• Aucun résultat trouvé

LA NATURE DE L’ÉPISTÉMOLOGIE TRADITIONNELLE

DAILY LIFE »

1.2.5 DÉCLARER SAVOIR VERSUS CE QU’EST SAVOIR

1.2.5.1 Phénoménologie linguistique versus contextualisme épistémique.

Pour Clarke, le projet philosophique d’Austin et sa méthode sont impropres à rendre compte de la véritable nature de l’épistémologie traditionnelle. Clarke pense que la méthode austinienne s’attache plus à analyser les différentes façons dont nous sommes amenés à déclarer la connaissance que d’étudier la nature même de la connaissance. Analysez nos prétentions de connaître et leurs justifications ne reviennent pas à analyser le fait de connaître. Prétendre connaître et connaître sont deux faits distincts. Aussi, la portée épistémologique de la méthode austinienne est-elle restreinte chez Clarke. Le fait d’étudier les conditions dans lesquelles nous sommes lorsque nous affirmons, classons ou décrivons quelque chose, ne satisfait pas suffisamment aux exigences clarkiennes de savoir ce que font exactement les philosophes, lorsqu’ils constituent leur théorie de la connaissance. Ainsi, l’application de l’analyse performative à l’analyse de la connaissance et de son langage n’explique pas la légitimité de l’analyse épistémologique des philosophes. Selon Clarke, la méthode d’Austin ne rend pas compte des raisons pour lesquelles les prétentions épistémologiques des philosophes s’enracinent dans la vie quotidienne et le langage ordinaire. Austin invalide d’une manière générale l’ambition épistémologique des philosophes, car il ne leur reconnaît pas le privilège d’être véritablement en mesure, par exemple, d’analyser philosophiquement la perception.

Si Austin peut critiquer, non sans raison, l’idée qu’il n’y a pas de critères généraux pour caractériser une chose ou un objet, mais seulement des critères relatifs à des contextes circonstanciés ou particuliers, il est dans l’incapacité, selon Clarke, d’expliquer ce qui conduit les épistémologues à poursuivre cette idée. Comme le dit Clarke, si la « quête de raisons

spéciales110» des épistémologues était assignable aux seules règles de l’usage ordinaire du langage, alors la connaissance empirique serait possible et ne requérait aucunement les prétentions et conceptions qui paraissent dépendre d’une dimension « comme de non-règle » de ces mêmes épistémologues. Clarke critique ici, l’idée d’Austin selon laquelle les philosophes penseraient depuis une position de surplomb, position prétendument

128 « scolastique », c’est-à-dire indépendante d’une dimension réglée de l’usage du langage. Or, pour Clarke, il n’en est rien. Les prétentions et les conceptions épistémologiques des philosophes sont légitimes dans la mesure où elles s’inscrivent dans une dimension de règles et d’un jeu de langage proprement philosophique. Le jeu de langage des épistémologues explique et contextualise les raisons pour lesquelles les épistémologues traditionnels soutiennent leurs théories de la connaissance empirique. Ce jeu de langage et ses règles ne s’opposent pas à celui des hommes ordinaires, comme le pense Austin, mais est un jeu possible et complémentaire, voire supplémentaire, régi par d’autres règles, selon Clarke. En d’autres termes, ce n’est pas une différence irréductible de langage qui distingue le lexique philosophique de celui des hommes ordinaires. Ces lexiques référent respectivement à des contextes distincts qui rendent compte des raisons pour lesquelles il est possible d’avoir telle ou telle applicabilité conceptuelle. Il est alors possible pour les philosophes de vouloir signifier leurs concepts selon tel ou tel contexte proprement et purement philosophique. Clarke énonce ainsi sa thèse d’un contextualisme sémantique.

Ce contextualisme épistémique vient justifier rationnellement pour quelles raisons les philosophes sont en droit d’avoir certains usages conceptuels à propos de la connaissance qui soient foncièrement distincts de ceux des non-philosophes dans la vie quotidienne. L’idéalisation par les philosophes des processus épistémiques explique la convocation de contextes spécifiques à dire voir et à dire savoir, selon tels ou tels critères.

1.2.5.2 La querelle des méthodes à propos de la nature réelle du sens commun

L’idée de contexte pour Clarke n’est pas analogue à celle d’Austin. À l’encontre de ce dernier, Clarke pense que le langage philosophique de la connaissance empirique n’est en aucune façon l’adversaire radical du langage de la connaissance empirique des hommes ordinaires. Les épistémologues de la connaissance empirique et les hommes ordinaires font usage d’un même langage ou d’une même langue. Mais le contexte qui les conduit respectivement à poser certaines questions, comme celle du problème de l’existence d’un objet, est différent. Dans leurs investigations, les hommes ordinaires peuvent être amenés à mettre en cause la réalité de telle ou telle chose, selon un cas particulier qui contextualise l’interrogation. Quant à l’épistémologue traditionnel, le type d’enquête ou d’investigation

129 qu’il conduit prétend universaliser la raison pour laquelle l’interrogation peut être posée. Comme le dit Clarke, « les raisons de demandes spéciales 111» divergent selon le genre de contextes depuis lesquels les raisons de poser des interrogations particulières à propos du monde sont posées.

