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LA NATURE DE L’ÉPISTÉMOLOGIE TRADITIONNELLE

DAILY LIFE »

2.1.3 VOIR ET SAVOIR SELON L’ÉPISTÉMOLOGIE TRADITIONNELLE ET SELON LE SENS COMMUN

2.1.3.1 Dire voir & dire savoir selon les épistémologues traditionnels.

Communément, le problème de la nature du sens commun nous renvoie à ce qui s’impose immédiatement comme manifestement vrai, c’est-à-dire qui a un certain caractère d’évidence. Mais le caractère d’évidence ou l’obvie est-il l’objet d’interrogations pour l’épistémologie traditionnelle ? Généralement, l’obvie n’est concevable qu’en tant qu’évidence intellectuelle et rationnelle ou en tant qu’évidence empirique et sensible. En conséquence, l’obvie peut-être réduit comme chez Descartes à l’idée d’évidence qui est la manière dont la vérité se manifeste à l’esprit et par laquelle il la comprend comme critère de la vérité42. Pour quelles raisons l’obvie ou ce qui va de soi est-il philosophiquement douteux ? D’où nous proviennent certaines croyances philosophiques selon lesquelles ce qui semble aller de soi ne l’est pas et selon lesquelles "l’obvie" doit avoir une réalité autre que celle présentée ordinairement ?

Wittgenstein pense que cela résulte d’un certain sentiment d’étrangeté à l’égard de l’obvie ou de ce qui devrait être reconnu comme familier. Car il nous est difficile de le définir

41 T. Clarke, La nature de l’épistémologie traditionnelle, § IV.

42 René Descartes, Discours de la méthode, § deuxième partie et Règles pour la direction de l’esprit, III, Œuvres

178 comme tel : « L’existence d’un tel sentiment d’étrangeté ne nous permet pas de dire de tout

objet que nous connaissons bien et qui ne nous semble pas étranger qu’il nous donne un sentiment de familiarité43 Si le philosophe peut s’interroger légitimement sur ce qui lui semble peu commun ou singulier, car cela est "hors de l’ordinaire", il ne s’ensuit pas pour autant que l’ordinaire ne le soit plus, car il serait philosophiquement non reconnaissable comme tel. Pour Wittgenstein, l’impression philosophique d’inaccoutumé ou d’insolite est plus aisée à formuler que celle de la familiarité. Pour autant, cela n’implique pas de remettre en cause nécessairement ou systématiquement ce qui relève de "l’ordinarité", c’est-à-dire ce qui nous est familier ou quotidien. De l’impression d’inaccoutumé, nous ne pouvons en conclure que plus rien ne doit être considéré comme familier et par là même mettre en cause toute idée d’obvie. Le concept d’obvie n’est pas très familier au vocabulaire philosophique, ni à la grammaire des philosophes, à quelques rares exceptions près. La quasi-impossibilité de circonscrire philosophiquement un tel concept explique en partie les raisons pour lesquelles les philosophes ont les plus grandes difficultés pour lui attribuer une signification. Si la signification n’est pas indépendante de l’usage ou de l’expérience vécue, alors il nous est possible de comprendre pourquoi nombre de philosophes ont perdu non seulement l’usage, mais aussi le sens de l’obvie. C’est à la conclusion à laquelle semble-t-il Clarke est conduit après Wittgenstein. Pour ce denier, le sentiment philosophique « d’inquiétante étrangeté » est plus familier à la grammaire philosophique que la simple impression « que cela va de soi ». Au demeurant, une part importante de la tradition philosophique ne s’est-elle pas déployée depuis l’idée que rien ne va véritablement de soi et que par conséquent, nous devrions nous défier de nos certitudes. Aussi, le geste philosophique peut-il apparaître pour certains comme une inquiétude fondamentale à l’égard de l’obvie ou du réel dont nous aurions à nous guérir44.

