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LA NATURE DE L’ÉPISTÉMOLOGIE TRADITIONNELLE

DAILY LIFE »

2.1.4 MATIÈRE À PENSER : LE SCEPTICISME

2.1.4.1 Le problème d’un critère de l’expérience.

L’idée et le concept d’une « donnée » de l’expérience sont le plus souvent circonscrits aux limites philosophiques des activités de la connaissance humaine et de la teneur du réel. C’est pourquoi l’idée philosophique d’une « donnée » est-elle fort proche des questions posées par le scepticisme épistémologique. L’une des principales raisons réside dans l’idée que nos expériences de la connaissance se constitueraient depuis une « donnée », c’est-à-dire quelque chose qui est l’objet d’une constatation par l’esprit ou par les sens que révéleraient ces derniers. Qu’il y ait une donnée présuppose l’idée d’une donation implicite, celle d’un sens qu’il s’agirait d’interpréter. La nature de cette donation reposerait sur le fait qu’il y aurait un mode de donation manifesté par le donné lui-même ou par la chose qu’il s’agirait de recevoir convenablement, c’est-à-dire en accord avec une attitude ou une disposition de connaissance adéquate. Il s’ensuit que l’idée d’une donnée constitue un soubassement fécond pour penser la nature de la perception dans un certain nombre de philosophies de la connaissance. Ce donné constituerait alors la certitude sensible pour parler en termes hégéliens. Ceci apparaît constituer pour Clarke l’explication de certaines croyances fondamentales de l’épistémologie traditionnelle. Proche de celles de Sellars,50 les analyses clarkiennes concentrent leurs critiques sur l’idée d’une donation ou d’une donnée par laquelle nous connaîtrions les choses et qui ferait l’objet de certaines croyances fondamentales. L’idée d’une donnée, à l’origine de certaines croyances les plus fondamentales de l’épistémologie traditionnelle, rend compte des raisons pour lesquelles les analyses descriptives des théoriciens de la connaissance cherchent à montrer et à démontrer par des méthodes appropriées la réalité objective de la donnée en tant que telle. Ceci explique selon Clarke pourquoi la croyance en l’idée de données sensorielles est si prégnante dans de nombreuses théories de la connaissance perceptive.

Fondamentalement, le donné constitue un élément continuellement concevable ou intelligible pour la pensée. Plus précisément, il est l’objet par lequel la connaissance et la perception reçoivent ou saisissent l’être ou la réalité phénoménale. Il est ce quelque chose qui

50 Wilfrid Sellars, Empirisme et philosophie de l’esprit, (1956), trad. franç. F. Cayla, Paris, Éditions de l’Éclat, 1992.

190 nous est donné avant toute mise en forme ou construction intelligible. Il est ce préalable sur lequel s’ouvre la possibilité de connaître, de percevoir et de savoir. Il est ainsi pensé par l’épistémologie traditionnelle comme le réquisit qui précède toute activité de la connaissance et de l’entendement. De ce fait, il apparaît comme le réquisit sans lequel toute ambition épistémologique semble vaine. L’idée philosophique de la préexistence d’une donnée préalable à la faculté de connaître comme condition de possibilité de toute forme de connaissance paraît constituer une forme d’invariant épistémologique pour de nombreuses philosophies. Elle renvoie à des doctrines philosophiques hétérogènes qui semblent pourtant avoir pour point commun celle de penser l’idée d’une donnée. Ce dernier peut être « une donnée intelligible » qui nous renvoie à l’origine de nos idées telle que le propose la philosophie classique51 ou relevant de la factualité, c’est-à-dire comme un fait rationnel52. Il peut être une donnée sensible, thématisé sous des vocables distincts tels que la sensation et l’impression53 ou encore celui de sens-datum54 thématisé par l’empirisme. L’idée d’un donné renvoie tant au concept de phénomène 55 de la phénoménologie transcendantale qui s’interroge sur les modalités de l’apparaître ou d’être donné qu’aux expressions d’ « état de

