : 284). En 1979, la province de Luang Namtha comptait 59 coopératives (2,4% à

l’échelle du pays), un nombre plutôt faible comparativement à d’autres provinces comme Champassak et Khammouane, qui en comptaient respectivement 304 et 433 (Schiller et al, 2006 : 15). Mais ces dispositions politiques brutales furent mal accueillis dans les campagnes en raison de « l’atteinte portée par les coopératives à

l’organisation de la société villageoise [et qui] pour la première fois, donnait au pouvoir central les moyens de s’emparer du pouvoir villageois et d’y imposer les cadres du parti » (Taillard, 1983 : 130-131). Sans surprise, « the result was widespread peasant opposition, even to the point of burning crops and leaving the country »

(Stuart-Fox, 1981 : 47). Face à cette situation, Taillard décrit :

Interprété comme une série d’actes de dissidence portant atteinte à la sécurité nationale, le refus prit une dimension politique dans une paysannerie jusqu’alors peu politisée. Le lien avec la sécurité nationale devint évident lorsque les populations montagnardes se virent contraintes de s’installer en plaine, et de former, à leur tour, des coopératives.

Ainsi, en un peu plus de deux années, […] le nouveau régime avait-il perdu pour une bonne part la confiance de la paysannerie. Pourtant il l’a connaissait bien pour s’être appuyé sur elle pendant toute la durée de la guerre de libération (1983 : 131).

Les réformes de la collectivisation se soldèrent par un lourd échec, car « faute de

moyens de productions vraiment nouveaux, la constitution des coopératives »

(Dufumier, 1980 : 825) s’avérait aussi bien hâtive que trop prématurée. Ceci avait, entre autres, contraint le Comité central à annoncer en 1979 l’arrêt de la collectivisation et à rétablir, en 1980, la libre circulation des marchandises (Stuart-Fox, 1980 : 296-298). Dès lors, à compter du début des années 1980, l’accent n’était plus tant porté sur la sécurité mais davantage sur la construction économique du pays, débouchant en 1986 sur les réformes des NME. Ces réformes – destinées à transformer l’économie socialiste en économie socialiste de marché –, qui amélioraient nettement les perspectives du secteur agricole (Bourdet, 1995 : 170), auraient dû aussi, à terme, améliorer les conditions des minorités ethniques montagnardes. Mais c’était sans compter, dès 1987, le début de la coopération entre les Etats-Unis d’Amérique et le Laos pour la lutte contre la culture du pavot dans les régions montagneuses (Auclair, 1995 : 292). En l’espace d’une vingtaine d’années, grâce à des mesures très strictes, la production de pavot chutait d’environ 380 tonnes en 1989 à moins de 9 tonnes en 2007 (Cohen, 2009 : 425). Mais ces « aggressive forced eradications […] were unaccompanied with

exacerbated some fundamental drivers of drug production, namely poverty and food insecurity » (Listerman, 2014 : 88-90). Couplées aux politiques de relocalisation dans

les plaines et de changement des pratiques agricoles, dès le début des années 1990, les actions de l’État laotien n’auraient, selon Listerman, « only further delegitimize and

weaken the government’s writ in affected areas [and] served to amplify the damage to highland communities, increasing the likelihood of resurgent opium production »

(2014 : 90-91).

À partir de l’analyse de ces quatre périodes de temps, de 1780 à 1995, il a donc été possible de donner un aperçu des relations, changeantes, entre les systèmes politico- économiques de l’époque et les populations montagnardes plus ou moins intégrées dans ces systèmes (Tableau 5.1). Selon les contextes, ces populations pouvaient tantôt être considérées comme des esclaves (période de vassalité) ou des alliés militaires de choix (guerre d’Indochine). Par ailleurs, leurs moyens de subsistance et leurs productions agricoles se sont adaptés aux besoins de l’époque, des changements semble-t-il plus souvent imposés de force que selon leur gré. Par ricochet, leur utilisation du temps s’en est également trouvée modulée. Désormais, depuis la fin des années 1990, les populations montagnardes sont intégrées dans un nouveau système économique, avec une dynamique territoriale plus vaste que jamais auparavant. Ce système économique correspond à celui de la mondialisation, un système où les populations montagnardes deviennent des intermédiaires dans un processus qui répond à des besoins aussi bien nationaux qu’internationaux. En définitif, ces populations montagnardes sont vouées à devenir des « paysans du monde » (Malassis, 2006). Malgré tout, quels changements cela implique-t-il pour ces paysans du monde ? Comment le temps et le travail se trouvent-ils réorganisés à l’échelle locale ? Pour répondre à ces enjeux, il nous a été possible d’établir, grâce à nos enquêtes de terrain dans la province de Luang Namtha, des calendriers de travail. Ces calendrier peuvent notamment donner matière à réflexion quant à l’utilisation et à la répartition du temps suivant les mois. Il s’agit ainsi de mettre en évidence les activités qui consomment le plus de temps, et celles qui vont venir en remplacer d’autres.

Tableau 4.1 : Récapitulatif des relations entre les populations montagnardes et les systèmes territoriaux, suivant les périodes, de 1780 à 2015

Périodes Systèmes territoriaux (en italique) et transformations Subsistance et adaptations à l’échelle locale

1780-1896 Vassalité birmano-siamoise - Relation d’interdépendance Tai-Lue/Kha

- Commerce caravanier transfrontalier

- Produits forestiers et animaliers - Riz, maïs, tabac, coton, pavot

- Artisanat et commerce transfrontalier

1896-1945

Domination coloniale française

- Réorganisation administrative du territoire

- Mise en valeur coloniale et exploitation des ressources - Établissement de taxes et imposition de travaux de corvée - Insertion du marché capitaliste occidental (érigé en modèle)

- Produits forestiers et animaliers

- Riz, maïs, tabac, coton, extension du pavot - Artisanat et commerce colonial et transfrontalier

1945-1975

Guerres d’Indochine : chaos politique et conflits régionaux

- Opposition idéologique libéralisme/communisme - Sollicitation militaire des populations montagnardes - Destructions matérielles et déplacements de populations

- Produits forestiers et animaliers

- Riz, intensification significative du pavot

- Perturbation importante des échanges commerciaux

1975-1995

Le Pathet Lao : implantation du système communiste

- Contrôle, répressions et déplacements des populations - 1976 : Collectivisation des biens et des terres

- 1986 : Réformes économiques d’envergure (NME) - 1987 : Début coopération USA/Laos contre le narcotrafic

- Produits forestiers et animaliers

- Riz, réduction significative du pavot/peu d’alternatives durables - Commerce temporairement régulé par l’État

1995-2015

L’intégration récente : régions montagneuses et minorités

- 1996 : LFAP ; Mise en place des aires protégées - 1997 : Adhésion à l’ASEAN

- 2004 : National Growth and Poverty Eradication Strategy - Sédentarisation des populations et développement rural - Développement du tourisme international

- Réduction de l’accès aux forêts et aux NTFPs

- Réduction de l’agriculture itinérante/persistance du riz pluvial - Développement des cultures commerciales (hévéa, banane etc.) - Accès aux marchés nationaux/internationaux