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Partie I : Dispositif interactif et utilisateur 9

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 Utilisabilité et conception des dispositifs interactifs 45

7.3 
 Point de vue d’une compagnie reconnue dans le domaine 52

Quelques rares compagnies se distinguent par leur vision et leurs processus dans la conception des dispositifs interactifs. Comme exemple, nous prenons le cas de la firme Cooper 29 que nous considérons comme particulièrement intéressante pour notre recherche

29 Cooper est une firme américaine de design, fondée en 1992 par Alan Cooper avec l’idée suivante : « Companies are more successful when their products help users achieve their goals. » Les explications sont obtenues depuis le site web de l’entreprise. www.cooper.com

parce qu’elle place l’utilisateur au centre de sa mission. Cette firme explique qu’elle a une dynamique entre les aspects théorique, pratique et économique ; dynamique qu’elle exerce dans ses démarches de développement de produits interactifs. Le processus utilisé est linéaire et comprend les étapes suivantes dans l’ordre : planification, recherche, modeling (création des personas30), cahier des charges, visualisation, raffinement et suivi.

Ces étapes sont expliquées de la manière suivante :

a. Planification : lors d’un nouveau projet, un designer est désigné pour rencontrer le client et discuter avec lui afin de comprendre ses besoins. Il devient responsable du projet et, dans le but de répondre aux besoins exprimés par le client, il planifie les étapes du projet. Cooper explique que cette planification par le designer a pour intérêt d’être réaliste, contrairement à une éventuelle planification par des agents de vente : « Because our projects are planned by the designers responsible for delivering the work, and not by sales people, you can be sure you'll get realistic estimates of timelines and costs. » Le designer aide à déterminer l’approche de recherche qui est la plus pertinente pour le client et pour son équipe de développement. Le designer responsable s’engage à aider le client dans les communications avec les autres intervenants du projet.

b. Recherche : cette firme suggère à ses clients d’observer les utilisateurs dans l’action et de faire des entrevues avec eux. Elle promet à son client que, par des études ethnographiques, elle peut découvrir des opportunités qui ne sont pas trouvables autrement. Mais la firme prévoit aussi des situations dans lesquelles le temps ou le budget ne permettent pas de faire ce type de recherche.

c. Modeling : avec le modeling, la firme expose une technique de création des personas. « As we interview and observe users in their natural habitats, we look for patterns of behavior and goals shared by multiple people. Each distinct behavior pattern becomes the basis for a persona: a description of an archetypal user. » Pour cette firme, les personas sont utilisées pour que tous les intervenants puissent comprendre les utilisateurs d’une manière semblable. Les personas guident les décisions du design.

d. Cahier des charges : afin de déterminer les critères du cahier des charges, Cooper crée d’abord des scénarios d’usage dans lesquels des personas sont utilisées pour décrire comment elles interagissent avec un produit idéal. C’est à

30 Des personas sont des utilisateurs imaginaires. Avec les personas, nous représentons certains comportements de nos utilisateurs cibles. Pour Grudin (2002) la création des utilisateurs fictifs (personas) est une technique relativement nouvelle dans le design d’interactivité. Nous reviendrons sur la définition des personas et l’utilisation de cette technique plus loin (cf. 13.3).

partir de ces scénarios que les critères du cahier des charges deviennent plus clairs.

e. Visualisation (framework) : dans cette étape, les personas et les scénarios sont utilisés par le designer pour générer, examiner et modifier les idées, et éliminer les idées qui n’ont pas de potentiel.

f. Raffinement : le designer raffine le concept et crée des maquettes qui représentent parfaitement le design dans tous les détails. Il décrit les comportements et les caractéristiques des éléments. Ces maquettes précises servent d’outils de communication avec le client. Elles servent aussi au gestionnaire pour vérifier l’exécution du travail par les programmeurs et les autres collaborateurs.

g. Suivi : Cooper recommande à ses clients de faire participer leurs ingénieurs au processus de design pour assurer la faisabilité des concepts et pour résoudre les problèmes techniques. La firme fait le suivi avec le client pendant le développement du projet.