chose » ou de « fait atomique » thématisées par l’empirisme logique56. Aussi, l’idée d’une « donnée » est-elle constitutive du scepticisme épistémologique. En effet, quelles que soient les conceptions de cette « donnée », il constitue pour toute investigation philosophique une sorte de fondement sur lequel la connaissance ne peut que s’établir. La raison de l’existence des épistémologies philosophiques est alors celle de chercher à rendre compte de la nature de cette supposée « donnée » dans le moindre détail. Mais n’est-ce pas dans cette quête à justifier rationnellement la constitution d’un « donné » dans son moindre détail que se glisse le défi du scepticisme épistémologique ? En étudiant les arguments classiques des épistémologues traditionnels, Clarke circonscrit peu à peu les raisons pour lesquelles le scepticisme épistémologique résiste et perdure dans les multiples théories de la connaissance. Clarke interroge ainsi la croyance selon laquelle les objets physiques se « donnent à voir » constitue réellement « un donné pour "savoir" » ?57 Plus encore, l’idée d’un donné à connaître nous induirait à penser le point suivant : la connaissance doit être comprise comme ce quelque

51 Descartes, Malebranche, Locke, Leibniz, Hume 52 Kant

53 Locke, Hume 54 Moore, Russel 55 Husserl 56 Carnap

57 T. Clarke, La nature de l’épîstémologie traditionnelle ; Voir les surfaces et les objets physiques ; Le legs du

191 chose qui s’acquiert, alors même que nous présupposons l’avoir en cherchant à connaître ce qu’elle est ou si elle possible.

Ne pas savoir ou ignorer quelque chose, c’est avoir une connaissance, si infime soit-elle : csoit-elle de ne pas savoir. Avoir le sens de ce qu’est ou n’est pas connaître ou

savoir présuppose de fait l’idée même de connaissance. Par conséquent, la nature du scepticisme épistémologique apparaît à Clarke comme fondamentalement conditionnée par ce que présupposent l’idée de connaissance et l’idée de savoir pour les philosophes traditionnels. Si le scepticisme est faux ou s’il a une part de vérité, l’impératif de Clarke devient celui d’établir véritablement l’objet du défi sceptique. Le problème visé devient alors celui-ci : sur quoi le scepticisme épistémologique nous illusionne-t-il ? A propos de quoi nous révèle-t-il une vérité ? Pour répondre à cela, Clarke entreprend alors d’analyser les raisons pour lesquelles une hypothèse sceptique à l’égard de la perception des objets physiques peut conditionner la vérité ou la fausseté d’une proposition de sens commun. L’analyse clarkienne revient à comprendre pourquoi et comment les arguments des épistémologues traditionnels conduisent à définir et à affirmer ce que sont voir et savoir, selon des modalités descriptives et vérificationnistes.

Le vaste ensemble d’interrogations léguées par les épistémologies classiques des philosophes constitue l’objet auquel tente de répondre Thompson Clarke. Pour ce dernier, il s’agit moins de répondre à des questions posées par les théoriciens de la connaissance que de répondre à la question des origines de ce type de questionnement spécifique. Tout ne fait pas sens pour Clarke, et certainement pas dans les termes non restreints que proposent largement les spéculations épistémologiques de la philosophie traditionnelle. Les analyses clarkiennes au sujet de la constitution de la connaissance s’astreignent à réfléchir précisément ce qui nous assure des conditions et des raisons pour lesquelles nous accordons au concept savoir, ce caractère d’invulnérabilité qui lui est constitutif. Si, « savoir requiert l’invulnérabilité »58 selon Clarke, c’est en raison du fait qu’il ne serait plus savoir, c’est-à-dire à la fois quelque chose de certain, une fondation sur laquelle nous pouvons édifier la connaissance objective, mais aussi un concept dont nous ne pouvons aucunement mettre en doute l’applicabilité, le sens de l’usage sans le mettre en cause. Si, savoir requiert l’invulnérabilité pour l’épistémologie traditionnelle, c’est simplement en raison du fait que nous devons absolument connaître ou savoir les règles qui régissent l’applicabilité conceptuelle d’un tel concept. Comment serait-il possible pour un philosophe de la connaissance de concevoir ou d’admettre

192 ne pas savoir ce que savoir requiert ? Dès lors, pour Clarke, c’est ce qui semble distinguer le sens de l’applicabilité conceptuelle de savoir en régime philosophique, du sens de son applicabilité conceptuelle en régime non philosophique. Mais, selon Clarke, cette distinction est un présupposé spécifiquement philosophique qui conduit à un certain nombre d’apories à propos de la justification de savoir, à propos des règles et des critères qui présideraient aux règles de l’applicabilité conceptuelle de savoir. Pour ces raisons, ce présupposé constitue l’occasion pour le scepticisme épistémologique de défier les épistémologues à prétendre justifier un tel réquisit.

