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Partie I : Dispositif interactif et utilisateur 9

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 Survol sur l’origine de l’interaction humain-ordinateur 21

Les interfaces graphiques sont à l’origine des réflexions sur les interactions humain- ordinateur. De même, la notion « d’interface usager » exprime le souci de permettre à plus de gens d’utiliser des ordinateurs. La technologie n’étant plus actuellement une fin en soi, c’est la recherche de la satisfaction de l’utilisateur qui prévaut, d’où l’importance de la recherche en IHO. Dans ce survol, nous mettrons en évidence les éléments suivants :

– L’évolution des interfaces graphiques, la production de masse des ordinateurs personnels et la miniaturisation des processeurs ont particulièrement contribué au développement des interactions humain-ordinateur (Weiser, 1996 ; Grondin, 2001 ; Dourish, 2004) ; avec les interfaces graphiques, il est devenu possible pour des utilisateurs d’accéder à l’information et d’interagir avec des systèmes informatisés sans avoir besoin de connaissances avancées en technologie de l’information (Weiser, 1996) ;

– Aussi, la production de masse et le prix abordable des ordinateurs ont modifié le rapport humain-ordinateur ; auparavant, c’était le temps de l’ordinateur qui était valorisé à cause du prix et de la rareté de ces appareils, et le développement des ordinateurs relevait particulièrement du domaine du génie informatique ;

– Avec l’arrivée des ordinateurs personnels et leur adoption par le public, un changement de paradigme a eu lieu : l’industrie et la recherche ont commencé à porter attention aux besoins de l’utilisateur ; d’une part, l’industrie, cherchant à atteindre une productivité élevée, s’est efforcée de créer des outils (ordinateurs,

interfaces, accessoires) pour augmenter la performance des utilisateurs ; d’autre part, les chercheurs dans les disciplines de l’ergonomie, de l’ergonomie cognitive et de la psychologie cognitive7 ont porté leur attention sur l’utilisateur et la relation humain-ordinateur ;

– Les ordinateurs ne sont plus seulement utilisés par des spécialistes ou des professionnels ; pour répondre aux attentes d’un public varié, les compagnies ont vu la nécessité de créer des équipes de conception multidisciplinaires ; – Le besoin d’un nouveau langage qui permette l’échange et le partage de points

de vue hors des frontières disciplinaires.

Nous considérons à ce propos que le rôle du designer consiste aussi bien à intervenir dans la création de ce nouveau langage qu’à aider les autres spécialistes à comprendre les utilisateurs

Depuis des années 1975, l’industrie et la recherche ont contribué à la réflexion sur les interfaces graphiques. Nous avons l’exemple de Dynabook8 de Alan Kay et Goldberg (Xerox PARC, 1977), avec leur vision basée sur l’utilisateur, sur le contexte d’usage et sur la convivialité de l'outil.

Autour des années 1980, on note l’apparition de communautés s’intéressant à l’interaction humain-ordinateur pour répondre aux défis et aux opportunités présentés par les systèmes interactifs (i. e. HCII, SIGCHI, UPA, AFIHM9). Ce domaine a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années.

7 L’ergonomie pour la performance physique et sensorielle, l’ergonomie cognitive pour l’adaptation des ordinateurs aux capacités et aux besoins des utilisateurs, et la psychologie cognitive pour chercher à interpréter les processus naturels de traitement de l'information en considérant les fonctions intellectuelles à la lumière de l'analyse des performances de l'être humain dans l'exercice de ses fonctions.

8 En 1975, la vision d’Alan Kay de Dynabook était un ordinateur personnel, aussi accessible qu’un livre, branché à un réseau d’information et offrant aux utilisateurs des informations en forme de texte, de son, d’image ou d’animation.

SIGCHI10 (Special Interest Group on Computer-Human Interaction) encadre l’histoire de ce domaine comme suit :

« Human-computer interaction arose as a field from roots in computer graphics, operating systems, human factors, ergonomics, industrial engineering, cognitive psychology, and the systems part of computer science. Computer graphics was born from the use of CRT11 and pen devices very early in the history of computers. This led to the development of several human-computer interaction techniques.12 […] A related set of developments were attempts to pursue "man-machine symbiosis" (Licklider, 1960), the "augmentation of human intellect" (Engelbart, 1963), and the "Dynabook" (Alan Kay and Goldberg, Xerox PARC, 1977). Out of this line of development came a number of important building blocks for human-computer interaction. Some of these building blocks include the mouse, bitmapped displays, personal computers, windows, the desktop metaphor, and point-and-click editors.13»