Cette firme insiste sur l’engagement du client dans la recherche sur l’utilisateur. Elle explique que pour le design d’un nouveau dispositif, le client ne doit pas se laisser influencer par les possibilités que la technologie offre ou par la tentation d’offrir toujours plus de fonctionnalités. Elle propose de concentrer les efforts afin de comprendre les buts de l’utilisateur et ses besoins dans le contexte d’usage. Trois questions sont alors posées au début du processus : qui utilise le dispositif, pourquoi l’utilise-t-on, et comment l’apparence de ce dispositif peut-elle influencer l’expérience des autres utilisateurs clés ? Pour répondre à ces questions, le gestionnaire du projet a besoin de traduire les demandes du client en objectifs du dispositif et de créer des scénarios d’usage.

La création d’un nouveau dispositif interactif est généralement liée à deux forces, parfois opposées : les développeurs et les agents de marketing (Alan Cooper et al., 2007). Les agents de marketing, dans leur effort pour comprendre le marché et pour saisir les opportunités, listent une série de critères, et demandent que les processus de design et de développement tiennent compte de ces critères. Ces critères sont peu compatibles avec les besoins ou les désirs des utilisateurs et sont plutôt définis en regard de la compétitive du produit. Les données de marketing viennent des enquêtes de marché, de ce que les gens « disent » qu’ils achètent ; cependant, ajoutent Cooper et al. (2007), il est rare que les gens

expriment clairement leurs besoins et de ce fait, la liste de critères de design dictée par les agents de marketing ne conduit pas aux dispositifs technologiques utiles. Quant aux développeurs, ils doivent exécuter le travail et résoudre les problèmes technologiques. Selon Cooper et al. (2007), ils reçoivent souvent des instructions peu claires et même contradictoires et ils sont obligés de prendre des décisions importantes ayant des conséquences sur l’usage que les utilisateurs feront du dispositif.

Dans les pages précédentes, nous avons souligné qu’il existe un manque de connexion client-designer-utilisateur dans la plupart des cas de développement de projet et qu’une approche centrée utilisateur n’est pas maintenue tout au long du processus de design. Cependant, la revue de la démarche de Cooper nous permet de remarquer l’importance que cette firme et ses dirigeants donnent à l’utilisateur, quoique la connexion entre les trois parties semble encore limitée. Aussi, Cooper reste flou au sujet de la collaboration entre les experts. À ces propos, les listes suivantes soulignent les points que nous avons trouvés favorables ainsi que les lacunes observées, pour une approche centrée sur l’utilisateur.

Démarches centrées sur l’utilisateur :

– La firme observe l’utilisateur en action et fait des entrevues avec lui.

– La firme demande également à son client d’inclure l’utilisateur dans le processus du projet.

– Elle met en doute les données de marketing et privilégie l’observation de l’utilisateur en contexte. Les techniques ethnographiques sont utilisées pour comprendre les utilisateurs. Lors d’un projet, ces techniques servent à la firme pour faire la distinction entre les besoins réels des utilisateurs et les demandes qui sont énoncées par les gens de marketing.

– Comme la firme met le designer en contact direct avec le client, le designer a l’occasion de mieux comprendre les objectifs de celui-ci. Par ce contact, le designer peut éventuellement influencer le regard du client.

– Le designer a la responsabilité d’interpréter les scénarios d’usage et de vérifier si le projet répond au cahier des charges établi auparavant.

Lacunes observées :

– Ce processus montre que l’utilisateur est consulté par le designer dans l’étape de la recherche. Dans les autres étapes, l’utilisateur est uniquement présent à travers les personas et les scénarios d’usage qui sont créés par le designer lui- même et selon ses observations pendant de la recherche. Cette vision unique du designer nous semble limitée.

– En fonction de la nature du projet, la firme prévoit des séances de collaboration entre experts afin de créer des solutions qui intègrent les critères du cahier des charges. Les experts et le client participent ensuite à l’étape de raffinement pour s’assurer que tous les détails sont couverts. Comme ces experts multidisciplinaires ne sont pas invités à participer à la définition des objectifs, à observer les utilisateurs, ou à déterminer les critères du cahier des charges, leur engagement à l’égard du projet est limité ; chaque expert ne voit le problème que dans la perspective du designer.

– Le rôle du designer dans ce processus est traditionnel, c’est-à-dire qu’il cherche à comprendre le problème en interprétant les informations que le client lui donne ou qu’il peut trouver par sa propre observation. Il consulte les experts pour compléter ses connaissances afin de résoudre le problème et il vérifie sa suggestion en se référant au cahier des charges.

– Ce qui manque aussi dans ce processus, ce sont les échanges multidisciplinaires pour permettre une vision globale du projet et une construction des connaissances entre experts pour permettre des solutions nouvelles.