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7. A NALYSE

7.1. L ES INEGALITES ENTRE LES FILLES ET LES GARÇONS

7.1.5 Point de vue après l’activité

Avec l’analyse des deuxièmes entretiens, nous allons voir si un changement de conceptions s’est opéré après avoir mené l’activité en classe. Nous verrons de plus quelles réactions sont suscitées par l’information que les recherches scientifiques démontrent la présence d’inégalités de sexe à l’école. Rappelons ici que le deuxième entretien a été mené avec huit enseignantes.

Changement de perception

Après avoir pris connaissance de la brochure et avoir mené une activité avec leur classe, la plupart des enseignantes affirment que cela ne change pas leurs perceptions et leurs conceptions quant au thème de l’égalité entre les filles et les garçons. Toutefois, plusieurs enseignantes ne répondent pas par rapport à leurs conceptions d’égalité, mais par rapport à leurs élèves, comme Mme C. : « Pour le moment, je n’arriverais pas tellement à dire par rapport à cette activité parce que c’est récent et je pense que ça met du temps et il n’y a pas tous les enfants qui prennent conscience. » (entretien 2, p. 5, l. 28-29). Les enseignantes perçoivent les stéréotypes et conceptions des élèves plutôt que les leurs. Cela découle probablement du fait qu’elles estiment l’école égalitaire. Dès lors, l’inégalité doit provenir de l’extérieur de l’institution.

Seule une enseignante change de perception. Mme CC., qui était consciente que l’école participe aux inégalités de sexe, a été surprise par les réponses de ses élèves lors de l’activité menée, elle pensait que les points de vue seraient beaucoup plus stéréotypés : « Si je me fie juste à cette activité, je me dis que finalement, ce n’est pas si stéréotypé que ça. […] Alors que j’imaginais par principe que ça l’était. » (entretien 2, p. 6, l. 3-5). Au contraire, Mme CB.

a été confortée par l’activité, car elle trouvait « que c’était assez égalitaire entre eux et que j’en avais l’impression, ça m’a rassuré de faire l’activité parce que je n’étais pas faux. Je me disais que je n’étais pas complètement à côté et que ce n’était pas vrai qu’ils ne jouaient pas

59 ensemble, qu’ils se faisaient plein d’histoires, non. Déjà, quand j’ai fait ça, je me suis dit : ouf, ça a l’air de bien jouer, effectivement, il n’y a pas de soucis. Par contre, c’est vrai que pour moi, je pense que je serais désormais plus sensible à ce problème-là. » (entretien 2, p. 6, l. 3-8).

Relevons encore ici qu’aucune des huit enseignantes n’a pris connaissance de la brochure plus en détail. Elles n’ont notamment pas lu l’introduction. Ainsi, les enseignantes n’estiment pas nécessaire de lire l’introduction du moyen didactique « L’école de l’égalité » pour être en mesure de mener les activités. Cela montre l’accessibilité des démarches proposées par le moyen didactique. Cependant la lecture du préambule permet de comprendre dans quelle démarche les activités s’inscrivent et dans quel but elles sont menées.

Le prochain point permet d’appréhender comment réagissent les enseignantes lorsqu’elles sont confrontées à l’information, issue des recherches, que l’école participe aux inégalités de sexe, que les enseignant·e·s font, inconsciemment, des différences entre les sexes, que des représentations stéréotypées du féminin et du masculin sont véhiculées. Cette question a pour but de créer un conflit cognitif chez les enseignantes sur leur perception et de voir dans quelle mesure cela peut influencer ou modifier leurs conceptions d’égalité.

Conceptions, en ayant connaissance des recherches sur les inégalités à l’école

Les enseignantes qui ne s’estiment pas incluses dans le processus de perpétuation des inégalités

Lorsqu’elles sont confrontées à l’information que les recherches démontrent des inégalités de sexe à l’école véhiculées, notamment, de manière inconsciente par les enseignant·e·s, deux enseignantes maintiennent leur point de vue sur le fait qu’elles sont égalitaires. Pour Mme C., une minorité d’enseignant·e·s est attentive à ne pas véhiculer de stéréotypes de sexe, mais d’autres doivent en prendre conscience : « Pour que ça change, il faudra vraiment du temps.