Pour Clarke, Austin succombe trop facilement à l’explication de la convocation empirique du sens commun112. Malgré ces affirmations, Austin succombe non seulement à la conception du sens commun et à ces croyances, mais également à l’idée d’un « donné », entendu comme un accord sur « ce que nous dirions quand ». Comment peut-il alors rendre compte de la divergence d’opinions entre les épistémologues sur « ce qu’est voir un objet

physique » ? Les uns prétendent que c’est voir pleinement l’objet, d’autres que c’est seulement voir une partie de sa surface. Comment les uns comme les autres peuvent-ils être en mesure de démontrer et de vérifier leurs théories ou conceptions de ce qu’est voir ou dire voir ? Comment des conceptions distinctes peuvent-elles respectivement être vraies, selon les normes de l’analyse ? Selon Clarke, la méthode d’Austin ne peut donner une réponse satisfaisante à ces questions. C’est pourquoi Austin est plus facilement conduit à décrire dans le détail, la nature de nos énoncés sur la connaissance empirique, plutôt que d’expliquer la nature de cette connaissance. Pour ces raisons, selon Clarke, Austin ne peut aucunement proposer une conception alternative à la connaissance empirique. Par ailleurs, Austin conçoit les prétentions épistémologiques des philosophes, comme l’expression d’une sorte d’abus du langage ordinaire, ce qui n’est en aucune manière le cas pour Clarke.

Clarke affirme que la philosophie oxonienne113 nous offre seulement son échec à apprécier les implications drastiques de la conception du sens commun de la connaissance empirique. Il en résulte que l’épistémologie traditionnelle est alors la seule réponse correcte à cette conception114. Les réquisits des croyances du sens commun philosophique conduisent à ce que l’épistémologie traditionnelle soit ce qu’elle est et conçoivent la connaissance empirique telle qu’elle est. Aussi, la signification de l’épistémologie traditionnelle réside-t-elle pour Clarke dans ce qu’réside-t-elle a mis en évidence115.

Si, les concepts savoir et voir doivent être indépendants de « la dimension comme de

non-règle », alors nous ne pouvons connaître et voir que peu de choses. Clarke conçoit ainsi deux réponses possibles qui peuvent être proposées à l’épistémologie traditionnelle.

111 T. Clarke, La nature de l’épistémologie traditionnelle, § IV. 112 T. Clarke, Idem, p. 245

113 T. Clarke la nature de l’épistémologie traditionnelle, § IV. 114 T. Clarke, Idem, p. 246 et suivantes.

130 - La première serait une conception de la connaissance empirique qui donnerait du sens au comment elle peut être vraie, et pourtant essentiellement dépendante de la dimension de non-règle116.

- La seconde serait la démonstration effective qu’il est impossible de comprendre la connaissance empirique en termes généraux117.

Le problème pour Clarke devient alors d’examiner au plus près cette dimension qu’il a caractérisée comme de non-règle. D’après les épistémologues traditionnels, elle semblerait être une dimension spécifique des investigations épistémologiques mondaines non philosophiques. Cette prétendue dimension caractériserait celle de l’examen des cas épistémologiques particuliers de la vie quotidienne. Selon l’interprétation clarkienne, les philosophes verraient dans cette « dimension comme de non-règle », le lieu même où réside la démarcation absolue et définitive entre le régime épistémique spécifiquement philosophique et le régime épistémique non philosophique de la vie quotidienne. L’objectif de Clarke est de savoir si cette prétendue dimension comme de non-règle est réelle et si elle est ce que prétendent généralement les philosophes.

Si la philosophie d’Oxford a prétendu examiner ce que nous dirions dans la vie quotidienne, elle a, selon Clarke, porté peu d’attention à la nature de cette vie quotidienne, c’est-à-dire à la nature des cas ou des exemples réels de la Mundan Epistemology

Investigation118.

116 Ibid. 117 Ibid. 118 Ibid.

131

1.3. LA QUESTION DE LA NATURE DE L’EXPÉRIENCE ET LE MYTHE

D’UN DONNÉ DE L’EXPÉRIENCE.

1.3.1 LA REVENDICATION ÉPISTÉMOLOGIQUE ET LA QUERELLE DU