Notre réalité perceptive semble ne pas toujours correspondre en toutes circonstances à la réalité physique que nous présentent les phénomènes, c’est-à-dire ce qui nous apparaît ou se manifeste soit à la conscience, soit aux sens. Mais le fait que nous sachions ou non si ce que nous sommes conduits à percevoir est, soit une réalité perceptive, soit une réalité physique devient immédiatement problématique. Non seulement il nous faut évaluer le fait de savoir si nous avons ou non un critère de distinction entre ce qui relève de la conscience et ce qui relève des sens. Mais plus encore, nous avons la nécessité de déterminer ce qui constitue les notions ou concepts de réalité perceptive et de réalité physique. Pour cela, nous recourons le plus souvent aux notions de voir et de savoir. Nous les utilisons comme des paradigmes,

43 L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, § 596, voir également § 598, § 599 et § 600, Op. Cit. 44 Entre autres Freud et Wittgenstein, certes de manières distinctes.

179 c’est-à-dire comme des modèles et des manières d’exemplifier la nature et les procédures de la connaissance. Mais d’où les paradigmes que sont les concepts voir et savoir tiennent-ils leur nature d’exemplification de ce qu’est connaître ? La notion de paradigme renvoie à une explicitation révélatrice et démonstrative par l’exemple. Elle synthétise le divers et le singulier sous le registre de l’universel. Mais la diversité et l’hétérogénéité de nos pratiques à signifier ce qu’est connaître, peuvent-elles être subsumées sous des concepts théoriques et paradigmatiques tels que le propose l’épistémologie traditionnelle ? L’analyse des arguments mobilisés par les épistémologues traditionnels constitue pour Clarke le moyen d’étudier ce problème.

Les concepts philosophiques voir et savoir qui sont mobilisés par les différentes épistémologies des philosophes sont-ils à même d’être des paradigmes et d’exemplifier ce dont ils sont l’exemple ?45 Les concepts ou les catégories de voir et savoir fondent-ils les conditions logiques de l’exemplarité de ce qu’est dire « voir » et de ce qu’est dire « savoir » ? Selon Clarke, la cohérence des épistémologies traditionnelles des philosophes paraissent tenir à la question de savoir, si les concepts de voir et de savoir peuvent être exemplifiés et faire fonction de paradigmes qui servent tout à la fois d’étalon et de patron à ce qu’est dire « connaître ».

Que recouvrent fondamentalement les notions de voir et de savoir et leurs applicabilités épistémiques à quelque chose ? Pourquoi sommes-nous amenés si promptement à recourir à ces notions auxquelles, semble-t-il, nous réduisons nos différentes manières de connaître et de percevoir ?

Communément, la notion de voir nous renvoie aux notions d’immédiateté, de perception, de naturalité, de proximité, d’action, etc. Elle semble s’opposer point par point à celle de savoir qui renvoie aux notions de médiation, de construction, de symbolique, de langage, de distance, de réflexion, etc. Néanmoins, les notions de voir et de savoir semblent aussi dépendre l’une de l’autre. N’éprouvons-nous pas le besoin de savoir quelque chose pour dire que nous voyons ? Le fait de voir ne requiert-il pas une dimension de savoir qui vienne certifier que je vois ? Comment puis-je voir sans avoir la conscience de voir, c’est-à-dire un

45 Pour un approfondissement de cette question, voir dans son intégralité la thèse inédite de J.P. Narboux,

Dimensions et paradigmes. Wittgenstein et le problème de l’exemplarité. L’objet de cette thèse est une analyse

de la critique wittgensteinienne de la dévaluation de l’exemplarité de l’exemple qui montre que l’aporie de l’exemplarité peut être résolue par le recours aux paradigmes. La critique wittgensteinienne de la dévaluation de l’exemplarité est également une critique de la définition et de la dévaluation kantienne de l’induction comme mode de raisonnement de la faculté de juger. Selon J. -Ph. Narboux, « ce que Wittgenstein a mis en cause, c’est

la secondarisation de l’exemple au profit de ce dont il est exemple (le concept) qu’induit tout dispositif catégorial. Cette secondarisation de l’exemple conduit à faire de l’exemple une instance ou un cas quelconque de quelque chose d’autre (le concept), l’exemple n’atant pensé ni en lui-même ni pour lui même, mais toujous à l’aune de ce dont il est un exemple (parmi d’autres), à savoir le concept en tant qu’il dicte la manière dont l’exemplarité doit être entendue. » https://sites google.com/a/narboux.fr, 7 avril 2012.

