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ENTREPRISE SOUVERAINE TIRAILLEE ENTRE DEUX LOGIQUES DE SITUATION

HACHETTE VOCABULAIRE

2. Voix discordantes sur les fondements de la souveraineté

Dans nos définitions l’idée de souveraineté est un outil épistémologique qui doit, nous aider à construire l’ordre politique spécifique à la démocratie.

Au départ l’idée de souveraineté permet de qualifier une situation historique, celle des Athéniens membres d’une communauté politique à part entière, porteurs de droits politiques dont la méthode d’action aboutit à des décisions politiques dans lesquelles les citoyens ont le pouvoir de trancher. Dans cette perspective, la démocratie désigne la souveraineté des citoyens qui l’exercent directement.

Ensuite dans nos théories scolaires, l’idée de souveraineté impose ses tutélaires dans le giron du pouvoir sans assurer leur publicité.

Dans le premier type de proposition, la logique démocratique s’adresse à un type de souverain, dont l’action fonctionnelle n’a pas le sens d’intervention, ni d’imposition sur autrui dans le choix des expressions (exercer/pouvoir-diriger).

Dans le deuxième type de proposition, l’idée de souveraineté balaie le spectre d’un public plus large qui a été associé à la décision publique. La souveraineté peut toujours être exercée directement par le peuple ou par l’intermédiaire de représentants. En termes de souveraineté, l’impasse porte sur les conditions qui permettent à ce même public anonyme d’être désigné responsable de ses actes.

Dans nos définitions, les acteurs sont en panne de légitimité démocratique. L’affirmation de leur prééminence politique dans la structure dominante passe par l’ensemble des marques de souveraineté à même de leur conférer l’ascendant dans la formation du pouvoir.

Les types d’énoncés sont insuffisamment étayés pour soutenir l’autorité de leurs détenteurs du pouvoir dont on ignore le sens de la mission dans le cadre de la démocratie.

Les éléments de réponse apportés à ces marques qui rassurent les détenteurs du pouvoir sont de trois types ; les deux premières options sont à rattacher au premier modèle de démocratie rassemblant les cinq premiers manuels, la dernière option soutient naturellement la proposition du manuel Bordas.

a. Attribut du pouvoir au prisme de l’évidence

En démocratie, ce pouvoir souverain consacre l’importance des acteurs institutionnels et leur permet d’avoir prise sur la société politique grâce à la source implicite du droit. La possession du pouvoir par les citoyens, relève de l’évidence pour le lecteur, si bien que le droit structure implicitement la compréhension du pouvoir, de fait détenu par celui ou ceux qui l’exerce dans l’Etat selon Bodin- « Celui qui exerce le pouvoir suprême dans l’Etat l’auréole de la souveraineté »55.

Dans cette logique souveraine, les citoyens sont devenus la référence politico- théologique pour penser les acteurs de premier plan de la vie politique en démocratie.

55 In FLEINER-GERSTER, Thomas.FLEINER-GERSTER, Thomas. Chapitre 2. Souveraineté et pouvoir In :

Théorie générale de l’État [en ligne]. Genève : Graduate Institute-Publications, 1986 (généré le 17 novembre 2018). Disponible sur

Ce premier type de situation marque plus que les autres formules, son affinité avec l’idée de souveraineté. Cette configuration regroupe les manuels Belin, Magnard et Nathan, trouve sa source dans l’affirmation du pouvoir attribué aux citoyens (pouvoir/appartient). La souveraineté organise le pouvoir des citoyens, néanmoins celui-ci est dépourvu de moyens d’action.

Dans cette première acceptation, le dispositif de souveraineté est identifié à la possession de droits politiques (pouvoir/appartient) dont la propriété exprime la totalité de ce que les citoyens sont en position de faire dans le gouvernement (Belin, Magnard et Nathan).

La démocratie doit son régime de vérité à l’identité de ses acteurs institutionnels, placés dans le gouvernement. En revanche, les citoyens n’ont pas encore trouvé leur forme d’association pour exercer leur autorité souveraine.

Marcel Gauchet explique que « ce mouvement qui consacre leur souveraineté enlève aux citoyens la possibilité de concevoir ce qu’ils font comme participant au processus historique de la démocratie, à cause de la contribution moderne du droit et de son statut central de justification du mécanisme collectif se substituant au politique ».56

Cette première option scolaire offre la compréhension d’une démocratie perçue comme un système de droits politiques. En revanche la perte est sensible pour ce qui constitue l’intrigue au niveau de de la constitution du politique dans un gouvernement démocratique.

b. Citoyens, destinataires de prérogatives régaliennes

Pour les manuels Hachette et Hatier, le primat est accordé aux prérogatives dévolues aux citoyens, détenteurs du pouvoir suprême. On se retrouve dans une configuration encore très en phase avec l’idée de souveraineté. Les définitions respectives soutiennent les acteurs politiques au sein du gouvernement sur des fonctions de régulation (exercer le pouvoir/diriger- le gouvernement).

