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Partie II : Cadre de référence 65

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 Champs de design : approche centrée sur l’utilisateur 76

12.3 
 Survol historique de la recherche en design 84

Pour ce survol historique de la recherche en design, nous nous référons principalement à Cross (1984, 1993, 2001, 2007). Cette brève présentation décrit l’évolution de la recherche en design ainsi que sa complexité. Le premier colloque sur les méthodes de design tenu à Londres en 1962 fut un événement marquant qui provoqua l’émergence de la méthodologie du design. Au début des années 1960, on remarque un changement de point de vue en ce qui concerne la recherche : il s’agit de l’intérêt pour la recherche sur le processus plutôt que sur le produit. Le processus de design attire particulièrement l’attention des chercheurs. Avec ce changement, l’attention est portée sur la logique et la rationalité scientifique pour expliquer le processus de design. Christopher Alexander, connu comme le premier chercheur qui a étudié ce domaine, présente une description sous forme d’analyse et de synthèse pour décrire le processus de design

(Bousbaci et Findeli, 2005). Ainsi dans ces années, les méthodes de design trouvaient leur origine dans celles des sciences. Ces années-là virent aussi les débuts de l’utilisation des ordinateurs pour la résolution de problèmes. Par la suite, dans les années 1970, un groupe d’universitaires, comprenant Alexander et Jones, fonda la Design Research Society (DRS)41 et mit ensemble des perspectives empruntées à l’ingénierie, à l’architecture, au design et à l’ergonomie (Zimmerman et al., 2004). Ils commencèrent par rejeter la méthodologie des premiers pionniers et définirent une nouvelle approche du partage des savoirs. Cross (1993, p. 64) cite John Christopher Jones : « In the 1970s I reacted against design methods. I disliked the machine language, the behaviourism, the continual attempt to fix the whole of life into a logical framework. » Ce rejet était partiellement relié au contexte socioculturel de l’époque (le nouvel humanisme libéral et le refus des valeurs antérieures). Aussi les chercheurs n’avaient-ils pas obtenu beaucoup de succès dans l’application de la méthode scientifique au design. Un autre problème fondamental fut soulevé par Rittel et Webber (1973), pour qui le design et les problèmes de planification avaient pour caractéristique d’être des problèmes mal définis (wicked problems), contrairement aux techniques scientifiques et à l’ingénierie, qui géraient des problèmes bien définis (tame problems). Les problèmes mal définis sont expliqués plus haut, dans la section 11.1.

D’autres chercheurs ont mis en cause ou ont contesté ces points de vue. Ils considéraient que cette distinction était fondée sur des opinions positivistes, voire simplistes. L’on avança également que tant la science que le design étaient fondés sur notre perception. Dans ce contexte, Archer a écrit en 1981 : « Design, like science, is a way of looking at the world and imposing structure upon it. » (Cross, 1993, p. 65)

Depuis les années 1970, la recherche s’est progressivement dirigée vers l’acteur du projet de design (Bousbaci et Findeli 2005). En 1979, Archer a utilisé l’expression « ‘designerly’ way of thinking and communicating » qui souligne une manière de penser et

41 Dans les années qui ont suivi, la recherche en design s’est développée, en partie grâce à l’apparition des journaux sur la recherche. Le DRS a sorti le Design Studies en 1979 et plus tard, il y a eu l’apparition du

de communiquer propre au domaine du design, et cela, en contraste avec des manières scientifiques de penser et de communiquer. Selon Cross (2007), plus tard dans les années 1980, le design a été accepté comme une discipline cohérente d’étude à part entière, qui repose sur l’idée que le design a ses propres réalités à connaître et ses propres manières de les connaître.

En 1983, Schön remit en question les idées positivistes et proposa à leur place un paradigme constructiviste. Il critiqua l’approche de Simon, qui consistait à résoudre des problèmes bien définis et amena l’idée que le design avait à traiter de situations confuses et problématiques (messy, problematic situations). Schön a plutôt proposé le concept de « réflexion dans l’action », qui présentait les pratiques professionnelles comme des conversations réflexives avec des situations problématiques. Pour expliquer le processus de design, Schön (1983) a proposé également le concept de « pratique réflexive », qui consistait à rechercher une épistémologie de la pratique implicite dans le domaine artistique et les processus intuitifs, que certains praticiens apportent dans les situations d’incertitude, d’instabilité, et de conflit de valeurs.