180 certain genre de savoir sur l’action ou le procès qu’est voir ? À l’inverse, le terme savoir fait souvent appel aux métaphores liées au verbe voir telles celles de lumière ou d’image. Il renvoie aussi à l’étude et à l’expérience qui constituent un apprentissage pouvant requérir la nécessité de voir.

Par ailleurs, la définition classique et philosophique du savoir comme connaissance claire et distincte, c’est-à-dire intuitive, caractérise une forme de savoir où l’objet à connaître est immédiatement présent à l’esprit sous un mode d’appréhension proche de l’acte de voir. Ce savoir ou connaissance intuitive exclut le médium du langage au contraire de la connaissance discursive. Ainsi, les concepts de voir et savoir peuvent-il être consubstantiels à leurs propres définitions et descriptions. Il semble que la coexistence des notions de voir et de

savoir pour définir et caractériser l’acte de connaître puisse se justifier de cette manière. Nous ne pouvons voir ou savoir quelque chose sans nous référer à nos facultés cognitives. En retour, l’étymologie indo-européenne de connaître au sens « d’être mentalement capable » paraît rendre compte légitimement d’avoir un recours épistémologique particulier aux notions de voir et de savoir.

Pour l’ensemble de ces raisons, Clarke est donc conduit naturellement à articuler le problème de la nature de l’épistémologie traditionnelle à celui de l’applicabilité conceptuelle, à partir des concepts et des usages philosophiques de voir et de savoir. Son projet prend sa source dans l’évaluation des arguments épistémologiques des philosophes traditionnels. Il se poursuivra dans ses deux articles que sont Voir les surfaces et les objets physiques et le Legs

du scepticisme.

Nos manières de connaître sont multiples et hétérogènes. Elles peuvent être alertées différemment selon les circonstances. Examinons une série d’exemples pour illustrer notre propos : Sébastien connaît Christophe ; elles savent prendre leur temps ; ils savent faire de la

planche à voile ; Muriel connaît le théorème de Fermat ; Charles sait que deux fois cinq font dix ; nous connaissons Bruxelles et Venise ; je sais tout cela. Ces phrases distinctes présentent chacune à leurs façons, des usages linguistiques que nous avons pour rapporter les manières dont nous sommes amenés à dire savoir46 ou connaître quelque chose. Les verbes connaître et

savoir sont proches sémantiquement. Ils peuvent être assez facilement utilisés comme

46 Selon la typologie du philosophe B. Russell (1872-1970), il y a trois formes de connaissances : 1) La connaissance propositionnelle qui consiste "à savoir que" (know that). Cette connaissance consiste à savoir quelque chose qui puisse être exprimé par une phrase déclarative et qui puisse être qualifié soit comme vrai, soit comme faux. 2) La connaissance par "acquaintance" ou connaître. Elle consiste à connaître X, où est X peut être une personne, une chose (lieu, objet,..). Ex : « Je connais cette personne même si j’ai oublié son nom » ; « Je connais cet endroit par ouï-dire ». 3) La connaissance relevant de la capacité ou faculté. Elle est identifiable au "savoir-faire" ou savoir comment faire quelque chose (know how).

181 synonyme l’un de l’autre. Néanmoins, si nous affirmons que « vous connaissez Sophie », cet énoncé n’est pas strictement équivalent à « Vous savez qui est Sophie ». Aussi, le langage de la connaissance est-il subtil et complexe à l’aune de nos pratiques ordinaires et savantes de ce que nous affirmons ou non connaître.