Le SIGCHIdonne la définition suivante du HCI : « Human-computer interaction is a discipline concerned with the design, evaluation and implementation of interactive computing systems for human use and with the study of major phenomena surrounding them. »14 Une des premières conférences annuelles de cette organisation était centrée sur la psychologie cognitive, la sociologie et l’anthropologie, et le design industriel. Les foyers d’attention de cette même organisation aujourd’hui (conférence CHI2008) sont la recherche de l’équilibre entre l’art et la science, le design et la recherche, la motivation et le processus pour satisfaire l’utilisateur des systèmes. Cette organisation cherche à rassembler les

10 La communauté CHI (Computer-Human Interaction) ou SIGCHI est née en 1982. Le SIGCHI est une organisation internationale qui rassemble les professionnels et les universitaires intéressés par l’interaction entre l’humain et la technologie de l’information. Cette organisation offre des forums de discussion et des conférences annuelles sur divers aspects de l’interaction humain-ordinateur.

11 Cathode ray tube (le tube cathodique) : dispositif d’affichage utilisé dans certains écrans d'ordinateur 12 « Many techniques date from Sutherland's Sketchpad Ph.D. thesis (1963) that essentially marked the

beginning of computer graphics as a discipline. Work in computer graphics has continued to develop algorithms and hardware that allow the display and manipulation of ever more realistic-looking objects (e.g., CAD/CAM machine parts or medical images of body parts). Computer graphics has a natural interest in HCI as "interactive graphics" (e.g., how to manipulate solid models in a CAD/CAM system). »

13 Hewett, et al. ACM SIGCHI Curricula for Human-Computer Interaction, 1996 www.sigchi.org/cdg/cdg2.html [mise à jour 2008.04.11]

communautés qui travaillent sur le design, la gestion, l’utilisabilité, l’ingénierie, l’éducation et la recherche sur l’interaction humain-ordinateur. Plus de place est donnée aujourd’hui à la question du design et de l’expérience de l’utilisateur.

Le développement des logiciels et des systèmes d’opération des ordinateurs, à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Hewett et al., mis à jour 2008), a également joué un rôle important dans l’évolution des interfaces et par conséquent, dans les progrès réalisés dans le domaine de l’interaction humain-ordinateur. Ces développements ont conduit :

– Aux techniques pour entrées/sorties de données, visant un meilleur temps de réponse de la machine aux commandes de l’utilisateur ;

– Au traitement multiple de l’information ;

– À la création des environnements comprenant plusieurs fenêtres d’informations. Comme nous l’avons mentionné auparavant, d’autres éléments sont liés au progrès de l’interaction humain-ordinateur dont les disciplines de l’ergonomie et de la psychologie cognitive, la productivité des industries, et le marché.

Ergonomie : L’ergonomie, comme discipline, est rentrée dans le domaine de la

technologie de l’information de façon naturelle, à cause de son intérêt pour la performance physique et sensorielle dans la relation humain-machine. L’ergonomie a un apport important dans la conception des systèmes informatisés ; notamment, la relation de l’utilisateur avec l’ordinateur a mis en évidence le besoin d’étudier de nouvelles dimensions en ergonomie traitant la cognition, la communication et l’interaction.

Particulièrement, il faut mentionner l’ergonomie cognitive15. Elle trouve son application dans la conception, l’évaluation et la modification des produits. L’objectif est

15 « L’ergonomie cognitive est l’ensemble des études portant sur les processus d’acquisition de l’information par l’esprit humain. L’ergonomie étant l’étude scientifique des conditions du travail et des relations entre l’homme et la machine, et cognitif signifiant ‘capable de connaître’. » (Office québécois de la langue française, www.granddictionnaire.com/)

d’adapter les produits aux caractéristiques physiologiques et psychologiques, aux capacités et aux besoins des utilisateurs en vue de leur en faciliter l’usage.

Psychologie cognitive : Cette discipline a notamment contribué au développement

de la recherche sur l’IHO. La psychologie cognitive, dont le début remonte au milieu des années 1950, est une branche de la psychologie qui étudie les processus de la connaissance et du savoir. « La psychologie cognitive cherche à interpréter les processus naturels de traitement de l’information en considérant les fonctions intellectuelles à la lumière de l'analyse des performances de l'être humain dans l’exercice de ses fonctions16.» Bien que le terme psychologie cognitive soit le plus souvent utilisé dans le sens générique, il sert aussi pour désigner, de façon plus spécifique, l'étude des processus de la connaissance et du savoir, par exemple, l’étude des processus de la perception, de la pensée, de la mémoire, de l'intelligence et de l'apprentissage.

