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UNE APPROCHE INTEGREE DE LA CITOYENNETE DEMOCRATIQUE PAR L’EGALITE

2. Limites organisationnelles de la démocratie sur l’application rigoureuse de l’égalité

Par comparaison, les deux modèles de participation testent les limites de la démocratie dans une situation où l’égalité conditionne le plein effet de participation pour les citoyens et pour la société leur donnant à chacun les moyens de s’exprimer, indépendamment l’un de l’autre.

Balibar, dans sa proposition de « l’égaliberté », aborde cette contradiction logée au cœur des relations entre citoyenneté et démocratie, rendant problématique l’institution de la citoyenneté. Pour lui, cette antinomie est devenue visible à l’époque contemporaine avec une problématique « de l’acteur politique (hybride, collectif, transitoire) ».175 L’égaliberté est

un concept contracté de l’égalité et de la liberté pour repenser la capacité politique collective, qui ne trouve pas plus son compte dans une définition classique de la citoyenneté. En ce sens, dans l’actualité la notion de gouvernance implique une situation de partage. Cette option apporte des signes d’encouragement pour la réconciliation des deux approches. On peut imaginer la réduction de tension entre le corps politique et social, parce qu’elle relance le processus démocratique sur des possibilités d’action conjointes, par le biais de la politique.

Par gouvernance, nous nous sommes alignés sur la réflexion de l’OCDE, présentée dans son rapport « la gouvernance au XXI° siècle »176. La lecture nous convie à une distribution

plus large de la capacité d’action à tous les segments de la société, plus en phase avec une communication horizontale. L’enjeu démocratique porte évidemment, sur la participation active de la société civile à l’élaboration et à l’application des décisions.

En théorie normative, l’horizon indépassable de l’égalité place les fictions dans un cadrage spécifique, placées sous l’emprise de la souveraineté et du privilège politique.

175 In BALIBAR Etienne, « L’antinomie de la citoyenneté » La PROPOSITION de l’ÉGALIBERTÉ, Essais politiques 1989-2009 Actuel

Marx Confrontation – Presses universitaires de France 2010 -358 pages – en p. 14

176 Une série de quatre conférences organise le rapport de l’OCDE dans le cadre de l’EXPO 2000 accueillie par Hanovre. La

quatrième les 25 et 26 mars 2000 avait trait au thème de « la gouvernance au XXI° siècle : les pouvoirs dans l’économie et la société mondiale du savoir ». La réflexion de la philosophie publique portait sur le changement fondamental de la tendance « à conférer le pouvoir d’initiative exclusivement à ceux qui occupent des positions élevées dans la hiérarchie » vers « la capacité à déterminer spontanément le niveau le plus approprié d’exercer le pouvoir et de prise de responsabilité ». In OCDE « La gouvernance au XXI° siècle – études prospectives » p.6/253 en ligne https://www.oecd.org/fr/sti/prospective/35625932.

Sur le versant pratique, les deux types de prototypes préservent l’unité d’action. on ignore la manière dont le principe d’égalité se réalise entre les protagonistes de la démocratie.

Dans l’approche intuitive, l’égalité est élevée au rang de principe. Elle prédétermine le contexte de chaque énoncé mais ne peut pas être vérifiée. Pour notre compréhension de la démocratie, elle pourrait être ramenée à une « égalité devant la participation ».

Les apories constitutives des deux modes participatifs antagonistes, relèvent de la difficulté de projeter un l’idéal participatif amputé de l’observation des procédures égalitaires. Le principe d’égalité n’est jamais objectivé dans les rapports de pouvoir.

a. Enjeux de participation non négociés par l’égalité

Les possibilités offertes par le principe d’égalité sont regroupées dans deux expériences de citoyenneté qui pointent les limites organisationnelles de la démocratie dans sa vocation à organiser les solidarités.

La plus forte objection s’appuie sur l’absence de procédures égalitaires organisant la participation des protagonistes au pouvoir, dans les deux types de citoyenneté, distribués dans deux milieux distinctifs.

En l’état, l’égalité semble incapable de maintenir l’équilibre entre deux tempéraments d’acteurs, chacun amputé d’un aspect de vie.

Le principe d’égalité a fait progresser la condition politique des citoyens et de la société, mais dans ses effets pervers, ce même principe prive la démocratie de l’expression du point de vue de ses protagonistes, mutuellement dépendants les uns des autres.

Du point de vue moderne, la question sociale exacerbe les limites de l’égalité politique. Cette nouvelle demande appelle à une redéfinition de la citoyenneté, pour satisfaire la question du partage du pouvoir dans la matérialité de l’exercice de la citoyenneté.

Dans le cadre normatif, la question du partage du pouvoir est mise en parenthèse. Les fictions scolaires ne distinguent pas les relations de pouvoir entre les acteurs.

On peut redouter les écueils de l’égalité dans la mise en pratique des manières d’agir, sans pouvoir en tirer une règle générale. L’égalité dans ses formes renvoie à plusieurs hypothèses.

Pour tous les lecteurs, l’égalité n’apparait pas comme un enjeu de répartition. Dans ses effets de similitude, elle ne peut constituer un élément d’appréciation de la conduite des citoyens, que la perspective du mérite dans la seconde définition péricléenne, transformera en une autre proposition de l’égalité réfléchie sur la différence des acteurs, dans les bornes de l’isonomie.

b. L’espace public : une entrave ?