Les manières dont nous mobilisons le langage reflètent ce que nous nommerons une grammaire de la connaissance qui s’est constituée tout au long de l’histoire du langage. Cette grammaire est l’ensemble de règles explicites ou implicites par lequel nous reconnaissons avoir un certain usage du langage dans une communauté donnée, selon Wittgenstein. Cette grammaire fonde les pratiques orthodoxes ou hétérodoxes que nous avons du langage et par lesquelles nous sommes conduits à comprendre ou non ce que les autres cherchent à nous signifier. Ainsi, nous pouvons dire « Je vois cela » pour signifier l’expression « je sais cela » ou bien encore, « Je vois que tu as aimé ce spectacle » comme l’équivalent de l’assertion suivante : « Je sais que tu as aimé ce spectacle ». En conséquence, les termes voir et savoir peuvent avoir un usage synonymique au quotidien. Pourtant, nous savons tous que la notion de voir désigne une faculté essentiellement physiologique qui nous permet d’appréhender par l’un de nos sens ce qui nous est extérieur ou le milieu dans lequel nous sommes. Au demeurant, notre capacité de voir est certainement l’une des formes les plus archaïques de nos manières de connaître et de percevoir le monde. Dans de nombreuses circonstances, nous concevons la perception visuelle comme une certaine forme de connaissance ou savoir qui met en relation un sujet percevant avec un objet perçu. Cette forme de savoir peut être décrite sous la forme d’une connaissance propositionnelle, à savoir : « si Charles voit que A, Charles sait que A.» Cet énoncé est une connaissance propositionnelle dans la mesure où il y a un sens à se demander si cet énoncé est vrai ou faux. Cette expérience perceptive correspond à un fait que nous pouvons qualifier. Sens majeur de l’appréhension naturelle sur lequel nous avons construit des modèles d’intelligibilité du monde, la vue et la notion de voir ont été utilisée comme paradigme de ce que serait penser. De même, les expériences perceptives constituées par notre faculté de voir la réalité nous donnent elles-mêmes à penser. En conséquence, voir et savoir semblent être deux registres différents sur lesquels nous pourrions constituer un certain langage de la connaissance qui se suffise à lui-même. Mais est-ce certain ? L’idée d’un langage de la connaissance peut-elle satisfaire à l’ensemble de nos pratiques de la connaissance ? Cette dernière interrogation nous paraît être l’une des questions principales posées par Clarke au travers de ses analyses des arguments des épistémologues traditionnels. Les procédures engagées pour vérifier et valider les dires du langage de la connaissance et les polémiques

182 qu’elles provoquent entre les théoriciens de la connaissance constituent la matière des ces analyses.

Pour Clarke, le concept voir constitue fondamentalement un paradigme pour constituer à la fois l’idée de savoir et son concept philosophique, y compris même pour certaines des importantes notions philosophiques mobilisées par le langage théorique de la connaissance. Le fait de démontrer au moyen de certaines procédures apparaît à Clarke comme un idéal d’explicitation, pour les épistémologues traditionnels, sur le mode d’un « faire voir » qui porte la monstration à son comble, c’est-à-dire à une visibilité parfaite de ce qui est intelligible47. Pour ces raisons, la nature de la démonstration peut être alors comprise comme le garant d’une possibilité à fonder l’obvie pour certains épistémologues. Ce constat apparaît comme essentiel à Clarke. Il constitue l’un des axes centraux de sa critique quant aux prétentions particulières et aux revendications spécifiques de l’épistémologie traditionnelle. Par ailleurs, depuis l’antiquité, l’idée philosophique de théorie de la connaissance est constitutive d’une theoria, comme nous l’enseigne l’étymologie, c’est-à-dire d’une conception nécessairement contemplative ou visuelle (idea) de la connaissance. La connaissance philosophique est ainsi conçue structurellement sur le modèle d’une action visuelle qui sert de paradigme aux conceptions philosophiques de la connaissance et du savoir. L’exemple du terme grec eidos dont la signification commune relève du » voir », de l’apparence ou de l’aspect, illustre au sein de la théorie de la connaissance platonicienne ce caractère d’une vision paradoxale. L’eidos selon Platon désigne l’Idée ou la Forme, ultime fondement du réel « qu’aucun œil ne saurait voir »48. Le sens philosophique d’eidos dans la théorie platonicienne de la connaissance s’est pérennisé avec le terme latin, species, dont le double sens renvoie aux notions d’aspect et d’espèce. Il désigne ainsi l’image universelle des choses dans la pensée. Tout au long de l’histoire de la philosophie, la question de l’idée fut centrale afin d’expliquer la nature et le procès de la connaissance, même si elle fut thématisée de manière fort distincte de Platon à Descartes.

