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Design des dispositifs interactifs et les interfaces utilisateur 94

Partie II : Cadre de référence 65

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 Champs de design : approche centrée sur l’utilisateur 76

12.5 
 Design des dispositifs interactifs et les interfaces utilisateur 94

Pour la conception des produits interactifs, dont la problématique est complexe, les échanges entre les intervenants d’un projet sont essentiels. Ces échanges permettent le décloisonnement entre les disciplines et le partage des informations contribuant à enrichir la connaissance du projet et à accroître la qualité des communications. Morin nous explique la vertu de la spécialisation et le risque de l’hyperspécialisation :

« La frontière disciplinaire, son langage et ses concepts propres vont isoler la discipline par rapport aux autres et par rapport aux problèmes qui chevauchent les disciplines. L’esprit hyperdisciplinaire va devenir un esprit de propriétaire qui interdit toute incursion étrangère dans sa parcelle de savoir. On sait qu’à l'origine le mot discipline désignait un petit fouet qui servait à s’auto-flageller, permettant donc l'autocritique ; dans son sens dégradé, la discipline devient un moyen de flageller celui qui s’aventure dans le domaine des idées que le spécialiste considère comme sa propriété. » (Morin, 1994 – en ligne)

Concernant le design des interfaces utilisateur, nous admettons la pertinence du découpage du projet en définition, conception et développement ; cependant, nous remarquons que pour les projets des interfaces utilisateur, la frontière entre la phase de définition et la phase de conception est souple, et que les allers-retours entre ces deux phases sont particulièrement nombreux. (Cela peut être expliqué par le fait qu’avec l’informatique, la réalisation rapide des prototypes est possible ; ces derniers permettent au designer de mieux expliquer les concepts aux intervenants et d’influencer leurs visions respectives. Ainsi, les intervenants peuvent participer à la conception, partager les défis et apporter de nouvelles idées pour le projet). C’est donc encore par un développement itératif autour d’un axe, similairement au modèle de Ziesel, que le projet progresse. Nous reconnaissons aussi la pertinence du modèle « man-tool-work-environment system » d’Archer pour les projets d’IHO. Ce modèle est considéré comme une base qui met en évidence les liens entre les éléments du système complexe qu’est le produit interactif. Enfin, la démarche multidisciplinaire que nous venons d’expliquer nous préoccupe, puisque les problèmes des interfaces utilisateur ont plusieurs facettes et que le design de ces produits exige la collaboration de plusieurs disciplines. Par cette recherche, nous voulons

découvrir les conditions qui permettent l’engagement et l’attitude d’ouverture des intervenants menant à une collaboration réflexive.

Parallèlement à l’émergence rapide des TIC, des dispositifs interactifs et des interfaces utilisateurs, la réflexion sur les approches méthodologiques que les designers utilisent pour la conception de ces produits s’est enrichie. De plus en plus, l’informatique offre de nouvelles possibilités de communication entre les gens et les systèmes. Par le design, nous intervenons non seulement dans la conception des produits, mais aussi dans la conception des interactions. Nous modifions ainsi l’expérience que l’utilisateur fait avec l’objet, et dans certains cas, sa façon d’interagir avec d’autres gens.

« The growing complexity and increased use of 3-dimensional products like DVD players and PDAs, as well as screen-based products such as web sites, CD-ROMs, and touch screen kiosks, has caused designers to shift their focus from design as a form-giving process, to design as a process of facilitating interaction45. »

La révolution des TIC a conduit à une catégorie d’objets « intelligents46 » qui permettent des interactions plus complexes entre les utilisateurs et les systèmes. D’après Joël de Rosnay (2000), après la révolution agricole et la révolution industrielle, nous entrons maintenant dans la révolution de l'information et de la communication, qui devrait s'opérer en quelques décennies. Les TIC ajoutent à la complexité des objets avec lesquels nous interagissons. C’est une complexité qui défie nos méthodes traditionnelles d'analyse et d'action. Il ajoute que nous ne sommes pas préparés à de telles situations :

« Notre raisonnement face à la complexité reste analytique, notre vision du monde disciplinaire, nos connaissances, de nature encyclopédique. Nous continuons à

45 B. Stone, Hand Held Communication Interface: Design, Development and Process, Ohio State University, Document publié sur le site de l’Association américaine des designers industriels ISDA (The Industrial

Designers Society of America). [Consultée le 15 sept. 2004].

http://new.idsa.org/webmodules/articles/articlefiles/ed_conference02/40.pdf.