Productivité : Avec l’industrialisation, on voit apparaître un intérêt pour la création

d’outils, de méthodes et de manuels d’utilisation pour augmenter la performance et donc la productivité des gens. Le même intérêt a été introduit dans le domaine de l’IHO afin de trouver des façons d’aider l’utilisateur à être plus performant.

Marché : Le marché a continuellement influencé la recherche sur la qualité des

interfaces. Avec la production de masse des ordinateurs personnels, une évolution vers la standardisation des interfaces a eu lieu (aussi bien en ce qui concerne le matériel que les logiciels). Ceci a également conduit les chercheurs à développer des techniques de test d’interface aussi bien du point de vue de la technologie que de l’utilisation.

Dans les années 1990, il y eut une nouvelle vague de développement de la technologie informatique qui a mené à l’apparition des ordinateurs mobiles et à l’usage de

16 Il est aussi à noter que la psychologie cognitive « […] qui représente actuellement un des courants les plus féconds de la psychologie, est liée de très près au développement de l’informatique. Outre cette dernière, diverses autres disciplines ont contribué à son émergence : la linguistique, la neurologie, la logique et les sciences de la communication. Le domaine étant relativement jeune, les connaissances qui en relèvent ne sont pas encore définitivement établies. » (Office québécois de la langue française)

cette nouvelle technologie dans divers systèmes et outils. Dans cette période, les forces qui ont influencé la direction de notre approche des ordinateurs ont été entre autres les suivantes :

– Réduction du prix des ordinateurs et de ses composants (hardware) ;

– Meilleure performance des composants (systèmes plus rapides, besoin de moins d’électricité, plus de mémoire, réduction de taille des éléments) ;

– Nouvelle technologie d’affichage, de réseau et d’entrée de données ; – Développement des logiciels spécialisés.

Un autre mouvement qui a fortement contribué à notre environnement technologique (dès 1988) est l’« ubiquitous computing17 » visant à rendre l’informatique invisible pour ses utilisateurs. Weiser et Brown, dans Designing Calm Technology18, expliquent :

« Ubiquitous computing names the third wave in computing, just now beginning. First were mainframes, each shared by lots of people. Now we are in the personal computing era, person and machine staring uneasily at each other across the desktop. Next comes ubiquitous computing, or the age of calm technology, when technology recedes into the background of our lives. Alan Kay of Apple calls this "Third Paradigm" computing. »

Selon Hewett et al. (1996), la miniaturisation des ordinateurs et l’intégration de ceux-ci dans les produits sont des raisons qui expliquent les liens intimes que nous avons aujourd’hui avec une variété de dispositifs interactifs.

Depuis 1995 environ, les ordinateurs ne sont plus seulement utilisés par des spécialistes ou des professionnels. Un plus grand nombre de gens, avec ou sans connaissances au sujet des machines, de tous âges et capacités, ont commencé à utiliser des produits informatiques. Ces gens avaient des attentes qui n’étaient que partiellement satisfaites. Pour mieux comprendre ce public et pour créer des produits qui offraient de nouvelles interactions, les compagnies ont vu la nécessité de créer des équipes de

17 Que nous traduisons par « Informatique omniprésente ».

18 Mark Weiser, et John Seely Brown, « Designing Calm Technology », Xerox PARC, 21 Décembre 1995 www.ubiq.com/weiser/calmtech/calmtech.htm [Consultée le 1 oct. 04].

conception multidisciplinaires. Les compagnies ont inclus des spécialistes en média, film, théâtre, design industriel et design graphique. Elles ont aussi fait appel aux sociologues et anthropologues (Preece et al., 2002). La collaboration de tous ces gens avec différentes expériences et formations a généré de nouvelles idées et de nouveaux produits. Cependant, d’après Preece et al. (2002, p. 9), la communication et la collaboration entre les membres sont difficiles. « The more people there are with different backgrounds in a design team, the more difficult it can be to communicate and progress forward the designs being generated. » La raison expliquée par ces auteurs est que les gens avec différents backgrounds ont différentes visions du monde. Dans notre pratique, nous avons aussi remarqué qu’une telle situation crée une confusion et un manque de compréhension qui mènent à un blocage de la communication. Ce constat nous démontre l’importance de réfléchir sur des méthodes de travail collectif et de développer des processus visant à encourager une collaboration efficace. Nous allons revenir sur ce point, qui est une préoccupation centrale de notre recherche.