Je pense qu’à l’école, il y aura des maîtresses qui ne sont pas sexistes mais qui vont pousser les garçons, ça ne m’étonne pas. C’est des millénaires à balayer. » (entretien 2, p. 6, l. 13-15). Plus loin dans l’entretien, elle met en avant des différences de comportement entre les sexes qu’elle attribue à la génétique principalement et à la socialisation différentielle pour une petite part : « c’est vrai que ceux qui prennent beaucoup d’attention, ce sont les garçons, dans cette classe-là. […] Le garçon aura plutôt ce côté à prendre l’attention, l’attitude « je bouge, je fais plus de bêtises », ce côté je pense génétique. Ils sont plus physiques et je pense qu’ils prennent l’attention, malgré tout. […] Mais je pense que c’est génétique quand même, quand tu regardes dans la cour d’école, au niveau fonctionnement, il y a des différences intéressantes. Il y a quand même une grande majorité de garçons qui va courir pendant toute la récréation et transpirer et puis les filles qui sont dans de petits groupes et qui parlent beaucoup. Mais il y a quand même la transmission aussi, je pense qu’on a toujours favorisé ça, donc je pense que c’est un peu mélangé. » (entretien 2, p. 6, l. 25-38). Pour que des stéréotypes de sexes ne soient plus véhiculés par le corps enseignant, Mme C. pense qu’il serait « intéressant alors […] qu’on soit filmé, peut-être que quelqu’un d’autre voie, pour savoir si soi-même on accorde plus de temps aux garçons qu’aux filles. » (entretien 2, p. 6, l.

20-23).

Mme M. ne conçoit pas non plus que des inégalités soient véhiculées dans sa pratique professionnelle : « ce n’est pas mon quotidien, ça c’est sûr, parce que je pense que les filles ont autant à dire chez moi que les garçons et je pense que les filles s’expriment même plus

60 que les garçons. […] Mais vraiment là dans ma classe, je ne vois pas de différences entre les filles et les garçons au niveau du temps ou de la capacité à prendre la parole. Il y a autant de garçons discrets que de filles discrètes, il y a autant de filles qui parlent que de garçons qui parlent. » (entretien 2, p. 5, l. 4-10). Elle estime probable que le résultat des recherches mentionnées témoigne de ce qui se passe dans la suite de la scolarité : « Donc, après est-ce que c’est une question d’attitude des enseignants quand ils passent plus loin ? » (entretien 2, p. 5, l. 10-11) ou pour une petite partie chez des enseignant·e·s du primaire : « Mais je ne pense pas que ça soit chez nous, ou alors, c’est infime ou c’est d’autres qui ne font pas ce qu’il faut » (entretien 2, p. 6, l. 6-7).

Les enseignantes qui n’arrivent pas à se positionner dans le processus de perpétuation des inégalités

Parmi les six autres enseignantes, deux relèvent la difficulté à concevoir ce qui peut générer de l’inégalité dans leur enseignement. Mme S. dit : « Ça me surprend ! Je n’ai pas l’impression […] C’est peut-être possible qu’il y ait une différence, en tout cas moi je ne me rends absolument pas compte, je n’ai pas du tout l’impression de faire de différences. » (entretien 2, p. 5, l. 5-12). Mme CC., elle, dit : « C’est ça qui fait que je n’arrive pas à comprendre, qui est insidieux » (entretien 2, p. 6, l. 21-22). Elle analyse son comportement avec les élèves et ne perçoit pas de différences : « Je ne suis pas plus attentive à laisser passer les choses sur l’écriture chez les garçons que chez les filles. Je félicite aussi les garçons qui écrivent bien et je les encourage aussi à continuer à apporter du soin à leur travail » (entretien 2, p. 6, l. 13-15). Cette enseignante est celle qui est consciente que l’école véhicule des stéréotypes de sexes par la connaissance qu’elle a des recherches. La complexité de perception des inégalités est ainsi soulignée.

Les enseignantes qui s’estiment incluses dans le processus de perpétuation des inégalités Quatre enseignantes, en entendant ce que les recherches démontrent, s’incluent dans le processus. Pour Mme MC., cela rejoint ce qu’elle nous avait dit lors du premier entretien, à savoir qu’elle s’était rendu compte qu’elle véhiculait des stéréotypes : « comme je t’avais dit, j’avais deux garçons qui voulaient passer et puis j’avais dit que j’allais prendre une fille qui faisait bien. J’ai réagi après coup de l’avoir fait. C’est vrai qu’inconsciemment des fois, on le fait. Il faudrait chaque jour se remettre en question. Je pense qu’inconsciemment on le fait. » (entretien 2, pp. 5-6, l. 35-36 et 1-2). Elle estime qu’il est possible de contrer cela en se remettant régulièrement en question. Mme T. pense qu’il est difficile d’être impartial dans un métier de l’humain et que nous avons tous et toutes des stéréotypes ancrés en nous, que nous véhiculons. Pour contrer cela, elle pense qu’il « serait intéressant de savoir à quel stade sont ces inégalités pour qu’on puisse avoir le doigt dessus et puis réfléchir par rapport à ça. » (entretien 2, p. 5, l. 19-21). Elle ajoute « qu’il faut nous informer nous les enseignants, et peut-être que ça peut faire un électrochoc. […] Je pense qu’il faut qu’on soit informé là-dessus, […] qu’on en prenne conscience par différentes explications, phrases qui peuvent être dites. » (entretien 2, p. 5, l. 24-28). Mme CB. se dit surprise, car elle n’arrive pas à percevoir quels éléments peuvent être inégalitaires dans son fonctionnement. Toutefois, comme Mme T., elle se rend compte que, travaillant dans un métier de l’humain, des attitudes inconscientes se mettent en place. Elle se questionne : « les êtres humains restent des êtres humains. […]