Dans la première conception de la démocratie, les citoyens jouissent des effets de similitude dans leur statut de gouvernant et n’ont pas vocation à communiquer avec la sphère sociale.

Dans notre interprétation, les cinq manuels en question, expérimentent avec prudence l’idée de participation, se coupant de l’espace public démocratique 177.

Dans la seconde conception de la démocratie, « le peuple décide » la participation du public en démocratie s’appuie sur la référence « décide ». En dépit d’une proximité avec le pouvoir de décision, la mise en forme symbolique de la pratique ne permet pas, non plus, d’explorer la piste de la délibération publique.

Dans les formes de la leçon, l’espace public est observé dans l’architecture morale de l’Ecclésia, l’espace de médiation entre tous les gouvernants.

Dans les deux prototypes, l’idée de participation n’organise pas la rencontre des protagonistes. Par conséquent, ceux-ci n’ont pas l’occasion d’expérimenter une situation publique, à la fois un véritable espace de compétition et de coopération chez les Grecs.

Dans notre interprétation, cette réserve commune rejoint l’évaluation pessimiste de Jürgen Habermas à propos du potentiel démocratique de l’espace public. L’auteur, toujours partisan d’une théorie normative et discursive de la démocratie, a fait évolué sa réflexion vers une ouverture prudente « Peut-être cette analyse offrirait-elle une évaluation moins

177 Les positions exprimées par les manuels font part d’un ressentiment à l’égard du débat public, ressentiment exprimé

directement dans la leçon Hachette p.68 « ceux qui parlent le mieux parviennent souvent à imposer leurs idées »/ Magnard p.46 (1) domination de certains orateurs (2)Spécialisation de la parole- les orateurs sont des hommes politiques (3) choix d’une séquence portée par les collégiens placés en situation de débat/Hatier (p.57) et Nathan (p.56) incapacité à organiser le débat source « les Acharniens » Aristophane sur l’indiscipline foule

pessimiste qu’autrefois et présenterait-elle une perspective moins chagrine et simplement hypothétique »178

Dans nos hypothèses théoriques, l’idée de la démocratie reste en retrait sur un principe de participation au pouvoir dans un cadre d’échange ouvert à la vie publique.

c. Impossible isonomie sans dynamique de partage

Dans les énoncés théoriques, la participation au pouvoir n’est pas organisée par des pratiques de désignation, de répartition des tâches. L’expression ensembliste « l’ensemble des citoyens, tous les citoyens » a une forte influence sur un schéma développant une partition à l’identique si bien que nous ne pouvons pas comprendre comment les acteurs s’immiscent dans la gouverne ou prennent leurs marques dans l’espace public.

Ce seul rapport à l’égalité soumet la conduite des citoyens à une grande indétermination, sur la manière d’envisager ce qui fait tenir ensemble la collectivité.

Dans leur montée en généralité les deux types d’énoncés scolaires ne permettent pas de rapprocher l’idée d’égalité des aspects dynamiques de l’isonomie, concept d’égalité politique antique signifiant « la mise en partage de ce qui est en commun »179 .

Dans ses conséquences directes à Athènes, l’isonomie place le sceptre de l’archè « pouvoir au milieu » entre homoioi.

Cette disposition, selon Alain Fouchard renforçait déjà « la symbiose de l’idéologie aristocratique et de l’idéologie civique » dans le contexte du VI° siècle avant-J.-C. finissant.

Dans cette dynamique de partage, l’égalité est le produit de ce partage. L’isonomie comprend un explication politique contre l’accaparement du pouvoir et de ses avantages au profit d’un seul. Cette opération peut être vue comme une parade contre les ambitions

178 In HABERMAS Jürgen préface remaniée d’une Conférence introductive au Colloque « Communication et Société » qui s’est

tenu à Lyon le14 décembre 1991 – traduction française publiée dans la revue Quaderni, n°18, 1992 in MIEGE Bernard « l’espace public : au-delà de la sphère politique », Hermès, La Revue 1995/3 (n°17-18), pp.49-62 http://www.cairn.info/revue-hermes-la- revue-1995-3-page-49.htm

179 L’auteur a retracé les pratiques du politique à l’arrière-plan du terme nomos selon lui trop vite traduit par « loi ». « On

découvre dans les travaux du linguiste Emmanuel Laroche que sa racine indo-européenne nem puis le verbe grec νέμω en contexte homérique signifie toujours distribuer. A l’époque classique les différents sens de nomos « νομός des paysans », « νομός des musiciens et des législateurs » trouvent leur point commun dans la distribution (de terres, semences ou bien de règles) » in AZOULAY Vincent

Éditions de l'EHESS | Annales. Histoire, Sciences Sociales 2014/3 - 69e année pages 605 à 626 ISSN 0395-2649 consulté sur internethttp://www.cairn.info/revue-annales-2014-3-page-605.htm

concurrentes de l’aristocratie dans l’idéologie démocratique. En situation scolaire, l’isonomie a été définie comme égalité devant la loi, perdant l’indice de répartition.

Cependant, l’iconographie scolaire restitue l’aspect égalitaire de redistribution du principe de l’isonomie, dans la dynamique civique de la cité au moment des fêtes des Panathénées.

Les sources historiques font part aux lecteurs des pratiques distributives du koinon à part égale. Cette fête religieuse gomme les aspérités sociales à partir des rituels de sacrifice et de partage de viande180, en évitant la cristallisation sur un partage qui ne concerne que

les citoyens présents à la procession.

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