46 Dans son article Unified Theories of Cognition, Allen Newell (1990) définit l’intelligence comme suit :

« The degree to which a system approximates a knowledge-level system. Perfect intelligence is defined as the ability to bring all the knowledge a system has at its disposal to bear in the solution of a problem (which is synonymous with goal achievement) ». [Consultée le 15 sept. 2004].

extrapoler de manière linéaire les données du passé, alors que les évolutions que nous vivons sont non linéaires, exponentielles, en constante accélération.47 »

Pour de Rosnay, comme nous ne sommes plus dans un monde stable où les mêmes causes produisaient les mêmes effets, nos méthodes et nos outils intellectuels du passé, qui étaient basés sur un mode de raisonnement linéaire, ne sont plus pertinents. « Il nous faut donc de nouveaux outils, de nouvelles méthodes de pensée pour aborder une évolution dont nous sommes les acteurs principaux. »

Dès lors que les objets deviennent « intelligents » et communiquent entre eux, ils créent des environnements interactifs dans des lieux divers et ils modifient notre vie quotidienne aussi bien au niveau personnel que social (de Rosnay, 2000).

Les possibilités offertes par un dispositif interactif affectent les activités dans lesquelles le dispositif nous engage. Le concepteur est préoccupé par ces activités et les façons dont un tel produit sera perçu, appris et utilisé. Il s’agit, pour le concepteur, de comprendre le point de vue de l’utilisateur pour développer des dispositifs conviviaux qui répondent aux attentes des gens.

La conception vue par l’ergonomie cognitive

Depuis les années 80, les chercheurs en ergonomie cognitive du travail ont aussi étudié les activités des concepteurs afin de savoir ce qui caractérise les tâches de conception. L’ergonomie cognitive, comme approche de recherche, contribue à la compréhension de la conception des produits numériques ; cependant, son champ d’activité n’est pas limité à uniquement ce type de produits. Visser (2001, p. 4) explique : « L’ergonomie vise à améliorer la compatibilité entre les opérateurs48 et leurs systèmes de travail, informatique ou autres. » Elle souligne l’intérêt de l’ergonomie pour les situations

47 Version en ligne, 2000, section 1. http://csiweb2.cite-sciences.fr/derosnay/articles/FigMagFutur.html 48 En ergonomie, le terme « opérateur » renvoie à « celui qui exécute certaines tâches dans certaines

situations de travail bien précises ». Dans ces tâches, il y a mise en œuvre d’« une activité orientée vers des objectifs précis, avec des contraintes précises » (De Montmollin 1997). Note citée par Visser (2001, p.3).

de conception en milieu industriel où le décloisonnement des différents métiers est souhaité. Pour Darses et al., l’ergonomie cognitive contribue à analyser les caractéristiques mal définies de la conception. La recherche en ergonomie cognitive permet de « déterminer la construction des représentations mentales élaborées par les concepteurs pour réaliser leur activité, dans les pratiques individuelles et collectives de conception » (2001, p. 11). L’objectif de l’ergonomie cognitive est de développer des outils pour assister des concepteurs dans leurs domaines d’activité et de ce fait, comprendre les situations présentes et les transformer en situations plus favorables.

Clot et al. (2000) utilisent la notion de la clinique de l’activité pour leur recherche ergonomique. Ils expliquent : « Dans la perspective que nous adoptons en clinique de l’activité, nous cherchons à comprendre la dynamique d’action des sujets. » La recherche est faite avec les collectifs de travailleurs. Le processus de clinique de l’activité comprend une coanalyse qui mise sur un développement aussi bien des sujets, du collectif que de la situation : à la suite des collectes de données en situation d’activité, les professionnels (les collectifs) sont situés dans des conditions particulières de confrontation, pour qu’ils expliquent les raisons de leurs actions et décisions dans le contexte particulier de leurs activités professionnelles, et améliorent leurs activités. L’idée principale de cette approche est que seuls les collectifs eux-mêmes peuvent enrichir des connaissances qui leur permettraient de créer des transformations durables dans leur milieu de travail.