Si, le savoir doit être invulnérable pour qu’il soit véritablement ce savoir pour lequel Clarke a le plus grand respect, il ne doit plus être constitué par l’objectivation de la connaissance, ni soumis aux vicissitudes du scepticisme qui peut conduire fatalement au relativisme. Si le savoir est nécessairement contextualisé au regard d’un certain nombre de facteurs qui le constituent comme tel, il n’est pas pour autant relatif. Le refus du scepticisme par Thompson Clarke conduit au rejet d’une certaine conception de l’objectivité du monde et de notre relation à lui, car le scepticisme est le produit de lieux communs que fonde l’ordinaire Sens Commun de la philosophie (SCph)59. Aussi, le rejet par Clarke des prétentions du scepticisme incrimine l’idée de Sens Commun et implicitement l’ambition philosophique qui la sous-tend : une certaine forclusion philosophique de "l’ordinarité". Selon Clarke, les ambitions affichées par les différentes épistémologies traditionnelles concourent à vouloir rendre compte de l’ordinarité de ce qu’est voir et ce qu’est savoir. Cette ambition se constitue paradoxalement depuis un « Au-delà de l’ordinaire »60 proprement philosophique qui alimente conséquemment les prétentions du scepticisme.

En effet, plus les philosophes cherchent à rationaliser et à rendre compte de l’ordinarité de la connaissance dans la vie quotidienne, selon les procédures de l’épistémologie, plus, selon l’analyse de Clarke, ils s’en éloignent. Si, le contexte de revendication à savoir des épistémologues s’apparente à celui des hommes ordinaires dans la vie quotidienne, il n’est pas pour autant identique. Le contexte de revendication à dire voir et à dire savoir se distingue chez les épistémologues par une caractérisation particulière. Elle constitue un présupposé qui n’existe pas pour les revendications épistémologiques (M.E.I.)61

des hommes ordinaires, non-philosophes. Aussi, les théories de la connaissance de

59 T. Clarke, Le legs du scepticisme, § Au-delà de l’ordinaire 60 Id.

61 Abréviation utilisée par Clarke pour l’expression « Mundus Epistemology Investigation », La nature de

193 l’empirisme, du rationalisme et des « philosophes intuitifs »62 sont toutes dans l’incapacité de présenter la réalité de la nature ou de la qualité de l’ordinarité de voir et de savoir. Car elles se méprennent sur la nature de cette réalité et elles sont conditionnées par des critères d’exigences spécifiques qui configurent le lexique des épistémologues traditionnels. Clarke critique l’idée philosophique largement répandue de l’existence d’entité et de l’existence d’une donnée, source de la connaissance empirique. Il présente également une critique qui anticipe celle de Cavell et de McDowell63, à savoir qu’il n’existe pas de critère absolu et définitif de la réalité de l’expérience comme le prétend l’épistémologie traditionnelle.

Semblablement à son contemporain Austin qui publie la même année Sense and

Sensibilia (1962), Clarke remet en cause dans sa thèse The Nature of Traditionnal

Epistemology l’idée qu’il y aurait un critère, un(e) donné(e) de l’expérience. Selon les conceptions traditionnelles de l’épistémologie, ce critère aurait la faculté de nous instruire de la réalité objective. Il aurait également pour fonction d’attribuer un caractère véridique à l’ensemble de nos perceptions pensées comme des représentations de quelque chose. En conséquence, les rapports entre la connaissance et la perception s’en trouvent modifiés tant pour Clarke que pour Austin.