moi j’avais l’impression que ce n’était pas tellement par rapport à leur sexe, mais par rapport à certains enfants. […]. Moi je n’avais pas tellement l’impression que c’est lié à leur sexe, moi je le sens pas rapport aux filles autant que par rapport aux garçons. […] Et puis d’un autre côté, par rapport à l’égalité, moi je n’ai pas du tout l’impression que je fonctionne

61 comme ça, mais je ne sais pas, il y a des choses peut-être que je fais différemment ou que je laisse passer parce que c’est une fille qui pleure ou que je l’autorise plus à pleurer qu’un garçon. Je n’ai pas du tout l’impression, j’ai l’impression que je fais des différences, qu’il y en a forcément, mais que ce n’est pas lié au sexe. Mais je ne sais pas, peut-être que je me trompe. » (entretien 2, p. 8, l. 21-34). Elle estime qu’il est très difficile de s’en rendre compte : « c’est très inconscient tous ces trucs et c’est aussi pour ça que c’est difficile de mettre le doigt dessus et de s’en rendre compte parce que ça fonctionne tellement avec notre émotion et notre affectivité que ce n’est pas des choses où on peut dire : c’est juste ou faux, vrai ou pas vrai. Il y a plein de gens, tu leur poserais la question, ils diraient : ce n’est pas vrai, on est égalitaire alors que concrètement, ce n’est pas le cas. Donc, c’est un sujet difficile. » (entretien 2, p. 10, l. 18-23). Pour que les choses évoluent, elle considère qu’il faut que le corps enseignant soit renseigné sur ces mécanismes : « c’est vite vu, pour qu’on puisse s’en rendre compte, et puis qu’on puisse être attentif, il faut qu’on nous y rende attentif.

Parce que tout ce qui relève de l’inconscient ou des choses dont on ne se rend pas compte, tant qu’on ne vient pas nous en parler et tant qu’on ne nous rend pas attentif à ces choses-là, on ne peut pas les corriger ou même prendre du recul en se disant que c’est vrai. Donc, le seul moyen si on veut enrayer ces mécanismes qui sont inconscients mais qui, visiblement existent puisqu’on les voit dans les recherches, c’est de rendre les gens qui sont dans ce mécanisme attentif à ça, mais pour qu’on puisse prendre du recul et puis se rendre compte, il faut qu’on nous en parle. […] Je trouve super intéressant de voir comment on traite les trucs, comment est-ce qu’on regarde ci et ça, parce que c’est une fille, parce que c’est un garçon, comment les gens aussi disent : tu ne fais pas ça parce que tu es une fille, et les filles ne font pas ça. Je pense que toutes ces choses sont intéressantes. » (entretien 2, p. 9, l. 1-13).

Mme B. envisage qu’il existe des inégalités, mais celles-ci sont minimes ou liées à des éléments physiques, donc naturelles : « Je pense que c’est possible parce que c’est ancré dans la société. Je pense que oui, qu’on ne s’en rend pas compte mais ce sont des choses minimes, et de nouveau, ça dépend de la personne. A la gym par exemple, je ferais prendre ce qui est lourd par les garçons. Le mouton, je le ferais porter par les garçons et je demanderais aux filles de prendre quelque chose de plus léger. Déjà là, cette différence-là, mais elle est plutôt dans la force physique que psychique. » (entretien 2, p. 3, l. 22-27). Rappelons ici que la différence de force physique entre une fille et un garçon à l’âge de 7-8 ans n’est pas significative. Ainsi, si Mme B. peut envisager que l’école véhicule de l’inégalité, elle ne voit pas forcément la nécessité de la contrer, puisque l’inégalité encore présente répond à des critères naturels.

7.1.6 Synthèse et retour sur la question de recherche « Les enseignantes du premier cycle