Pour expliquer l’approche de l’ergonomie cognitive, Visser (2001) précise d’abord que les termes « conception » et « concepteur » renvoient généralement à une fonction sociale. Elle fait référence à Darses et Falzon (1994) qui considèrent la conception comme consistant en des activités qui sont menées par des professionnels qui ne participent que rarement à la réalisation de l’objet à concevoir lui-même (e. g. les activités de l’architecte qui élabore le concept d’un édifice). Cependant, dans l’approche de l’ergonomie cognitive, « conception » et « concepteur » définissent plus d’activités et de personnes, et renvoient à un type d’activité de résolution de problèmes qui est menée par plusieurs personnes. C’est- à-dire qu’à part le professionnel, d’autres acteurs (i. e. les techniciens, censés seulement

réaliser ce qui est défini par les ingénieurs, les utilisateurs qui modifient la solution) font aussi partie de l’activité de conception. Une autre caractéristique importante d’un problème de conception est qu’il est lié à son contexte et ne peut pas être fragmenté en sous- problèmes indépendants.

Visser introduit le couple problème-solution et explique (2001, p. 5) : « Dès le moment que le concepteur commence à construire une représentation des spécifications initiales du problème et qu’il entreprend leur analyse, il commence à spécifier une solution. » Outre l’interdépendance du problème et de la solution, nous remarquons aussi que les deux se précisent simultanément au fur et à mesure que la conception avance.

Pour conclure, soulignons que pour un problème de conception (qui est considéré comme mal défini), les critères ne peuvent pas être ordonnés par un ordre objectif d’importance ou de validité, unanimement accepté par tous les intervenants du projet. Il n’y a pas une solution unique au problème et il n’est pas possible de qualifier la solution de correcte ou d’incorrecte. La solution adoptée est une possibilité parmi d’autres qui émerge selon la considération des critères par le concepteur et son point de vue du problème. Visser (2001) fait référence à Simon (1973) et explique : « La solution est plus ou moins satisfaisante : il n’y a pas de critère définitif pour tester toute solution proposée, comme il en existe pour des problèmes bien définis. »

La solution et le problème évoluent-ils ensemble ?

Le découpage de la conception en étapes (présenté par le modèle de B. Archer, cf. figure 10) est reconnaissable dans le cas des dispositifs interactifs. Cependant, la question d’évaluation de l’interaction tout au long des activités de conception a une place importante dans le processus.

La démarche de conception utilisée généralement par les organisations qui font le design des dispositifs interactifs consiste à procéder par trois phases : l’analyse du problème (en termes d’ergonomie cognitive, il s’agit de la construction d’une représentation mentale du problème) ; le développement ou génération d’une solution ; et

l’évaluation de cette solution. Chaque phase est divisée en plusieurs étapes séparées l’une de l’autre, mais dans le cas d’un projet mal défini, séparer le problème et la solution est en contradiction avec l’interdépendance de ces deux activités. Visser (2001) explique que si un concepteur est en situation de résoudre un problème qu’il juge similaire à un problème connu, son analyse peut évoquer dans sa mémoire la solution correspondante qu’il pourra réutiliser. Ceci montre qu’en conception, à côté des connaissances plutôt abstraites, un rôle important est joué par des connaissances spécifiques, concernant des problèmes résolus dans le passé. D’autre part, la génération d’une solution et l’évaluation de cette solution ne sont pas des activités totalement séquentielles. Selon Visser, « une solution n’est pas nécessairement développée entièrement avant d’être évaluée. Souvent, une première évaluation d’une solution conduit à un développement renouvelé de celle-ci » (2001, p. 6). L’évaluation conduit le concepteur à porter des jugements sur la validité des solutions, mais elle sert aussi à orienter l’activité de résolution de problème.

Ce point est également discuté par Cross (1999) dans un contexte de design sans mentionner expressément l’interactivité. Il explique qu’à cause de la nature mal définie des problèmes de design, ils ne peuvent pas être résolus simplement par le rassemblement et l’analyse des données. Il cite (p. 29) l’architecte Richard MacCormac : « I don't think you can design anything just by absorbing information and then hoping to synthesise it into a solution. What you need to know about the problem only becomes apparent as you're trying to solve it. » Pour MacCormac, il n’est pas possible de prédire et d’établir toutes les données pertinentes avant l’activité de conception. Enfin, nous pouvons dire qu’aussi bien en design en général qu’en design de l’interactivité, pour la partie de problème qui est mal définie, la solution et le problème évoluent ensemble.