Lawson (dans Cross [1984, p. 209-220]) a souligné une autre distinction : dans sa recherche, il a comparé les étudiants en architecture (discipline de design) et ceux qui étudient les sciences (disciplines non-design). Il a conclu que les designers sont « centrés sur la solution » alors que les scientifiques sont « centrés sur le problème ».

Dans ce survol, nous avons mentionné l’attitude positiviste et la rationalité technique adoptées par Herbert Simon, ce qui constituait une tentative d’optimisation du design. Par la suite, les méthodes de design ont évolué vers la prise en considération de problèmes mal définis, de situations d’incertitude et d’instabilité, de la construction du savoir par la pratique et de la reconnaissance du besoin de solutions adaptées aux utilisateurs. Il est toutefois important de noter que Simon parlait, lui aussi, des problèmes mal définis (ou mal structurés) (Cross, 1984, p. 145-166). Il a également mentionné que le design pouvait faire l’objet d’études interdisciplinaires parmi les personnes engagées dans

cette activité. Il a proposé un processus participatif au cours duquel les designers sont des partenaires de ceux à qui le problème appartient, par exemple les clients, les utilisateurs ou la société (Cross, 2007). Il ajoute qu’en architecture et en planification, cette approche a été mieux acceptée qu’en design industriel. Cependant de nos jours, le design participatif est couramment apprécié dans de nombreux domaines relatifs au design.

En dépit de toutes les controverses sur le sujet, plusieurs chercheurs partagent l’idée que si l’activité de design n’est pas en soi scientifique, il n’en est pas moins possible de l’étudier de manière scientifique. Pour cela, il est important de définir une méthodologie, en d’autres mots, de définir les méthodes et principes utilisés pour la recherche qui soient les mieux adaptés pour le design. Du point de vue de Manzini (2008) la recherche en design est une activité qui a pour objet de produire un savoir utile pour les praticiens du design. Il se réfère au savoir que tant designers que non-designers peuvent utiliser pour l’activité de design. Enfin, Findeli (2006) présente une série de questions de nature épistémologique, méthodologique, communicationnelle, pédagogique et autres, sur lesquelles la recherche en design doit se pencher. Concernant les questions épistémologiques, il mentionne (2007a, p. 7) :

« Quel champ de recherche revendiquons-nous, autrement dit : quels sont les objets que nous découpons sur le monde et sur lesquels nous nous proposons de construire des connaissances et des théories ? En quoi celles-ci sont-elles spécifiques au design, conçu comme discipline scientifique, c’est-à-dire en quoi consiste ce que Nigel Cross, après Bruce Archer, appelle le si intraduisible mais tellement juste designerly way of knowing ? »

Pour ce qui est du designerly way of knowing, Cross (2001) explique que, comme dans d’autres domaines intellectuels qui se concentrent sur les connaissances de leurs professionnels, en design nous devons nous concentrer sur les « “designerly” ways of knowing, thinking, and acting ». Il ajoute qu’après Schön, plusieurs chercheurs en design ont constaté que la pratique de design s’appuie sur des connaissances solides qui lui sont propres, et qu’il ne faut pas que la recherche en design soit inondée par les méthodes de recherche importées des sciences ou des arts. Il faut que la recherche en design apprenne de

ces traditions là où c’est approprié pour lui, tout en construisant son propre savoir. Il faut qu’on puisse clairement définir ce qui est la recherche en design et qu’on soit en mesure de démontrer un niveau de rigueur qui soit comparable avec d’autres domaines intellectuels.

Pour conclure cette section, nous reprenons la définition de la recherche en design présentée par Findeli lors de la conférence Question & Hypotheses (2008b) « Design research is a systematic search for acquisition of knowledge related to general human ecology considered from a ‘designerly way of thinking’ (i.e. project-oriented) perspective. »42

Cette définition est basée sur celle de Bruce Archer (1980)43. Les mots design et design activity sont remplacés par general human ecology ; Findeli souligne que l’écologie humaine a aussi pour objet la culture, l’expérience et les interactions de l’humain avec son environnement.