Les citoyens se sont vus confiés la gouverne au plus haut niveau de la vie politique mais l’exercice en commun du pouvoir ne se développe pas sur des occasions significatives d’engagement. Dans cette seconde option, les acteurs de Hachette et de Hatier sont privés de publicité.

On serait tenté, dans cette hypothèse de travail d’y voir une justification symbolique du pouvoir régalien.

Dans les deux cas, la fonction politique majeure concourt à un rapprochement avec les dispositions du souverain dont l’acte de gouverner est placé au-dessus de la division classique du pouvoir.

Cette opportunité d’exercice du pouvoir se rapproche de « l’idée du pouvoir neutre »57

expression que nous empruntons à Benjamin Constant pour colorer la mission des citoyens en transposant la puissance absolue du monarque à l’union politique des citoyens. La condition de souverain est, toutefois, limitée à un pouvoir instrumental, voire de préservation.

Cette réflexion illustre toute l’ambiguïté définitoire et théorique des cinq premiers manuels « dont le manteau de la démocratie recouvre une structure cachée de représentation… » dans la critique contemporaine de la démocratie débattue par Bökenförde58.

A juste titre, le lecteur peut extrapoler sur le niveau de généralité de ces fonctions essentielles, (diriger gouvernement, exercer le pouvoir) et les rapprocher des compétences reconnues aux gouvernants politiques, dans la situation actuelle de la démocratie.

Dans ce deuxième type d’éléments, la conception de la démocratie est ramenée à la toute-puissance du pouvoir souverain des citoyens et mais ne nous permet pas de dégager une partition significative de l’exercice du pouvoir souverain au point de dire que les citoyens décident de l’avenir de la collectivité.

c. Articulation populaire de la souveraineté à l’acte de volonté : Bordas Sur un point de vue plus pénétrant, la définition de la démocratie de Bordas s’illustre sur un temps fort de la souveraineté, nourrie par le pouvoir de statuer en dernière instance dont nous pressentons l’impératif dans la formule « le peuple décide »

57 L’expression du pouvoir neutre que nous empruntons à Benjamin Constant appelle l’hypothèse « que ce pouvoir placé au-dessus des autres pouvoirs, est préservateur de l’équilibre institutionnel dans le cas de pouvoirs divisés au cœur du gouvernement. Dans le cadre de la monarchie il permet au monarque de restaurer l’ordre, de préserver l’équilibre des pouvoirs et de conserver son statut royal au sommet de l’Etat. Dans un Etat démocratique cette fonction préservatrice est associée à la neutralité du président. Nous bousculons la compréhension du pouvoir neutre au motif que la non-intervention de la volonté souveraine décidée par les manuels a pour objet de maintenir la condition de souverain des citoyens et l’unité d’un pouvoir rassembleur autour des citoyens ». Ce type de

proposition entretient la confusion entre les intérêts contradictoires des formes de gouvernement ». « Pouvoir neutre » in Benjamin Constant, « Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs », 1815, (texte repris in De la liberté chez les

Modernes, Le Livre de poche, 1980, coll. « Pluriel », p. 280.)in SERRAND Pierre - Jus Politicum, n°4, 2010 en ligne « Administrer et gouverner. Histoire d’une distinction »

58 Cf. référence électronique Ernst Wolfgang Böckenförde, « Démocratie et représentation : pour une critique du débat

contemporain », Trivium [En ligne], 16 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2014, consulté le 05 octobre 2016. URL : http://trivium.revues.org/4805

L‘enjeu chez Bordas est accompagné du désir éthique d’impliquer la société dans les décisions qui la concernent. Dans cette troisième et dernière option, la notion de peuple apporte une unité de décision, mais nuit à l’effectivité de la décision par rapport au concept trop lâche de peuple. Par ailleurs, nous reviendrons sur les différentes déclinaisons de cette notion, discutée au regard de l’étymologie de démos dans la troisième sous-partie.

Pour l’instant, ce modèle scolaire construit l’autorité des gouvernés, grâce à leur intervention dans la vie politique. Nous pensons que la nature populaire de l’acte volitif « décide » est déterminante puisqu’elle place ce même peuple en position d’incarner le souverain dans le régime de la démocratie.

Dans son rapport à l’idée de souveraineté, la décision politique fait partie des enjeux de posture. Un manuel, Bordas, l’inscrit comme principe fondamental au cœur de son modèle théorique, contre cinq manuels qui en ont limité drastiquement la pertinence en la retranchant des définitions.

Pour le lecteur, ces différentes postures conduisent à un clivage structurant, opposant une souveraineté acquise et susceptible de conservation par le droit pour les cinq premiers manuels face à une souveraineté conquise qu’il s’agit de faire comprendre par l’action politique dans l’ouvrage scolaire de Bordas.

Il ne s’agit là, que d’illustrations variées, où la souveraineté fait figure d’idéal en situation démocratique avec les citoyens qui forment le noyau dur au gouvernement pour les lecteurs de cinq manuels ou cédant le siège d’autorité politique à une catégorie « peuple » déterminée à s’imposer par la décision, pour les lecteurs du manuel Bordas.

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