2.1.4.2 L’ordre des choses : épistémologie et scepticisme.

Mais, pour Clarke, l’ambition de la philosophie du langage ordinaire64 à être la contemptrice des prétentions épistémologiques des autres philosophies est elle-même une méprise. Selon Clarke, penser que seul le recours à l’analyse linguistique de nos multiples situations langagières puisse répondre de manière définitive à la question de la nature de l’ordinarité est lui-même une fiction. Les multiples et hétérogènes situations où nous sommes amenés à dire "voir" et "savoir" ne peuvent être véritablement dénombrées et ne peuvent donc être réduites à quelques-unes de leurs figures. À l’encontre d’Austin, Clarke pense qu’il y existe une diversité infinie d’emploi du langage qui ne peut être recensée. Passer le langage de la connaissance philosophique au crible de la langue ordinaire semble être le commencement

62 T. Clarke, Le legs du scepticisme .

63 Stanley Cavell, Les voix de la raison, op. Cit. et John. McDowell, « Criteria, defeasibility and knowledge »,

Meaning, Knowledge and Reality, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2001, p. 386-392. 64 Celle du philosophe Austin. Voir, T. Clarke, The Nature of Traditionnal Epistemology.

194 d’une véritable réforme de l’entendement philosophique65. Néanmoins, selon Clarke, ce préalable n’explique aucunement la nature de la connaissance en général. Il n’explique véritablement ni les raisons d’être de l’épistémologie, ni celles du scepticisme.

Pour tout ce développement à propos de l’évaluation clarkienne de la pensée d’Austin, nous nous référons à sa thèse de doctorat. Mais également à ce que nous dit S. Cavell dans l’avant-propos de l’édition française de son ouvrage : » Le choc que représentèrent pour moi

les procédures austiniennes fut renforcé par l’aptitude de Thompson Clarke à accepter et à absorber ces procédures presque complètement, en les intégrant au lieu de les opposer au

cadre des procédures de la philosophie de la connaissance traditionnelle. Je ne crois pas avoir jamais vraiment pensé que les procédures austiniennes rejetaient purement et simplement la philosophie de la connaissance traditionnelle, mais je sais que je n’ai jamais

pensé ce que me semblait montrer le travail de Clarke, à savoir que les injonctions du langage ordinaire( y compris, sans aucun doute, toutes les choses favorables que j’en avais

dites dans l’essai Must We Mean What We Say ?) étaient tout autant un support qu’une

destruction du projet de la philosophie de la connaissance traditionnelle, et de son combat

contre le scepticisme.»66 Ces propos de Stanley Cavell corroborent l’idée clarkienne que la

philosophie du langage ordinaire d’Austin est elle-même en partie impropre à traiter le problème de la nature de l’ordinarité de la connaissance. Car si elle se présente comme une forme de rejet des procédures épistémiques de la philosophie traditionnelle, elle reconduit à son insu certains de ses présupposés. La philosophie d’Austin est ainsi en partie invalidée. Elle ne peut se présenter comme une entreprise de déconstruction de la philosophie traditionnelle de la connaissance, malgré l’apport décisif de certaines thèses dont Clarke s’inspire afin d’établir sa propre pensée. Dire quelque chose ne relève pas seulement de la constatation ou de la description. L’énonciation peut être un acte, un faire qui ne se réduit pas à la seule signification des termes de l’énoncé. C’est pourquoi l’"agir" de l’énonciation doit être analysé afin de comprendre les mécanismes et les procédures instanciées lorsque les philosophes conceptualisent leurs théories de la connaissance. Clarke intègre la méthode austinienne dans ses études de ce qu’est dire voir et dire savoir. Mais il souligne que l’abus de langage philosophique tel que le présente Austin ne répond ni entièrement au problème de l’existence des théories de la connaissance67, ni à celui de la pérennité du scepticisme. Aussi,

65 Austin, Ecrits philosophiques, trad. franç. L. Aubert & A. L. Hacker, Paris, Seuil, 1994.

66 S. Cavell, Les voix de la raison, p. 15. C’est nous qui soulignons. Nous rappelons que Clarke et Cavell suivirent les « Conférences Williams James » d’Austin à l’Université d’Harvard en 1955 et qu’ils furent profondément influencés par celles-ci.

195 Clarke est-il conduit à penser l’idée suivante : plus certaines philosophies tendent à réfléchir la dimension de l’ordinarité de la connaissance, plus elles sont paradoxalement entraînées à penser hors de l’ordinaire. En conséquence, elles donnent vie à une conception de l’ordinarité proprement philosophique qui donne, en retour, matière au scepticisme.