Ces développements ont mené vers la création de dispositifs interactifs de plus en plus performants (rapides, compatibles avec d’autres dispositifs, offrant plusieurs fonctionnalités). Ces dispositifs établissent des communications entre eux et avec leurs utilisateurs. Ils incluent des capacités donnant l’occasion à leurs utilisateurs de personnaliser les interfaces selon leur compréhension des systèmes. Parallèlement, les designers sont confrontés à divers types d’utilisateurs. Certains sont novices, d’autres acquièrent plus d’expérience avec les dispositifs et obtiennent une compréhension plus profonde des systèmes. Par conséquent, leurs attentes et exigences changent. Plus récemment, afin de développer ces produits, les concepteurs ont porté leur attention sur l’utilisateur et sur ses activités avec les dispositifs. On se pose alors des questions sur « qui » utilise le dispositif, « pour quel but » et « dans quel contexte ». Auparavant, quand le designer étudiait son public cible, il cherchait plutôt à connaître les caractéristiques de ce dernier afin de lui enseigner le mode de fonctionnement d’un dispositif, au lieu de faire le design qui s’accorde ou qui s’adapte à l’utilisateur.

Enfin, on remarque qu’en 2008, la communauté CHI a fêté ses vingt-six ans d’activités et la communauté IHM19, ses vingt ans. Les deux communautés privilégient aujourd’hui une approche centrée sur l’utilisateur. Selon la communauté CHI, pour les activités de recherche en interaction humain-ordinateur, l’informatique, la psychologie cognitive, la sociologie, l’anthropologie et le design industriel doivent être au cœur de cette recherche, tandis que des disciplines comme la physique ou la mécanique se placent à la périphérie et doivent n’avoir qu’un rôle de soutien. La CHI mentionne que les problèmes de design d’interactivité doivent être considérés dans un contexte large et que la recherche doit être effectuée aussi bien sur le côté machine que sur le côté humain.

Ainsi, à l’origine de l’IHO, la technologie était une finalité en soi. D’autres modes de pensée et de réflexion étaient moins à la portée de l’industrie et donc moins à la disposition des utilisateurs : « The important waves of technological change are those that fundamentally alter the place of technology in our lives. What matters is not technology itself, but its relationship to us. » (Weiser et Brown, 1995)

Les deux déclarations suivantes montrent la direction prise par les chercheurs à deux étapes de l’évolution de l’IHO. En 1994, lors d’une communication à propos de l’IHO, Smith20 explique : « Today we are at the silent film stage in interaction design, depending on existing design languages to represent systems to users. » Dix ans plus tard, le colloque DIS2004 (Designing Interactive Systems) sur le design des systèmes interactifs, organisé par la SIGCHI, a concentré son attention sur ce qui suit : « […] to embrace the diversity of interests in this new community, crossing the spectrum of contributing disciplines including business, technology and engineering, psychology, interaction,

19 La communauté IHM ou AFIHM (Association Francophone d'Interaction Homme-Machine) est une organisation semblable à CHI qui a pour but principal « de promouvoir le savoir et les connaissances du domaine de l'Interaction Homme-Machine et des divers domaines concourant au savoir et aux connaissances facilitant la conception, la réalisation et l'évaluation des systèmes interactifs actuels et futurs. » www.afihm.org/

20 Gillian Crampton Smith a établi le premier programme de design d’interactivité au Royal College of Art à Londres en 1989.

design, expressive media and culture.21 » Réfléchir sur de nouvelles approches en design et trouver des moyens pour améliorer la collaboration entre les disciplines formaient les deux ambitions principales de ce colloque.

Ce que nous trouvons particulièrement intéressant dans cette position du DIS est la question du besoin d’un nouveau langage : un langage qui dépasse la spécialisation et qui permette l’échange et le partage de points de vue hors des frontières disciplinaires. Également, le rôle du designer nous préoccupe, aussi bien pour intervenir dans la création de ce nouveau langage que pour aider les autres spécialistes à bien comprendre les utilisateurs dans le contexte de leur relation avec des dispositifs interactifs.

Dans les prochaines pages, nous continuons avec un bref rappel historique pour identifier l’origine des objets munis de possibilités d’interaction et pour souligner les éléments qui ont contribué à l’émergence des produits tels que nous les connaissons aujourd’hui.