47 T. Clarke, La nature de l’épistémologie traditionnelle, § I & § II ; T. Clarke, Voir les surfaces et les objets

physiques.

48 Rémi Brague, Introduction au monde grec. Études d’histoire de la philosophie, Paris, Champs Flammarion, 2010, p. 27.

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2.1.3.2 Dire voir & dire savoir : la question du fondement de la connaissance.

L’idée et le concept de représentation avec Descartes devinrent ainsi les objets de la pensée philosophique par excellence. Le concept de représentation et l’idée de réalité objective vont constituer l’objet de la connaissance, c’est-à-dire la possibilité de combler un vide supposé entre l’esprit et le monde. Mais que présuppose l’idée de représentation ? Peut-être la nécessité de convoquer l’idée d’un donné dans l’expérience qui puisse justifier l’exercice de l’esprit. Mais, qu’est-il précisément ce donné constitutif de la représentation pour les philosophes ? Selon les uns, c’est une pure idée, selon les autres, une pure sensation. Pour d’autres encore, tel Kant, c’est un concept mixte, l’idée d’un contenu conceptuel de l’expérience perceptive qui fonde notre capacité à juger de la perception49.

Étymologiquement, le terme de repraesentatio signifie l’action de mettre sous les yeux ou rendre présent. Aussi, la notion de représentation peut-elle conduire explicitement à associer l’idée ou l’action de voir à celle de savoir, comme peut le rendre le terme allemand de vorstellung. L’idée de représentation renvoie fondamentalement à la pensée philosophique et constitue l’un de ses concepts classiques des plus importants pour l’histoire de la philosophie. Au sein de la philosophie, cette idée de représentation a constitué pour une part essentielle, à l’établissement de théories de la connaissance afin d’expliquer le fait que nous ne puissions connaître directement la réalité. Plus précisément, c’est la conception selon laquelle les idées seraient représentatives des choses, car l’esprit ne peut connaître directement les choses ou objets réels que par la médiation des idées qui en sont les signes et qui les rendent présents à la pensée. Les idées représenteraient alors la réalité sans lui être nécessairement semblables. Cette conception ou théorie des idées représentatives a été soutenue de manière distincte au cours de l’histoire de la philosophie par des philosophes majeurs tels que : saint Augustin (354-430), une partie des scolastiques, René Descartes (1596-1650), Nicolas Malebranche (1638-1715), John Locke (1632-1704). En conséquence, la connaissance humaine consisterait à se rapporter aux choses ou aux objets en les représentants. L’idée de représentation est ainsi un concept classique de l’épistémologie pour la philosophie de la connaissance dans la mesure où elle participe au déploiement d’une théorie de l’intelligibilité. Cette conception théorique de la connaissance qui affirme que les idées représenteraient la réalité constitue aussi la justification explicative d’une limite à notre accès à la réalité des choses. Pour Emmanuel Kant (1724-1804), le concept de représentation

184 est fondamentalement une détermination de l’esprit où ce qui est représenté unifie ce qui relève de l’ordre de la pensée et ce qui relève de l’ordre de l’intuition. Quant à l’idée d’intuition, elle déploie deux idées essentielles : celle d’une connaissance sans intermédiaire, directe et immédiate et celle d’une connaissance obvie et incontestable. Généralement, l’intuition est opposée à la connaissance discursive et à la connaissance déductive. Malgré de nombreuses distinctions conceptuelles et sémantiques au cours de l’histoire de la philosophie, l’idée d’intuition a conservé une apparente unité constitutive de son étymologie. L’étymologie du terme provient du latin intuitueri qui signifie porter son regard ou considérer avec attention. Nous retrouvons encore ici ce lien indéfectible entre les idées complexes de voir et de savoir. Leur complexité, terme dérivé du latin, complectere (tisser ensemble) consiste dans un entrelacement perpétuel de leurs significations qui œuvre à la constitution et à la