Généralement, le doute philosophique ou scepticisme épistémologique correspond à l’idée d’une négation de la possibilité de connaître en toute certitude. Ce jugement philosophique affirme que nous ne sommes jamais totalement certains de connaître et de savoir, car l’analyse philosophique de ces termes conduit au fait que dire connaître ou dire

savoir requiert certains réquisits. Ces réquisits stipulent une conception de connaître et de

savoir qui requiert l’infaillibilité. Si l’assurance de l’infaillibilité ne peut être garantie alors l’attitude sceptique conduit à suspendre le jugement et à douter de manière permanente et universelle de la possibilité de connaître et de savoir. La nature du scepticisme soulève ainsi des interrogations spécifiques à ce type d’analyse, tant sur la valeur globale de la pensée que sur une certaine quiétude du savoir acquis. Pour ces raisons, le doute philosophique semble se présenter comme le plus sûr adversaire du sens commun, comme le laisse entendre Descartes68. Notons également que dans sa monumentale étude sur le scepticisme au XVIe et XVIIe siècle, Richard Popkin souligne combien le problème topique de l’indistinction entre la veille et le songe est une question essentielle pour maints philosophes de cette époque69. Ce problème70 classique qui trouve ses origines antiques chez Ciréron71 ne pose pas seulement le problème des conditions de possibilités de toute représentation. Il pose fondamentalement la question de l’existence ou non d’un critère objectif qui puisse nous permettre de savoir si les sens nous donnent une expérience véridique de la phénoménalité. Quant à savoir, si la spécificité cartésienne de l’indétermination critérielle entre le rêve et la veille trouve sa résolution dans une réflexion toujours possible de l’esprit sur lui-même, Clarke, philosophe analytique semble plutôt incliner vers une caractérisation aporétique.

Communément, les philosophes distinguent deux formes de scepticisme qui correspondent à deux degrés différents de la négation de la possibilité de savoir en toute certitude. L’une forte affirmant qu’il est impossible que la connaissance existe ; l’autre faible affirmant que de fait, la connaissance n’existe pas. Ce dernier scepticisme se révèle comme le plus complexe à réfuter. Car il n’exige pas seulement de montrer ou de démontrer que nous

68 R. Descartes, Discours de la méthode, première partie, A.T. VI, Op. Cit.

69 R. Popkin, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, trad. Franç. C. Hivet, Paris, PUF, 1995.

70 Voir, Gianni Paganini, Skepsis. Le débat des modernes sur le scepticisme, Paris Vrin, 2008, p. 217-220 et Thibaut Gress, Descartes et la précarité du monde. Essais sur les ontologies cartésiennes, Paris, CNRS, 2012, p. 68-73

196 avons la possibilité de la connaissance – réfutation du scepticisme fort –, mais que nous avons effectivement la connaissance. Ces deux formes peuvent conduire à distinguer un « scepticisme moderne », attribué à Descartes, d’un « scepticisme antique », représenté par Arcésilas et Pyrrhon d’Élis. Elles reposent sur l’idée que le scepticisme antique viserait plutôt des problèmes logiques concernant la justification de la connaissance alors que le scepticisme moderne viserait des paradoxes propres à la connaissance, c’est-à-dire des paradoxes épistémologiques. Pour ces raisons, le scepticisme moderne est plus radical en un sens que son prédécesseur. Les sceptiques modernes mettent en cause la nature de nos certitudes liées à l’ensemble de nos connaissances et dénient le caractère manifeste de nos évidences qui n’auraient aucun fondement rationnel. En particulier, à l’égard de notre croyance à la réalité de l’existence d’un monde extérieur. D’une certaine façon, les sceptiques anciens sont moins radicaux en ne prétendant pas que seul notre propre esprit existe. Mais dans un autre sens, ils peuvent paraître plus conséquents et donc plus radicaux. Car ils tentent de montrer et de démontrer l’incertitude tant de nos opinions que de nos croyances ordinaires ou philosophiques. Aussi, peuvent-ils être conduits à l’épochê absolue, ce qui a des